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    Agence de santé publique du Canada
Relevé des maladies transmissibles au Canada

Volume 26-12
15 juin 2000

[Table des matières]

 

 

TRAITEMENT ET PROPHYLAXIE DE MASSE DURANT UNE ÉCLOSION DE SYPHILIS INFECTIEUSE À VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

La syphilis est une maladie transmise sexuellement (MTS) causée par le spirochète Treponema pallidum, qui n'infecte que les humains. Le tréponème est surtout transmis durant la phase infectieuse de la maladie, qui est divisée en trois stades : syphilis primaire, syphilis secondaire et syphilis latente précoce. La syphilis primaire se caractérise par l'apparition d'un chancre indolore environ 3 semaines après l'exposition. La syphilis secondaire se manifeste par une éruption généralisée 4 à 6 semaines après le stade primaire chez les patients non traités. Après quelques semaines ou plusieurs mois, les manifestations secondaires disparaissent et dans environ le tiers des cas non traités, la maladie devient cliniquement inapparente, pouvant se manifester plus tard par des atteintes cardiovasculaires, neurologiques, cutanées, osseuses et viscérales. Un diagnostic de syphilis latente précoce est porté lorsque la situation clinique et les titres des anticorps au test non tréponémique mettent en évidence une infection récente, justiciable d'un suivi agressif. Le tréponème peut être transmis durant la période périnatale, en particulier pendant la phase infectieuse. Le diagnostic de la syphilis repose sur l'examen clinique, la mise en évidence de spirochètes dans l'exsudat des lésions à l'ultramicroscope, des réactions utilisant un antigène tréponémique non spécifique (test rapide de la réagine plasmatique et test du Venereal Disease Research Laboratory) et des réactions utilisant un antigène tréponémique spécifique (microhémagglutination pour Treponema pallidum et test d'immunofluorescence absorbée). Le traitement actuel de choix est l'administration intramusculaire de benzathine pénicilline G.

Depuis juillet 1997, la Colombie-Britannique connaît une importante éclosion de syphilis infectieuse. Les taux généraux sont passés de 0,5/100 000 à > 3,0/100 000, l'est du centre-ville de Vancouver affichant des taux de > 150/100 000 (tableau 1). Le nombre de cas a augmenté chaque année, passant de 10 à 17 (entre 1992 et 1996), à 46 (1997), à 114 (1998) et à 126 (1999) (figure 1). En tout, 273 cas ont été signalés au cours des 30 mois écoulés depuis le début de l'éclosion. Voici la répartition des cas infectieux selon le stade de la maladie : syphilis primaire, 31 %; syphilis secondaire, 22 %; syphilis latente précoce (datant de < 1 an), 47 %. Cinquante-quatre pour cent des cas sont des hommes. Les taux par âge sont les plus élevés chez les hommes de 30 à 49 ans et chez les femmes de 20 à 39 ans. L'analyse du risque révèle que 42 % des cas sont liés à l'industrie du sexe (24 % sont des clients de cette industrie, 18 % des travailleurs de cette industrie), 13 % sont des gens de la rue (jeunes de la rue et utilisateurs de drogues injectables), 16 % signalent avoir été exposés à l'étranger (Asie et Amérique centrale),  6 % sont des hommes homosexuels ayant des contacts sexuels anonymes, 14 % font état de contacts hétérosexuels occasionnels, 7 % sont membres d'autres catégories de risque, telles les conjointes qui n'ont qu'un partenaire sexuel, et dans 2 % des cas, le facteur de risque demeure inconnu. Bon nombre des membres des catégories de risque liées à la vie dans la rue et aux relations sexuelles éphémères semblent être des contacts sexuels «non rémunérés» de travailleurs de l'industrie du sexe (p. ex., maquereaux, revendeurs de drogue et petits amis). Dans ce dernier groupe, il est rare qu'on utilise le condom. On a recensé deux cas de syphilis congénitale en Colombie-Britannique en 1997. On ne relève aucune augmentation importante du taux de syphilis non infectieuse tardive au cours de cette période.

Tableau 1 Cas de syphilis infectieuse par région sanitaire, 1998 (n = 112)

Cas

Taux/100 000

Est du centre-ville

82

150

Vancouver (excluant l'est du centre-ville)

10

16,3

Municipalités environnantes*

18

1,3

Reste de la C.-B.

2

0,1

Total

112

2,8

* Régions sanitaires de South Fraser, Simon Fraser et North Shore

Figure 1 Cas de syphilis infectieuse par année, Colombie-Britannique, 1983-1999

Figure 1 Cas de syphilis infectieuse par année, Colombie-Britannique, 1983-1999

C'est dans l'est du centre-ville de Vancouver que l'on retrouve plus de 70 % de tous les cas de syphilis en Colombie-Britannique (tableau 1). La population de ce quartier est aux prises avec plusieurs problèmes sociaux graves, dont l'alcoolisme et l'usage important de drogues injectables. L'est du centre-ville a connu des épidémies successives d'hépatite B, de décès causés par des surdoses, d'hépatite C, d'infection à VIH et d'hépatite A depuis le milieu des années 80. Bon nombre des cas dans les municipalités adjacentes (tableau 1) sont des clients de l'industrie du sexe. Ces clients ont «rapporté la syphilis à la maison» et contaminé dans au moins trois cas leur femme qui ne se doutait de rien. Trente-cinq pour cent des cas sont de race blanche, 22 % sont des Autochtones, 13 % des Asiatiques, 8 % sont d'origine hispanique, 6 % viennent de l'Asie du Sud, 3 % sont des Noirs et dans 14 % des cas, on ne connaît pas l'origine ethnique. Les groupes d'origine autochtone, hispanique et certains groupes asiatiques sont surreprésentés dans l'est du centre-ville de  Vancouver par rapport au reste de la ville de Vancouver et de la Colombie-Britannique. La moitié des cas sont diagnostiqués lorsque les patients consultent un médecin à cause de symptômes aigus, 12 % sont des contacts asymptomatiques de personnes atteintes de la syphilis, et le reste des cas sont détectés lors d'un dépistage quelconque (p. ex., clients des cliniques de MTS, travailleurs de l'industrie du sexe dans les centres de dépannage).

Le renforcement des mesures courantes de santé publique n'a pas réussi à juguler jusqu'à présent l'épidémie. La recherche intensive des contacts, l'éducation des groupes à haut risque et des médecins, l'augmentation des services de diagnostic et de traitement et l'intensification du dépistage depuis 24 mois n'ont pas donné les résultats escomptés. La recherche des contacts a été particulièrement difficile à cause de l'absence d'information sur les contacts sexuels anonymes et les contacts dans l'industrie du sexe et à cause du code de silence en vigueur dans cette communauté. Le nombre moyen de contacts nommés est de 1,5 par cas et l'on a réussi à retracer et à traiter seulement 50 % d'entre eux. Les réseaux sexuels des 258 premiers cas et contacts étaient constitués surtout de personnes célibataires (30) et de dyades ou de triades (73). Les trois types de réseaux identifiés étaient les suivants : 1) cas importés avec transmission secondaire, 2) travailleurs de l'industrie du sexe et leurs clients et 3) hommes homosexuels ayant des contacts dans un bain public.

Parallèlement, la gonorrhée a atteint des niveaux épidémiques en Colombie-Britannique en 1999. On a recensé 827 cas en 1999 comparativement à 546 en 1998 et à 401 en 1997. Une analyse épidémiologique de cette éclosion est en train d'être effectuée. On a également fait état de petites augmentations du nombre de cas d'infection génitale à Chlamydia en 1998 et 1999, mais cette hausse peut être due au recours plus fréquent à des tests diagnostiques plus sensibles et/ou au lancement en 1998 d'un programme provincial de recherche des contacts des sujets atteints d'une infection chlamydienne. Enfin, on a dénombré 15 nouveaux cas d'infection à VIH au cours des 24 derniers mois chez des hommes dont le principal facteur de risque était des contacts avec des travailleurs(ses) de l'industrie du sexe. Aucun cas de ce type n'avait été relevé dans les 7 années antérieures à 1997.

Pour lutter contre cette récente grave épidémie de syphilis, le British Columbia Centre for Disease Control (BCCDC) a mis en oeuvre un programme de traitement et de prophylaxie de masse. Entre le 24 janvier et le 21 février 2000, la STD/AIDS Division, par l'entremise de son Street Nurse Program, a lancé une initiative visant à distribuer > 7 000 doses de médicament contre la syphilis à des personnes à risque dans l'est du centre-ville de Vancouver, de même que dans des zones clés d'activités à risque dans les municipalités avoisinantes. L'objectif du programme était de traiter le plus grand nombre de personnes à risque possible sur une courte période. Il est également prévu dans le cadre de ce programme de permettre aux participants d'apporter des doses de médicament pour les donner à d'autres. Les autres personnes visées faisaient partie de noyaux de transmetteurs inaccessibles tels que les revendeurs de drogue, les souteneurs, les petits amis, les travailleurs de l'industrie du sexe et les jeunes de la rue, qui n'ont pas de rapports avec les programmes communautaires et qui étaient donc peu susceptibles de participer directement au programme de traitement et de prophylaxie de masse. Des centres spéciaux (centres de dépannage des clients) ont été mis sur pied à l'intérieur et à l'extérieur de l'est du centre-ville pour permettre un traitement sans tracasserie des clients de l'industrie du sexe. Pour atteindre le plus grand nombre possible de gens, on n'a recueilli auprès des participants que des renseignements limités ne permettant pas d'identifier les personnes et aucun échantillon n'a été prélevé. Deux autres initiatives de lutte contre des épidémies de syphilis par un traitement de masse ont été tentées en Amérique du Nord; les deux ont eu recours à la benzathine pénicilline G et ont obtenu du succès(1,2). Chacune de ces initiatives a été mise en oeuvre à une échelle plus réduite.

Lors de la campagne de traitement/prophylaxie de masse contre la syphilis en Colombie-Britannique, on a administré 1,8 gramme de dihydrate d'azithromycine per os en une seule dose. Ce médicament est approuvé pour le traitement de la gonorrhée et de la chlamydiose; son efficacité contre la syphilis en  incubation(3) et la syphilis infectieuse(4) a été établie récemment. Son efficacité a été également démontrée in vitro contre Ureaplasma urealyticum(5), et c'est le traitement de choix actuel contre Haemophilus ducreyi, agent responsable du chancre mou(6). Il a été utilisé avec succès dans des programmes de traitement de masse contre le trachome(7). Il faisait partie des médicaments visés par l'étude sur le traitement massif des MTS à Rakai, Ouganda, où > 20 000 doses thérapeutiques d'un gramme ont été administrées(8). On a observé très peu d'effets secondaires et aucun cas de réaction anaphylactique. À cause de la longue demi-vie dans le sérum de ce médicament et de sa concentration dans les tissus, on a avancé l'hypothèse que ce programme de traitement/prophylaxie de masse permettrait d'établir une résistance temporaire dans l'ensemble de la population traitée, ce qui contribuerait par le fait même à prévenir l'infection par Treponema pallidum advenant une exposition à ce microorganisme. Il est probable que cet effet prophylactique constitue le principal facteur de succès de cette initiative. S'il ne fait aucun doute que les cas de syphilis en incubation et de syphilis infectieuse seraient traités, le nombre absolu serait probablement peu élevé. Les deux rondes de traitement/prophylaxie visaient à englober la période d'infectiosité maximale de la syphilis.

Voici un bref sommaire des raisons qui ont motivé cette initiative :

Les cas de syphilis infectieuse non diagnostiqués seront traités.

Les cas de syphilis en incubation seront débarrassés de l'infection.

Les participants acquerront une résistance à l'infection syphilitique.

En répétant le processus deux fois sur 5 semaines, l'effet des antibiotiques s'exercera pendant toute la période d'infectiosité maximale de la syphilis, augmentant ainsi la probabilité de l'extinction de l'éclosion générale.

L'initiative est faisable à cause de (1) la crédibilité du Street Nurse Program, (2) l'innocuité, l'efficacité et la facilité d'administration du médicament et (3) le succès remporté par des initiatives similaires de santé publique de masse dans cette population (p. ex., campagnes d'immunisation contre l'hépatite B, l'hépatite A, la grippe et l'infection à pneumocoque entre 1998 et 2000).

Une étude pilote portant sur 23 sujets et 108 porteurs secondaires qui a été effectuée en novembre 1999 a été couronnée de succès et aucun incident n'a été signalé.

Après l'initiative, une phase d'entretien a été prévue pour consolider l'efficacité du traitement. Cette phase comporte des services communautaires améliorées et la recherche des contacts, des programmes intensifs d'éducation et de sensibilisation, des services améliorés de diagnostic et de traitement, une surveillance plus étroite, le typage de l'ADN de Treponema pallidum et une plus grande facilité d'accès au condom féminin.

Des épidémies de maladies transmises sexuellement ont été décrites comme le fruit d'interactions dynamiques entre le pathogène, le comportement et les efforts de prévention, qui progressent selon des étapes prévisibles(9). Dans ce modèle, une des étapes consiste en la transmission endémique de faible niveau au sein de noyaux de transmetteurs - qui contribue au maintien de la maladie dans une région et contre laquelle il est particulièrement difficile de lutter à l'aide des stratégies classiques de santé publique. Des éclosions d'infection endémique peuvent survenir de temps en temps. Le traitement/prophylaxie de masse constitue l'une des stratégies qui peut aider à lutter à la fois contre les éclosions durant cette étape et contre la transmission endémique même. Comme une telle stratégie est souvent considérée comme peu faisable, elle est rarement mise en oeuvre. Vu que les autorités sanitaires de nombreux pays songent à l'élimination des MTS, en particulier de la syphilis, il sera nécessaire d'envisager les stratégies tant anciennes que nouvelles pour lutter contre des épidémies comme l'éclosion actuelle de syphilis à Vancouver. Le traitement/prophylaxie de masse administré dans l'est du centre-ville de Vancouver peut mettre en lumière de nouvelles stratégies de santé publique pour lutter contre les MTS.

Références

  1. Jaffe HW, Rice DT, Voigt R et coll. Selective mass treatment in a venereal disease control program. Am J Public Health 1979;69:1181-82.

  2. Hibbs JR, Gunn RA. Public health intervention in a cocaine-related syphilis outbreak. Am J Public Health 1991;81:1259-62.

  3. Hook EW 3rd, Stephens J, Ennis DM. Azithromycin compared with penicillin G benzathine for treatment of incubating syphilis. Ann Intern Med 1999;131:434-37.

  4. Verdon MS, Handsfield HH, Johnson RB. Pilot study of azithromycin for treatment of primary and secondary syphilis. Clin Inf Dis 1994;19:486-88.

  5. Steingrimsson O, Olafsson JH, Thorarinsson H et coll. Azithromycin in the treatment of sexually transmitted disease. J Antimicrob Chemother 1990:25(Suppl. A);109-14.

  6. Groupe d'experts du LLCM sur les lignes directrices canadiennes pour les maladies transmises sexuellement, Lignes directrices canadiennes pour les MTS, édition de 1998, Ottawa, ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, 1998.

  7. Whitty CJ, Glasgow KW, Sadiq ST et coll. Impact of community-based mass treatment for trachoma with oral azithromycin on general morbidity in Gambian children. Pediatr Infect Dis J 1999;11:955-58.

  8. Wawer MJ, Sewankambo NK, Serwadda D et coll. Control of sexually transmitted diseases for AIDS prevention in Uganda: a randomized community trial. Lancet 1999;353:525-35.

  9. Wasserheit JN, Aral SO. The dynamic topology of sexually transmitted disease epidemics: implications for prevention strategies. J Infect Dis 1996;174(Suppl.2):S201-13.

Source :

Dr M Rekart, STD/AIDS Control, Dr D Patrick, Communicable Disease Epidemiology, BCCDC, Vancouver (C.-B.); A Jolly, PhD, Dr T Wong, Laboratoire de lutte contre la maladie, Santé Canada, Ottawa (Ont.); M Morshed, PhD, Vector Borne Diseases and Non Viral Serology, Laboratory Services, Dr H Jones, Dre C Montgomery, L Knowles, BScN, N Chakraborty, BScN, J Maginley, BScN, STD/AIDS Control, BCCDC, Vancouver (C.-B.).

 

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Dernière mise à jour : 2002-11-08 début