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Vie saine

Argumentation écrite du procureur général du Canada devant la Cour supérieure du Canada

Partie IV - LA CONTESTATION RELATIVE À LA LIBERTÉ D'EXPRESSION

L'article 18 de la loi (la définition du terme « promotion »)

  1. Rappelons que l'article 19 de la loi interdit toute « promotion » des produits du tabac, sous réserve des exceptions de publicité « informative » et « préférentielle de marque » contenues à l'article 22. Le texte de l'article 19 se lit comme suit :
  2. « 19. Il est interdit de faire la promotion d'un produit du tabac ou d'un élément de marque d'un produit du tabac, sauf dans la mesure où elle est autorisée par la présente loi ou ses règlements. »

  3. L'article 18 de la loi définit la portée du terme « promotion » de la manière suivante :
  4. « 18. (1) Dans la présente partie, « promotion » s'entend de la présentation, par tout moyen, d'un produit ou d'un service -- y compris la communication de renseignements sur son prix ou sa distribution --, directement ou indirectement, susceptible d'influencer et de créer des attitudes, croyances ou comportements au sujet de ce produit ou service. »

  5. Les demanderesses prétendent que l'effet combiné des articles 18 et 19 peut déboucher sur l'interdiction d'une gamme d'expressions outre l'expression commerciale.
  6. Les demanderesses allèguent que la loi pourrait avoir pour effet d'interdire, par exemple, la diffusion de communiqués de presse transmis par des membres de l'industrie, les représentations devant des comités parlementaires, ainsi que la divulgation de résultats de recherches scientifiques financées par l'industrie (voir transcription du 14 janvier 2002, aux p. 35-36).
  7. Rappelons que lorsque vient le moment de trancher entre deux interprétations statutaires, il est de mise de favoriser celle qui préserve la validité constitutionnelle de la loi (voir P.W. Hogg, Constitutional Law of Canada, 4th ed. (Toronto : Carswell, 1996), p. 346-47, 675-76; P.A. Côté, Interprétation des lois, 3e éd. (Montréal : Éditions Thémis, 1999), p. 468-72).
  8. Il importe donc d'examiner attentivement la portée de l'interdiction de « promotion » stipulée aux articles 18 et 19 de la loi avant de déterminer si celle-ci est conforme ou non à la Charte. Nous verrons qu'une interprétation correcte de l'article 18 écarte tout doute qui mettrait sa validité constitutionnelle en péril.
  9. Le paragraphe 18(1) est rédigé de façon à pouvoir couvrir davantage de modes de promotion commerciale que n'en compte la publicité classique.
  10. Le Parlement désire ainsi éviter que les fabricants de cigarettes n'utilisent des techniques promotionnelles innovatrices pour contourner les interdits prévus par la loi.
  11. «En outre, dans l'examen des avantages comparatifs des interdictions partielles ou complètes de la publicité, il est également révélateur que, dans les pays où les gouvernements ont imposé des interdictions partielles de la publicité du tabac comme celles proposées par les appelantes, les compagnies de tabac ont trouvé d'ingénieuses tactiques pour contourner ces restrictions. Par exemple, lorsque la France a tenté d'imposer une interdiction partielle de la publicité du tabac dans les années 80 (en interdisant la publicité du tabac de type «style de vie», mais non la publicité informative ou de marque), les compagnies de tabac ont trouvé des techniques pour associer leurs produits à des «styles de vie», par exemple, en plaçant des vignettes sur le nom de la marque et en reproduisant ces vignettes lorsqu'une annonce montrait le paquet, ou en achetant pour la publicité une pleine page d'un magazine, puis en revendant les trois-quarts de la page au Club Med, dont la publicité de style de vie contribuait à associer un style de vie à la marque; voir Luc Joossens, «Strategy of the Tobacco Industry Concerning Legislation on Tobacco Advertising in Some Western European 232

  12. La Food and Drug Administration a également conclu que l'industrie du tabac avait déployer d'ingénieuses techniques de marketing pour contourner les restrictions ou prohibitions mises en place dans divers pays :
  13. «FDA finds support for the need for comprehensive regulation in the experiences of other countries which have enacted and put into place some form of restrictions on the advertising of tobacco. Some comments discussed the experience in other countries in which tobacco advertising has been banned. These comments indicated that in countries that have enacted restrictions on advertising that were not comprehensive, the industry was able to continue advertising and portraying attractive imagery in media left uncovered by regulations. For example, Canada, Finland, Great Britain, and Australia enacted regulations of tobacco advertising that did not completely ban or restrict all forms of advertising and promotion. In each of those instances, according to the comments, the tobacco industry was able to take advantage of loopholes in the system to continue to advertise to reach their target audience. Thus, in Canada the advertising ban, which did not ban nontobacco items, was accompanied by the increased use of nontobacco items that carried the tobacco brand name as a mechanism for continuing to advertise the tobacco brand and its prior image. In Great Britain, sophisticated colorful advertisements appeared when the use of human figures in tobacco advertising was banned; in Australia, loopholes in sports sponsorship provisions enabled the industry to continue sports advertising.

    Another comment detailed numerous other examples of tobacco companies continuing to advertise effectively in spite of a ban or restrictions on advertising. For example, this comment noted that after France banned all cigarette advertising in magazines, Philip Morris set up a travel agency and advertised "Marlboro Country Travel" in French magazines (Thus, although there was no longer any "cigarette advertising,'' Philip Morris was able to continue using its western, cowboy theme in advertisements for a travel agency). The comment noted further that in Europe, advertising for cigarettes was replaced by advertisements, using the same imagery, for Camel and Marlboro sports watches and Camel boots. In Malaysia, cigarette companies set up travel agencies called Marlboro, Kent, and Peter Stuyvesant, clothing stores named Camel, jewelry stores named for Benson and Hedges, luxury car dealerships named More, Salem record stores and Salem and More concert and movie promotions to advertise cigarettes in a country that has banned cigarette advertising. FDA finds that these comments provide strong support for the need for the advertising restrictions to be comprehensive and apply to all advertising media to be effective. »233

  14. Les procureurs de ITL plaidaient et plaident encore que la LRPT instituait une prohibition totale de la publicité des produits du tabac au Canada.
  15. La réalité était tout autre comme l'explique Me Simon Potter, procureur de ITL, à M. V. Bottomley, Secretary of State for Health, en Angleterre, le 27 janvier 1993 : (pièce D-56) :
  16. «At page 19, the Smee Report contends that the TPCA's ad ban was «tight», wide-ranging and largely immediate» (paragraph 63, page 19) This is clearly wrong and this error has a clear effect on the conclusion which follow.

    The Act came into force on January 1, 1989. Its only immediate effect was on Canadian advertising of Canadian tobacco products in Canadian periodicals. It has had and can have no effect on any advertising seen in foreign periodicals, specifically exempted by the Act though that advertising represented a very large percentage of all advertising seen by Canadians in the beginning of 1991. In-store advertising was not set to disappear until January 1, 1993, and that disappearance was postponed two weeks by the Québec Court of Appeal's decision last December that it would be unjust to require the dismantling of such advertising while that Court's judgement on the validity of the Act is pending. That is, Canadians have seen a good deal of tobacco advertising since the advent of the Act and will, even were the Act valid, continue to see a good deal of overflow advertising.»

    p. 4:

    «...1989 and 1990, because of the massive price increases to which Canadian taxing authorities subjected Canadian smokers, market the beginning of a huge influx of smuggled cigarettes into the Canadian market, either American cigarettes or exported Canadian cigarettes which can still be had much cheaper just across the border (a very short drive for the majority of Canadians). By 1992, it has been estimated that a good 25% of the cigarettes consumed in Canada were cigarettes which had escaped the tax-man; some of this perhaps escaped the statistics used by the Smee Report to measure Canadian consumption. Even if it did not, however, the remarkable increase in price in recent years and the remarkable increase in black market sales of cigarettes in Canada in recent years must throw into doubt the figure plugged into the Smee recession and the conclusions drawn from that regression.»

  17. L'objet du paragraphe 18(1) est de couvrir tous les procédés de communication qui correspondent à la définition du terme « promotion » dans le domaine du marketing.
  18. Le terme « promotion » implique nécessairement une dimension commerciale, un fait qu'il est important de garder à l'esprit dans l'interprétation du paragraphe 18(1). Ainsi, un procédé de communication utilisé par l'industrie du tabac ne pourra être assujetti au paragraphe 18(1) que s'il comporte, directement ou indirectement, une certaine dimension commerciale dirigée vers les consommateurs.
  19. Le ministre Dingwall a expliqué la situation devant le Comité sénatorial chargé de l'étude du projet de loi C-71234 :
  20. «Les producteurs craignaient que le projet de loi n'entrave inutilement les rouages internes de leur industrie. Au stade du rapport, nous avons modifié les clauses de définition et d'application du projet de loi pour leur donner l'assurance que celui-ci avait pour objet l'intérêt public et non les mécanismes internes de l'industrie.»

  21. La Food and Drug Administration a également étudié ce qui devait ou ne devait pas être inclus dans la définition de publicité et a conclu qu'il n'y avait pas lieu d'adopter une définition trop étroite du terme «publicité» mais que par ailleurs cette notion visait la publicité commerciale235 :
  22. «The agency carefully considered whether it should attempt to define the term "advertising" more explicitly than it did. "Advertising" as a term is constantly evolving, as new media and new techniques of marketing emerge. Although its boundaries are understood (and were provided in the preamble to the 1995 proposed rule), there is no one accepted definition. FTC is the Federal agency with general responsibility for regulating most consumer advertising. Yet neither FTC nor any of its rules define the general term "advertising.'' The agency agrees with the approach taken by FTC and continues to believe that the term "advertising" should not be defined any more specifically. Thus, FDA finds that the description of advertising in the preamble to the 1995 proposed rule is appropriate: Labeling and advertising are used throughout this subpart to include all commercial uses of the brand name of a product (alone or in conjunction with other words), logo, symbol, motto, selling message, or any other indicia of product identification similar or identical to that used for any brand of cigarette or smokeless tobacco product. However, labeling and advertising would exclude package labels, which would be covered under proposed subpart C. (60 FR 41314 at 41334) The agency also agrees with comments that state that it must provide some context for the application of so open ended a definition. For example, comments contended that "commercial use" could be interpreted to include such items as trade advertising (communication between manufacturers, wholesalers, distributors, and retailers), shareholder reports, and possibly even communications with the news media. This was not FDA's intent. This rule is a consumer based regulation; it is not the intention of FDA to include purely business related communications. Thus, noncommercial uses would not be affected. These would include such uses as unpaid press statements, signs on factories noting locations, business cards, and stockholder reports. While many of these uses would be ordinary and necessary business expenses, they would not be commercial uses in the context of the rule's restrictions on tobacco advertising affecting minors' tobacco use.»

  23. Il y a lieu de distinguer entre ce qui relève de l'expression commerciale et ce qui ne relève pas de l'expression commerciale.
  24. L'article 18(2)c) illustre bien l'intention du législateur de n'inclure que la promotion commerciale dans la définition du terme «promotion». Selon cet article, la promotion qui ne s'adresse pas aux consommateurs n'est pas incluse dans la définition du terme «promotion» :
  25. «(2) La présente partie ne s'applique pas :

    c) aux promotions faites par un tabaculteur ou un fabricant auprès des tabaculteurs, des fabricants, des personnes qui distribuent des produits du tabac ou des détaillants, mais non directement ou indirectement auprès des consommateurs.»

  26. Les articles 18(2)a) et b) visent la protection du public en s'assurant que l'industrie du tabac ne dissémine des informations sur le tabac ou ses effets sur la santé qui mineraient les objectifs de santé publique du gouvernement :
  27. «Information management is used to foster and sustain doubts about the health risks of tobacco products and tobacco smoke by challenging the scientific findings about adverse health effects. This is accomplished by the production and dissemination of counter-studies and selective critiques that defend the corporate image and shore up smokers' denial of health concerns. This, is turn, weakens the widespread impetus among established smokers to quit : almost one-half (46%) of Canadian smokers report either thinking about quitting or trying to quit. Constant challenges to and denial of health effects may also undermine health education efforts directed at the potential starter population. In Canada, studies contracted by the tobacco industry have focused on second-hand smoke (ETS) and the alleged economic balance sheet of the tobacco products industry. Information management activity of this type may help retain the existing market, slow the adoption of anti-smoking ordinances, and pave the way for pro-smoking rationalizations on the part of younger starters without actually targeting youth as a specific market segment236

  28. Dans les faits, c'est le contexte qui déterminera l'essence de la communication en question.
  29. Certains critères permettent d'analyser le contexte d'une communication. Notons toutefois que leur nombre n'est pas nécessairement exhaustif, et que d'autres facteurs pertinents pourraient s'ajouter dans l'avenir. Soulignons aussi qu'aucun d'entre eux n'est déterminant à lui tout seul. Il importe de les examiner globalement, à la lumière du contexte général, pour déterminer si une communication particulière peut être qualifiée de « promotion » aux fins de la loi.
  30. 1- Quel est le contenu du message en question?

    En premier lieu, on doit examiner les mots qui sont utilisés dans le message. Par exemple, une compagnie de tabac publie un texte dont le but expressément mentionné est de faire amender la Loi sur le tabac par le biais du processus électoral. Une argumentation à saveur politique est élaborée en ce sens dans le message. De telles observations amènent à penser qu'il ne s'agit pas d'une communication commerciale.

    2- À quel endroit la communication en question a-t-elle lieu ou quel est le médium utilisé ?

    Le médium utilisé, l'auditoire cible ou l'endroit choisi pour communiquer le message aident à déterminer la nature de l'expression en cause. Par exemple, si un représentant de l'industrie fait des représentations en faveur du tabac devant un comité parlementaire, on sera enclin à conclure que la dimension principale de cette expression est de participer au débat politique.

    De même, si un texte est publié dans une revue spécialisée à caractère scientifique, politique, juridique ou philosophique on aura tendance à classer le texte en question dans la catégorie des communications qui ne sont pas commerciales. Rappelons toutefois qu'aucun des critères soumis n'est absolument déterminant et qu'il pourrait arriver qu'une communication soit considérée comme une promotion commerciale même si elle se trouve dans une revue spécialisée.

    3- Quelle forme la communication prend-elle ?

    Le ton utilisé sera important pour déterminer si l'on s'adresse aux consommateurs (expression commerciale) ou si l'on tente simplement de participer au débat d'idées dans la société (expression non-commerciale). Il sera davantage approprié de considérer que l'expression entre dans la catégorie non-commerciale si elle prend la forme d'une discussion détaillée et relativement sobre. Par contre, si l'expression faire appel à la couleur, à des illustrations, à des textes courts et des titres accrocheurs, cela militera pour la conclusion qu'il s'agit en réalité d'une expression commerciale au sens de la loi.

    4- Quand la communication a-t-elle lieu ?

    Le contexte temporel dans lequel est émise une communication pourra, dans certains cas, avoir une pertinence dans sa classification. Par exemple, si des commentaires sont émis dans les journaux à un moment où des modifications à la législation sont envisagées par le gouvernement, on sera davantage enclin à penser que ces commentaires sont orientés vers l'auditoire en tant qu'électorat, plutôt qu'en tant que consommateurs. De même, des commentaires à l'occasion d'une campagne électorale pourront être considérés comme étant davantage dans cette lignée.

  31. En examinant le message à la lumière de ces facteurs et de l'ensemble du contexte, les tribunaux devraient être en mesure de départager, au fur et à mesure des litiges, l'expression commerciale de l'expression non-commerciale aux fins de l'application du paragraphe 18(1) de la loi. Cette interprétation a pour effet d'écarter tous les doutes soulevés par les demanderesses sur la validité constitutionnelle de cette disposition.
  32. Le second paragraphe de l'article 18 prévoit ce qui suit
  33. « 18. (2) La présente partie ne s'applique pas :

    a) aux oeuvres littéraires, dramatiques, musicales, cinématographiques, artistiques, scientifiques ou éducatives -- quels qu'en soient le mode ou la forme d'expression -- sur ou dans lesquelles figure un produit du tabac ou un élément de marque d'un produit du tabac, sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie, directement ou indirectement, pour la représentation du produit ou de l'élément de marque dans ces oeuvres;

    b) aux comptes rendus, commentaires et opinions portant sur un produit du tabac ou une marque d'un produit du tabac et relativement à ce produit ou à cette marque, sauf si un fabricant ou un détaillant a donné une contrepartie, directement ou indirectement, pour la mention du produit ou de la marque;

    c) aux promotions faites par un tabaculteur ou un fabricant auprès des tabaculteurs, des fabricants, des personnes qui distribuent des produits du tabac ou des détaillants, mais non directement ou indirectement auprès des consommateurs.»

  34. L'interdiction prévue au par. 18(2) ne vise pas la promotion faite par un tiers, à moins qu'il n'ait été payé par un fabricant ou un détaillant. Cette disposition ne vise pas non plus les communications entre les membres de l'industrie du tabac.
  35. Les exceptions prévues au paragraphe 18(2) illustrent que l'objet de la loi est de limiter l'expression commerciale uniquement, c'est-à-dire l'expression qui comporte une dimension de marketing. En d'autres termes, la loi interdit les activités promotionnelles dirigées vers les consommateurs.

232  RJR-MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), [1995] 3 R.C.S. 199, M. le j. La Forest par.103

233  ED-47 FDA Regulations Restricting the Sale and Distribution of Cigarettes and Smokeless Tobacco to Protect Children and Adolescents p. 44490

234  ED-74 Senate - Standing Committee on Legal and Constitutional Affairs - Meeting 56 - 1997-04-09 - Tobacco Act C-71

235  ED-47 FDA Regulations Restricting the Sale and Distribution of Cigarettes and Smokeless Tobacco to Protect Children and Adolescents p. 44500-44501

236  D-271, Health Canada, Analysis of Options for Tobacco Product Promotional Activity Restrictions, p. 53


Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page