Série de séminaires d'Environnement Canada en recherche sur les politiques

Dr. John Robinson 7 novembre, 2002

Le 7 novembre 2002, la Série de séminaires d'Environnement Canada en recherche sur les politiques a accueilli M. John Robinson, dont la présentation s’intitulait : « La science interactive au service de l'avenir durable dans le bassin de Géorgie ». M. Robinson est professeur à l’Université de la Colombie-Britannique (UBC) et ancien directeur du Sustainable Development Research Institute (Institut de recherche sur le développement durable) qui y est rattaché. Dans son séminaire, il a décrit plusieurs projets, en cours à l’Institut, qui font appel à la science interactive — information, connaissance et dialogue — pour provoquer l’action. Le texte qui suit résume son exposé.

M. John Robinson soutient que l’obstacle le plus grave à la concrétisation du développement durable n’est pas constitué des exigences en matière de connaissances scientifiques ou économiques, mais bien de l’acceptation des buts de la durabilité par le public. Sans acceptation publique considérable, nous ne pouvons obtenir la mobilisation sociale nécessaire à la durabilité, quelle que soit la force de la base de connaissances.

Vu l’importance primordiale de la mobilisation pour concrétiser la durabilité, les citoyens doivent d’abord comprendre les enjeux environnementaux et l’impact de leurs choix comportementaux sur l’environnement. Il est donc crucial d’informer le public quant aux questions environnementales. Toutefois, les approches actuelles de l’éducation environnementale brossent souvent des scénarios pessimistes. La transmission de visions sinistres mène à l’apathie, et risque peu de provoquer des changements de comportement, puisque les gens ont tendance à ne pas réagir aux situations qui semblent désespérées.

Les gens ne sont pas vraiment indifférents quant à l’avenir. Toutefois, ils ne disposent pas des outils nécessaires pour agir conformément à leurs préoccupations, et ils n’en ont pas l’occasion. Beaucoup de personnes se sentent tenues en marge des grands systèmes, qui peuvent être passablement déroutants. Nous avons besoin de meilleurs moyens pour engager les citoyens et les inciter à faire des choix plus durables. Nous devons mettre au point des outils qui permettent une prise de décision informée. Le Projet de prospective sur le bassin de Georgia (Georgia Basin Futures Project – GBFP) vise à combler ces besoins en fournissant un certain nombre d’outils aux citoyens vivant sur la cÔte ouest de la Colombie-Britannique.

Le GBFP est une initiative de 5 ans, d’une valeur de 6 millions de dollars, financée par un réseau de partenaires qui fournissent aux citoyens des modèles mentaux simples afin de les habiliter à interpréter leur monde et ultimement à influer sur celui-ci, et à les engager à planifier un avenir durable pour leur région. Le projet combine les connaissances d’expert aux perspectives publiques afin de permettre la discussion au sujet d’un avenir souhaitable, grâce à la compréhension des conséquences sociales, économique et écologiques des gestes posés. Il s’appuie sur le principe de base suivant : le but réel de la modélisation n’est pas de décrire le monde, mais de changer la façon de penser des utilisateurs.

Nous n’avons pas besoin de modèles immenses ou complexes pour engager les citoyens et favoriser la compréhension. Nous devons plutÔt aller au-delà du modèle traditionnel, combinant données-information-connaissance-sagesse, pour adopter un modèle plus interactif : données-information-dialogue-action. Nous devons dépasser l’information pour nous engager sur la voie de la compréhension collective.

Par conséquent, les buts du GBFP sont les suivants :

• Un public mieux informé, plus engagé
• Une base de données d’opinons publiques
• De la recherche sur le lien qui existe entre les valeurs, les croyances, les attitudes et les comportements
• Des politiques et technologies pertinentes pour un avenir durable

Le GBFP évite délibérément l’approche traditionnelle de la modélisation, qui consiste à partir de notre base de connaissances scientifiques pour ensuite créer un modèle, et enfin ajouter une interface-utilisateur. Ce processus échoue presque toujours, puisqu’il débute à la mauvaise extrémité. Le GBFP commence par définir les priorités des gens, pour ensuite concevoir une interface et établir des modèles s’adaptant à l’interface, et enfin recueillir des données.

Le GBFP utilise un jeu interactif appelé QUEST (Quite Useful Ecosystem Scenario Tool) pour engager le public dans le dialogue et la prise de décision collective. Le jeu permet aux utilisateurs d’élaborer des scénarios du genre « qu’adviendrait-il si? » pour la région du bassin de Géorgie. On se fonde sur un horizon temporel de quarante ans parce que c’est celui qui touche les gens le plus profondément. Ils peuvent s’imaginer, ainsi que leur famille, à l’intérieur de cette période, qui permet également de tenir compte du renouvellement du capital.

Amusant à utiliser, QUEST colle tout de même à la réalité. Il permet de sortir du domaine quantitatif en fournissant aux modèles des intrants qui sont profondément qualitatifs, puisqu’une bonne part de ce qui compte pour les gens est non quantitatif, comme l’amour, le pouvoir et la confiance.

Une séance QUEST exige le rassemblement d’un groupe de personnes pendant environ sept heures. La première partie de l’exercice consiste à déterminer les priorités du groupe. Quelle vision collective les membres ont-ils de la durabilité? Les membres choisissent ensuite les conditions externes des scénarios planétaires, les systèmes à plus grande échelle qui influent sur leur région. Ils sont ensuite appelés à donner leur point de vue sur la façon dont le monde fonctionne. Ensuite, les participants doivent prendre des décisions collectives quant aux résultats souhaitables pour l’avenir, comme la démographie, la croissance urbaine, les réseaux de transport, l’utilisation du terrain, etc. Enfin, une simulation est établie à partir des intrants du groupe.

Le jeu itératif constitue un outil puissant pour favoriser la compréhension. Les participants peuvent explorer différentes situations pour constater l’impact de certains choix. Une fois qu’ils ont vu l’avenir résultant de leurs choix initiaux, ils les réévaluent et les modifient en fonction des résultats attendus. Les participants recommencent jusqu’à qu’ils trouvent le scénario d’avenir le plus satisfaisant pour eux.

Le processus QUEST s’appuie sur le débat et l’argumentation. Il permet aux gens de s’éloigner des prévisions ordinaires au sujet d’un avenir lointain, qui se révèlent presque toujours fausses. En outre, la plupart des prévisions à long terme cherchent des réponses à des questions peu judicieuses. Pourquoi devrions-nous, à un moment donné, nous préoccuper de l’avenir le plus probable si ce n’est pas celui que nous voulons? Il est préférable de se tourner vers un avenir souhaitable et ensuite d’essayer de trouver comment le rendre réalisable. En jouant à QUEST, les gens déterminent ce que cela prend pour construire l’avenir qu’ils souhaitent.

En jouant à QUEST, nous obtenons des renseignements consid&rables; sur les préférences, les opinions, les croyances et les comportements des citoyens. Une des forces de l’approche consiste à dépasser les limites du sondage d’opinion ordinaire pour obtenir une connaissance plus profonde des préférences du public. Le jeu évalue les perspectives des citoyens, non pas au moyen de simples questionnaires, mais en les engageant dans un dialogue et en observant la modification de leurs priorités et la façon dont ils changent leurs choix lors des r&p;étitions successives du jeu.

À quel point QUEST est-il efficace pour changer le comportement des citoyens? Au sortir de la séance, les gens se sentent-ils habilités à faire des choix plus informés? Pour répondre à ces questions importantes, des chercheurs assurent le suivi des croyances et des comportements par suite des séances de QUEST.

La Bibliothèque digitale du Bassin de la Georgia (GBDL) (www.georgiabasin.info) constitue une autre initiative du GBFP. En intégrant des données qui étaient auparavant dispersées dans différentes bases de données, la GBDL fournit aux utilisateurs une grande variété de données géospatiales sur les collectivités et les régions. La bibliothèque inclut également des articles de médias et des textes locaux provenant de Green Mapping. L’élément le plus puissant de la bibliothèque numérique consiste à « créer votre propre » capacité et à ajouter votre propre information au système. Le GBDL a été mis au point par Ressources naturelles Canada (région du Pacifique et du Yukon).

Les citoyens peuvent aussi utiliser le Calculateur des changements climatiques (CCC) (www.climcalc.net), financé par Environnement Canada. Le CCC constitue un outil logiciel interactif conçu pour le Canada afin d’aider les citoyens à se renseigner sur les émissions de CO2 et à les réduire, et ainsi à contribuer à l’objectif de réduire d’une tonne les émissions moyennes par personne au Canada. Le CCC permet aux gens de calculer leurs émissions de gaz à effet de serre en fonction de leurs activités personnelles et d’autres aspects de leur mode de vie. Il estime la consommation d’énergie et les émissions de gaz à effet de serre pour sept catégories distinctes ; chauffage des habitations, eau chaude, appareils électroménagers, déplacements locaux, déplacements hors de la ville, loisirs et déchets.

Il est intéressant de souligner que le CCC n’inclut pas seulement l’utilisation d’énergie directe et les émissions, mais aussi l’utilisation d’énergie et les émissions liées à la production de biens et services consommés. On fait des estimations distinctes pour chaque province et territoire afin d’incorporer la nature régionale de la production d’énergie et des conditions climatiques dans l’ensemble du Canada.

Sustainability Tools and Resources (STAR) est un autre outil d’action qui met à la disposition des personnes et des groupes communautaires de la Colombie-Britannique et d’ailleurs des outils et des ressources en direct afin de les aider à contribuer à la durabilité de leur collectivité et de leur environnement. Il inclut une base de donnée répartie qui servira de guide aux organismes voués à la durabilité, ainsi que des ressources et un outil de planification, de gestion et de réalisation de projets sur la durabilité dans la région.

QUEST a récemment été lancé sur CD-ROM. D’autres produits QUEST sont actuellement en voie d’élaboration, notamment des modèles QUEST simples destinés aux enfants d’âge scolaire, Science World Quest, qui est joué au Vancouver’s Science World Theatre, et un programme d’études secondaires s’inspirant de QUEST. Enfin, le GBFP souhaite adapter les applications QUEST à travers le monde.

Le GBFP prévoit l’établissement d’un nouveau Centre for Interactive Research on Sustainability (CIRS) sur le campus de l’UBC. Le CIRS sera un foyer de recherche novatrice sur la durabilité à différents niveaux, de l’immeuble particulier aux enjeux planétaires. Il fournira de l’espace de recherche à des partenaires de différentes disciplines, qui travailleront et apprendront ensemble. Le CIRS abritera un laboratoire de simulation perfectionné, où les gens pourront voir les changements apportés au paysage par suite de leurs choix. L’immeuble lui-même profitera d’une technologie environnementale de la « prochaine génération », dont le prix n’est pas nécessairement concurrentiel à l’heure actuelle, mais qui pourra s’avérer viable à l’avenir. L’approvisionnement en eau proviendra exclusivement de l’eau de pluie. L’immeuble générera sa propre électricité (et transmettra même ses surplus à B.C. Hydro), et il sera ventilé de façon naturelle.

Parmi les autres projets d’avenir du GBFP, figure une proposition de créer un cadre d’intégration, dans un processus plus large, des modèles et autres outils, dans le cadre de l’initiative du savoir sur le développement durable de Ressources naturelles Canada. Également avec Ressources naturelles Canada, le GBFP a proposé un modèle national intégré d’évaluation des changements climatiques.

Comment vivre à l’intérieur des limites de la nature, tout en préservant notre niveau de vie et en améliorant le bien-être de notre collectivité et notre qualité de vie? Le travail de John Robinson dans le cadre du Projet de prospective sur le bassin de Georgia se fonde sur la notion suivante : l’acceptation, par la population, des buts de la durabilité est cruciale à la matérialisation du développement durable. Sans acceptation publique, nous n’aurons pas la mobilisation de base nécessaire à l’avancement de la durabilité. Pour qu’il accepte, nous devons éduquer le public à faire des choix informés. Nous aurons besoin de nouveaux outils et de nouvelles approches.

Le Projet de prospective sur le bassin de Georgia est une initiative de recherche de cinq ans qui combine les connaissances d’expert et l’opinion publique pour explorer différentes voies menant à la durabilité. Le GBFP a permis la mise au point d’un certain nombre d’outils novateurs qui font progresser la durabilité en rendant les défis plus réels et plus gérables. QUEST, la bibliothèque numérique, le calculateur des changements climatiques et les outils et ressources sur la durabilité fournissent aux citoyens des instruments d’apprentissage conçus pour promouvoir l’acceptation publique des buts de la durabilité. Le GBFP continuera à mettre au point des outils pour encourager l’action. Le but ultime est de faire du bassin de Georgia la région où les citoyens sont les plus engagés et interactifs lorsqu’il s’agit de réfléchir à la durabilité et d’agir en fonction de leurs connaissances dans le domaine.

L’information versée dans les outils GBFP étant surveillée, nous en apprenons beaucoup sur les valeurs, les croyances, les attitudes et les comportements des citoyens. Nous pouvons, en retour, utiliser cette information pour mettre au point de meilleurs outils pour la mobilisation sociale. L’Institut de recherche sur le développement durable soutient que ces outils interactifs contribuent à des progrès réels vers la durabilité dans la région du bassin de Georgia. Ces outils, qui positionnent le Canada en tant que leader mondial en développement durable, pourraient représenter un potentiel d’exportation considérable.