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Politique monétaire

L'importance de la politique monétaire : Une perspective canadienne

L'importance d'une production stable au Canada

Tous les pays voient le taux de croissance de leur production globaleValeur totale des biens et des services produits par l'économie au cours d'une période donnée, habituellement un an. La mesure la plus courante de la production globale est le produit intérieur brut (PIB). fluctuer. Pour désigner ces fluctuations, on emploie souvent l'expression cycles économiques, bien qu'elles se produisent rarement en douceur et avec régularité, comme le laisse croire l'expression.

Nous avons vu pourquoi la Banque du Canada cherche à maintenir l'inflation à un niveau bas et stable. Ce que nous n'avons pas mentionné, c'est que cet objectif de la politique monétaire englobe un deuxième objectif connexe, celui de stabiliser le taux de croissance de la production11. Comment expliquer ce lien?

Le fonctionnement de la politique monétaire est décrit en détail dans la prochaine section, mais pour répondre à cette question nous en esquisserons les grandes lignes dès maintenant. Nous devons tout d'abord définir la notion de production potentielleNiveau de la capacité de production de l'économie. Il s'agit du niveau de production globale que l'économie peut soutenir sans créer de pressions à la hausse ou à la baisse sur l'inflation., soit la capacité de production de l'économie. Il s'agit du niveau de production globale que l'économie peut soutenir sans créer de pression à la hausse ou à la baisse sur l'inflation. L'écart entre la production réelle et la production potentielle, à savoir l'écart de productionDifférence entre la production globale (PIB) effective d'une économie et le niveau de production potentielle que celle-ci peut atteindre. L'écart est positif quand la production effective dépasse le potentiel de l'économie et négatif quand elle est inférieure à la production potentielle. Un écart de production positif équivaut à une demande excédentaire et un écart négatif, à une offre excédentaire., correspond au volume de la demande excédentaire, ou de l'offre excédentaire, dans l'économie; cet écart joue un rôle essentiel dans l'évolution de l'inflation.

Supposons que les meilleurs renseignements dont dispose la Banque du Canada indiquent que la production réelle dépassera probablement la production potentielle dans un avenir rapproché et que cette demande excédentaire entraînera une hausse de l'inflation. Dès l'apparition des pressions inflationnistes, la Banque cherchera à les atténuer en empêchant la production de dépasser sa capacité. En relevant sa cible pour le taux du financement à un jour, la Banque peut modérer la demande de crédit dans l'économie canadienne suffisamment pour réduire la dépense globale. Ce ralentissement amènera à son tour les entreprises à diminuer leur production (ou à en freiner la croissance). Le relèvement du taux cible par la Banque contribuera donc à ramener la production réelle au niveau de son potentiel et, par conséquent, à contenir les pressions inflationnistes.

À l'inverse, supposons que la Banque du Canada prévoit que, dans un avenir rapproché, la production réelle au pays tombera en deçà de son potentiel, entraînant une situation d'offre excédentaire dans laquelle l'inflation commence à fléchir. Si la Banque veut que l'inflation demeure relativement stable, sa politique cherchera à stimuler la production pour la ramener vers son potentiel, et elle y parviendra en abaissant le taux cible du financement à un jour. L'assouplissement des conditions de crédit qui en résultera poussera tôt ou tard la dépense globale à la hausse et incitera les entreprises à accroître leur production. À mesure que le niveau de la production réelle se rapprochera de celui de la production potentielle, les pressions à la baisse sur l'inflation s'atténueront.

Il ressort de la description qui précède qu'en essayant de maintenir l'inflation près de sa cible, la Banque du Canada réagit aux modifications sensibles de la conjoncture économique de manière à stabiliser le taux de croissance de la production globale. Lorsqu'elle prévoit que les chocs économiques feront grimper la production réelle au-delà de son potentiel, ou la feront tomber sous ce niveau, la banque centrale intervient pour contrecarrer ces chocs. Voilà qui explique pourquoi de nombreux économistes considèrent qu'une politique fondée sur des cibles d'inflation est une politique de stabilisation de la production.

3.1 La croissance de la production au Canada est-elle devenue plus stable?

Le Graphique 4 présente le profil d'évolution de la croissance de la production réelle (produit intérieur brut ou PIB) au Canada de 1981 à 2004. La Banque a adopté sa politique de cibles d'inflation en 1991, et si l'on postule que cette politique en est une de stabilisation, la croissance du PIB réel devra avoir été plus stable dans les années 1990 qu'au cours de la décennie précédente. C'est effectivement ce que montre ce graphique.

Dans les années 1980, le taux annuel de croissance de la production a fluctué généralement de -3 % à +6 %, dépassant les limites de cette bande à quelques reprises. Toutefois, depuis 1992, la croissance de la production est toujours demeurée à l'intérieur d'une bande plus étroite, allant de +1 % à +6 %. On constate donc que la croissance de la production s'est nettement stabilisée après l'adoption des cibles d'inflation12. Nous aborderons plus loin l'importante question de savoir si cette baisse de volatilité était attribuable à l'efficacité accrue de la politique monétaire, ou si elle tenait à d'autres facteurs.

On peut aussi observer la stabilité accrue de la production en étudiant le profil d'évolution de l'écart de production. Dans le Graphique 5, cet écart est exprimé en fraction de la production potentielle. Par exemple, vers la fin de 1982, lorsque l'économie canadienne était au creux d'une grave récession, la production réelle se situait à presque 6 % en deçà de son potentiel. À l'inverse, lorsque l'économie canadienne était florissante en 2000, la production réelle dépassait son potentiel d'environ 2 %. Le Graphique 5 démontre clairement que l'écart de production est moins volatil depuis dix ans qu'il ne l'a été au cours des dix premières années de l'échantillon. Au cours de la première décennie, il a varié de -6 % en 1982 à +2 % en 1989, tandis qu'au cours des dix dernières années, il a enregistré un creux de -3,5 % en 1992 et un sommet de +2 % en 2000. L'écart-type de production entre 1982 et 1991 était de 2,1; cette mesure de la volatilité de l'écart de production tombe à 1,5 pour la période allant de 1992 à 2004.

Deux questions reliées à la stabilité de la croissance de la production canadienne subsistent. Premièrement, pourquoi est-il souhaitable que la croissance de la production se stabilise? Deuxièmement, la stabilité accrue enregistrée au Canada après 1991 découle-t-elle de la politique monétaire de la Banque du Canada ou le pays a-t-il tout simplement eu la chance de vivre une décennie calme, pendant laquelle la banque centrale n'a pas eu à relever de multiples grands défis? Voyons ce qu'il en est.

3.2 Pourquoi la stabilité de la croissance de la production est-elle souhaitable?

Afin de comprendre pourquoi il est souhaitable pour un pays d'afficher une croissance relativement stable de sa production (ou que sa production effective se maintienne relativement près du niveau de croissance sans heurts de la capacité de production), il faut comprendre ce qui se passe au cours d'un cycle économique type. Nous nous penchons ici sur deux situations différentes, une où la production effective dépasse le potentiel de l'économie et l'autre où elle est inférieure à la production potentielle.

Examinons d'abord la situation où la production effective dépasse la capacité de production de l'économie. Dans ce cas, l'économie canadienne produit une quantité de biens et de services supérieure au niveau qu'elle peut soutenir, compte tenu du stock de capitaux productifs des entreprises et de la volonté de la main-d'oeuvre de travailler. La production effective ne peut excéder la capacité de l'économie que si les entreprises font tourner leurs usines et leurs machines au-delà du niveau soutenable et font travailler la main-d'oeuvre plus qu'à la normale — habituellement en ayant recours aux heures supplémentaires, mais souvent aussi en créant plus d'emplois à temps partiel. Le problème posé par ce contexte de demande excédentaire vient du fait que les entreprises fonctionnent tellement à plein régime que, par manque de temps, elles négligent la maintenance régulière de leurs usines et de leurs machines, et que les employés travaillent si intensément qu'ils ne peuvent avoir autant de loisirs qu'ils le souhaiteraient. Certes, il se peut que les bénéfices des entreprises et les revenus des travailleurs soient alors élevés, ce qui n'est pas négligeable, mais une telle situation est intenable : en effet, la demande excédentaire finira par gonfler les salaires et les prix d'autres intrants au point où des pressions inflationnistes généralisées commenceront à s'exercer. L'objectif de la Banque étant de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable, on gagne à éviter que la production effective dépasse la production potentielle.

Voyons maintenant la situation inverse, où la production effective est inférieure à la production potentielle. Dans ce cas-ci, l'économie produit une quantité de biens et de services inférieure au niveau soutenable. Cette situation se présente en règle générale quand les entreprises n'utilisent pas toutes les machines à leur disposition, ou qu'elles les utilisent moins intensivement. En situation de capacité excédentaire, les investissements des entreprises ne rapportent habituellement pas le rendement que celles-ci planifiaient ou attendaient, de sorte que leurs bénéfices seront moins élevés. De même, dans une économie qui produit en deçà de sa capacité, les entreprises font travailler moins de personnel qu'en temps normal, ce qui entraîne habituellement des mises à pied et des heures de travail réduites pour les employés qui restent en poste. L'offre excédentaire exerce des pressions à la baisse sur les salaires et les prix d'autres intrants (ou sur leur taux de croissance) et cette situation provoque tôt ou tard un recul de l'inflation. Compte tenu de l'objectif de la Banque du Canada de garder l'inflation à un niveau stable et dans les limites d'une fourchette cible, il faut également chercher à éviter cette situation.

La stabilité relative de la croissance de la production est donc souhaitable pour deux raisons. D'abord, lorsque la production effective suit de près le niveau de croissance de la capacité, les entreprises et la main-d'oeuvre évitent les situations où elles sont poussées à produire au-delà de leurs limites, et celles où elles sont inactives pendant de longues périodes. Ensuite, en l'absence de situations de demande ou d'offre excédentaire, les pressions à la hausse ou à la baisse sur l'inflation sont réduites au minimum. Il est plus facile de maintenir l'inflation à un niveau bas et stable si les écarts de production demeurent relativement faibles.

3.3 Efficacité de la politique monétaire ou question de chance?

Bien que le Graphique 5 montre clairement que les écarts de production ont été moins volatils dans les années qui ont suivi 1991, il n'est pas certain que cette atténuation de la volatilité soit attribuable à la politique monétaire de la Banque du Canada. Les Canadiens ont peut-être tout simplement eu de la chance depuis, et l'accroissement de la stabilité aurait peu, sinon rien, à voir avec les politiques de la Banque.

Parce que de nombreuses variables évoluent en même temps, il est très difficile en macroéconomie de déterminer les causes et les effets, en particulier sur des périodes relativement courtes. Dans le présent document, nous n'essayerons pas de présenter une analyse formelle des effets du régime de cibles d'inflation de la Banque du Canada sur la stabilité de la croissance de la production. Nous nous contenterons plutôt de rappeler au lecteur que l'économie canadienne a subi de nombreux chocs au cours des deux dernières décennies et qu'il n'y a aucune preuve que la dernière ait été moins mouvementée que la précédente13.

Les années 1980 à 1989 ont été marquées par de nombreux facteurs : les contrecoups du deuxième choc pétrolier provoqué par l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), la décision de s'attaquer aux niveaux d'inflation très élevés, la dépréciation de 20 % du dollar canadien par rapport au billet vert, la forte reprise économique du milieu de la décennie, l'effondrement des cours mondiaux du pétrole en 1986, la mise en oeuvre de l'accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis en 1989, l'enracinement progressif des déficits budgétaires et l'accumulation de la dette publique, ainsi que les premiers efforts de la Banque du Canada en vue d'une stabilité des prix. On ne saurait parler d'une décennie de tout repos.

Mais la décennie suivante n'a pas été en reste. La taxe sur les biens et les services (TPS) a vu le jour, une récession de longue durée s'est installée au début de la période et la crise du peso mexicain a rejailli sur le Canada, mettant en lumière les défis d'ordre budgétaire auxquels était confronté le gouvernement fédéral. Celui-ci a alors mis en place une série de mesures budgétaires pour comprimer les dépenses publiques, puis le référendum tenu au Québec a suscité de vives inquiétudes sur les marchés financiers, et la crise asiatique a contribué à une importante dépréciation du huard. Quelques années plus tard, les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont secoué les économies nord-américaines, d'importantes hausses des prix mondiaux du pétrole ont menacé de mettre un frein à la reprise de l'économie mondiale et une forte appréciation du dollar canadien a nécessité de pénibles ajustements dans l'économie du pays.

Lorsqu'on examine ce qui s'est produit ces douze dernières années, on peut difficilement conclure que le Canada a tout simplement eu la chance d'échapper aux multiples chocs majeurs qui avaient perturbé la décennie précédente. Au contraire, les chocs ont été nombreux également durant cette période, et l'économie canadienne a été propulsée dans toutes sortes de directions. À la lumière du passé récent, il semble raisonnable de conclure qu'au moins une part de la stabilité accrue que connaît la croissance de la production est attribuable à la manière dont la Banque du Canada mène sa politique monétaire.

Certains travaux récents parviennent aux mêmes conclusions, mais avec plus de précision (Cecchetti, Flores-Lagunes et Krause, 2004). Ces auteurs démêlent les effets combinés — soit la stabilité de la production et celle de l'inflation — sur les résultats macroéconomiques d'une variation de la volatilité des chocs économiques et aussi de la plus grande réussite de la politique monétaire. Selon les résultats obtenus, la volatilité des chocs économiques subis par le Canada après 1991 a augmenté par rapport à la période antérieure, mais la meilleure tenue économique découlerait de l'efficacité encore plus grande de la politique monétaire. Autrement dit, non seulement la politique monétaire de la Banque du Canada a-t-elle gagné en efficacité après l'adoption de la poursuite de cibles d'inflation en 1991, mais elle l'a fait suffisamment pour neutraliser amplement une hausse du nombre de chocs économiques, de telle sorte que les résultats macroéconomiques se sont, dans l'ensemble, raffermis.

Maintenant que nous avons vu comment la tenue de l'économie canadienne s'est améliorée, et comment cette amélioration a des chances d'être liée à la politique monétaire, nous allons étudier plus à fond comment fonctionne cette dernière. Il est essentiel de connaître un peu le sujet pour pleinement mesurer les difficultés à surmonter pour atteindre les objectifs poursuivis par la politique monétaire.

11. La thèse voulant que la politique de la Banque puisse influencer la stabilité du taux de croissance de la production rejoint la deuxième proposition de la section 1.2, selon laquelle elle est peu susceptible d'avoir une incidence durable sur le taux de croissance lui-même.

12. L'écart-type de croissance de la production a reculé de 4,1 points de pourcentage durant la période de 1981 à 1991 pour tomber à 2,1 points pendant les années 1992 à 2004.

13. Voir Ragan (2005) pour une évaluation plus approfondie de la poursuite de cibles d'inflation au Canada et à l'étranger.