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Vie saine

Argumentation écrite du procureur général du Canada devant la Cour supérieure du Canada

Partie VII - LA CONTESTATION RELATIVE À LA PRÉSOMPTION D'INNOCENCE

La validité de l'article 53(2) de la Loi

  1. La demanderesse Imperial Tobacco prétend que l'article 53(2) de la Loi sur le tabac, en opérant un renversement du fardeau de la preuve, porte atteinte à l'alinéa 11(d) de la Charte. L'article 53 se lit comme suit :
  2. « 53. (1) Dans les poursuites visant une infraction à la présente loi, ou engagées sous le régime des articles 463, 464 ou 465 du Code criminel et relatives à une telle infraction, il n'est pas nécessaire que soit énoncée ou niée, selon le cas, une exception, exemption, excuse ou réserve, prévue par le droit, dans la dénonciation ou l'acte d'accusation.

    (2) Dans les poursuites visées au paragraphe (1), il incombe à l'accusé de prouver qu'une exception, exemption, excuse ou réserve, prévue par le droit, joue en sa faveur; quant au poursuivant, il n'est pas tenu, si ce n'est à titre de réfutation, de prouver que l'exception, l'exemption, l'excuse ou la réserve ne joue pas en faveur de l'accusé, qu'elle soit ou non énoncée dans la dénonciation ou l'acte d'accusation. »

  3. Avant de traiter directement de la validité constitutionnelle du paragraphe 53(2), il importe d'examiner la manière dont il doit être interprété. La demanderesse ITL lui donne une portée très large, faisant ainsi paraître la disposition comme étant à première vue inconstitutionnelle. La demanderesse écrit au paragraphe 67 de sa déclaration :
  4. « Section 19 of the Tobacco Act creates an outright prohibition, subject only to the "authorization" which may be found, subject to regulations, in sections 22 and 24; that is, sections 22 and 24 provide exceptions to the prohibition; section 53 of the Tobacco Act would require a person accused under section 19 to prove that his or her promotion was of a kind authorized by section 22 or 24, without falling into the prohibition of section 22(2).»

  5. Il faut se garder d'interpréter le paragraphe 53(2) de cette manière. La disposition n'a pas pour effet d'attribuer le fardeau de la preuve à l'accusé en l'obligeant à prouver qu'une de ses publicités publiées entre dans une catégorie de publicité permise (i.e. « informative » ou « préférentielle de marque »). Le fardeau de prouver les éléments essentiels de l'infraction appartient à la Couronne, et l'article 53(2) ne remet pas en question ce principe.
  6. Pour comprendre le sens du paragraphe 53(2), il est utile d'examiner d'autres lois comportant des dispositions similaires. La Loi réglementant les produits du tabac (LRPT) de 1988 comportait une disposition quasi-identique. Ainsi, l'article 19(4) prévoyait ce qui suit :
  7. « 19(4) Dans les poursuites visées au paragraphe (3), il incombe à l'accusé de prouver qu'une exception, exemption, excuse ou réserve, prévue par le droit, joue en sa faveur; quant au poursuivant, il n'est pas tenu, si ce n'est à titre de réfutation, de prouver que l'exception, l'exemption, l'excuse ou la réserve ne joue pas en faveur de l'accusé, qu'elle soit ou non énoncée dans la dénonciation ou l'acte d'accusation.»

  8. Cet article est similaire à l'article 7(2) de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N-1, qui, à l'époque, prévoyait ce qui suit :
  9. « 7(2) Dans toutes poursuites sous le régime de la présente loi, il incombe à l'accusé de prouver qu'une exception, une exemption, une excuse ou une réserve, que prescrit la loi, jouent en sa faveur et le poursuivant n'est pas tenu, sauf à titre de réfutation, de prouver que l'exception, l'exemption, l'excuse ou la réserve ne jouent pas en faveur de l'accusé, qu'elles aient été ou non énoncées dans la dénonciation ou l'acte d'accusation. »

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  10. Dans l'affaire R. c. Perka, [1984] 2 R.C.S. 232, les juges sont arrivés à la conclusion que cette disposition n'avait pas pour effet de renverser le fardeau de la preuve à l'égard des défenses de common law telle la défense de nécessité. Le juge Dickson se dit d'avis que cette disposition ne visait que les exceptions statutaires précises, telles que le fait de détenir un permis ou autre autorisation spéciale pour posséder des stupéfiants. Le juge Dickson s'est exprimé ainsi aux p. 258-259 :
  11. « Sa Majesté prétend que le moyen de défense fondé sur la nécessité est "une exception, une exemption, une excuse ou une réserve, que prescrit la loi". À mon avis, cet argument n'est pas fondé. »

    La Loi sur les stupéfiants prescrit plusieurs exceptions à l'interdiction générale d'importer, de vendre, de fabriquer ou d'avoir en sa possession des stupéfiants. Les infractions créées par la Loi sont généralement assujetties à la réserve que l'accusé ne doit pas avoir agi sous le régime de la Loi ou de ses règlements d'application. Voir les par. 3(1) (possession), 5(1) (importation) et 6(1) (culture). L'article 12 de la Loi met en application ce régime en prévoyant l'adoption d'un ensemble de règlements régissant la délivrance de permis, notamment, d'importation, de vente, de fabrication ou de possession de stupéfiants. Quiconque vend, importe, fabrique ou a en sa possession des stupéfiants conformément à une telle autorisation ne commet aucune infraction.

    Il semble clair que c'est à ces exceptions prévues par la Loi que renvoie le par. 7(2) et non à un moyen de défense de Common law comme celui fondé sur la nécessité. Celui qui veut invoquer le fait qu'il détienne un permis ou une autre autorisation légale à l'encontre d'une accusation d'importation a l'obligation, en vertu du par. 7(2) de convaincre le juge des faits qu'un tel permis existe. Celui qui invoque la nécessité n'a pas cette obligation. Le paragraphe 7(2) n'impose à l'accusé aucune obligation de convaincre pour ce qui est du moyen de défense fondé sur la nécessité. »

  12. Dans le cadre de la Loi sur les stupéfiants, la disposition renversant le fardeau de la preuve ne concernait que les exceptions quant aux permis ou autres autorisations spéciales. Dans l'affaire R. v. Synette, [1989] B.C.J. No. 1786 (B.C.C.A.), un individu avait été trouvé en possession d'un médicament appelé « talwin ». Posséder ce médicament est une infraction en vertu de la Loi sur les stupéfiants, à moins de l'avoir obtenu par ordonnance médicale. L'individu en question prétendait qu'il avait acheté le « talwin » sous ordonnance. La Cour estima qu'en vertu de l'article 7(2) il appartenait à l'accusé de démontrer qu'il avait obtenu une ordonnance médicale, ce qu'il ne parvint pas à faire devant le premier juge. Sa déclaration de culpabilité fut confirmée par la Cour d'appel.
  13. Le Procureur général du Canada soutient que le paragraphe 53(2) de la Loi sur le tabac devrait être interprété de la même façon. En conséquence, si un règlement adopté en vertu de la Loi sur le tabac comportait la possibilité d'accorder certaines exemptions sous forme de permis, certificat ou autre, soustrayant ainsi une personne à l'application de tout ou partie dudit règlement, alors le fardeau de prouver que l'exemption a été accordée incomberait à l'accusé.
  14. Le Règlement sur les rapports relatifs au tabac impose aux fabricants de fournir au gouvernement un rapport comprenant, entre autres, une analyse chimique des émissions pour chacune de leurs marques de cigarettes. Ce rapport doit être présenté annuellement car les constituants des plants de tabac peuvent varier d'une année à l'autre. Le règlementprévoit par ailleurs un mécanisme par lequel un fabricant peut se voir exempté de certains tests. En effet, en vertu du paragraphe 14(11) du règlement, un fabricant peut tester seulement certaines marques, à condition que les émissions testées suivent une courbe constante, ceci afin de permettre aux autorités de déduire que les émissions des marques non testées suivraient la même courbe. Pour obtenir une exemption, le fabricant doit envoyer une lettre au ministre, qui lui répondra par écrit après avoir étudié sa demande.
  15. C'est dans ce contexte que s'inscrit l'article 53(2) de la loi. Dans l'hypothèse où un fabricant ayant obtenu une exemption de la part du ministre serait ultérieurement poursuivi au pénal pour ne pas avoir produit un rapport d'émissions toxiques complet, il incomberait à ce fabricant de prouver qu'il bénéficie de l'exemption en produisant la lettre du ministre à cet effet. En d'autres termes, lors de poursuites en vertu du Règlement sur les rapports, le poursuivant n'a pas à prouver qu'un fabricant n'a pas obtenu d'exemption. Il appartient au fabricant de démontrer qu'il a obtenu cette exemption en produisant le document approprié.
  16. Ainsi interprété, l'article 53(2) de la loi ne porte pas atteinte à l'article 11(d) de la Charte.
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  18. Dans l'affaire R. c. Lee's Poultry Ltd. (1985) 17 C.C.C. (3d) 539 (C.A. Ont.), on contestait la validité d'une disposition quasiment identique à l'article 53 de la Loi sur le tabac, soit l'article 48(3) du Provincial Offences Act de l'Ontario. Cet article prévoyait ce qui suit :
  19. « ...the burden of proving that an authorization, exception, exemption or qualification prescribed by law operates in favor of the defendant is on the defendant.»

  20. La Cour d'appel de l'Ontario a jugé que le fait qu'une loi obligeait l'accusé à prouver qu'il avait obtenu la permission, de la part d'un organisme de réglementation, de se livrer à une activité qui serait par ailleurs illégale ne créait pas une présomption semblable à celle qui était en cause dans l'affaire Oakes de la Cour suprême. Dans ce dernier cas, la permission constituait une justification et non un élément de l'infraction. De telles dispositions représentaient plutôt une exception précise à une règle générale de preuve et ne contrevenaient donc pas aux principes énoncés à l'alinéa 11(d) de la Charte. Le juge Brooke, au nom de la Cour d'appel, a rendu son opinion, à la p. 543 :
  21. «In my respectful view, R. v. Oakes, supra, must be distinguished from this case. Unlike the section in question in R. v. Oakes, supra , s. 48(3) does not purport to create a presumption but rather to express in statute form an exception to a general rule of pleading and proof on specific issues in summary conviction type cases. The exception provided for does not depend upon presumption.»

  22. Dans l'affaire R. c. Schwartz, [1988] 2 R.C.S. 443, on contestait la validité de l'article 106.7 du Code criminel au motif qu'il portait atteinte à l'alinéa 11d) de la Charte. L'article 106.7 se lisait comme suit :
  23. «106.7 (1) Dans toute procédure engagée en vertu des articles 83 à 106.5, c'est à l'inculpé qu'il incombe de prouver que telle ou telle personne est ou était titulaire d'une autorisation d'acquisition d'armes à feu, d'un certificat d'enregistrement ou d'un permis lorsque cette question se pose.

    (2) Dans toute procédure engagée en vertu des articles 83 à 106.5, un document donné comme étant une autorisation d'acquisition d'armes à feu, un certificat d'enregistrement ou un permis fait preuve des déclarations.»

  24. Le juge McIntyre, au nom de la majorité des juges de la Cour, a conclu que cet article ne portait pas atteinte au droit à la présomption d'innocence. Il s'agit d'un article qui impose, à la personne accusée de possession d'une arme à autorisation restreinte, de prouver qu'elle détient un certificat d'enregistrement de l'arme. L'article 106.7 ne renverse pas le fardeau de la preuve: il prévoit simplement qu'un document constitue une preuve dont la production dissipe tout doute en faveur de l'accusé. Le juge McIntyre écrit, aux p. 485-486 :
  25. «J'estime cependant que ces principes ne sont d'aucun secours à l'appelant en l'espèce. Malgré les termes qu'il emploie, le par. 106.7(1) n'impose pas la charge de la preuve à l'accusé. Le titulaire d'un certificat d'enregistrement ne peut être déclaré coupable aux termes du par. 89(1). Il n'a pas à prouver l'existence ou l'inexistence d'un élément de l'infraction ni même quoi que ce soit qui a trait à cette infraction. Tout au plus, il peut être tenu de démontrer par la production du certificat, que le par. 89(1) ne s'applique pas à elle et qu'elle est exemptée de l'application de ses dispositions.

    [...]

    Bien que l'accusé doive établir qu'il relève de l'exemption, il n'y a aucun danger qu'il soit déclaré coupable aux termes du par. 89(1), malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à sa culpabilité, parce que la production du certificat dissipe tous les doutes d'une manière qui est favorable à l'accusé et qu'à défaut du certificat, il n'existe pas de moyen de défense dès que la possession a été démontrée. Dans ce cas, comme le seul élément de preuve pertinent est le certificat lui-même, on ne peut dire que l'accusé pourrait apporter une preuve suffisante pour soulever des doutes sans en même temps établir de façon concluante que le certificat a été délivré. La théorie sous-jacente à tout système de permis est que, lorsque la possession d'un permis est en question, c'est l'accusé qui est le mieux placé pour résoudre cette question. Autrement, la délivrance du certificat ou du permis ne servirait à rien. Non seulement l'accusé est raisonnablement en mesure de prouver qu'il détient un permis (voir R. c. Shelley, [1981] 2 R.C.S. 196, à la p. 200, motifs du juge en chef Laskin), mais c'est ce qu'on attend qu'il fasse.»

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  26. En somme, l'article 53 de la Loi sur le tabac ne doit pas être considéré comme une présomption mais comme une exception à une règle de preuve qui ne porte pas atteinte à l'alinéa 11(d) de la Charte. En cas de doute sur l'interprétation de la loi, il faut favoriser l'interprétation qui la rend conforme à la Charte. Dans l'affaire Sharpe, précitée, le juge en chef McLachlin écrit au par. 33 :
  27. «On a beaucoup écrit sur l'interprétation des lois (voir, par exemple, R. Sullivan, Statutory Interpretation (1997); R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994); P.-A. Côté, Interprétation des lois (3e éd. 1999)). Toutefois, dans Construction of Statutes (2e éd. 1983), E. A. Driedger illustre le mieux la démarche que je préfère adopter. Il reconnaît que l'interprétation d'une loi ne peut pas être fondée uniquement sur le libellé de la loi en question. Il dit ce qui suit, à la p. 87 : [TRADUCTION] « Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur. » [...] Cette démarche est complétée par la présomption que le législateur a voulu adopter des dispositions conformes à la Charte : voir Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes, op. cit., p. 322-327. Lorsqu'une disposition législative peut être jugée inconstitutionnelle selon une interprétation et constitutionnelle selon une autre, cette dernière doit être retenue : voir Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1989] 1 R.C.S. 1038, p. 1078; R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, p. 1010; R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, p. 660; R. c. Lucas, [1998] 1 R.C.S. 439, par. 66.»

  28. Le Procureur général du Canada soutient que ainsi interprété, l'art. 53(2) est valide.
Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page