Qualitative Research Methods: A Health Focus
par Pranee Liamputtong Rice et Douglas Ezzy
South Melbourne (Australie) : Oxford University Press, 1999;
x + 295 pages; ISBN 0-19-550610-3; 37,95 $ (couverture souple)
Cet ouvrage conçu à l’intention d’étudiants du
premier cycle renferme une introduction à différentes
méthodes de recherche qualitatives et à leurs fondements
théoriques, dans le contexte de la recherche en santé.
Il paraît à un moment fort opportun, étant donné
la hausse de popularité asymptotique des méthodes de recherche
qualitatives. En fait, cette tendance est particulièrement évidente
dans le domaine de la santé, où des chercheurs comme les
auteurs australiens de cet ouvrage font de nombreuses contributions
empiriques fort utiles à l’aide de méthodes qualitatives
et offrent d’excellentes analyses de la méthodologie qualitative.
L’ouvrage de Rice et Ezzy s’ouvre par un chapitre intitulé
Théorie de la recherche qualitative : traditions et innovations
[traduction]. On y trouve une vue d’ensemble fort instructive des perspectives
théoriques dont s’inspirent les différentes méthodes
de recherche, notamment le positivisme logique, l’ethnographie, la phénoménologie,
l’interactionnisme symbolique, le féminisme, le post-modernisme
et l’herméneutique. Ces renseignements généraux
sont extrêmement utiles car ils aident le lecteur à comprendre
les raisons d’utiliser les différentes méthodes qualitatives
présentées dans l’ouvrage et ce que ces méthodes
peuvent apporter aussi bien au chercheur qu’aux participants des études.
Le deuxième chapitre, Rigueur, éthique
et échantillonnage [traduction], présente un survol
théorique des divers critères utilisés pour évaluer
la qualité (c’est-à-dire la validité et la fiabilité)
de recherches qualitatives, critères qui varient selon les différentes
perspectives théoriques décrites dans le premier chapitre.
Ces critères vont du coefficient d’objectivité à
la position relativiste et réflexive du post-modernisme, en passant
par les pistes de vérification, la présence de citations
directes et la triangulation. Les auteurs abordent la rigueur de la
recherche en même temps que l’éthique, ce qui mérite
d’être salué, puisque toute recherche doit à tout
le moins être rigoureusement éthique. Vers la fin de ce
chapitre, ils présentent un bref survol de diverses questions
liées à l’échantillonnage (taille de l’échantillon,
généralisabilité, etc.) et consacrent un paragraphe
à chacune de douze stratégies d’échantillonnage
(tels cas déviant, variation maximale, cas typique et échantillonnage
par critère). Deux pages de ce chapitre traitent de l’échantillonnage
théorique.
Ensuite, Rice et Ezzy consacrent un chapitre (d’une vingtaine
de pages) à chacune de sept méthodes de recherche qualitatives,
dont les méthodes classiques (interviews en profondeur, groupes
de discussion, méthodes discrètes et ethnographie), quelques
approches plus complexes (analyse narrative et cycle de vie, recherche
participative) et une méthode relativement nouvelle, le travail
de mémoire. Dans chaque cas, ils situent la méthode dans
les différentes perspectives théoriques décrites
dans le premier chapitre, en définissent les termes de base et
en décrivent les principales étapes et démarches.
De plus, ils donnent des exemples courts mais clairs illustrant l’application
de chaque méthode dans des études sur différents
sujets relevant de la santé (p. ex., le sida, la santé
mentale, la santé publique, la santé des enfants et la
santé des femmes). Enfin, ils présentent une liste concise
mais utile des avantages et des limites de chaque méthode, quelques
lectures conseillées et un exercice dirigé permettant
au lecteur de mettre en application ce qu’il vient d’apprendre.
Les sept chapitres portant sur les méthodes qualitatives
sont suivis d’un chapitre sur l’analyse de données qualitatives.
Parmi les méthodes d’analyse présentées figurent
l’analyse du contenu, la théorie à base empirique (grounded
theory) et certaines approches sémiotiques et post-structuralistes.
Différentes techniques de codage et l’analyse informatisée
des données sont aussi abordées. Dans cette partie, les
auteurs clarifient avec raison la différence entre l’analyse
déductive et inductive du contenu. Malheureusement, ils brouillent
par ailleurs la distinction entre l’analyse thématique et la
théorie à base empirique, affirmant que la principale
différence entre ces deux approches tient au fait que, contrairement
à l’analyse thématique, la théorie à base
empirique comporte un échantillonnage théorique (page
193). Parce qu’elle fait une large place à l’élaboration
de théories, la théorie à base empirique diffère
sensiblement de l’analyse thématique. Comme l’expliquent Strauss
et Corbin1, «si la construction de théories
est effectivement le but d’un projet de recherche, les conclusions doivent
alors être présentées comme un ensemble de notions
interreliées, et non comme une simple énumération
de thèmes» [traduction].
Les deux derniers chapitres, fort instructifs, traitent
de la rédaction d’un projet de recherche qualitative et
d’un rapport de recherche qualitative. Tous les principaux éléments
d’une proposition de projet de recherche y sont clairement expliqués,
exemples à l’appui : importance de l’étude, information
générale pertinente et raison d’être de l’étude,
méthodologie, diffusion des conclusions, échéancier
et justification du budget demandé. Dans la même veine,
les principaux facteurs dont il faut tenir compte au moment de rédiger
un rapport d’étude qualitative sont décrits de façon
structurée, notamment l’auditoire auquel le rapport ou l’article
s’adresse et les règles de présentation du manuscrit (selon
qu’il s’agit d’un rapport d’étude, d’un article destiné
à paraître dans une revue ou d’un livre). Les modalités
de la proposition d’articles à des revues scientifiques, souvent
absentes dans des ouvrages de ce genre, sont décrites. Autre
gage du caractère pratique de ce livre, on y trouve la liste
des critères d’évaluation des comptes rendus d’études
qualitatives, qui peut servir d’aide-mémoire utile pour tous.
Dans l’ensemble, Rice et Ezzy ont su expliquer avec brio
l’éventail des méthodes qualitatives et leurs fondements
théoriques respectifs. Qui plus est, vu l’accessibilité
de cet ouvrage, il est probable que les auteurs réussissent,
comme ils le souhaitent, à stimuler l’intérêt des
étudiants pour la réalisation de recherches qualitatives
en santé.
Cependant, le dicton «Qui trop embrasse, mal étreint»
s’applique en l’occurrence, car si les auteurs ont réussi à
donner une portée très large à cet ouvrage, cela
s’est fait aux dépens de la profondeur. Par conséquent,
ce livre n’apprendra vraisemblablement pas grand-chose aux personnes
qui ont déjà une bonne connaissance des méthodes
de recherche qualitatives. Cependant, il n’en demeure pas moins une
lecture utile pour les auteurs de recherches quantitatives en santé
qui souhaitent mieux comprendre les méthodes sur lesquelles reposent
les études qualitatives. Cela est d’autant plus vrai que, contrairement
à certains chercheurs dont la préférence pour les
méthodes qualitatives découle d’une réaction de
rejet à l’égard de la nature décontextualisée
et théorique des méthodes de recherche déductives,
Rice et Ezzy ne prétendent pas que les méthodes de recherche
qualitatives devraient être appliquées à tous les
programmes et études du domaine de la santé (page 251).
Bien au contraire, ils reconnaissent que les méthodes de recherche
qualitatives peuvent être inadéquates dans beaucoup de
cas, par exemple quand il faut recueillir des données épidémiologiques,
quand des essais contrôlés randomisés peuvent fournir
des données très diverses ou quand il faut généraliser
les données à de grandes populations. Par ailleurs, il
existe aussi des cas où il faut combiner des méthodes
de recherche qualitatives et quantitatives pour répondre de façon
satisfaisante aux questions des chercheurs. Les méthodes de recherche
qualitatives s’avèrent précieuses lorsqu’il s’agit de
comprendre et d’interpréter le sens que les gens accordent à
la santé ou à la maladie. Quand c’est ce sens qu’il
importe de saisir, il faut recourir aux méthodes de recherche
qualitatives (pages 251–252).
Cote globale : |
Excellent |
Points forts : |
Vue d’ensemble complète et accessible
des méthodes de recherche qualitatives utilisées
dans le domaine de la santé
Exercices dirigés et glossaire extrêmement utiles
pour les enseignants et les étudiants |
Points faibles : |
Manque de profondeur |
Lecteurs : |
Étudiants du premier cycle et personnes
peu au fait des méthodes de recherche qualitatives |
Référence
1. Strauss A, Corbin C. Basics of qualitative research:
Techniques and procedures for developing grounded theory. Thousand
Oaks (Californie): Sage Publications, 1998:145.
Connie M. Kristiansen
Professeure agrégée
Department of Psychology
Carleton University
Ottawa (Ontario) K1S 5B6
Social
Epidemiology
Recueil d’articles publié
sous la direction de Lisa F. Berkman et d’Ichiro Kawachi
New York : Oxford University Press, 2000;
xxii + 391 pages; ISBN 0-19-508331-8; 104,00 $ (couverture rigide)
Depuis dix ans, l’épidémiologie connaît
une période fertile quoique remplie de défis. Le paradigme
classique de cette discipline repose sur la mesure des expositions et
des facteurs de risque chez les individus et sur l’évaluation
de la contribution de ces expositions au risque de survenue d’affections
particulières. Malgré la mise au point de techniques poussées
d’évaluation des expositions et les progrès des méthodes
d’analyse, les limites du paradigme classique pour ce qui est de fournir
des explications complètes de la fréquence de maladies
chez les individus et de la santé de populations ont fait l’objet
de bien des critiques au cours des dix dernières années.
Face à ces limites, les connaissances conceptuelles
et méthodologiques dans le domaine de l’épidémiologie
ont progressé sur deux fronts à priori distincts
: l’épidémiologie moléculaire et l’épidémiologie
sociale. L’épidémiologie moléculaire s’attache
à l’interaction des expositions individuelles et du patrimoine
biologique de l’individu au niveau cellulaire ou moléculaire;
elle intègre de plus en plus la mesure des variations génétiques
entre les individus dans les hypothèses sur l’étiologie
des maladies. Pour sa part, l’épidémiologie sociale s’intéresse
au milieu social dans lequel l’individu évolue, milieu qui conditionne
la nature des facteurs auxquels l’individu sera exposé et influence
la résistance de ses mécanismes de défense.
La collection d’articles publiés dans Social
Epidemiology (sous la direction de Lisa Berkman et d’Ichiro Kawachi
de la Harvard School of Public Health) figure parmi les plus
populaires des nombreux ouvrages récents qui offrent une synthèse
des cadres conceptuels et des données empiriques dans ce domaine.
L’ouvrage a quatre points forts.
Premièrement, les seize chapitres de ce volume
illustrent de façon éloquente la nature interdisciplinaire
de l’épidémiologie sociale. Bien que l’adhésion
aux méthodes empiriques de l’épidémiologie soit
le fil conducteur de l’ouvrage, les auteurs sont issus de disciplines
très diverses qui vont de la sociologie à la médecine,
en passant par la psychologie, les sciences politiques et la physiologie.
Comme le volume publié il y a quelques années par
des membres du Programme de santé de la population de l’Institut
canadien des recherches avancées, intitulé Why are
some people healthy and others not?1, ce recueil d’articles
montre à quel point il est impératif que l’épidémiologie
s’allie à d’autres disciplines des sciences humaines et des sciences
de la vie pour favoriser une meilleure compréhension de la santé
de la population.
Deuxième point fort : chaque chapitre fait une
large place aux travaux qui ont marqué l’histoire de l’épidémiologie
sociale. Cet historique est une contribution importante qui fait d’ailleurs
l’objet d’un chapitre rédigé par les directeurs de la
publication. S. Leonard Syme, qui a considérablement influencé
l’évolution de ce domaine (et qui a grandi dans le quartier nord
de Winnipeg) lui consacre sa préface.
Troisième point fort : bon nombre des auteurs des
articles de ce recueil sont des sommités mondiales de l’épidémiologie
sociale. Le chapitre que signent John Lynch et George Kaplan sur la
position socio-économique est une synthèse contemporaine
particulièrement brillante des questions conceptuelles et empiriques
qui éclairent les rapports entre la situation socio-économique
et la santé. Le chapitre de Sally Macintyre et d’Anne Ellaway,
ainsi que celui de Michael Marmot, illustrent avec éloquence
les répercussions conceptuelles de l’incorporation de mesures
du milieu physique et social dans des études sur les déterminants
de la maladie. Enfin, le chapitre signé par Eric Brunner présente
un excellent sommaire des données prouvant l’existence d’effets
directs du milieu social sur la régulation des fonctions homéostatiques
endocriniennes et immunitaires.
Le quatrième point fort de cet ouvrage réside
dans sa structure conceptuelle. Les différents chapitres décrivent
la conceptualisation et la mesure des principaux facteurs sociaux qui
influencent la santé (position socio-économique, répartition
des revenus, discrimination liée à la race, à l’origine
ethnique ou au sexe, réseaux sociaux et soutien social, capital
social et cohésion sociale, milieu de travail et transitions
de la vie) plutôt que des catégories de maladies. Cette
structure fait clairement ressortir l’influence généralisée
et persistante du milieu social sur l’état de santé et
le bien-être des populations humaines. Elle souligne aussi sans
équivoque l’importance des mesures et des politiques gouvernementales
qui déterminent la qualité et la forme des milieux sociaux
dans lesquels nous évoluons aux différentes étapes
de notre vie.
Référence
1. Evans RG, Barer ML, Marmor TR. Why are some people
healthy and others not? Determinants of health of populations. New
York, Aldine de Gruyter, 1994.
Cam Mustard
Professeur agrégé, Public Health Science
Faculty of Medicine, University of Toronto, et
Directeur scientifique
Institut de recherche sur le travail et la santé
250 Bloor Street East
Toronto (Ontario) M4W 1E6
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