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Vie saine

Argumentation écrite du procureur général du Canada devant la Cour supérieure du Canada

Partie IV - LA CONTESTATION RELATIVE À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

L'article 30 de la loi (matériel aux points de vente)

  1. L'article 30 de la Loi prévoit ce qui suit :
  2. « 30. (1) Sous réserve des règlements, il est possible, dans un établissement de vente au détail, d'exposer des produits du tabac et des accessoires portant un élément de marque d'un produit du tabac.

    (2) Il est possible pour un détaillant, sous réserve des règlements, de signaler dans un établissement que des produits du tabac y sont vendus et d'indiquer leurs prix. »

  3. Il est opportun de souligner que l'argument juridique avancé par les demanderesses est à l'effet que l'article 30 est indissociable des autres articles de la partie IV et devrait, à ce titre, être invalide.
  4. L'article 30 de la Loi permet :
    1. L'exposition dans un établissement de vente au détail des produits du tabac et les accessoires portant un élément de marque d'un produit du tabac;
    2. au détaillant de signaler dans un établissement de vente au détail que des produits du tabac y sont vendus; et
    3. d'indiquer les prix des produits du tabac qui y sont vendus.
  5. L'article 30 de la Loi concerne les détaillants, tel que défini à l'article 2. Les demanderesses ne sont pas des détaillants, mais plutôt des manufacturiers230 :
  6. « Le sénateur Milne : Admettez tout de même que les 17 millions de dollars tirés de ventes illégales faites par les détaillants représentent une somme rondelette.

    M. Parker : Si l'accusation était fondée, je pourrais y donner suite. Toutefois, nous ne vendons pas de produits du tabac à des mineurs. Nous n'en vendons même pas à des adultes. Nous passons par des grossistes. Ce ne sont pas les fabricants de produits du tabac qui vendent les produits aux consommateurs. »

  7. Les demanderesses n'ont pas d'intérêt, ni qualité pour contester la constitutionnalité de l'article 30 et il n'y a aucun support factuel au soutien de leur contestation.
  8. Henderson c. Procureur général du Québec, 500-05-065031-013, le 16 août 2002, l'honorable juge Michel Côté :

    « 60. Il en va de même quant à ce volet qui identifie une situation susceptible d'entraîner le tribunal à émettre une opinion dans l'abstrait, ce qu'il n'y a pas lieu de faire. À cet égard, le Procureur général du Québec fait valoir :

    "La requête des requérants est irrecevable car elle n'est fondée sur aucune difficulté réelle et immédiate, mais qu'elle constitue une demande d'opinion juridique fondée sur des hypothèses et des conjectures.

    En effet, aucune application concrète de la Loi 99 n'est contestée en l'espèce, mais uniquement une situation hypothétique d'application de cette loi qui n'a aucun fondement factuel." »

    « 61. Au soutien de quoi, il cite nombre d'autorités, dont le tribunal ne retiendra que quelques-unes, à titre d'exemples :

    D. GRENIER. La requête en jugement déclaratoire en droit public québécois. Cowansville, Y. Blais, 2e éd., 1999, p. 97-98 et p. 106:

    "... en l'absence d'une difficulté réelle conduit les tribunaux à nier à la partie requérante l'intérêt requis pour intenter un recours en vertu de l'article 453 C.p.c. Les tribunaux n'ayant pas pour fonction de donner de simples consultations juridiques, hypothèses, conjectures et situations académiques entraîneront un rejet de la requête en jugement déclaratoire. En effet, les situations purement hypothétiques ne font pas apparaître une difficulté réelle au sens de l'article 453 C.p.c. (ce sont les soulignés du plaideur)

    ... même si les termes d'un contrat son ambigus, cette ambiguïté peut fort bien ne causer aucune difficulté aux parties contractantes. Il en est de même d'un texte de loi. Ainsi, par exemple, l'Office de la protection du consommateur peut donner à sa loi constitutive une interprétation qui n'est pas partagée par un ou plusieurs consommateurs. Cette interprétation, erronée ou non, ne crée aucune difficulté en soi. Si par contre cette interprétation aboutit à une application quelconque, alors là et seulement là, une difficulté réelle vient de naître."

    Donderi c. A.G. of Quebec, C.S. Montréal, no 500-05-038492-987, 26 juin 1998, j. Maughan, p. 6, 7 et 8 :

    "The jurisprudence has consistently held that no one has the right to invoke the jurisdiction of a competent court to obtain a ruling on the interpretation or application of legislation or on its constitutionality when that person is not either directly affected by the legislation or is not threatened by sanctions for a violation of the legislation. As distasteful as the legislation may be to the individual wishing to bring the matter to Court for a ruling, that is not a reason by itself to seek the Court's assistance.

    Therefore, in exercising its discretion as to whether a petitioner has the right to have a genuine problem resolved by way of a declaratory judgment pursuant to Article 453 C.P.C., the Court is of the opinion that the controversy must be of a litigious nature. Article 453 is not to be used to resolve problems which are mainly political in nature. (...)

    As a general rule, courts do not issue opinions on hypothetical questions. They render judgments on real disputes. It is the opinion of this Court that as matters now stand Mr. Donderi's interest in the dispute involving his billboard is hypothetical, at best."

    Opération Dismantle c. R. [1985] 1 R.C.S. 441, p. 447, 454, 455, 457:

    "J'en suis venu à la conclusion que le lien causal entre les actes du gouvernement canadien et la violation alléguée des droits des appelants aux termes de la Charte est simplement trop incertain, trop conjectural et trop hypothétique pour étayer une cause d'action.

    Cet examen n'a pas pour but de chercher querelle aux appelants quant à leurs allégations concernant les résultats des essais du missile de croisière. Ils ont, bien entendu, droit à leur opinion et à leur conviction. Je désire souligner plutôt que des faits.

    (...)

    La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de déterminer si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des suppositions et des conjectures. (...)

    ... la fonction préventive du jugement déclaratoire doit être fondée sur une autre chose que des conséquences purement hypothétiques ... (ce sont les soulignés du plaideur) "

    Opération Dismantle c. R. [1985] 1 R.C.S. 441, p. 481, 482 et 486 (j. Wilson):

    "... comme le font remarquer les intimés, un jugement déclaratoire n'est discrétionnaire qu'en ce sens que le tribunal eut le refuser, même si on a apporté une preuve le justifiant ... Donc la Cour saisie d'une requête en radiation qui invoque que la déclaration ne révèle aucune cause raisonnable d'action n'usurpe en rien le pouvoir discrétionnaire du tribunal de première instance ... (ce sont les soulignés du plaideur)." »

    Voir également Baron c. Canada [1993] 1 R.C.S. 416, J. Sopinka, p. 452-453 :

    « Finalement, le par. 231.3(5) est contesté parce qu'il permet le même genre de perquisitions et de saisies générales sans l'autorisation préalable qui, sous le régime de la disposition législative précédente, a été jugée contraire à l'art. 8 de la Charte.

    (...)

    Le problème que soulève cette question est qu'elle se pose dans l'abstrait car il n'y a aucune indication que des documents ont été saisis sur le fondement de cette disposition. Nous n'aimons jamais trancher des questions constitutionnelles en l'absence de fondement factuel: Danson c. Ontario (Procureur général) [1990] 2 R.C.S. 1086; Mackay c. Manitoba [1989] 2 R.C.S. 357 aux pp. 361 et 366; R. c. Edwards Books and Art. Ltd. [1986] 2 R.C.S. 713, aux pp. 762, 767, 768. Je crois que la question devrait être tranchée lorsque notre Cour aura à se prononcer sur une situation dans laquelle on se sera fondé sur la disposition pour saisir des documents. »

  9. Il y a une multitude de manière d'exposer dans un établissement de vente au détail des produits du tabac.
  10. Les demanderesses, à l'étape de la contre-preuve, ont tenté d'introduire en preuve, par l'entremise de M. Ed Ricard, que des inspecteurs de Santé Canada auraient procédé à détruire des affiches, flèches et bandes de couleur. Le Procureur général du Canada réitère son objection à l'égard de ce témoignage ainsi qu'à l'endroit de la production des pièces P-149 à P-152.
  11. Cette preuve ne saurait être introduite au stade de la contre-preuve et contrevient à la règle du ouï-dire.
  12. L'article 30 a pour objet de permettre aux détaillants de signaler la disponibilité des produits et leurs prix. Cette disposition ne permet pas de faire la promotion, au sens large, des produits vendus.
  13. La question de savoir si une affiche respecte l'article 30 sera une question de fait. Elle ne peut pas être examinée dans l'abstrait. Il pourra exister des cas où le contexte factuel permettra de conclure que l'objet d'une affiche particulière n'était pas simplement de signaler la disponibilité des produits et leur prix, mais d'en faire la promotion de façon plus large. La taille de l'affiche, son emplacement, le design utilisé, l'usage d'autres éléments pour attirer l'attention, et de façon générale la manière dont le tout est disposé pourront être des facteurs permettant de conclure que l'article 30 est enfreint.
  14. Les jeunes sont exposés à cette promotion aux points de vente. Ainsi, la limite à la liberté d'expression aux points de vente est justifiée pour les mêmes raisons que les limites quant aux lieux prévues au paragraphe 22(2) de la loi.
  15. Les demanderesses allèguent que l'application de l'article 30 par les inspecteurs du ministère de la santé aurait à l'occasion été abusif au cours des derniers mois.
  16. Dans un premier temps, le Procureur général du Canada soutient que la preuve à cet effet est irrecevable car constituée de ouï-dire et introduite en contre-preuve plutôt qu'en preuve principale.
  17. Dans un deuxième temps, la Cour n'a pas à adjuger à l'avance tous les cas individuels ou hypothétiques. Il suffit d'interpréter la loi dans son ensemble. Les cas limitrophes d'application de l'article 30 devront être tranchés dans des litiges futurs en tenant compte du contexte de chaque affaire.
  18. Comme l'a noté la juge en chef McLachlin dans l'affaire Sharpe, ce n'est pas parce qu'il faut interpréter la loi dans un débat constitutionnel qu'il faut nécessairement trancher à l'avance tous ses cas d'application spécifiques. Au par. 32 de l'opinion majoritaire, elle écrit:
  19. « L'interprétation de la disposition est une étape préalable nécessaire à la détermination de la constitutionnalité, étant entendu naturellement que les tribunaux pourront, dans des instances ultérieures, préciser l'analyse à la lumière des faits et des considérations en présence. »

  20. Le fait qu'une loi ait été appliquée de façon abusive ne la rend pas inconstitutionnelle. La manière dont les fonctionnaires appliquent une loi n'est pas un motif susceptible de l'invalider. Dans l'affaire Little Sisters Book and Art Emporium c. Canada, [2000] 2 R.C.S. 1120, M. le juge Binnie, au nom de la majorité, écrit au par. 77 :
  21. « Bien que ces plaintes aient un certain fondement, elles concernent le régime législatif tel qu'il est appliqué par les fonctionnaires plutôt que le régime législatif lui-même. » [en italique dans l'original]

  22. Au paragraphe 133, il poursuit :
  23. « [J]'estime que la législation douanière peut très bien être appliquée d'une manière qui respecte les droits garantis par la Charte. »

  24. Les pièces P-168 et P-169 n'ont pas la portée que leur prête les demanderesses. Elles ne font que les informer de l'existence de l'article 30 en fournissant un exemple de ce que la Loi autorise. Cette manière d'agir de Santé Canada corrobore le témoignage de Mme Ferguson qui affirmait qu'une partie serait avisée avant que des procédures soient instituées en vertu de la Loi.

230 Témoignage de M. Robert Parker, président directeur général du Conseil canadien des manufacturiers de tabac (dont sont membres les 3 demanderesses) devant le Comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles le 1er avril 1997 (ED-70, p. 37)


Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page