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Vie saine

Argumentation écrite du procureur général du Canada devant la Cour supérieure du Canada

Partie VIII - LA PORTÉE EXTRA-TERRITORIALE DE L'ARTICLE 31(3) DE LA LOI

  1. La demanderesse ITL allègue que l'article 31(3) de la loi est ultravires en ce qu'il a une portée extra-territoriale.
  2. Le Procureur général du Canada soutient que si l'article 31(3) a une portée extra-territoriale, il n'est par contre pas ultravires puisque le principe voulant que le législateur n'ait pas le pouvoir de donner une portée extra-territoriale à une loi ne s'applique pas à l'État fédéral.
  3. À ce propos, Henri Brun et Guy Tremblay écrivent ce qui suit aux p. 568-569 de leur ouvrage intitulé Droitconstitutionnel, 2e édition, 1997, Éditions Yvon Blais248 :
  4. «Le Parlement fédéral jouit d'une compétence personnelle illimitée. Il peut légiférer non seulement à l'égard des personnes qui se trouvent sur le territoire canadien, mais aussi à l'égard de celles qui sont à l'extérieur du Canada, citoyens canadiens ou étrangers.

    Cette situation découle de l'article 3 du Statut de Westminster de 1931, qui décrète que « le Parlement d'un Dominion a le plein pouvoir d'adopter des lois d'une portée extra-territoriale ». La Loi sur l'extra-territorialité, 1933, devenue l'article 8(3) de la Loid'interprétation, L.R.C. 1985, c. I-21, rend même cette compétence rétroactive. Voir Croft c. Dunphy, [1933] A.C. 156; British Coal Corp. c. La Reine, [1935] A.C. 500 et Pan American World Airways c. La Reine, [1979] 2 C.F. 34, 46. »

    Le Parlement fédéral peut donc édicter des lois qui prétendent s'appliquer aux personnes hors du Canada, même si elles ne sont pas citoyens canadiens ou ne résident pas au Canada. Ainsi, dans British Columbia Electric Ry. Co. c. La Reine, [1946] A.C 527, il s'agissait d'une taxe fédérale imposée à des non-résidents. Souvent, une compétence extra-territoriale est aujourd'hui exercée pour décréter que certains actes commis hors du Canada sont des infractions punissables au Canada : voir, par exemple, l'article 29 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29 et les articles 6(2) et 7 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46. Voir aussi la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, c. H-6, alinéa 40(5)c).

    Le Parlement fédéral pourrait même donner à ses législations extra-territoriales une portée annexionniste. De nos jours, ce genre de volonté se manifeste surtout en fonction des espaces marins. C'est le cas, par exemple, des lois fédérales qui ont consacré l'existence d'une mer territoriale canadienne et qui l'ont élargie jusqu'à douze milles marins. Voir le chapitre III, à propos des frontières maritimes du territoire canadien. Mais il faut noter que la situation juridique serait exactement la même s'il s'agissait d'espaces non submergés, revendiqués ou non par d'autres États. Une loi canadienne qui se dirait applicable à une partie de l'actuel territoire de États-Unis, bien que probablement futile, devrait quand même être sanctionnée par les tribunaux canadiens. « In this Court we have nothing to do with the question of whether the Legislature has or has not done what foreign powers may consider a usurpation in a question with them »: Mortensen c. Peters, (1906), cité dans K. and L. 3. »

  5. De plus, la Cour suprême a jugé, dans l'affaire Canada (CDP) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, qu'une cour canadienne a la compétence pour juger une infraction ayant été commise à l'étranger. Le juge Bastarache (au nom de la majorité de la Cour suprême) écrit, à la p. 670:
  6. « Le deuxième motif invoqué par les appelants est que l'ordonnance relative à l'outrage au tribunal est inapplicable parce qu'elle vise à interdire des actes accomplis à l'extérieur du Canada et donc hors de la compétence territoriale de la Cour fédérale du Canada. Cet argument est mal fondé. La violation reprochée en l'espèce n'est pas seulement l'existence d'un numéro de téléphone aux États-Unis, mais l'effet combiné de ce numéro et des messages offensants, et la mention de ce numéro dans le message transmis au moyen de l'ancienne ligne téléphonique de Liberty Net. C'est la communication des messages offensants qui constitue le fondement de la violation. Cette communication est faite par l'annonce relative à ces messages sur la ligne téléphonique au Canada et par la diffusion de ceux-ci sur la ligne téléphonique aux États-Unis. Le premier élément a, suivant les termes de l'art. 13 de la Loi sur les droits de la personne, été accompli «en recourant ou en faisant recourir aux services d'une entreprise de télécommunication relevant de la compétence du Parlement». Dès qu'au moins une partie de l'infraction est commise au Canada, les tribunaux canadiens sont compétents pour connaître de l'affaire. Le juge La Forest a formulé ainsi ce principe dans l'arrêt Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178, aux pp. 212 et 213:

    « Selon moi, il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu'une partie importante des activités qui la constituent, se soit déroulée au Canada. Comme l'affirment les auteurs modernes, il suffit qu'il y ait un «lien réel et important» entre l'infraction et notre pays, ce qui est un critère bien connu en droit international public et privé ... »

    La présente affaire ne constitue même pas un cas limite d'application de ce principe. Nous sommes en présence d'une annonce relative à un message qui contrevenait aux conditions de l'ordonnance, annonce faite au Canada au moyen de la ligne téléphonique même par laquelle les messages offensants étaient communiqués, et cette annonce a été faite en toute connaissance de la teneur de ces messages et du fait qu'ils violaient les conditions de l'ordonnance prononcée par le juge Muldoon. »

  7. Par conséquent, le fait que l'article 31(3) interdit aux fabricants canadiens de publier des annonces dans des médias étrangers n'est pas problématique. Ainsi, même si l'on considérait que cela donne un effet extraterritorial à la loi, cela n'occasionne aucune difficulté constitutionnelle.
  8. Les demanderesses allèguent que l'exemption accordée par la Loi à la publicité américaine et internationale paraissant dans les revues importées fait nécessairement perdre de l'ampleur à tout bénéfice envisagé par le gouvernement
  9. Cet argument n'est pas nouveau et avait été soulevé dès 1989 à l'encontre de la LRPT sans avoir été retenu par la Cour suprême en 1995249:
  10. «Puisque les produits du tabac étrangers représentent moins d'un pour cent du marché canadien, il est évident que l'exemption a une portée extrêmement limitée.»

  11. Non seulement cet argument n'est pas supporté par la preuve des demanderesses mais leurs documents de commercialisation démontrent que l'impact des magazines étrangers est nul.
  12. Les Canadiens n'aiment pas le goût des cigarettes américaines et le volume de pénétration de ces publicités est minime:
  13. «Overflow advertising has been a strategic focus in the C-51 debate, but needs to be put in perspective. There is little evidence that we face any real threat from U.S. brands. Both taste and trademark ownership weight against this.» 250

  14. Pour profiter de l'effet du débordement (« spill ») de la publicité, RJR a songé à publiciser sa marque Export aux Etats-Unis de manière à bénéficier des retombées de cette publicité au Canada:
  15. «Examine the potential for marketing Export in the United States, in order to obtain the benefits of spill-over advertising.» 251

    «One immediate area of potential would be to market the Export brand name in the United States, in order to derive the benefits of spill-over advertising.» 252

248  Voir aussi: P.A. Côté,Interprétation des lois, 2e édition,Cowansville : Yvon Blais, 1990 et Peter Hogg, Constitutional Law of Canada, 4e édition, Toronto, Carswell, 1996, p. 270-271.

249  M. le j. La Forest par. 56

250  D-222 - ITL Marketing Plan - 1989 (ITL-431), p. 17531

251  D-226 - (JTI-1678) RJR MacDonald Inc. Competitive Business Development Strategies for the 1990s - Draft, p. 80108 9861

252  D-226 - (JTI-1678) RJR MacDonald Inc. Competitive Business Development Strategies for the 1990s - Draft, p. 80108 9873


Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page