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Vie saine

Argumentation écrite du procureur général du Canada devant la Cour supérieure du Canada

Partie IX - LA VALIDITÉ DES RÈGLEMENTS ADOPTÉS EN VERTU DE LA LOI

Le Règlement sur les rapports relatifs au tabac

  1. Le Règlement sur les rapports relatifs au tabac, DORS/2000-273 fut élaboré sous l'autorité des articles 17 et 33 de la Loi sur le tabac par le Gouverneur général en conseil. Tel que le prévoit l'article 42.1 de la Loi sur le tabac, ce règlement fut déposé devant la Chambre des communes et approuvé à l'unanimité par celle-ci le 8 juin 2000 après avoir était examiné par le Comité permanent sur la santé.
  2. Ce règlement oblige les fabricants et importateurs de produits du tabac de faire rapport périodiquement sur leurs ventes, leurs procédés de fabrication, les émissions toxiques de leurs produits ainsi que sur leurs activités de recherche et de promotion.
  3. Il est intéressant de noter que la Loi sur l'accise, L.R. 1985, ch. E-14 impose déjà l'obligation de divulguer certains types de renseignements. Ainsi, les articles 31, 32 et 36 à 39 de cette loi prévoient ce qui suit :
  4. «31. Quiconque poursuit des opérations sujettes à l'accise doit :

    a) tenir, dans l'établissement visé par une licence où il poursuit ces opérations, les livres de magasin et autres livres, selon la formule et de la manière que prescrivent les règlements ministériels et conserver ces livres pendant six ans suivant la fin de l'année civile à l'égard de laquelle les documents en cause ont été tenus sauf autorisation écrite du ministre de s'en départir avant la fin de cette période;

    b) consigner clairement dans les livres mentionnés à l'alinéa a), au jour le jour et le jour même où la circonstance, la chose ou le fait à inscrire se produit, les détails requis à cet égard par quelque règlement ministériel.

    L.R. (1985), ch. E-14, art. 31; 1999, ch. 17, art. 144(A).

    32. (1) Toute personne qui est distillateur, fabricant de tabac ou de cigares, fabricant entrepositaire ou brasseur fait et remet au receveur de la division d'accise dans laquelle sa fabrique ou son établissement est situé un inventaire dans la forme prescrite par le ministre, de la quantité des diverses espèces de matières premières, d'articles et de substances en voie de fabrication, de produits fabriqués et de toutes autres matières qu'il détient ou possède lors de la clôture des opérations le dernier jour de son exercice, comme il est déterminé pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, de chaque année ou à toute date intermédiaire lorsqu'il en est requis par le ministre.

    (1.1) Le titulaire d'une licence d'entrepôt accordée en application de l'alinéa 50(1)c) est tenu de remettre au receveur de la division d'accise dans laquelle l'entrepôt est situé une déclaration mensuelle énumérant, par pays, la quantité de tabac fabriqué et de cigares livrés à des représentants accrédités de ces pays.

    (1.2) Le titulaire d'une licence d'entrepôt accordée en application de l'alinéa 50(1)c) dresse, et remet au receveur de la division d'accise dans laquelle l'entrepôt est situé, un inventaire, dans la forme déterminée par le ministre, des marchandises entreposées dans l'entrepôt à la clôture des opérations le dernier jour de son exercice, déterminé pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, chaque année ou, sur demande du ministre, à tout moment intermédiaire.

    (2) Les inventaires visés aux paragraphes (1) et (1.2) se dressent selon les modalités prévues par les règlements ministériels.

    L.R. (1985), ch. E-14, art. 32; L.R. (1985), ch. 12 (4e suppl.), art. 56; 1993, ch. 25, art. 33; 1999, ch. 17, art. 144(A).

    36. Sauf disposition contraire de la présente loi, tous les rapports sont distincts et séparés pour chaque mois, et se rapportent au mois qui précède immédiatement le jour où ils sont respectivement faits.

    S.R., ch. E-12, art. 36.

    37. Tout rapport relatif aux quantités, à faire en vertu de la présente loi, doit être remis au receveur au plus tard le dixième jour ouvrable de chaque mois pour le mois qui précède ce jour.

    L.R. (1985), ch. E-14, art. 37; L.R. (1985), ch. 12 (4e suppl.), art. 57.

    38. (1) Tout compte ou rapport fait selon la présente loi doit être dressé et signé par la personne qui poursuit les opérations auxquelles il a trait, ou par son agent, et il est aussi signé par le contremaître, commis, premier ouvrier ou autre personne qu'emploie l'établissement où se poursuivent les opérations et qui est personnellement au courant des questions dont il s'agit.

    (2) Le receveur ou un fonctionnaire supérieur peut, après que ce compte ou rapport a été dressé, exiger de toute autre personne à l'emploi de l'établissement qui, à son avis, est le mieux au fait de la quantité des matières employées et des articles produits, sujets à l'accise, qu'elle témoigne en sa présence et sous serment au sujet de l'exactitude de ce compte ou rapport.

    S.R., ch. E-12, art. 38.

    39. Quiconque signe un compte ou un rapport prévu par la présente loi doit en attester la véracité sur le document de la manière suivante :

    Je, ..., atteste que les divers comptes compris dans le présent rapport sont véridiques dans leur teneur et que je connais personnellement les matières qui y sont énoncées.

    L.R. (1985), ch. E-14, art. 39; L.R. (1985), ch. 12 (4e suppl.), art. 58.»

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  5. Les informations exigées par le Règlement sur les rapports relatifs au tabac permettront d'exercer un contrôle accru sur la toxicité des produits du tabac vendus au Canada afin de pouvoir mieux informer la population. Elles permettront également de mieux comprendre comment les produits du tabac sont modifiés au fil des années, et comment ils sont commercialisés.
  6. Les demanderesses contestent le Règlement sur les rapports sur plusieurs fronts. 263
  7. 1) Le partage des compétences

  8. En premier lieu, les demanderesses allèguent que le règlement ne relève pas de la compétence fédérale en matière de droit criminel au sens du paragraphe 91(27) L.C. 1867. Or, dans le jugement de 1995, M. le juge La Forest, à la p. 245 (majoritaire sur ce point), écrit :
  9. «Il appert donc que les effets nocifs de l'usage du tabac sur la santé sont à la fois saisissants et importants. En deux mots, le tabac tue. Compte tenu de ce fait, le Parlement peut-il validement se servir du droit criminel pour interdire aux fabricants des produits du tabac d'inciter la population canadienne à consommer ces produits et pour mieux la sensibiliser aux méfaits du tabac? À mon avis, il ne fait aucun doute qu'il peut le faire.»

  10. À la page 252, il ajoute :
  11. «Notre Cour a depuis longtemps reconnu que le Parlement peut validement utiliser cette compétence pour interdire ou contrôler la fabrication, la vente et la distribution de produits qui présentent un danger pour la santé publique, et qu'il peut aussi validement imposer des exigences en matière d'étiquetage et d'emballage de produits dangereux dans le but de protéger la santé publique.»

  12. Il ne s'agit pas d'un cas où le parlement tenterait de réglementer une industrie sous le couvert du droit criminel pour atteindre d'autres fins que celles de droit criminel. Ainsi, la présente affaire est différente du Renvoi sur la margarine, [1949] R.C.S. 1. Dans cette affaire, la Cour avait considéré que le Parlement ne pouvait utiliser la compétence qui lui est conférée par le paragraphe 91(27) L.C. 1867 pour criminaliser la vente de la margarine. Le gouvernement alléguait que la motivation derrière la loi était de protéger la santé des Canadiens. Après avoir admis que la protection de la santé constituait un objectif de droit criminel valide, la Cour considéra que la loi contestée en l'espèce n'entrait pas dans cette catégorie car rien n'indiquait que la margarine représentait un danger particulier pour la santé. L'objectif véritable du Parlement de l'époque semblait plutôt être de protéger l'industrie laitière, un objectif de compétence exclusivement provinciale. Or, dans le cas du Règlement sur les rapports, il est manifeste que son objectif demeure la protection de la santé des canadiens. Il n'y a aucune preuve au dossier que le gouvernement fédéral vise un motif non-avoué qui relèverait de la compétence provinciale.
  13. En ce sens, la juge La Forest (toujours majoritaire sur ce point), note à la page 247 du jugement RJR de 1995:
  14. «[I]l n'existe dans les présents pourvois aucune preuve que le Parlement avait une arrière-pensée lorsqu'il a adopté cette loi, ou encore qu'il tentait d'empiéter de façon injustifiable sur les compétences attribuées aux provinces en vertu des par. 92(13) et (16). Les présents pourvois diffèrent donc du Renvoi sur la margarine, précité, dans lequel l'interdiction ne visait pas vraiment à s'attaquer à un mal public, mais en fait, compte tenu du caractère véritable de la loi en cause, à réglementer l'industrie laitière.»

    2) L'article 8 de la Charte

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  15. En ce qui concerne la contestation fondée sur l'article 8, les demanderesses se plaignent du fait que le règlement, en leur exigeant de déposer des rapports sur leurs activités, constitue une surveillance illégale de leurs affaires. En d'autres termes, elles invoquent le droit de faire le commerce d'un produit de consommation toxique en secret. Ce droit n'existe pas au Canada.
  16. Rappelons que les demanderesses n'ont apporté devant le tribunal aucune preuve positive qui leur permettrait d'invoquer l'article 8 de la Charte.
  17. Par ailleurs, il importe de garder à l'esprit la nature de l'activité visée. Le commerce de tabac est une activité réglementée par l'État. Les participants à une telle activité réglementée ont une expectative diminuée de vie privée, tel que nous l'avons vu plus haut lors de l'analyse de la Partie V de la Loi sur le tabac.
  18. Les informations requises par le Règlement sur les rapports ne concernent que les activités de l'entreprise de sorte qu'il n'y a pas atteinte au droit à la vie privée d'une personne physique.
  19. Dans l'affaire British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, la question était de savoir si un pouvoir accordé à une commission des valeurs mobilières de contraindre une société à produire ses dossiers internes violait l'article 8. La Cour, sous la plume des juges Sopinka et Iacobucci a indiqué qu'il n'y avait pas de violation de l'article 8.
  20. Après avoir souligné qu'il s'agissait d'une activité normalement réglementée par l'État, et donc à l'égard de laquelle il y a une expectative réduite de vie privée, la Cour indiqua qu'une exigence de production de documents, est « l'une des méthodes les moins envahissantes » (par. 60) en matière de vie privée. Elle cite en ce sens au par. 62 les propos suivants tenus par M. le juge La Forest dans l'arrêt Thomson Newspapers (précité) :
  21. «Bien que ces dossiers ne soient pas dépourvus d'intérêt de nature privée, il est raisonnable de dire qu'ils soulèvent des préoccupations beaucoup moins importantes que les documents personnels. L'argument suprême à l'appui d'une garantie constitutionnelle du droit au respect de la vie privée repose sur notre conviction, conforme à tant de nos traditions juridiques et politiques, qu'il appartient à l'individu de déterminer la façon dont il mènera sa vie privée. [. . .] Mais lorsque la possibilité d'une telle intervention est restreinte aux dossiers et documents de l'entreprise, la situation est tout à fait différente. Ces dossiers et documents ne contiennent habituellement pas de renseignements relatifs au mode de vie d'une personne, à ses relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses. Bref, ils ne traitent pas de ces aspects de l'identité personnelle que le droit à la vie privée vise à protéger de l'influence envahissante de l'État. Au contraire, comme je l'ai déjà souligné, il est impératif que l'État ait le pouvoir de réglementer le commerce et le marché tant pour des raisons économiques que pour protéger l'individu d'un pouvoir de nature privée. Cela étant dit, les demandes de l'État relatives aux activités et aux opérations internes des entreprises sont maintenant choses courantes et prévisibles en matière commerciale. Compte tenu de ces circonstances, je ne crois pas qu'il puisse y avoir de très grandes attentes en matière de vie privée à l'égard des dossiers et des documents qui contiennent des renseignements de cette nature.»

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  22. Dans R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, il était question d'une disposition législative obligeant les pêcheurs de haute mer à émettre des rapports radio et des journaux de bord sur leurs activités. Des pêcheurs accusés d'avoir excédé leurs contingents de poissons prétendaient que la mise en preuve des rapports mentionnées ci-haut violait leur droit contre l'auto-incrimination garanti par l'article 7. La Cour conclut que le droit à l'auto-incrimination de l'article 7 n'était pas violé, et en profita au passage pour émettre certains commentaires concernant le droit à la vie privée de l'article 8 (aux par. 49-52):
  23. «Ma conclusion qu'il n'est pas abusif de la part de l'État de poursuivre ceux qui pratiquent la surpêche, en utilisant leurs rapports radio et journaux de bord comme preuve de l'infraction qu'ils ont commise, est renforcée par la jurisprudence de notre Cour quant à l'application de l'art. 8 de la Charte dans le contexte d'une réglementation. En donnant à l'art. 8 une interprétation fondée sur le contexte, notre Cour a, à maintes reprises, souligné que les fouilles, les perquisitions et les saisies de documents se rapportant à une activité que l'on sait réglementée par l'État ne sont pas assujetties à la norme élevée qui s'applique à celles effectuées dans le contexte criminel. Il en est ainsi parce que l'attente en matière de vie privée est moins grande relativement à des dossiers qui sont préparés dans le cours normal des affaires

    [...]

    Ma conclusion sur la question est renforcée par le fait qu'on ne saurait dire que l'utilisation des renseignements contenus dans les rapports radio et les journaux de bord est un affront à la dignité de la personne -- une valeur fondamentale qui sous-tend tant de droits garantis par la Charte --, car ces dossiers ne divulguent rien au sujet de la personnalité de l'individu qui les a créés. Les renseignements consignés sont de nature purement objective et leur pertinence est entièrement limitée aux questions qui ne sont importantes que pour la gestion et la conservation des ressources halieutiques. Les renseignements ne divulguent rien de l'état d'esprit, des pensées ou des opinions de la personne qui les a soumis. En fait, leur contenu est encore plus limité que celui des dossiers d'entreprise dont il était question dans l'arrêt Thomson Newspapers et au sujet desquels j'ai affirmé, aux pp. 517 et 518:

    Ces dossiers et documents ne contiennent habituellement pas de renseignements relatifs au mode de vie d'une personne, à ses relations intimes ou à ses convictions politiques ou religieuses. Bref, ils ne traitent pas de ces aspects de l'identité personnelle que le droit à la vie privée vise à protéger de l'influence envahissante de l'État.

    De plus, l'exigence de tenir des dossiers en vertu de la Loi sur les pêches n'exerce aucune pression psychologique ou émotionnelle sur la personne, de sorte que l'intrusion de l'État dont il est question en l'espèce contraste violemment avec les interrogatoires menés dans le cadre d'une enquête ou par la police et avec la contrainte à témoigner. Ces derniers surviennent non pas dans le cours normal des affaires, mais plutôt à la suite de délibérations sur des actes fautifs, et ils placent la personne concernée dans un état d'angoisse accru du fait que les procédures d'enquête et d'investigation de l'État sont déclenchées. En l'espèce, par contre, il n'y a rien de stressant ou d'envahissant dans le fait de se conformer à une exigence légale de soumettre des rapports radio et de tenir des journaux de bord -- une exigence conçue au profit non seulement de ceux qui s'y conforment, mais aussi de toute la société.»

    836.1 Le pouvoir d'exiger la production de documents constitue une «saisie» au sens de l'article 8 (voir l'arrêt McKinlay précité). Toutefois, la nature de l'intrusion est importante. Dans le cas du Règlement sur les rapports, il ne s'agit que d'émettre des rapports sur les produits et activités de l'entreprise C'est en l'espèce une méthode moins envahissante. Or, l'importance de cette distinction a été soulignée à plusieurs reprises par la Cour suprême.

    836.2 Dans l'arrêt 14371 Can. Inc. c. Québec (P.G), précité, à la p. 380, le juge Cory affirme :

    « De toute évidence, les perquisitions dans des propriétés privées sont beaucoup plus envahissantes qu'une demande de production de documents. Plus l'intrusion des auteurs de perquisitions dans les locaux d'une entreprise et des résidences privées est grande, plus on devrait accorder de l'importance aux dispositions de l'art. 8 de la Charte. »

    836.3 Dans l'arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd. [1990] 1 R.C.S. 627, le juge Wilson avait déjà énoncé ce principe et souligné le caractère peu intrusif d'une demande de production de documents, par opposition à d'autres mécanismes d'enquête (p. 649) :

    « Plus grande est l'atteinte aux droits à la vie privée des particuliers, plus il est probable que des garanties semblables à celles que l'on trouve dans l'arrêt Hunter seront nécessaires. Ainsi, le fait pour des agents du fisc de pénétrer dans la propriété d'un particulier pour y faire une perquisition et une saisie constitue une immixtion beaucoup plus grande que la simple demande de production de documents. »

    836.4 Plus loin, elle ajoute (pp.649-650) :

    « A mon sens, le par. 231(3) prescrit la méthode la moins envahissante pour contrôler efficacement le respect de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle n'entraîne pas la visite du domicile ni des locaux commerciaux du contribuable, elle exige simplement la production de documents qui peuvent être utiles au dépôt des déclarations d'impôt sur le revenu. »

    836.5 Dans l'arrêt Baron c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 416, la Cour a aussi souligné l'importance d'évaluer le caractère envahissant du pouvoir étatique comme facteur pertinent aux fins de l'article 8 de la Charte (p.444-445) :

    «La perquisition dans des locaux privés (je veux dire privés au sens de propriété privée peu importe si le public y a accès pour faire des affaires) constitue la plus grave atteinte à la vie privée, abstraction faite de l'atteinte à l'intégrité physique. Cela est tout à fait différent que d'obliger une personne à comparaître lors d'un interrogatoire sous serment et à apporter avec elle certain documents, en vertu d'un subpoena duces tecum (Thomson Newspapers, précité) ou à produire des documents sur demande (McKinlay Transport, précité). Les juges La Forest et L'Heureux-Dubé ont tous deux reconnu dans l'arrêt Thomson Newspapers, précité, aux pp. 520 et 594 respectivement, que le pouvoir d'effectuer une perquisition dans un endroit porte plus atteinte à la vie privée d'un particulier que le simple pouvoir d'ordonner la production de documents.»

    836.6 Les demanderesses se plaignent que cette « saisie » s'effectue sans autorisation préalable et sans que l'État soit obligé de démontrer l'existence de motifs raisonnables qu'une infraction a été commise. Pour les raisons qui précèdent, ces exigences n'ont pas à être respectées dans le présent contexte pour que cette « saisie » soit raisonnable. Comme le disait le juge Wilson relativement à un pouvoir similaire de la Loi de l'impôt sur le revenu (McKinlay, précité, p. 649) :

    «Conséquemment, le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d'examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le Ministre doit être capable d'exercer ces pouvoirs, qu'il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu'un certain contribuable a violé la Loi. »

    836.7 L'exercice de ce pouvoir peut évidemment permettre, en outre, la découverte d'éléments de preuve de la commission d'une infraction. Mais comme le soulignait le juge La Forest dans l'arrêt Thomson (rendu en même temps que l'arrêt McKinlay) à propos des infractions prévues à la Loi de l'impôt sur le revenu et du pouvoir d'exiger la production de documents pour les fins de cette loi (p.516) :

    «Toutes ces infractions se rapportent à une conduite qui pourrait fort bien être découverte par l'exercice du pouvoir d'ordonner la production de documents que le par. 231(3) confère au ministre du Revenu national. Cela n'a pas empêché notre Cour de dire que le pouvoir d'enquête du par. 231(3) est de nature réglementaire ou administrative; voir l'arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., précité.»

    836.8 Les demanderesses se plaignent aussi du caractère permanent et perpétuel de l'exigence de produire des documents. Nous soulignerons simplement, à ce sujet, les propos du juge Cory dans l'arrêt 14371 Can. Inc. c. Québec (P.G), précité, à la p. 377 :

    «Ceux qui se lancent dans un domaine réglementé doivent accepter que la réglementation fait partie intégrante de leurs activités commerciales. »

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  24. Le règlement ne porte donc aucunement atteinte à l'article 8 de la Charte. Notons par ailleurs qu'aucun secret commercial dévoilé à l'occasion des rapports ne sera dévoilé à des tiers. En effet, l'article 20 de la Loi sur l'accès à l'information, L.R. 1985, ch. A-1, prévoit ce qui suit :
  25. «20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

    a) des secrets industriels de tiers;

    b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

    c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

    d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

    [...]

    (6) Le responsable d'une institution fédérale peut communiquer, en tout ou en partie, tout document contenant les renseignements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité»

    3) L'alinéa 2(b) de la Charte

  26. Pour ce qui est de la contestation du Règlement sur les rapports relative à l'alinéa 2(b) de la Charte, elle peut facilement être mise de côté. Il est à noter que seule la demanderesse ITL invoque cet argument. Elle prétend au par. 136 de sa déclaration que « [...[ the reporting regulations impose such an unreasonable and onerous burden on all tobacco manufacturer's activities associated in any manner whatsoever with their commercial expression, as effectively to attach penalties to all expression ».
  27. ITL n'a fait aucune preuve quant au fardeau ainsi allégué.
  28. Le Procureur général du Canada soutient qu'il n'y a aucune atteinte à la liberté d'expression. L'objet du règlement n'est nullement de restreindre l'expression.
  29. 4) La légalité du Règlement sur les rapports en vertu de la Loi sur le tabac

  30. Les demanderesses prétendent que les dispositions du Règlement sur les rapports sont illégales car non autorisées par la Loi sur le tabac.
  31. Haut de la page

  32. Les demanderesses allèguent qu'il est illégal d'adopter des règlements ayant pour but de recueillir des informations pouvant amener le gouvernement éventuellement à réglementer à nouveau. Il est opportun de rappeler certaines dispositions de la Loi sur le tabac.
  33. «OBJET

    Santé publique

    4. La présente loi a pour objet de s'attaquer, sur le plan législatif, à un problème qui, dans le domaine de la santé publique, est grave et d'envergure nationale et, plus particulièrement :

    a) de protéger la santé des Canadiennes et des Canadiens compte tenu des preuves établissant, de façon indiscutable, un lien entre l'usage du tabac et de nombreuses maladies débilitantes ou mortelles;

    b) de préserver notamment les jeunes des incitations à l'usage du tabac et du tabagisme qui peut en résulter;

    c) de protéger la santé des jeunes par la limitation de l'accès au tabac;

    d) de mieux sensibiliser la population aux dangers que l'usage du tabac présente pour la santé.

    [...]

    Règlements

    7. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

    a) établir des normes applicables aux produits du tabac, notamment :

    (i) pour régir les quantités des substances que peuvent contenir les produits et leurs émissions,

    (ii) pour désigner les substances qui ne peuvent être ajoutées aux produits;

    b) prévoir des méthodes d'essai, notamment en ce qui touche la conformité des produits du tabac aux normes;

    c) prévoir les renseignements que le fabricant doit transmettre au ministre relativement aux produits du tabac et à leurs émissions, notamment des données sur la vente et des renseignements sur la composition, les ingrédients, les propriétés dangereuses et les éléments de marque de ces produits;

    d) prévoir les modalités de transmission des renseignements visés à l'alinéa c), notamment sous forme électronique;

    e) prendre, de façon générale, les mesures nécessaires à l'application de la présente partie.

    [...]

    33. Le gouverneur en conseil peut, par règlement :

    a) régir l'emballage et la promotion des produits du tabac et l'utilisation des éléments de marque de ces produits, y compris les modalités et les conditions applicables à l'emballage et à la promotion, et la promotion des articles et services visés à l'article 28;

    b) régir la publicité des produits du tabac pour l'application du paragraphe 22(2);

    c) régir, pour l'application du paragraphe 24(4), l'usage d'un élément de marque d'un produit du tabac;

    d) préciser la façon dont un élément de marque d'un produit du tabac peut figurer sur des installations permanentes;

    e) régir, pour l'application du paragraphe 26(1), la manière dont un élément de marque d'un produit du tabac peut figurer sur les accessoires;

    f) régir l'exposition des produits du tabac et des accessoires dans les établissements de vente au détail;

    g) régir, pour l'application du paragraphe 30(2), les affiches que le détaillant peut placer, y compris leur contenu, leur taille, leur nombre et les endroits où elles peuvent être placées;

    h) exiger d'un fabricant qu'il fournisse les détails de ses éléments de marque et de ses activités de promotion;

    i) prendre toute autre mesure d'ordre réglementaire prévue par la présente partie;

    j) prendre, de façon générale, les mesures nécessaires à l'application de la présente partie. »

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  34. Il appert des extraits soulignés que la loi a clairement accordé au gouverneur en conseil le pouvoir d'adopter des règlements exigeant que des informations soient fournies au sujet des composantes et émissions des produits du tabac, ainsi que sur la promotion et la vente de ceux-ci. Il est vrai que l'un des buts du Règlement sur les rapports est de permettre au gouvernement de recueillir des informations pouvant éventuellement lui permettre d'adopter de nouveaux règlements ce qui n'est pas incompatible avec la Loi sur le tabac, bien au contraire.
  35. L'arrêt Fitzpatrick c. La Reine, [1995] 4 R.C.S. 154 (précité) répond aux allégations de ITL. Un règlement ne sera pas ultra vires parce qu'il aide à obtenir des informations qui, un jour peut-être, serviront à l'élaboration d'une nouvelle réglementation ou à sa mise à jour : (par. 35):
  36. «L'exigence de l'art. 61 de la Loi sur les pêches que les pêcheurs soumettent des rapports radio et des journaux de bord (ou des «déclarations véridiques») est une composante importante du régime de réglementation établi en vertu de la Loi pour la gestion et la conservation des ressources halieutiques. Cette exigence n'a pas essentiellement pour but de recueillir des renseignements qui pourront être utilisés ultérieurement contre les pêcheurs qui les fournissent. Les renseignements ne sont pas compilés au cours d'une enquête portant sur des actes fautifs. L'obligation qui incombe aux pêcheurs de soumettre des rapports a plutôt pour but de fournir aux fonctionnaires des pêches les renseignements à jour nécessaires à la réglementation efficace de la pêche. L'établissement de contingents dépend de renseignements exacts sur la quantité et l'emplacement des prises, et ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui sont le mieux en mesure de fournir ces renseignements. Le respect des contingents bénéficie, à son tour, à l'ensemble des pêcheurs commerciaux, parce qu'il permet d'assurer la survie de la pêche et une juste répartition de ses profits, qui garantissent aux pêcheurs commerciaux leurs emplois et leurs revenus.»

  37. Les demanderesses n'ont aucunement expliqué dans leur argumentation en quoi les articles 3, 7(b), 9(2), 10, 11(1), 11(2), et 15 à 24 du Règlement sur les rapports relatifs au tabac sont nuls pour excéder les pouvoirs de réglementation prévus à la Loi sur le tabac.
  38. Le Procureur général du Canada soutient au contraire que ces articles n'excèdent pas les pouvoirs de réglementation prévus à la Loi sur le tabac.

263  Voir Annexe 10 - Le Règlement sur les rapports relatifs au tabac


Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page