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Vie saine

Argumentation écrite du procureur général du Canada devant la Cour supérieure du Canada

Partie II - L'ANALYSE CONTEXTUELLE

L'histoire judiciaire de la Loi réglementant les produits du tabac

1) La Cour supérieure du Québec

  1. La LRPT de 1988 fut contestée devant la Cour supérieure du Québec au regard de la liberté d'expression et du partage des pouvoirs. Dans sa requête en jugement déclaratoire d'alors, la demanderesse ITL prétendait qu'en interdisant toute publicité pour le tabac, la loi empêchait les compagnies concernées de communiquer avec leurs consommateurs. Elle prétendait également que la prohibition privait les consommateurs du droit de recevoir des informations « utiles » au sujet des marques de produits du tabac. Le paragraphe 38 de la requête en question indiquait ce qui suit :
  2. « La prohibition de toute publicité canadienne de produits du tabac privera le consommateur canadien de plusieurs renseignements utiles à son choix entre les différentes marques d'un produit qu'il continue d'avoir le droit d'acheter et de fumer; ces renseignements comprennent :

    Les innovations aux différents produits du tabac;

    Les caractéristiques et les qualités de chaque marque et type de produits du tabac;

    Les renseignements permettant de différencier les diverses marques et types de cigarettes, quant à la longueur, la méthode de filtration, la saveur, la concentration, ainsi de suite, la publicité étant seule capable de permettre une telle différenciation; cette différenciation permet aussi au fumeur de rechercher une certaine appartenance, certaines marques et emballages attirant davantage un groupe de fumeurs plutôt qu'un autre, que ce groupe se distingue par l'âge de ses membres, leur sexe, leur auto-perception, leur mode de vie ou autrement;

    L'avertissement que Santé et Bien-être social Canada considère la cigarette nuisible pour la santé. »

  3. Les paragraphes 45 et 46 de la même requête ajoutaient :
  4. Il ne peut se justifier dans une société libre et démocratique de priver l'individu de tout renseignement qu'il juge pertinent relativement à un produit qu'il a le droit d'acheter et d'utiliser;

    Il ne peut se justifier dans une société libre et démocratique de priver le fumeur de son droit d'avoir accès à tout renseignement qu'il juge utile à son choix parmi les nombreuses marques de cigarettes offertes au Canada.

  5. Ainsi, la demanderesse ITL prétendait que la LRPT était inconstitutionnelle car privant les consommateurs de renseignements qu'ils auraient pu obtenir par la publicité « informative » ou « préférentielle de marque ».
  6. L'argumentation de ITL était à l'effet suivant :
  7. Moreover, the evidence clearly discloses that the government was aware of the range of alternative measures available, and had elaborated detailed proposals in respect to many of them. The following is a list of measures which the government itself used or proposed. They were not rejected because studies showed them to be ineffective or a full advertising ban to be more effective. Indeed, many formed part of the government's "negotiating position" with the CTMC (see annex II E). They were rejected because the government, rather than infringing on the Charter right as little as possible, preferred to do so as much as possible.

PRICING POLICIES

Taxation to ensure increase of real prices of tobacco products

ITL-27 (12)
ITL-27 (13)
ITL-27 (20)
ITL-27 (34)
ITL-62

Prohibiting any promotional schemes which decrease the price of tobacco products

ITL-27 (22)

EDUCATION AND PUBLIC INFORMATION

Warnings

Rotating warnings

ITL-27 (25)

Strengthened warnings

ITL-27 (31)

Increasing percentage of pack occupied by warning

v. 21, p. 3138

Reporting toxic constituents

ITL-27 (28)
ITL-27 (25)

Application of a "fairness doctrine" (i.e. ensuring that media provide equal time to counter-advertising as to tobacco advertising)

ITL-27 (13)
ITL-27 (34)

Public education and information concerning tobacco hazards

ITL-27 (20)
ITL-27 (34)

Funds to be provided by tobacco companies

ITL-27 (31)

Smoking cessation programs

ITL-27 (20)

SPONSORSHIP

Prohibiting use of sports personalities in sponsorship of sporting events

ITL-27 (27)

Prohibiting sponsorship of any events aimed at youngsters

Prohibiting sponsorship by tobacco companies

ITL-27 (4)

RESTRICTING SALES OF TOBACCO PRODUCTS TO MINORS

Enforcing the Tobacco Restraint Act

v. 22, pp. 3374-3382

Amending Tobacco Restraint Act to make effective

v. 23, p. 3627

Prohibiting tobacco vending machines except in bars

ITL-27 (25)

In addition, numerous alternatives exist for restricting advertising in ways which could effectively control advertising practices without effecting a total ban. The following is a list culled from Health and Welfare documents:

Prohibit all tobacco advertising except as specifically permitted

ITL-27 (22)
ITL-27 (28)
ITL-27 (31)

Pre-screening all advertising

ITL-27 (25)

Restrict media in which tobacco advertising is permitted

ITL-27 (25)

Restrict or prohibit lifestyle advertising

v. 22, p. 3403
ITL-27 (22)
ITL-27 (25)

Require plain backgrounds

ITL-27 (19)

Permit only a picture of the cigarette package

ITL-27 (24)
ITL-27 (31)

Prohibit any advertising depicting people

Restrict tobacco company expenditures related to advertising and promotion

ITL-27 (20)
ITL-27 (28)

Prohibit all advertising directed towards youngsters

ITL-27 (22)

No advertising in magazines directed at youngsters

v. 22, p. 3387 ITL-27 (19)
ITL-27 (31)

Most of these restrictions could have been implemented either through a voluntary agreement with the tobacco industry, through legislation or through a combination of both. Compliance could have been monitored through various arrangements for "Compliance Boards" (e.g. ITL-27 (31)). Stiff fines could have been enacted to reinforce the regulations.

  1. M. le juge Chabot en a retenu ce qui suit :
  2. « Oui, mais la publicité séduisante, celle qui présente des jeunes gens en santé en train de s'adonner à des sports divers, n'est-elle pas en soi si attrayante qu'elle fausse la réalité? D'une part, il y a beaucoup de fumeurs qui prennent leur bain, certains en grillant un cigarette, il y en a beaucoup qui font du sport ou d'autres qui relaxent. En soi, ces messages (désignés de « lifestyle advertisements ») ne sont pas faux ou trompeurs. L'ennui, c'est qu'ils maintiennent la respectabilité sociale du produit, qu'ils expriment un message que l'État ne veut pas que ses citoyens entendent, parce qu'ils contribuent à maintenir leurs croyances du produit et à conserver la même conduite. D'autre part, ce n'est pas seulement cette forme de publicité que la L.P.T. interdit, mais toutes les formes, incluant la marque Du Maurier sur un briquet, comme si le mot « Du Maurier » incitait plus à fumer que le briquet lui-même ...»

  3. La Cour supérieure donna raison à la demanderesse et invalida la loi.
  4. 2) La Cour d'appel du Québec

  5. La Cour d'appel du Québec conclut, à l'unanimité, que la LRPT permettait un exercice valide de la compétence fédérale en matière de paix, ordre et bon gouvernement au Canada. La majorité des juges - le juge Brossard étant dissident - furent d'avis que la loi constituait une limite raisonnable à la liberté d'expression au sens de l'article premier de la Charte. La loi fut par conséquent déclarée valide par la Cour d'appel.
  6. Il est intéressant de noter qu'aux paragraphes 27 et 129 de son mémoire présenté à l'époque à la Cour d'appel, ITL établissait à nouveau la distinction entre la publicité « informative » et « préférentielle de marque », d'une part, et la publicité de « style de vie », d'autre part :
  7. 27. Though the TPCA leaves quite untouched the manufacture, sale, purchase or consumption of tobacco products, the advertising ban is extremely far-reaching, if not total, and does away with advertising of whatever nature, big or small, pictures or text, lifestyle or not, outdoor or indoor, in publications of whatever readership and without any regard to the content of the advertisement, as long as it is Canadian.

    129. ...the TPCA prevents any advertising, however truthful and informative, and...it is not concerned with the content of tobacco advertising as such or with the impression conveyed by such advertising...

  8. Le juge Brossard note à la p. 418 du jugement que les demanderesses ITL et RJR avaient admis, bien que « timidement », que la publicité de « style de vie » pouvait encourager la consommation de produits du tabac :
  9. Les procureurs reconnaissent, mais de façon bien timide, que la publicité dite de style de vie (lifestyle advertising) pourrait possiblement constituer une incitation pour les jeunes à devenir consommateurs; ils ajoutent, de façon aussi timide, que, si seulement ce genre de publicité était interdit, ils ne seraient probablement pas devant les tribunaux mais, soulignent-ils, ce n'est pas uniquement ce genre de publicité que la loi vise à interdire, mais toute publicité, de quelque nature et caractère qu'elle soit.

    3) La Cour suprême du Canada

  10. Devant la Cour suprême du Canada, ITL répéta essentiellement les mêmes arguments que ceux formulés devant la Cour supérieure et invita notamment la Cour suprême à distinguer entre les diverses sortes de publicité :
  11. 112. For example, the government at various times considered or had before it the following alternatives to a full advertising ban, all of which would have had less of an impact on protected rights, and yet chose to impose a complete ban on advertising without any evidence, or without even seeking evidence, that the alternatives would have been less effective:

    A ban short of a total ban of Canadian advertising, such as the prohibition of all advertising save those types explicitly permitted.

    ...

    A ban or regulation only of lifestyle advertising (or even of all advertising depicting people)

    ...

    Measures such as those which already exist in Quebec's Consumer Protection Act (R.S.Q. C. 40.1) to prohibit advertising aimed at children or advertising in media aimed at children.

    ...

    Prohibiting tobacco-related sponsorship of events of particular interest to youngsters.

    Measures such as those which already exist with regards to broadcast advertising of alcoholic beverages, designed to allow only that brand-preference advertising which satisfies a Board that it will not stimulate overall consumption and that it is directed at people over the age of eighteen.

    ...

    Labelling requirements, which Health and Welfare Canada believed to be preferable to an advertising ban.

    a) Le partage des compétences

  12. Sept des neuf juges de la Cour suprême confirmèrent que le Parlement pouvait interdire la publicité et imposer de exigences en matière d'étiquetage et d'emballage en vertu de sa compétence en matière de droit criminel (par. 91(27) L.C. 1867). La Cour ne jugea cependant pas nécessaire de statuer sur le pouvoir du gouvernement de légiférer en matière de paix, d'ordre et de bon gouvernement au Canada.
  13. b) La liberté d'expression et la justification en vertu de l'article premier de la Charte

  14. Dans un jugement à 5 contre 4, la Cour invalida les articles 4, 5, 6, 8 et 9 de la loi en vertu de l'alinéa 2(b) de la Charte garantissant la liberté d'expression.
  15. L'article 4, qui introduisait une prohibition complète de la publicité, fut jugé invalide de même que l'article 8 qui interdisait l'apposition d'une marque de commerce sur les articles autres que les produits du tabac, et l'article 9, qui prévoyait l'apposition de mises en garde exemptes d'attribution.
  16. Les articles 5 et 6, qui portaient respectivement sur les présentoirs aux points de ventes et sur la publicité de commandite affichant la seule raison sociale du manufacturier, ne furent pas jugés inconstitutionnels comme tels, mais furent invalidés car ils ne pouvaient être séparés des articles 4, 8 et 9.
  17. Ainsi, la Cour a conclu que l'atteinte à la liberté d'expression n'était pas justifiée en vertu de l'article premier de la Charte. Rappelons que dans l'affaire R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, cette question est analysée en fonction des quatre critères suivants :
    1. Le gouvernement a-t-il démontré que les objectifs de la loi sont suffisamment importants pour pouvoir compromettre l'application d'un droit de la Charte ?
    2. Y a-t-il un lien rationnel entre les mesures prises et les effets souhaités ? (En d'autres termes, est-il raisonnable de penser que la loi atteindra son objectif ?)
    3. L'atteinte au droit en question est-elle réduite au minimum ?
    4. Les effets bénéfiques de la loi sont-ils plus importants que ses inconvénients constitutionnels ?
  18. La Cour conclut que la loi ne respectait pas le troisième critère, soit celui de l'atteinte minimale. Elle n'eut donc pas à examiner le quatrième critère concernant l'équilibre entre les effets bénéfiques de la loi et ses inconvénients . L'opinion rendue par la Cour sur les trois critères retenus se présente comme suit :
    1. L'objectif réel et important
  19. La Cour conclut de façon unanime que l'objectif de la LRPT, soit la protection des Canadiens contre les méfaits du tabac, était suffisamment « urgent et réel » pour permettre de limiter un droit de la Charte.
    1. Le lien rationnel
  20. La Cour estima unanimement que l'article 4 de la loi, qui imposait une prohibition totale de la publicité, de même que l'article 9, qui concernait l'apposition de mises en garde exemptes d'attribution, satisfaisaient au critère du lien rationnel. Par conséquent, il était raisonnable de penser que ces mesures contribueraient à réduire les méfaits du tabac sur la santé des Canadiens.
  21. Dans le même ordre d'idées, les juges tranchèrent par une majorité de 6 contre 3 que l'article 8, qui interdisait l'apposition de logos et « éléments de marque » sur les produits autres que ceux du tabac, répondait au critère du lien rationnel. Seuls les juges McLachlin, Sopinka et Major furent d'avis contraire.
    1. L'atteinte minimale
  22. Au paragraphe 107 de son mémoire présenté à la Cour suprême du Canada lors de la contestation de la LRPT, la demanderesse ITL opéra une distinction entre différentes formes de publicité :
  23. « The TPCA clearly bans some expression entirely without in any way furthering the objectives of the TPCA. The aims of the TPCA do not reasonably require, and the record discloses no requirement, that Canadians be deprived, for example, of purely informational advertising or of simple reminders of package appearance or of advertising disclosing availability of different or new brands. »

  24. Par une majorité de 5 juges contre 4, la Cour estima que les articles 4, 8 et 9 de la LRPT ne respectaient pas le critère de l'atteinte minimale. En ce qui concerne l'article 4, la Cour a basé ses conclusions sur le fait que l'interdiction qui y était stipulée visait tout type de publicité, y compris la publicité « préférentielle de marque » et la publicité « informative ».
  25. Pour ce qui est de l'article 8, qui concernait l'apposition de logos et « éléments de marques » sur les produits autres que ceux du tabac, la Cour justifia son opinion par le fait que la loi imposait une interdiction totale .
  26. La Cour conclut également que l'article 9 sur les mises en garde ne satisfaisait au critère de l'atteinte minimale vu que les messages ne devaient pas être attribués. L'interdiction d'attribuer les messages à une autorité quelconque fut considérée excessive.
  27. Par ailleurs, la Cour fit remarquer qu'une loi qui interdirait la publicité de « style de vie » ou la publicité destinée aux jeunes tout en permettant la publicité « informative » ou « préférentielle » de marque serait justifiable à l'égard de l'article premier. Le juge Iacobucci (appuyé du juge en chef Lamer) souligne cet état de fait à la page 354 :
  28. « [L]e législateur n'aurait pas à faire de très importantes adaptations pour satisfaire au critère de l'atteinte minimale. »

  29. En outre, le juge Iacobucci propose, à la page 355, de remplacer la prohibition totale de la LRPT par une prohibition partielle:
  30. « À cette étape, j'aimerais donner des précisions sur les mesures qui, à mon avis, auraient résisté à un examen fondé sur la Charte. [...][C]omme l'indiquent certains témoignages au procès, on aurait pu s'intéresser de manière plus constructive à une interdiction partielle, sous forme d'interdiction de la publicité de style de vie seulement et de restrictions sur la publicité relative aux adolescents. »

  31. Pour sa part, le juge McLachlin (avec l'appui des juges Sopinka et Major) écrit ce qui suit à la page 344 :
  32. « [B]en que l'on puisse conclure, de façon rationnelle et logique, que la publicité de style de vie vise à accroître la consommation, rien n'indique que la publicité purement informative ou de fidélité aux marques aurait cet effet. Au moment où il a adopté l'interdiction totale de la publicité, le gouvernement disposait de toute une gamme de mesures moins attentatoires: une interdiction partielle qui aurait permis la publicité informative et de fidélité aux marques, une interdiction de publicité de style de vie seulement, [...] À mon avis, chacune de ces mesures constituerait une atteinte raisonnable au droit à la liberté d'expression, étant donné l'importance de l'objectif et du contexte législatif. »

Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page