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Volume 19, No 4- 2000

 

  Agence de santé publique du Canada

La surveillance épidémiologique au 21e siècle sous diverses optiques

Bernard C. K. Choi


Résumé

Cet article décrit l'importance d'une surveillance épidémiologique systématique, permanente et basée sur une population, qui serve d'outil de détection précoce et d'élaboration de programmes au 21e siècle. Il s'agit en fait de recueillir systématiquement les données relatives à trois catégories d'indicateurs - problèmes de santé, facteurs de risque et stratégies d'intervention - pour mettre sur pied à la fois un système de détection précoce (permettant de déceler des liens et de faire des prévisions sur les problèmes de santé) et un cadre d'élaboration de programmes (permettant d'évaluer la nécessité de stratégies d'intervention, de planifier et d'appliquer ces stratégies, et d'en évaluer l'efficacité). La surveillance doit être systématique (sélection des indicateurs fondée sur des faits et non sur des hypothèses), permanente (collecte continue de données, y compris par des enquêtes à passages répétés) et basée sur une population (la population entière ou des échantillons représentatifs de celle-ci). Il n'est pas nécessaire de partir de zéro pour élaborer un tel système : on peut coupler les enregistrements de différentes bases de données existantes et recueillir les éléments d'information nécessaires pour combler les lacunes. Afin de stimuler la discussion, l'auteur propose les étapes initiales  à suivre pour la sélection des indicateurs et la création d'un cadre de travail type en vue de l'élaboration d'un système de surveillance global. Il affirme également que les systèmes de surveillance devraient être plus utilisés en santé publique.

Mots clés : control; epidemiology; health surveillance; prevention; program evaluation; risk factors


Introduction

La surveillance épidémiologique date de l'époque de John Graunt, auteur des Natural and Political Observations Made Upon the Bills of Mortality, un livre publié en 16621. Graunt proposait, pour analyser les certificats de décès (les listes mortuaires), de réduire l'ensemble des données à quelques tableaux dont on pourrait tirer une information utile. Cette démarche s'apparente aux méthodes actuelles de surveillance épidémiologique basée sur une population2. Cependant, au cours des 300 années qui ont suivi, la recherche en santé a plutôt reposé sur des études réalisées à partir d'échantillons : études transversales, études de cohortes, études cas-témoins et essais cliniques3-6.

Depuis quelques décennies, les limites des enquêtes épidémiologiques fondées sur des échantillons sont devenues de plus en plus évidentes7. On reconnaît de plus en plus l'importance de systèmes de surveillance basés sur une population utilisés pour mesurer l'état de santé d'une population8, pour détecter rapidement les nouveaux risques pour la santé et pour élaborer des programmes9. L'analyse systématique et immédiate des tendances en matière de santé a pris une importance grandissante dans l'élaboration de programmes et de politiques reposant sur des preuves scientifiques10,11. Parallèlement, les données biophysiques et socio-économiques sont devenues indispensables pour comprendre les rapports entre la santé humaine, les facteurs de risque et les interventions12.

Il semble que la surveillance épidémiologique reviendra à son point de départ au 21e siècle et qu'elle redeviendra au coeur de la recherche en santé. (Selon certains, la surveillance épidémiologique ne serait pas de la recherche à proprement parler, et il faudrait plutôt parler de «surveillance de la santé publique»13. Mais à mon avis, la recherche en santé au 21e siècle pourra tirer parti de bases de données de surveillance à jour et bien validées.)

Cet article présente un point de vue concernant les paramètres d'un système de surveillance systématique, permanente et basée sur une population pour le 21e siècle. Il se veut un stimulant à la discussion sur un sujet très important.


Problèmes inhérents aux études fondées sur des échantillons

Dans une démarche reposant sur des échantillons, les chercheurs réalisent des études «sur mesure» et la plupart du temps localisées afin d'étudier certaines associations. Ces études sont toutefois sujettes aux biais, dont ceux que Sackett14 appelle biais des résultats positifs, biais dû à un sujet à la mode, biais dû au mauvais choix de la taille de l'échantillon, biais dû aux attentes et biais dû à la recherche acharnée d'une association (data dredging bias), entre autres15,16. (Les études basées sur une population sont également sujettes à ces biais, mais à un degré moindre.)

Considérons un cas où l'exposition et la maladie ne sont pas associées. À cause de problèmes dans la méthodologie, la collecte ou l'analyse des données, ou simplement par l'effet du hasard, une étude fondée sur un échantillon pourrait indiquer, mais à tort, l'existence d'une association. Une fois publiée, cette étude ayant produit des résultats faussement positifs peut créer un biais dû à un sujet à la mode : autrement dit, les chercheurs s'intéresseront davantage à ce sujet.

Dans ce cas, supposons que 100 études sont réalisées. Si le taux d'erreur de type I (seuil de signification) de ces études est de 0,05 (valeur classique), on observera alors des résultats faussement positifs, en moyenne, dans 5 de ces études. En outre, puisque des résultats positifs sont plus susceptibles d'être présentés pour publication dans des revues scientifiques (biais des résultats positifs) et acceptés par les comités de rédaction (biais des rédacteurs), le sujet prendra encore plus d'ampleur (biais dû à un sujet à la mode), et un autre cycle d'études à résultats faussement positifs s'enclenchera. (Dans le cas d'un sujet à la mode, il est peu vraisemblable qu'aucune des 95 études ayant donné lieu à des résultats justement négatifs ne soit publiée, et les lettres à la rédaction ne tarderont pas à suivre. Par conséquent, bien que le biais dû à un sujet à la mode puisse se corriger de lui-même dans une certaine mesure, la tendance à ce type de biais demeure néanmoins.)

Voilà comment un chercheur peut presque toujours réussir à «prouver» quelque chose à partir de rien. Les résultats d'une telle démarche non systématique et non basée sur une population orienteraient vraisemblablement les efforts vers certains domaines étroits, négligeant du coup d'autres sujets importants et réels. Bien que les études fondées sur des échantillons aient permis d'accumuler une somme considérable de connaissances, nous devons reconnaître leurs limites, attribuables à des cycles de travaux ayant donné lieu à des résultats faussement positifs.


Surveillance basée sur une population

Les premiers travaux de surveillance de la santé basés sur une population englobaient les enquêtes sur des grappes de cas et les études de corrélation écologique. Dans les premières, l'observation de grappes inhabituelles de cas atteints d'une maladie rare dans des sous-groupes de la population exposés à un même facteur de risque peut permettre de cerner un risque. Par ailleurs, avec les études de corrélation écologique, les chercheurs tentent d'établir un lien entre l'exposition à un facteur donné et la survenue de la maladie en comparant les taux d'incidence ou de prévalence d'une maladie dans des populations à différents endroits géographiques, exposées à divers degrés17.

L'étude de corrélation menée par Murata et ses collaborateurs est un exemple de ce type d'étude qui se rapproche beaucoup d'un système de surveillance18. Ces chercheurs ont étudié la corrélation entre les taux de mortalité et d'incidence de cancers du poumon, du côlon et du rectum, et 63 variables environnementales (dont la densité démographique, le nombre de ménages vivant de l'aide sociale, le nombre d'hôpitaux, les recettes fiscales de la vente de tabac, le taux de dioxyde de soufre, les précipitations, la densité de la circulation et la consommation de viande) dans 583 districts géographiques du Japon, de 1975 à 1979. Cependant, à l'instar des autres études du genre, cette étude n'a pas servi de système de surveillance pour les raisons suivantes : elle n'a pas été menée sur une longue période, ses résultats n'ont pas servi à l'élaboration de stratégies d'intervention et l'information n'a pas été diffusée d'une manière systématique. En outre, les études de grappes et les études de corrélation écologique faites jusqu'à ce jour sont sujettes aux sophismes écologiques, entre autres16.

Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) des États-Unis ont défini la surveillance épidémiologique ainsi : d'une manière systématique et permanente, collecte, analyse et interprétation des données en matière de santé qui sont essentielles à la planification, à l'application et à l'évaluation de programmes de santé publique, étroitement liées à la diffusion rapide de ces données aux principaux intéressés19. Récemment, Monson soulignait que les chercheurs du 21e siècle devaient non pas mener des études à court terme pour éprouver une hypothèse, mais élaborer des dispositifs permettant de recueillir des données sur l'exposition et les maladies, qui seraient désormais intégrés à l'organisation de la communauté, du lieu de travail et des soins de santé20. L'importance d'un système de surveillance basée sur une population qui soit global et systématique et qui porte à long terme a été soulignée à maintes reprises.

Dans des traités récents, Halperin et Baker2 et Teutsch et Churchill13 résument les principes fondamentaux de la surveillance en santé publique. Cependant, la forme, le contenu et les principes de fonctionnement d'un système global de surveillance épidémiologique adapté au 21e siècle n'ont pas encore été décrits dans une publication.


Aperçu de la surveillance épidémiologique globale au 21e siècle

Dans une démarche exhaustive et systématique de surveillance, toutes les associations de même force devraient avoir la même probabilité d'être détectées. Les chercheurs et les responsables de la santé publique du 21e siècle devraient, par conséquent, s'employer non pas à mener des recherches de courte durée sur des échantillons et reposant sur des hypothèses, mais à recueillir en continu des données sur l'ensemble d'une population. Il faudrait que des données utiles et importantes sur les indicateurs de santé, de risques et d'interventions soient recueillies en permanence, d'une manière systématique et exacte. (Bon nombre des bases de données actuelles basées sur une population sont mises à jour régulièrement, mais elles ne sont ni systématiques ni exactes.) L'analyse systématique de ces bases de données pourrait permettre aux chercheurs de surveiller les tendances en matière de santé, de risques et d'interventions dans la communauté, de cerner les risques émergents pour la santé (détection précoce), ainsi que d'élaborer et d'évaluer des programmes de prévention et de contrôle des maladies reposant sur des données probantes (élaboration de programmes).

Pour concevoir un système global de détection précoce et d'élaboration de programmes fondé sur la surveillance, il faut répondre aux trois questions suivantes.


1. Quels indicateurs doit-on inclure dans le système de surveillance?

Le Groupe de travail national sur l'information en matière de santé a défini en 1991 un cadre conceptuel relatif à l'information en matière de santé, le Modèle structurel21 (figure 1). Le Modèle présente l'information selon trois grands domaines : les caractéristiques individuelles, le milieu extérieur et les interventions agissant sur la santé - qui sont subdivisés en plusieurs catégories. Il vise à intégrer dans une structure les sous-ensembles de données quantitatives et à permettre l'élaboration de prévisions et la modélisation de politiques. Il pourrait alors servir de modèle pour la sélection des indicateurs compris dans un système de surveillance global.


FIGURE 1

Un modèle structurel pour
l'information sur la santé

FIGURE 1
Source: Adapté à partir de la référence no 21


   

Le Modèle structurel pour l'information sur la santé est cependant trop ambitieux. Dans sa version actuelle, il compte 44 catégories de caractéristiques individuelles, 93 pour le milieu extérieur et 59 pour les interventions agissant sur la santé, soit 196 catégories en tout. La plupart d'entre elles sont décrites en termes généraux (p. ex., «air» ou «soutien social») et ne sont pas définies précisément dans ce contexte. Ainsi, le Modèle structurel comporterait un trop grand nombre de variables pour qu'on puisse l'utiliser dans la pratique.

Le nombre d'indicateurs doit être ramené à des proportions utilisables dans le cadre d'un système de surveillance global. On peut sélectionner les indicateurs selon plusieurs techniques, y compris la recherche dans les publications, les enquêtes Delphi auprès de spécialistes22-24 et les ateliers de consensus entre spécialistes22. Ces méthodes permettront de définir des critères de sélection a priori.


2. Où trouver ces données?

Il existe de multiples sources de données au Canada. Par exemple, les bases de données nationales portant sur l'ensemble de la population, comme celles qui portent sur l'incidence du cancer et la mortalité due à cette maladie, sur les anomalies congénitales, sur les statistiques hospitalières et sur les Enquêtes nationales sur la santé de la population. Il y a également les bases de données provinciales qui visent l'ensemble de la population, notamment la British Columbia Health Surveillance (santé), la Manitoba Infant Deafness Surveillance (surdité chez le nourrisson), la Newfoundland Disability Surveillance (invalidité) et la Prince Edward Island Diabetes Surveillance (diabète). On compte aussi des bases de données déclarées sur une base volontaire à l'échelle du pays, comme celles sur la fibrose kystique, l'hémophilie, la sclérose en plaques et la dystrophie musculaire.

Aux États-Unis, il existe également de nombreuses bases de données. Outre le Emerging Infections Program (programme sur les infections émergentes) financé par les CDC et appliqué dans sept États, la plupart des autres États disposent de systèmes de surveillance basés sur une population. Par exemple, le Behavioral Risk Factor Surveillance System (facteurs de risques comportementaux), instauré en 1984, englobe maintenant 54 États et territoires américains. Les données recueillies pendant douze ans (de 1984 à 1995) sont désormais accessibles sur disque compact ROM.

Le couplage des enregistrements de différentes bases de données peut servir à créer de nouvelles bases plus utiles. De plus, il faudra mettre au point de nouveaux systèmes pour recueillir les données qui ne sont pas encore captées systématiquement. À l'heure actuelle, de nombreux systèmes conçus pour la surveillance ne sont pas utilisés à cette fin au Canada et aux États-Unis. Deux des plus anciens, portant sur les déclarations de naissances et de décès, ne sont pas utilisés d'une manière optimale pour la surveillance, entre autres à cause de la mauvaise qualité des données et de l'absence de couplages avec d'autres données utiles. Si les données tirées des certificats de décès et des statistiques hospitalières (problèmes de santé) étaient couplées à d'autres données relatives aux facteurs de risques comportementaux (facteurs de risques) et aux programmes et services (stratégies d'intervention), nous obtiendrions un système de surveillance global qui nous permettrait de mieux utiliser nos ressources de santé publique.

Il faut savoir que bon nombre des bases de données existantes ont été créées à des fins administratives (et non épidémiologiques), qu'elles n'ont pas été validées et qu'elles pourraient contenir une quantité considérable d'information superflue aux fins de la surveillance épidémiologique. Il faut donc évaluer et valider ces sources de données et ne les utiliser que pour certains indicateurs. Les données relatives aux mêmes indicateurs et provenant de diverses sources pourraient être comparées entre elles, et ainsi validées. En utilisant la portion utile de chacune de ces bases de données, on peut constituer une vaste base de données centrale pour le système de surveillance global. On peut aussi laisser les diverses bases de données séparées et y accéder facilement par les moyens de télécommunication.


3. À quoi ressemblera la surveillance épidémiologique à long terme au 21e siècle?

On ne sait pas encore à quoi ressemblera exactement, dans sa forme et son contenu, le système de surveillance épidémiologique global à long terme du 21e siècle. On s'attend toutefois à ce que les données soient recueillies sur trois catégories d'indicateurs : la santé, les risques et les interventions. Des indicateurs sont proposés pour chacune des catégories, au tableau 1.


TABLEAU 1

Indicateurs proposés pour un système de
surveillance global épidémiologique

Indicateurs de l'état de santé Indicateurs de risques Indicateurs d'interventions
Incidence des maladies

Prévalence des maladies

Espérance de vie

Mortalité

Années-personnes de vie perdues

Qualité de vie

Changements comportementaux

Changements biochimiques
Usage du tabac (p. ex., prévalence de l'usage du tabac et nombre de cigarettes fumées)

Critères démographiques (p. ex., densité de population)

Services médicaux (p. ex., nombre de lits d'hôpital par unité de population)

Facteurs socio-économiques (p. ex., taux de chômage)

Pollution de l'air (p. ex., dioxyde de soufre)

Facteurs climatologiques (p. ex., température, précipitations)

Consommation d'aliments (p. ex., dépenses alimentaires par ménage)

Consommation de drogues (p. ex., alcool, médicaments)

Facteurs professionnels

Exercice physique

Programmes de promotion de la santé

Programmes de prévention et de lutte contre la maladie

Lacunes dans la planification des programmes


   

Les listes des indicateurs visent à lancer le débat. Par exemple, les changements comportementaux font partie d'une liste, mais le tabagisme et l'exercice physique font partie d'une autre. La saine alimentation ne figure sur aucune liste. En fait, la sélection des indicateurs doit être systématique et elle doit reposer sur des données scientifiques (voir la prochaine section intitulée «Étapes initiales»).

Les facteurs de risque peuvent provoquer directement des changements dans les tendances en matière de santé, et les interventions peuvent, directement ou indirectement (par leurs effets sur l'exposition aux risques), entraîner des changements dans l'état de santé. Par conséquent, la surveillance des changements survenus dans les indicateurs de risques et les indicateurs d'interventions peut permettre de prévoir des changements dans l'état de santé et de déceler des problèmes de santé émergents (détection précoce). Si les programmes d'intervention sont efficaces, ils devraient entraîner des changements tant dans l'exposition aux risques que dans l'état de santé (élaboration et évaluation des programmes) [figure 2].


FIGURE 2

Effets directs et indirects des indicateurs de risques et d'interventions
sur les indicateurs de l'état de santé, pour emploi dans
le cadre d'un système de surveillance global

FIGURE 2


   

Étapes initiales

Les premières étapes de l'établissement d'un système de surveillance global à long terme pourraient inclure les activités suivantes :

1. Mener une série de discussions en table ronde pour identifier les intervenants et définir les objectifs et les priorités du système.

2. Effectuer une revue exhaustive des publications pour définir des indicateurs valides et fiables du milieu biophysique et socio-économique et des problèmes de santé; effectuer une méta-analyse25,26 pour établir un ordre de priorité des variables de risques, à la lumière des risques relatifs et des risques attribuables.

3. Mener une série d'enquêtes Delphi22 (une première enquête pour définir des indicateurs, et des enquêtes subséquentes pour en établir l'ordre de priorité) auprès d'équipes interdisciplinaires de spécialistes, afin de déterminer les ensembles d'indicateurs que les spécialistes privilégient pour chacun des domaines : santé, risques et interventions.

4. Réaliser une série d'ateliers de consensus entre spécialistes22, qui définiront plus précisément les ensembles d'indicateurs et élaboreront les règles fondamentales et les définitions de travail pour le système de détection précoce et le cadre d'élaboration de programmes, selon les problèmes de santé sélectionnés.

5. Confirmer l'existence de bases de données à l'égard de ces indicateurs, les modalités d'accès à ces bases et la manière dont toutes ces bases peuvent être intégrées au système de surveillance global.

6. Évaluer la qualité des bases de données et mettre au point des méthodes permettant de l'améliorer.

7. Repérer les lacunes dans les données accessibles et élaborer des méthodes permettant de recueillir des données supplémentaires pour le système de surveillance.

8. Reprendre les étapes 2 à 4 pour définir, classer par ordre de priorité et préciser l'ensemble des statistiques qu'il faudra générer à partir du système de surveillance27.

9. Reprendre les étapes 2 à 4 pour définir, classer par ordre de priorité et raffiner les méthodes permettant d'utiliser les données de surveillance pour les appliquer en santé publique (élaboration et évaluation de stratégies de prévention et de contrôle).

10. Reprendre les étapes 2 à 4 pour définir, classer par ordre de priorité et raffiner les méthodes permettant de diffuser l'information le plus rapidement possible.


Perfectionnement de la méthode de surveillance

Il faut élaborer une méthode de surveillance tout en élaborant un système de surveillance global, au 21e siècle. Les défis d'ordre méthodologique touchent notamment les domaines suivants : collecte de données, analyse et interprétation des données, application en santé publique, diffusion de l'information et technologie informatique (tableau 2).

TABLEAU 2

Exemples des nouvelles méthodes nécessaires
à l'établissement d'un système de surveillance
global au 21e siècle

1. Collecte des données
Procédé systématique pour la sélection des indicateurs28

Méthode de conversion des résultats de différentes enquêtes sur la santé comportant des indicateurs variés en un ensemble uniformisé et compatible

Méthode permettant d'accroître les taux de réponse aux enquêtes, par sous-groupe de la population29

Méthode permettant de recueillir des indicateurs indirects (p. ex., utilisation des noms de famille pour identifier l'origine ethnique30)

Intégration des résultats d'analyses de laboratoire à la surveillance systématique de la santé de la population31,32

Élaboration d'un système électronique et automatique de déclaration des maladies par les laboratoires


2. Analyse des données

Application de la méthode de capture et recapture33 au retraçage des données systématiques manquantes

Conditions dans lesquelles les techniques standardisées pour l'âge peuvent être utilisées pour étudier les tendances temporelles et spatiales (comparaisons géographiques)

Élaboration de modèles d'analyse économique34

Méthodes d'analyse à plusieurs niveaux


3. Interprétation des données

Critères d'évaluation des données recueillies au cours d'études épidémiologiques en vue de l'élaboration de politiques fondées sur des données scientifiques26


4. Interventions en santé publique

Méthodes permettant d'utiliser les données de surveillance pour élaborer et évaluer les programmes et les politiques35

Méthodes visant à accroître les retombées des activités de surveillance pour la société

5. Diffusion de l'information
Méthodes permettant d'avertir les professionnels de la santé et l'ensemble de la population de nouveaux risques pour la santé (p. ex., évaluation des risques)36

Méthodes innovatrices de diffusion de l'information

Méthodes permettant de faire la synthèse de nos connaissances actuelles en matière d'évaluation et de gestion des risques de manière que la population sache quels risques éviter (p. ex., publication d'un guide sur les risques pour la santé) et quelles activités pratiquer (p. ex., publication d'un guide des saines habitudes de vie) pour améliorer sa santé

Diffusion continue et immédiate de l'information recueillie

Enquête effectuée auprès de l'ensemble de la population pour connaître les canaux d'information d'utilisation courante qui s'avèrent les plus efficaces

Élaboration d'indicateurs sommaires pour la santé, les risques et les interventions (p. ex., au Canada, l'indice de l'état de santé des citoyens, l'indice de santé cardiaque, l'indice alimentaire) analogues à l'indice des prix à la consommation ou aux indices boursiers

Définition de 365 indicateurs de santé, de risques et d'interventions à diffuser à la population après le téléjournal en fin de soirée, à raison d'un indicateur par jour

Mise au point d'un logiciel permettant de calculer les risques de certaines maladies ou l'état de santé général à partir des données relatives au mode de vie, aux facteurs démographiques, à l'alimentation et à la consommation de tabac de chaque personne (p. ex., comme expérience touche-à-tout offerte aux visiteurs dans les musées de sciences)


6. Technologie informatique


Techniques automatisées de recherche et de couplage permettant de récupérer de l'information à partir de nombreuses sources de données

Analyse automatisée des données pouvant donner des signaux d'alerte précoce à partir de tendances observées dans l'information relative à la santé et aux facteurs de risques

   

Discussion

L'établissement d'un système de surveillance global, systématique, permanent et visant l'ensemble d'une population pour la détection précoce des risques ou des problèmes et pour l'élaboration de programmes, assorti d'indicateurs de la qualité de santé, des facteurs de risques et des stratégies d'intervention serait très souhaitable. Il permettrait de mener les travaux de recherche et de définir les priorités pour le 21e siècle. Ce système pourrait être très utile pour l'analyse des tendances, l'évaluation des risques et la détection précoce des changements dans l'état de santé des humains; il permettrait aussi de définir des hypothèses pour la recherche en épidémiologie, fournirait des données concrètes pour l'élaboration de programmes et faciliterait l'évaluation des stratégies de prévention et de contrôle.

On espère qu'un système de surveillance global pourra servir à émettre des mises en garde précoces à la population au sujet des problèmes de santé émergents. Les nouveaux problèmes de santé peuvent être prévus à partir des tendances actuelles en matière de santé et des changements observés dans la prévalence des facteurs de risques : on peut y parer par des stratégies de prévention et de contrôle. Par exemple, si la prévalence du tabagisme augmente, on peut s'attendre à observer davantage de maladies reliées à l'usage du tabac. Ainsi, la modélisation des maladies peut s'avérer très utile.

Un autre des avantages d'un système de surveillance global est de permettre l'élaboration et l'évaluation de stratégies d'intervention. Si les stratégies d'intervention sont efficaces, elles devraient réduire la prévalence de problèmes de santé subséquents et des facteurs de risques. Par exemple, si un programme visant la réduction de l'usage du tabac (intervention) atteint ses objectifs, il sera accompagné d'une réduction de la prévalence du tabagisme (risque) et des maladies qui y sont liées (santé).

Un système de surveillance global doit reposer surtout sur la collecte systématique de données déjà existante, et ne devrait pas être créé à partir de zéro. Autrement dit, la planification, la définition des priorités et la coordination peuvent mener à une meilleure exploitation des ressources existantes.

En couplant les enregistrements de différentes bases de données existantes sur la santé, les risques et les interventions, on devrait permettre la réalisation du plein potentiel (détection précoce et élaboration de programmes) d'un système de surveillance global. Bon nombre des systèmes de surveillance actuels recueillent des données uniquement sur les problèmes de santé, les facteurs de risques ou les interventions, ce qui en limite la portée et l'utilisation.

Un système de surveillance global efficace ne recueillera pas des millions d'éléments d'information. Une démarche systématique et fondée sur des données scientifiques restreindra l'information à recueillir à une liste d'indicateurs. Par exemple, selon cette démarche, il n'est pas nécessaire de mesurer la concentration de tous les gaz dans l'air pour évaluer la qualité de l'air; seules les concentrations d'un ou de deux gaz indicateurs, comme le gaz carbonique ou le dioxyde de soufre, pourraient suffire.

Cet exercice de restriction et de sélection des indicateurs doit être systématique et reposer sur des données scientifiques, plutôt que sur des hypothèses. Les étapes initiales décrites ci-dessus font partie d'une telle démarche systématique. Bon nombre des systèmes actuels de surveillance recueillent des données selon les recommandations des responsables ou des clients qui disposent des moyens pour les «acheter». Ces deux démarches non systématiques peuvent fausser les données du système.

Il faut souligner le caractère permanent d'un système de surveillance global, puisque c'est ce qui permet de détecter les tendances. Il faut également élaborer des règles fondamentales et des définitions de travail qui valent pour toute la durée de la collecte. Par exemple, la définition de fumeur ne doit pas varier d'une année à l'autre. Une règle fondamentale à ce titre serait que, si de nouvelles connaissances imposent une nouvelle définition, l'ancienne version soit conservée en parallèle pendant un certain nombre d'années pour assurer une transition graduelle.

Un système de surveillance du 21e siècle doit être basé sur une population ou des échantillons représentatifs de celle-ci. Ainsi, la collecte de données à grande échelle contribuera à prévenir les cycles d'études basées sur des échantillons ayant produit des résultats faussement positifs, comme on l'a vu plus haut.

Un système global doit évoluer et s'améliorer avec le temps, spécialement en ce qui a trait à l'exactitude des données. Par exemple, le couplage d'enregistrements et les méthodes de capture et recapture peuvent servir à rehausser la qualité des données et à évaluer l'ampleur des lacunes en matière d'information. D'autres questions de méthodologie sont également abordées dans le présent article, pour discussion.

Cet article vise à soulever des questions et à stimuler le débat sur le sujet important qu'est la surveillance épidémiologique au 21e siècle. Par exemple, faut-il consacrer davantage d'efforts à la surveillance de l'ensemble d'une population? La surveillance globale peut-elle nous informer sur l'étiologie des maladies autant que les études basées sur des échantillons? Pour trouver une solution aux multiples problèmes qui se posent, il faut recueillir une quantité considérable de données. La surveillance basée sur une population peut-elle recueillir efficacement de l'information détaillée?

Un retour aux études de populations entières éliminerait évidemment les erreurs aléatoires et certains types de biais de sélection (et peut-être même la discipline qu'on appelle «statistique»), mais éliminerait-il les biais liés aux facteurs de confusion ou les biais d'information? Les études de corrélation écologique devraient-elles servir de modèles préliminaires pour un système de surveillance futur? Toutes les associations de même force auront-elles la même probabilité d'être détectées? Puisque le nombre de personnes exposées et affectées est appelé à changer, la force de détection des associations variera elle aussi. Par ailleurs, les tests de signification statistique pourraient devenir superflus, car l'étude portera sur la totalité de la population.

Comment réagirons-nous face à la multitude d'associations ténues qui seront révélées par un système de surveillance basé sur une population? Comment ces données de surveillance à grande échelle seront-elles utilisées? Et que penser des problèmes d'ordre éthique ou juridique associés au respect de la vie privée des individus? Enfin, qui devra financer le fonctionnement d'un tel système de surveillance global?

Les bases de données actuelles sont peut-être inexactes, incertaines et incapables de fournir des données satisfaisantes à un système de surveillance global. Les scientifiques doivent entreprendre la toute première étape dès maintenant pour que nous disposions d'un système de surveillance global raisonnablement utile à l'aube du 21e siècle.


Remerciements

Cet article s'inspire d'une communication sollicitée, présentée à la Conférence scientifique internationale d'épidémiologie qui s'est tenue à Tianjin, en Chine, le 16 septembre 1997.


Références

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Références de l'auteur
Bernard C. K. Choi, épidémiologiste principal, Bureau des maladies cardio-respiratoires et du diabète, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, pré Tunney, IA : 1918C3, Ottawa (Ontario)  K1A 0K9; Télécopieur :(613) 954-8286; Courriel : Bernard_Choi@hc-sc.gc.ca; et professeur associé, University of Toronto; et professeur adjoint, Université d'Ottawa


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Dernière mise à jour : 2002-10-02 début