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Science et recherche

1e conférence annuelle Amyot - « Le système d'assurance-maladie et le mieux-être : un drôle de couple »

Exposé du Dr Robert McMurtry
Chaire G.D.W. Cameron
Santé Canada
2 novembre 1999


Résumé

Le rapport Lalonde de 1974 indique que la santé est bien plus qu'un système de soins de santé et souligne l'importance des déterminants de la santé dans l'image générale de la santé. Pourtant, 25 ans plus tard, malgré les réflexions présentées dans ce rapport, certains de ces déterminants empirent, comme les iniquités environnementales et socio-politiques.

La Commission Hall définit l'assurance-maladie comme « tous les services médicalement requis ». Pour paraphraser la définition de la santé adoptée par l'OMS, le mieux-être est « l'absence de maladie dans un état de santé physique et émotionnelle positif ». Or, aucune des deux définitions ne convient pour décrire le système de santé que nous devrions nous efforcer de viser au Canada.

La Charte d'Ottawa de 1986 décrit la promotion de la santé comme le processus « permettant aux gens de mieux maîtriser leur santé et de l'améliorer ». Cette description se fonde sur les concepts cruciaux de pouvoir et de contrôle. Les programmes généraux qui ont pour but d'améliorer les connaissances en matière de santé et de faire comprendre son processus sont aussi importants pour l'individu que pour la population.

Deux solitudes

Il existe deux solitudes au Canada : les perspectives sur les soins de santé et la santé des populations.

La première, notre système de soins de santé, est caractérisée par certains comme un modèle « d'atelier de réparation », dans lequel les soignants diagnostiquent et traitent les maladies; c'est une approche axée sur la maladie.

La deuxième, la santé des populations, est considérée par d'autres comme une simple abstraction ayant peu de potentiel d'application pratique aux besoins de soins de santé des Canadiens.

Ni l'une ni l'autre de ces caractérisations ne s'éléve au-dessus du stéréotype.

Pour répondre aux besoins de santé des Canadiens, il est essentiel d'intégrer ces deux solitudes.Haut de la page

Il est possible de réaliser le potentiel du système de soins de santé en faisant de ce système bien plus qu'un « atelier de réparation ». Premièrement, il devrait obéir aux cinq principes du régime public des soins de santé énoncés dans le rapport Hall : universalité, accessibilité, intégralité, transférabilité et administration publique. Deuxièmement, il devrait être efficient et responsable. Troisièmement, il devrait être axé sur la personne, tenir compte du contexte de la vie des gens et de l'expérience de la maladie. Toutes ces conditions doivent être réunies.

Le modèle de la santé des populations peut être renforcé en y adjoignant la notion de politique de santé publique, pas seulement de politique de santé. La santé des populations devrait influencer la politique publique en général, être largement diffusée (le succés remporté par le rapport de Santé Canada de 1999 portant sur la santé des Canadiens, Pour un avenir en santé, est un bon exemple), et être adaptée à la rencontre avec le patient.

Soins axés sur la personne

Nous aurons du mal à combler l'écart qui sépare le système de soins de santé et le modèle de la santé des populations à moins que nous acceptions le fait qu'il est nécessaire d'adopter des soins contextualisés ou axés sur la personne. En instaurant une option de traitement appropriée aux circonstances de vie de la personne, ce type de soins met l'accent sur les communications et établit des points communs entre la personne et le pourvoyeur de soins.

Les soins contextualisés et axés sur la personne :

  • ne demandent pas plus de temps que les approches traditionnelles
  • apportent plus de satisfaction au patient
  • améliorent le respect des stratégies de traitement
  • réduisent les inquiétudes du patient
  • réduisent le recours à de futurs services médicaux.

Bref, on obtient de meilleurs résultats en faisant la jonction entre les perspectives de la santé des populations et des soins de santé.Haut de la page

Étude de cas : Intégration de la santé des population et des soins de santé dans le milieu de travail

Le milieu de travail a subi des transformations profondes. Selon une analyse effectuée par l'Institut de recherche sur le travail et la santé et les Réseaux canadiens de recherche en politique publique, environ 54 % des Canadiens ont un travail « normal ». Un nombre grandissant travaillent à temps partiel, ont leur propre entreprise ou ont plus d'un emploi. Du tiers des travailleurs qui s'absentent au cours de n'importe quelle année, 60 % attribuent leur absence principalement à un stress mental et émotionnel.

Qu'en est-il du dispensateur de soins dans cette situation? Le modèle traditionnel de diagnostic et de traitement ne convient pas pour gérer les questions de santé des Canadiens liées aux réalités de leur travail. Souvent, les médecins n'arrivent pas à traiter des problèmes comme les microtraumatismes répétés à moins que le milieu de travail lui-même (ou l'interaction entre l'employé et le milieu de travail) soit modifié à long terme. Par conséquent, les soins individuels ont peu de chances de réussir en l'absence d'intervention stratégique au palier plus général.

Propositions

Afin d'adapter le système de soins de santé et de le rendre plus englobant, nous devons prendre un certain nombre de mesures concrétes qui combleront l'écart entre lui et la santé des populations.

  • Premièrement, nous devons réformer les soins primaires en mettant en oeuvre un système faisant appel à la collaboration et à la multidisciplinarité qui fait entrer en jeu tous les professionnels de la santé. Cette réforme doit avoir pour but de permettre aux gens de mieux contrôler leur santé. L'approche des soins axés sur la personne ou contextualisés est indispensable.

  • Deuxièmement, nous devons trouver des moyens de mesurer les résultats pour la santé tout au long du cycle de vie. Pour réussir, il faut recueillir l'information au niveau individuel, il faut que ces données reflétent les rencontres des éléments communautaires et soient cumulatives aux paliers méso et macro.

  • Troisièmement, nous devons cibler le « gradient » (iniquités entre les groupes socio-économiques sur le plan de la santé) en obtenant un vaste soutien pour des programmes qui bénéficient à tout le monde. Par exemple, des programmes qui fournissent des informations et des connaissances dans le domaine de la santé dans le sens le plus large et en font comprendre les éléments.

  • Finalement, nous devons entreprendre une évaluation de la co production des soins. L'évaluation ne réussira que si elle se fonde sur une méthodologie bien pensée, considére les patients comme des partenaires et engage directement les professionnels de la santé dans le processus de recherche. Les résultats de l'évaluation devraient à leur tour être pris en compte dans les pratiques et la politique en matière de santé.

En haut de la page

Conclusion

Il a souvent été prouvé qu'une population bien éduquée jouit d'une bonne santé, avec les avantages évidents que cela apporte pour la viabilité économique de la société. La qualité de vie améliorée et le développement économique doivent aller de pair.

Le Canada a l'occasion d'intégrer les soins de santé et la santé des populations pour le bien de tous les Canadiens. Notre but devrait être de prendre les devants et, pour reprendre les propos du philosophe du XXe siécle, Ibn Arabi, de « créer pour tous les conditions de leur épanouissement personnel ».


Notes d'allocution pour la conférence

C'est un grand privilège pour moi de vous présenter, ce soir, la première Conférence annuelle Amyot. Le Dr Amyot a été un géant, un médecin visionnaire qui, parmi ses nombreuses réalisations, est à l'origine de la filtration et de la chloration de l'eau ainsi que de la pasteurisation du lait au Canada. Il a aussi été un chercheur de premier plan (1912-1913) sur la pollution des Grands Lacs.

Le moment est donc bien choisi pour se pencher sur l'héritage que nous ont laissé nos ancêtres visionnaires et pour apprendre encore plus de ceux-ci; c'est-à-dire ce qu'ils nous ont enseigné et ce que cela signifie pour l'avenir. Nous en sommes à la croisée des chemins. Le système de soins de santé très efficace qui a connu un immense succès et un soutien populaire hors du commun fait face à des difficultés. La confiance du public est à son plus bas niveau à la suite de nombreuses années de restructuration, mais le soutien pour le système de soins de santé et pour ces principes de base demeure élevé. La question n'est pas de savoir s'il va survivre, mais plutôt de déterminer la façon dont il doit être remanié, les changements à lui apporter et les nouvelles orientations à lui donner.

Nous devons nous pencher sur nos valeurs fondamentales en tant que citoyens et en tant que collectivité. Nous devons nous efforcer de rétablir « le centre moral d'une compréhension commune » pour reprendre les propos du Dr Nuala Kenny.

Heureusement, on peut compter sur un excellent point de départ. Les cinq principes énoncés par Emmett Hall en 1964, à savoir, l'accessibilité, l'intégralité, l'universalité, la transférabilité et l'administration publique demeureront toujours d'actualité. Ils sont aujourd'hui plus pertinents que jamais auparavant.

Les principes que nous a légués le célèbre Rapport Lalonde de 1974 valent toujours aujourd'hui. La thèse centrale voulant que la santé soit beaucoup plus que le système de soins de santé et que ce dernier constitue un élément essentiel, mais insuffisant, à la santé de la population résonne encore à nos oreilles 25 ans après sa rédaction. Le rapport constitue une assise sur laquelle faire reposer la création du système de santé de demain.Haut de la page

Définitions

Aux fins de notre discussion, on entend par Régime d'assurance-maladie la fourniture des « actes médicaux nécessaires » telles qu'énoncées dans le Medical Services Act de 1966. Il constitue le fondement du système de soins de santé financé par l'État.

Le mieux-être est un néologisme. Il ne figure pas dans la plupart des dictionnaires usuels d'aujourd'hui. La définition qui le décrit le mieux (tirée d'un énoncé de la Constitution sur la santé de l'Organisation mondiale de la santé) parle d'un « sentiment de bien-être physique, mental et social complet et non seulement de l'absence de maladie et d'infirmité ».

Il s'applique non seulement aux personnes mais aussi aux populations ou aux gens collectivement. Il représente donc un objectif d'intervention louable tant pour vous et moi que pour la population, qu'il s'agisse de prévention de maladies, de rétablissement ou de promotion de la santé.

Deux solitudes

Quelle est la correspondance ou le rapport entre ces deux concepts essentiels de la santé? Le « mieux-être » et le « Régime d'assurance-maladie » existent bel et bien, mais ils existent comme deux solitudes (note 1), un peu comme un couple dysfonctionnel. Étant donné que les objectifs des deux se chevauchent, il est bizarre de constater à quel point leurs perspectives diffèrent. Le Régime d'assurance-maladie est souvent qualifié « d'atelier de réparation », de « modèle médical » ou encore de « modèle axé sur les maladies ». Plus souvent qu'autrement, ces expressions sont dérogatoires et servent d'étiquettes pour souligner ce qui cloche avec le système de soins de santé. Dans les pires situations, le système cadre bien avec ces stéréotypes. Les hôpitaux, les médecins, les infirmiers et les infirmières, de même que les autres professionnels de la santé, sont manifestement confrontés aux nombreuses pressions que pose le processus de restructuration. Peut-être en est-il réduit aujourd'hui au statut « d'atelier de réparation ».

Au mieux, il représente beaucoup plus et il justifie non seulement le soutien de la population canadienne envers le Régime d'assurance-maladie, mais aussi son sens d'identité qui est défini dans celui-ci.

Quant au « mieux-être », et au programme qui l'accompagne, l'objectif est certes louable et devrait nous indiquer la voie à suivre. Le « mieux-être » est inextricablement lié aux préceptes et aux principes de la santé de la population qui sont essentiels au progrès. Cependant, ses critiques le perçoivent comme une simple abstraction, déconnectée de la réalité, un concept philosophique détaché de la réalité des patients et de leurs besoins. Depuis la publication du célèbre Rapport Lalonde il y a 25 ans, pouvons-nous identifier des résultats concrets découlant de ses recommandations touchant une saine politique? Certainement moins que nous ne l'aurions souhaité. Quelles que soient les lacunes du Régime d'assurance-maladie ou des visées du programme de mieux-être, les stéréotypes sont inutiles, voire nuisibles, car ils ont le potentiel de polariser la discussion.Haut de la page

Nous ne recherchons pas la polarisation, mais bel et bien l'intégration. Il existe un lien entre la perspective du mieux-être et de la santé de la population et les soins prodigués aux gens ou le Régime d'assurance-maladie. C'est une voie qui mérite notre attention. Notre efficacité à élaborer et à comprendre cette voie constitue le chemin à suivre pour l'avenir. Heureusement, on peut compter sur de plus en plus de connaissances et de données probantes pour nous guider. Nous pouvons, par exemple, tirer de précieux enseignements de la Charte d'Ottawa de 1986. Cet ouvrage de quelques pages est empreint de sagesse. Mentionnons, entre autres, les appels à l'action pour la santé des écosystèmes, l'élaboration de saines politiques publiques et la promotion d'une équité accrue. On y parle aussi de la nécessité pour les gens d'exercer un meilleur contrôle sur leur santé et d'améliorer leur santé. Cela paraît assez simple en soi, mais en y songeant bien, les conséquences sont profondes. C'est une vision unificatrice, un fondement métaphorique sur lesquels les deux membres du couple dysfonctionnel peuvent confortablement s'appuyer.

Comment surmonter ces deux solitudes

S'il est vrai que le système de soins de santé n'est rien d'autre qu'un « atelier de réparation », il s'ensuit de nombreuses conséquences fâcheuses. Le pire, c'est que le système ne fonctionnera pas. Le modèle réduit la personne à la maladie dont elle souffre. On met alors l'accent sur la combinaison « maladie-traitement »; en d'autres termes, si la maladie A est présente, le traitement X est justifié. La pratique de la médecine devient une formule, une simple commodité. Si tel est l'objectif du Régime d'assurance-maladie, il faut y mettre un terme.

Mais la fin n'est pas pour demain. Pas tant que les cinq principes de base de Hall sont respectés. Si on y ajoute les composantes de responsabilisation et de transparence des pratiques à l'intérieur du système ainsi que l'exercice d'une médecine axée sur le patient (MAP) (note 2), on est en droit d'être optimisme. On appuiera toujours un système qui respecte ces principes.

Pour ce qui est du mieux-être et, plus particulièrement, des idées et des leçons cruciales de la perspective de la santé de la population, ils doivent devenir partie intégrante du système de soins de santé et de la politique connexe. Ce n'est pas le cas actuellement. Malgré d'innombrables appels à une « saine politique » (c'est-à-dire à une politique publique sensible à ses répercussions sur la santé), cet objectif demeure évasif. Les inégalités en matière de santé et la dégradation des systèmes qui entretiennent la vie de la planète -- l'air, l'eau et le sol -- vont en s'aggravant et non en s'améliorant. Non seulement la notion d'une saine politique publique exige-t-elle notre attention, mais notre vision de ce qui contribue au mieux-être des populations et des personnes doit aussi être diffusée à grande échelle et de façon détaillée. Qui plus est, elle peut et elle doit éclairer les rencontres avec le patient.

Il existe une lacune importante entre ce que nous faisons actuellement et ce qui pourrait être fait. Notre principale tâche est d'explorer, de définir et de comprendre le lien entre la santé d'une personne et d'une population. Quels sont les mécanismes ou les voies biologiques des déterminants de la santé? (note 3) Comment les déterminants exercent-ils leur influence? Pouvons-nous atténuer les effets nuisibles et accroître le positif? Ces questions, de même que d'autres questions connexes ont été soulevées auparavant. Le temps est venu d'y répondre. Heureusement, on constate des progrès.

Le mouvement en faveur de la médecine axée sur le patient a démontré la pertinence et peut-être la nécessité d'intégrer les déterminants de la santé aux rencontres avec le patient.Haut de la page

Médecine axée sur le patient

Ce concept n'est pas nouveau. Une citation extraite du livre Doctors, the Biography of Medicine de Sherwood Nuland nous dit pourquoi : «Toutefois, en concentrant le traitement non pas sur le diagnostic réel, mais plutôt sur le patient et son environnement, et en l'incitant à prendre une part active à sa thérapie, ils ont connu des succès qui ont surpassé ceux de leurs rivaux ». (note 4) Ce passage fait allusion aux pratiques de l'École de Coan (dont Hippocrate était membre) et remonte à quelque 2500 ans.

Au cours des 30 dernières années, McWhinney et bien d'autres se sont penchés sur la médecine axée sur le patient et ont effectué des recherches approfondies. Cette méthode est l'antithèse de l'« atelier de réparation ». Elle met l'accent sur la personne, la nature de sa vie à l'intérieur de son environnement social, physique et économique, et sur le sens que prend un compromis en matière de santé dans ce contexte. Elle fait la différence entre la maladie (un objectif, écart démontrable de la normale) et l'expérience de la maladie. L'expérience de la maladie est définie à partir de la réaction de la personne face à la maladie et est unique à chaque personne.

À tout le moins, les objectifs des soins sont de sympathiser, de communiquer et de trouver un terrain d'entente entre le patient et le médecin. Pour y parvenir, un engagement total envers les perspectives, les valeurs et les besoins de la personne sont essentiels. Lorsqu'il y a entente, un plan de traitement fondé sur les meilleures données disponibles peut être élaboré. Le patient participe à l'élaboration de ce plan dans la mesure de ses capacités.

L'engagement n'est pas épisodique, mais permanent (les soins de base et la pratique de la médecine axée sur le patient devraient idéalement être maintenus tout au long du cycle de vie).

Bien qu'il s'agisse ici d'un portrait plutôt sommaire, il convient de souligner plusieurs aspects importants de la médecine axée sur le patient.

  1. Elle introduit les déterminants de la santé lors de la rencontre avec le patient.
  2. Elle est une réussite si l'on tient compte de la plus grande satisfaction du patient, du nombre réduit de tests diagnostiques et de renvois en consultation, de la plus grande assiduité aux plans de traitements et des meilleurs résultats physiologiques (ex. : tension artérielle, glycémie).
  3. Elle n'exige pas plus de temps que les méthodes traditionnelles.
  4. Elle est une excellente assise en ce qui concerne la prévention des maladies, la promotion de la santé et les soins basés sur des données probantes.

Le contraste avec une médecine axée sur la maladie est frappant. Cette approche est beaucoup plus restreinte. Chaque maladie est associée à un traitement et il n'est donc pas surprenant que le patient soit moins satisfait étant donné qu'il ya de fortes chances qu'il doive subir davantage de tests et être renvoyé plus souvent en consultation.Haut de la page

En somme, la médecine axée sur le patient est un succès. Sans être une panacée, elle parvient à concilier, en partie, les objectifs des programmes de mieux-être et de santé de la population ainsi que la prestation de soins efficaces aux patients.

A. Étude de cas - Le milieu de travail en transition

La médecine axée sur le patient peut donner des résultats positifs, mais elle donne aussi lieu à des problèmes et à des échecs. Les liens entre les déterminants de la santé et leur incidence sur le mieux-être des gens (collectivement et individuellement) sont souvent plus manifestes dans le milieu de travail. Au niveau individuel, il m'apparaît évident, en tant que médecin praticien, que ma capacité à gérer les maladies liées au travail est beaucoup plus limitée que je ne le souhaiterais. Bien sûr, cela frise l'anecdote tout comme l'impression que j'ai que la situation s'aggrave.

On en vient à se demander ce qui arrive à la main-d'oeuvre canadienne au plan macro. Que doit-on retenir de l'analyse des forces dominantes qui touchent le milieu de travail et comment cette analyse pourrait-elle aider un patient et un praticien? Il s'agit d'un contexte où se rencontrent macro et micro.

Heureusement, les enquêtes rigoureuses et les connaissances acquises ont pu être appliquées au milieu de travail et à la santé. L'Institut de recherche sur le travail et la santé (IRTS) et les Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques (RCRPP), avec le concours d'autres partenaires, ont procédé à une analyse qui s'avère très concluante. On a vécu, au cours des 10 dernières années, des transitions majeures. Le milieu de travail a été redéfini d'une façon aussi marquée que le bouleversement qu'a entraîné la révolution industrielle selon le Dr Terry Sullivan, directeur exécutif de l'IRTS. Parmi les Canadiens et les Canadiennes qui ont un emploi, seulement 54,2 % exercent un travail « normal ». Leur analyse met en relief les faits suivants sur la main-d'oeuvre.

Le tableau suivant fait état d'une importante variation au chapitre des modèles d'emploi. Lorsque l'on tient compte des travailleurs autonomes, de ceux ayant un emploi temporaire, à temps partiel et à court terme, on en arrive à un nombre légèrement supérieur à 50 % pour ce qui est des gens qui ont un emploi traditionnel ou normal.Haut de la page

Vue d'ensemble de la main-d'oeuvre canadienne (basée sur des effectifs globaux de 15 631 500)

Statut d'emploi
  • Ayant un emploi = 14 326 400 -- 100 % de la main d'oeuvre active
  • Employés rémunérés (17,6 % de travailleurs autonomes) = 11 801 200 -- 82,4 % de la main d'oeuvre active
  • Employés permanents (9,8 % d'employés temporaires) = 10 406 400 -- 72,6 % de la main d'oeuvre active
  • Employés à temps plein (10,9 % d'employés à temps partiel) = 8 835 300 -- 61,7 % de la main d'oeuvre active
  • Poste de plus de 6 mois (5,5 % de postes de moins de 6 mois) = 8 044 400 -- 56,2 % de la main d'oeuvre active
  • Titulaire de plusieurs emplois (2,0 % de titulaires de plusieurs emplois) = 7 766 900 -- 54,2 % de la main d'oeuvre active

Manifestement, le concept de la sécurité d'emploi est une réalité amoindrie. Pour ceux et celles qui exercent encore un travail « normal », il y a de nouvelles tendances intéressantes. Sur le plan international, on remarque un plus grand nombre de cols blancs que de cols bleus. Le fait que le milieu de travail est plus sécuritaire représente un gain certain, mais a-t-on pensé au stress et au rythme de travail?

Selon l'IRTS et les RCRPP, le nombre de journées de travail perdues en 1997 s'établissait à 66 000 000 ou à 6,2 journées par employé. Ce qui frappe le plus, toutefois, c'est que parmi le tiers des personnes ayant des problèmes de santé liés au travail, 20 % étaient malades, 20 % étaient blessées et 60 % souffraient de stress mental ou émotionnel. La cause la plus commune était reliée au rythme de travail et au manque de contrôle sur le travail exercé.

Lorsqu'on examine ces constatations, il n'est pas difficile d'imaginer pourquoi la médecine est incapable, jusqu'à un certain point, de procurer un soulagement définitif. Indépendamment des connaissances qu'un praticien peut posséder sur les problèmes du stress au travail, sur la ténosynovite ou sur le syndrome métacarpien, les perspectives d'efficacité thérapeutique sont minces si l'on ne modifie pas la façon dont le travail est accompli.

L'intégration des microniveaux et des macroniveaux contribue certainement à mieux comprendre le problème. Les progrès à cet égard passeront toutefois par une diffusion à plus grande échelle de l'information et certainement par la modification du travail pour les travailleurs vulnérables.

L'étude de cas sur le milieu de travail est un exemple clair et précis de la nécessité d'intégrer les deux solitudes. Les changements cernés au niveau de la population des travailleurs éclairent la rencontre avec le patient. En outre, le phénomène des déterminants de la santé qui subit une influence nuisible ainsi que son incidence négative sur la prestation des soins de santé sont des sources d'information importantes. Elles servent à l'élaboration des politiques sur le travail et sur la santé et revêtent de l'intérêt pour les employeurs, les syndicats et les autres intervenants concernés.Haut de la page

Propositions

Dans l'examen du « couple dysfonctionnel » et l'isolement du Régime d'assurance-maladie et du programme du mieux-être qui s'ensuit, certaines stratégies visant à assurer l'intégration des deux sont à l'ordre du jour. Les retombées et les gains potentiels sont substantiels. Je vous suggère donc un point de départ et non une liste exhaustive de propositions. Ces choix pourraient toutefois témoigner d'une préférence personnelle à l'égard des priorités.

Réforme des soins primaires

Environ 50 % des médecins sont des médecins de famille. Ce sont eux qui, le plus souvent,

  • ont une perspective de soins axée sur la communauté;
  • s'engagent dans une pratique concertée;
  • envisagent des plans de paiement de rechange;
  • s'engagent auprès des gens et donc auprès des populations de façon longitudinale.

Ce qui précède est une formidable liste d'atouts lorsqu'on songe aux changements des modèles de prestation. Il existe en fait, au Canada, un certain nombre de milieux de pratique où les soins sont dispensés en collaboration par une équipe multidisciplinaire qui offre des plans de paiement de rechange. S'il y avait des initiatives stratégiques favorisant le développement et les principes de la médecine axée sur le patient, on pourrait réaliser des progrès importants. La collaboration avec les provinces devrait être possible compte tenu des orientations actuelles (comme en Ontario).

Mesure des résultats

Le ministre de la Santé, Allan Rock, a maintes fois réitéré son engagement à l'égard de la notion d'une fiche de rendement du système de soins de santé. De fait, ses déclarations ont été appuyées par un investissement de 95 millions de dollars que coordonnent les Instituts canadiens d'information sur la santé afin d'élaborer cette fiche. Les mesures liées à des aspects tels que l'accès, les listes d'attente, la satisfaction du patient, etc. seront utilisées pour la mettre au point. Ce qu'il manque toutefois, c'est une source de données fiables sur les rencontres avec les patients, des données qui seraient rassemblées de façon longitudinale et qui rendraient compte des milieux de pratique communautaires et des services externes. Le dossier médical de l'hôpital est une source d'information insuffisante en ce sens qu'il reflète un sous-ensemble d'information, qu'il est épisodique (malade hospitalisé) de nature et que la qualité des données pose un problème.

Bien que les efforts des Instituts constituent des progrès importants, l'objectif doit être de respecter la norme précédente rattachée aux rencontres. De plus, la norme de la correspondance liée à la médecine axée sur le patient pourrait être mesurée. Un simple questionnaire (neuf questions) a été conçu à cette fin et a été employé à grande échelle en Australie. La confidentialité des patients est d'une importance capitale et, si elle est assurée, l'approche préalablement mentionnée permettrait de créer une base de données qui pourrait être rassemblée à des fins d'analyse à l'échelle moyenne (communauté, hôpital, région) et à grande échelle. La réussite de cette entreprise constituerait un autre moyen d'aplanir les deux solitudes.Haut de la page

Priorités du programme

Cette conférence veut mettre en relief l'énorme importance que revêtent le milieu de travail et la santé ainsi que la nécessité d'en arriver à une meilleure compréhension de la part de tous les intervenants : employeurs, employés, décideurs et professionnels de la santé. Investir dans les premières années de la vie (y compris la vie intra-utérine) pour assurer la croissance et le développement optimaux des enfants est une autre priorité. Le bien-fondé de cette deuxième priorité provient d'ailleurs et il a été formulé récemment et de façon incontournable par les membres de l'Institut canadien des recherches avancées (entre autres), et plus particulièrement par le Dr Fraser Mustard.

La troisième priorité a trait à l'éducation et à l'alphabétisation. Le Canada investit grandement dans le système d'éducation officiel. Environ 7 % du produit national brut est consacré à cette fin qui, du point de vue des dépenses, place le Canada à l'avant-plan sur la scène internationale. Nous devons toutefois examiner plus à fond les processus d'éducation informels liés à l'acquisition de l'information, du savoir, des compétences et de la compréhension tout au long de la vie.

De nouvelles preuves viennent confirmer que de plus en plus de Canadiens et de Canadiennes sont désavantagés par un niveau d'alphabétisation déficient. Dans l'Enquête internationale sur l'alphabétisation des adultes, par exemple, on note que seulement 22 % de la population adulte du Canada se situait dans les deux premiers niveaux de l'échelle à cinq niveaux. De plus, plus de 50 % des aînés (de plus de 65 ans) se trouvaient tout au bas de l'échelle. En bref, on constate des écarts en matière d'alphabétisation. Qui plus est, il y a une corrélation entre l'éducation (qui se veut un intrant tandis que l'alphabétisation est un extrant) et l'état de santé. C'est une relation aussi solide que le statut socio-économique. En fait, ces deux éléments sont difficiles à démêler. Il convient de noter, autant dans le contexte américain que dans le contexte canadien, que les pauvres érudits affichent, en général, une meilleure santé que la classe bourgeoise aisée ayant un niveau d'instruction peu élevé. Les constatations vont bien au-delà de l'intérêt universitaire et ont d'importantes conséquences sur le plan de l'action. L'alphabétisation est aussi importante dans le contexte de la santé et des soins de santé que dans celui du milieu de travail. Elle est intimement liée à presque toutes les habiletés d'adaptation et à une vie saine, et est importante à tout âge. Certes, les deux premières années sont cruciales, mais ce ne sont pas les seules. Du point de vue stratégique, l'alphabétisation exige l'attention et la collaboration de Santé Canada, d'Industrie Canada et de Développement des ressources humaines Canada. La promotion de l'alphabétisation pourrait et devrait faire partie intégrante de toute initiative rattachée à la réforme des soins primaires. À l'avenir, nous devrons nous concentrer davantage sur l'alphabétisation dans le domaine de la santé et moins sur l'aspect thérapeutique.Haut de la page

Évaluation

Compte tenu des besoins de responsabilisation et de transparence du système de soins de santé, le processus d'évaluation fait partie intégrante de l'équation. Dans un scénario idéal, il devrait :

  • être partie intégrante des soins prodigués aux patients;
  • engager les patients pleinement à titre de partenaires;
  • inclure les coordonnées humaines et financières;
  • être soutenu par les professionnels de la santé et inclure leur participation;
  • remplacer les pratiques de documentation actuelles et, de ce fait, ne plus représenter un fardeau de travail.

Si ces conditions sont respectées, le tout est réalisable. L'application des résultats de recherche par les praticiens a plus de chance de se réaliser et cela est tout aussi important sinon plus. Pour citer Lomas, le « meilleur indice de l'application de la recherche est la participation au processus de recherche ».

Conclusion

Le progrès est possible s'il repose sur les principes de tacite reconduction de Hemmett Hall. La promulgation des autres exigences du système de soins de santé de demain est fondée sur l'intégration de la médecine axée sur le patient, les questions d'alphabétisation et un processus d'évaluation efficace.

Tout cela peut être réuni en un tout cohérent qui a pour nom la réforme des soins primaires. Ce tout serait caractérisé par une connectivité qui viendrait unir les deux solitudes de façon à les enrichir. On obtiendrait ainsi un système de soins de santé plus rigoureux pour les années futures et, ce qui importe davantage, l'amélioration de l'état de santé des Canadiens et des Canadiennes.

La tâche est énorme. Elle exigera, à tout le moins, des efforts des secteurs politique et gouvernemental, des professionnels de la santé et certainement du public.

Il ne faudrait surtout pas passer à côté de la nouvelle perspective découlant de l'investissement fédéral historique dans la recherche par le biais des Instituts de recherche en santé du Canada. L'intégration des thèmes de recherche qu'englobe le mandat des Instituts est entièrement conforme à ces propositions et à la réunification du couple dysfonctionnel.

Les retombées pourraient être significatives. Il y a beaucoup en jeu, non seulement l'avenir du Régime d'assurance-maladie mais aussi celui du Canada proprement dit. Le temps est venu de faire des choix. Cela n'est pas toujours facile, mais si nous nous employons à « mettre en place pour tous les conditions nécessaires à leur accomplissement », nous allons probablement réussir.

Notes

  1. Le concept des deux solitudes est tiré du titre d'un roman de Hugh McLennan publié en 1946. Le livre dépeint, de façon poignante, la grande différence entre les cultures anglophone et francophone du Canada.
  2. La médecine axée sur le patient (MAP) ou les soins contextualisés sont décrits en détail dans la prochaine section. Pour une analyse plus complète, le livre Patient Centered Medicine de Moira Stewart et coll. est recommandé.
  3. Les déterminants de la santé sont des facteurs liés à l'environnement (les facteurs sociaux, économiques et physiques) et à la personne ( l'environnement génétique, la biologie et le comportement) qui influent sur l'état et les résultats en matière de santé.
  4. Doctors, the Biography of Medicine, Vintage Books, 1998, p. 10
Mise à jour : 2005-12-19 Haut de la page