Santé Canada - Gouvernement du Canada
Sautez à la barre de navigation de gaucheSautez des barres de navigation au contenu
Vie saine

Le tabagisme chez les francophones du Canada Les leçons à retenir de la Stratégie de lutte contre le tabagisme 1994-1997

2.3 Leçon III - Le fait d'avoir une même langue ne fait pas de la population francophone du Canada une clientèle homogène

2.3.1 La population francophone est composée de communautés distinctes

La vitalité économique, la réalité sociale, le profil démographique, le contexte linguistique, le patrimoine, les valeurs et croyances culturelles - ce ne sont là que quelques-uns des éléments qui déterminent le contexte particulier d'une population.

La population francophone du Canada est composée de plusieurs communautés. Bien que celles-ci aient des traits en commun, chaque communauté a ses particularités, ses cordes sensibles. Contrairement aux Québécois francophones qui peuvent s'épanouir dans un contexte majoritaire, les Franco-Canadiens font face à des obstacles inhérents à une réalité minoritaire. Au nombre des obstacles qui sont propres à un milieu linguistique minoritaire, notons l'analphabétisme, le statut économique, l'isolement et la difficulté à se prendre en charge.

Ces facteurs ont une incidence importante sur l'attitude et le comportement d'une population ainsi que sur la façon dont on communique avec elle. L'approche publicitaire utilisée en milieu québécois francophone risque d'être perçue très différemment dans un contexte minoritaire, car chaque milieu a ses expressions consacrées, son propre "parler", sa façon de voir la vie, bref sa culture. Par exemple, une étude réalisée en 1993 sur les attitudes des Franco-Ontariens de la région d'Ottawa-Carleton révèle l'existence de deux catégories de fumeurs au sein de cette population : ceux qui ont pris la décision de fumer et ceux pour qui fumer était inévitable. Cette étude fait ressortir des caractéristiques qui sont communes aux membres d'une communauté minoritaire et défavorisée (la notion de l'inévitable) et certains éléments culturels qui distinguent les Franco-Canadiens des autres groupes.

Les stratégies, approches, programmes et messages qui négligent de tenir compte de ces facteurs clés sont soit confrontés à l'indifférence de la population visée, soit rejetés du revers de la main.

D'autre part, il y a d'importantes distinctions à faire entre les communautés minoritaires elles-mêmes. Dans chacune des provinces et dans chacun des territoires, les communautés francophones composent avec une série de facteurs socio-démographiques, économiques et culturels qui les différencient les unes des autres. À certains égards, les Acadiens et les Franco-Ontariens peuvent se ressembler, mais chacun de ces groupes possède des traits uniques dont il faut tenir compte dans le cadre de toute intervention. Il en va de même pour les Franco-Manitobains, les Fransaskois, les Franco-Colombiens et les autres francophones du Canada.

De là l'importance, voire même la nécessité d'effectuer des recherches qui permettraient de cerner les cordes sensibles des Québécois et des Franco-Canadiens, de les comparer et de tirer des conclusions définitives sur ce qui les unit et les différencie. À la lumière de ces conclusions, il serait alors possible d'élaborer une stratégie propre à chaque milieu.

2.3.2 Les Franco-Canadiens sont différents des Québécois  : le milieu minoritaire est nettement désavantagé sur tous les plans.

Au Québec comme on le sait, les francophones sont majoritaires. Les programmes, les services, les interventions et les moyens de communication sont donc conçus dans un moule culturel qui reflète leurs valeurs et leurs croyances les plus fondamentales.

Dans le reste du Canada, les francophones sont minoritaires. Les programmes, les services, les interventions et les outils de communication sont donc, pour la plupart, conçu dans le moule culturel de la majorité anglophone. Plus souvent qu'autrement, les francophones reçoivent un "produit" traduit qui ne reflète ni leurs valeurs, ni leurs croyances. De plus, ce produit ne correspond bien souvent ni à leurs priorités de vie ni à leur réalité. Dans un contexte minoritaire où l'on est principalement préoccupé par la survie linguistique et économique, le tabagisme peut sembler, aux yeux de bien des francophones, une préoccupation moins importante.

Ajoutons à la liste d'obstacles les carences en matière de ressources. Contrairement au Québec francophone et au Canada anglais, les communautés francophones minoritaires disposent de très peu de ressources, entre autres sur le plan médiatique. Par exemple, les francophones vivant en situation minoritaire sont reliés par un seul diffuseur, soit Radio-Canada. (Notons, toutefois, que depuis mai 1999, des émissions d'information du réseau de télévision francophone TVA, basé à Montréal, rejoignent désormais un grand nombre de communautés francophones hors Québec.) On compte seulement deux quotidiens de langue française, une trentaine d'hebdos et une quinzaine de radios communautaires. En milieu minoritaire, on ne peut donc avoir recours à la communication de masse pour transmettre le message anti-tabac aux francophones. Par conséquent, le défi de la communication dans ce type de milieu s'avère beaucoup plus complexe et le processus plus long aussi parce qu'il est basé, en grande partie, sur des activités qui privilégient le bouche-à-oreille et le contact social.

Il est également important de noter que les communautés minoritaires ne sont pas toutes sur le même pied d'égalité en ce qui a trait aux ressources et à la question de l'accès. Par exemple, les francophones de l'Ontario sont beaucoup plus choyés en matière de programmes et de services que les Franco-Colombiens ou les francophones de Terre-Neuve. Ceci dit, le milieu franco-ontarien n'est pas pour autant dépourvu de problématiques. Dans le rapport de Price Waterhouse de 1995 par exemple, les auteurs ont observé que les ressources de la communauté francophone de l'Ontario sont encore très récentes et qu'un grand nombre de francophones n'auraient donc pas encore pris l'habitude de les utiliser. Ajoutons aussi qu'en ce milieu, il demeure difficile de convaincre ceux qui tiennent les cordons de la bourse de la nécessité de promouvoir l'existence de programmes et de services gouvernementaux auprès de la population franco-ontarienne.

2.3.3 Nous savons ce que nous ne savons pas au sujet des francophones et du tabagisme

Dès le début de la mise en application de la Stratégie de réduction de la demande de tabac, une recherche a été entreprise par Price Waterhouse afin d'évaluer les besoins des francophones en matière de programmes de prévention et d'abandon du tabagisme au Canada (42). Cette étude démontre clairement le besoin d'effectuer des recherches plus poussées auprès des francophones du Canada pour en arriver à brosser un portrait complet et fiable de chacune des communautés. À plusieurs endroits, le rapport final remis à Santé Canada souligne la rareté de données significatives en ce qui a trait aux francophones vivant à l'extérieur du Québec. On y met clairement en évidence la quasi-absence d'information quantitative en ce qui a trait aux attitudes et aux comportements des francophones, ainsi qu'aux facteurs qui les incitent à fumer. Voici un extrait du rapport (p. 5) qui résume bien la situation :

"À la rareté des données relativement aux francophones hors Québec s'ajoutent aussi le manque d'uniformité dans la définition même du concept francophone, la difficulté de comparer les résultats des diverses études, le peu d'information relative aux attitudes, aux comportements […] Toutes ces contraintes incitent à la prudence dans l'interprétation et l'analyse des données."

Comme l'ont constatée les chercheurs de Price Waterhouse, l'insuffisance de données nous empêche de brosser le portrait-santé et de tracer le profil de consommation tabagique des francophones des différentes régions du Canada et de documenter avec précision les causes ou les facteurs pouvant expliquer les taux élevés de fumeurs chez cette population. Pour cette même raison, il est également impossible d'établir des comparaisons entre les différents groupes, y compris la population anglophone, et de tirer des conclusions fiables. Par exemple, on sait que les déclencheurs du tabagisme sont très semblables d'un groupe à l'autre, mais est-ce là où s'arrêtent les similarités? Seule la recherche pourrait nous le dire.

Bref, depuis les tous débuts, on a été contraint à interpréter, dans une large mesure, de l'information qualitative et à avancer des hypothèses quant à certains aspects du comportement et de l'attitude francophone. Le rapport de Price Waterhouse pose deux grandes questions auxquelles il importe de répondre :

  • Les francophones ou ceux de certaines provinces du Canada possèderaient-ils des caractéristiques propres aux milieux défavorisés qui les rendraient plus vulnérables face au tabagisme?
  • En contrepartie, quelles sont les caractéristiques proprement culturelles qui les incitent à fumer en plus grand nombre?

Par ailleurs, il est important de signaler que, dans le cadre de certaines études, on ne procède pas systématiquement à une analyse des données selon la langue parlée, bien que des efforts aient été faits pour inclure des francophones dans l'échantillonage. C'est là une importante lacune à combler, c'est-à-dire inclure dans le cadre d'études pertinentes un échantillon représentatif de francophones au Canada et effectuer une analyse selon la langue parlée.

Une problématique similaire semble exister par rapport à l'évaluation de programmes bilingues au chapitre de la prévention et de la cessation. Souvent, l'insuffisance d'échantillons ne permet pas de tirer des conclusions, voire même d'établir des comparaisons. Et, dans les cas où les échantillons s'avèrent suffisants, on omet d'analyser les données selon la langue parlée. Il est alors impossible de déterminer l'efficacité d'un programme pour les francophones visés. Dans le cadre de l'évaluation du programme Fumer(43), c'est fini! Champions par exemple, on a omis de faire la distinction entre les résultats anglophones et les résultats francophones, et ce malgré le fort pourcentage de francophones qui participaient à l'évaluation.

Bref, nous savons ce que nous ne savons pas au sujet des francophones et du tabagisme. Nous sommes conscients d'être devant un casse-tête avec des pièces manquantes. Il faut donc les trouver pour fournir aux décideurs et aux intervenants les moyens qui leur permettront de prendre des décisions éclairées et d'adapter les ressources existantes ou de tailler sur mesure des programmes, des interventions et des messages efficaces, particulièrement en milieu franco-canadien.

2.3.4 Nous savons que les programmes conçus par et pour les francophones à l'extérieur du Québec demeurent peu nombreux

Ce même rapport de Price Waterhouse souligne également la rareté des ressources francophones à l'extérieur du Québec. Les programmes conçus spécifiquement à l'intention de la population francophone sont peu nombreux. Plusieurs ont été traduits et sont offerts dans les deux langues officielles Précisons, toutefois, que dans nombre de cas, il s'avère nécessaire d'apporter des ajustements d'ordre culturel aux versions traduites de programmes ou d'outils pour que ceux-ci collent davantage à la réalité de la clientèle francophones, à ses besoins et valeurs. Le programme Vers une vie sans fumer en est un bon exemple.

Selon ce même rapport, les quelques ressources intéressantes disponibles en 1995 ont été repérées au Québec et en Ontario surtout. Depuis ce temps toutefois, de nouvelles ressources ont vu le jour, et d'autres ont été adaptées, afin d'appuyer le travail de sensibilisation des intervenants sur le terrain et d'aiguiller, entre autres, les actions au chapitre du marketing social. Notons, entre autres exemples, la réalisation en 1997 d'un guide franco-canadien de marketing social en matière de tabagisme à l'intention d'intervenants en milieu minoritaire francophone. Cette initiative conjointe du Sous-comité francophone du Comité directeur de la Stratégie nationale de lutte contre le tabagisme et du Centre de formation et de consultation a été rendue possible grâce à l'appui de Santé Canada.

Depuis 1995 aussi, de nouvelles ressources ont été développées à l'intention de la population francophone et plusieurs initiatives ont été lancées entre 1994 et 1997 dans le cadre de la Stratégie visant à réduire la demande de tabac. Certaines ont été créées en français telles que le programme d'aide individuelle Une grossesse sans tabac. Dès le départ, celui-ci a été conçu spécialement pour les femmes enceintes francophones d'Ottawa-Carleton. Il s'agit d'une trousse comportant cinq livrets pouvant être utilisée en counseling un à un, en groupe ou sur une base individuelle.

D'autres ressources et initiatives ont été adaptées de l'anglais. Le programme Journal d'une jeune fumeuse en est un bon exemple. Plutôt que d'offrir au groupe ciblé - les jeunes femmes francophones - une bande vidéo traduite avec sous-titres, on a eu recours à de véritables actrices et acteurs francophones, ce qui permet de rendre le produit beaucoup plus potable. Dans d'autres cas, on a tout simplement traduit le programme ou le produit, une approche peu appréciée par les Franco-Canadiens. Les groupes de discussion tenus en milieu minoritaire le confirment. Les guides de marketing social visant le milieu minoritaire le confirment aussi.

Puisque les initiatives adaptées ou traduites en français et lancées entre 1994 et 1997 n'ont pas nécessairement fait l'objet d'une évaluation systématique, il nous est impossible de savoir aujourd'hui si ces dernières correspondaient adéquatement à la culture des clientèles francophones visées.

Ceci dit, tout indique que les approches qui réussissent le mieux sont celles qui sont créées de toutes pièces par et pour la clientèle visée. Pour en être convaincu, il suffit de regarder ce qui s'est passé avec les efforts publicitaires à l'intention de la jeunesse. Pendant longtemps, les jeunes ont rejeté les messages publicitaires qui leur étaient destinés parce qu'ils étaient conçus selon un mode "adulte" qu'ils perçevaient comme étant moralisant. On sait mieux maintenant que pour dissuader les jeunes du tabagisme, outre les taxes élevées sur le tabac, on a avantage à s'intéresser aux approches inspirées par et pour les jeunes, à des messages qui portent sur la dépendance (versus le désir ardent de liberté), la fumée de tabac secondaire (le fumeur nuit involontairement à la santé des autres) ainsi que sur le décodage des façons don't le tabac est rendu si attrayant.

Mise à jour : 2005-05-01 Haut de la page