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    Office de la santé publique du Canada
Relevé des maladies transmissibles au Canada

Volume 24-12
15 juin 1998

[Table des matières]

 

 

Babésiose et maladie de Lyme concomitantes en Ontario

Introduction

La babésiose humaine (causée par Babesia microti) et la maladie de Lyme (causée par Borrelia burgdorferi) sont deux des zoonoses transmises par des tiques les plus fréquentes. Des données récentes indiquent que ces deux maladies ont fait leur apparition dans la région du Nord-Est et celle des Grands Lacs aux États-Unis, par suite de l'extension de l'aire de répartition du vecteur de ces infections, la tique Ixodes scapularis(1,2). Comme B. microti et B. burgdorferi infectent les mêmes rongeurs qui leur servent de réservoirs (Peromyscus leucopus) et sont transmis par les mêmes tiques vectrices, les co-infections chez les humains peuvent être assez répandues dans les zones d'endémie. À preuve, jusqu'à deux tiers des résidents de Long Island atteints de la maladie de Lyme possèdent des anticorps dirigés contre des espèces de Babesia(3). Ce n'est que très récemment, cependant, que trois épisodes de co-infection ont été décrits et, dans chaque cas, la maladie était particulièrement sévère et un cas s'est soldé par un décès(4-6). Un rapport récent en provenance de la Nouvelle-Angleterre a montré que la gravité des symptômes et la durée de la maladie étaient plus grandes chez les patients atteints de babésiose et de la maladie de Lyme que chez ceux qui ne souffraient que d'une seule de ces deux affections(7).

Des tiques appartenant à l'espèce Ixodes scapularis ont été découvertes dans un certain nombre de provinces canadiennes et 205 cas de maladie de Lyme ont été signalés aux autorités sanitaires entre 1984 et 1994 (105 infections contractées localement)(8). Toutefois, aucun cas de co-infection n'a été enregistré antérieurement au Canada et, à notre connaissance, aucun cas de babésiose n'a jamais encore été porté à l'attention des autorités canadiennes. Le présent rapport décrit une co-infection par les agents de la babésiose et de la maladie de Lyme chez un voyageur canadien.

Rapport de cas

Un homme de 59 ans de Toronto s'est présenté au Toronto Hospital le 27 juillet 1997, se plaignant de fièvre persistante et de sueurs nocturnes. Le patient venait de rentrer de Nantucket, où il avait passé 6 semaines de vacances dans un chalet. Il n'avait pas auparavant voyagé dans des régions rurales ni fait de la randonnée pédestre ou de la marche en forêt. Sept mois plus tôt, il s'était rendu à Hong Kong, en Indonésie et à Singapour.

Le patient était bien portant jusqu'au 21 juin 1997, jour où il a détecté une petite papule noire sur son biceps gauche, qu'il a enlevée. Il a par la suite présenté un érythème migrant autour de cette lésion, qui a guéri spontanément après 2 à 3 jours. Le 26 juin a débuté un épisode de 2 jours, caractérisé par de la fièvre, des sueurs, des frissons, une myalgie et de la fatigue, symptômes qui ont été traités à l'acétaminophène. Il s'est senti bien jusqu'au 21 juillet 1997, moment où la fièvre et les frissons sont réapparus. Il a manifesté également d'autres symptômes : raideurs, fatigue extrême, céphalée, myalgie, nausées, vomissements, et sueurs nocturnes profuses. Le 22 juillet, il a consulté son médecin de famille, qui a diagnostiqué une «infection virale». Lorsqu'il s'est rendu au Toronto Hospital 5 jours plus tard, il était fébrile (38,8 oC), pâle et semblait malade. Il présentait une tachycardie (130 pulsations/minute), une légère splénomégalie et des pétéchies occasionnelles aux extrémités. Aucun autre signe digne de mention n'a été relevé lors de l'examen.

Les premières épreuves de laboratoire ont révélé une anémie normochrome et normocytaire de 106 g/L, une leucopénie de 4,2 milliards/L (la normale étant de 4,5 à 11,0), une thrombocytopénie de 14 milliards/L (normale de 150 à 400), une élévation du taux de lactate-déshydrogénase à 799 U/L (normale de 45 à 90), une bilirubinémie de 26 µmol/L (normale de 2 à 17), un taux élevé d'aspartate aminotransférase, 151 U/L (normale < 35), une fibrinogénémie de 4,22 g/L (normale de 1,5 à 3,5), une concentration de produits de dégradation de la fibrine > 10 µg/mL (normale < 2,5), un rapport international normalisé de 4,89 (normale de 1,00), un taux d'haptoglobine < 0,12 g/L (normale de 0,6 à 2,9) et des concentrations de D-dimères < 250 ng/mL (normale de 500 à 1 000). L'analyse des urines a mis en évidence une hématurie et une hémoglobinurie.

Le patient présentait certains antécédents médicaux intéressants : néphrite d'origine inconnue à l'âge de 3 ans, fibrillation auriculaire diagnostiquée en 1995, et infarctus du myocarde en 1996 compliqué d'une insuffisance cardiaque congestive. Il n'avait pas subi de splénectomie ni reçu de transfusion sanguine. Le patient prenait les médicaments suivants : coumadin, 7,5 mg per os 1 fpj; cozaar, 50 mg per os 1 fpj; lanoxin, 0,125 mg per os 1 fpj; et de l'acide acétyl salicylique, 325 mg per os 1 fpj. Il ne souffrait d'aucune allergie connue.

Son séjour antérieur en Asie du Sud-Est, la présence d'une fièvre ainsi que le tableau hémolytique évoquaient le paludisme; des examens de gouttes mince et épaisse ont été réalisés. Ces derniers ont révélé la présence de nombreuses petites formes annulaires, ce qui a d'abord été interprété comme une infection à Plasmodium falciparum avec une parasitémie de 4 %. Toutefois, un technologiste supérieur perspicace a noté des différences morphologiques par rapport à P. falciparum et a identifié correctement les protozoaires sur les frottis comme étant des trophozoïtes de B. microti.

Vu la gravité de la maladie et le rash antérieur évocateur d'un érythème migrant, on craignait une co-infection par d'autres agents transmis par des tiques. Une sérologie pour la maladie de Lyme a été effectuée et des anticorps ont été détectés par la méthode Elisa et des IgM par Western blot, preuves d'une infection récente par B. burgdorferi. Les tests sérologiques pour la détection d'une ehrlichiose monocytaire humaine (EMH), causée par Ehrlichia chaffeensis, a donné des résultats négatifs(1:64) en immunofluorescence. Une amplification par la polymérase de l'agent associé à l'ehrlichiose granulocytaire humaine (EGH), due à des organismes s'apparentant à Ehrlichia equi, a été réalisée dans notre laboratoire et a donné des résultats négatifs(9).

Le patient a été traité à la quinine, 600 mg 3 fois par jour, et à la clindamycine, 600 mg 3 fois par jour pendant 7 jours, pour la babésiose et à la doxycycline, 100 mg 2 fois par jour pendant 21 jour, pour la maladie de Lyme. Le traitement a fait rapidement effet et les frottis étaient négatifs dès le quatrième jour. Lors du suivi réalisé après 1 et 2 mois, le patient était asymptomatique, toutes les anomalies biochimiques et hématologiques antérieures avaient disparu et les frottis effectués pour la détection de la babésiose étaient négatifs.

Analyse

Il s'agit de la première description d'un cas de babésiose humaine et du premier rapport de co-infection par un agent de la maladie de Lyme au Canada. Les babésioses humaines dans les régions des Grands Lacs et du nord-est des États-Unis sont causées par B. microti, parasite intracellulaire qui peut être confondu avec P. falciparum, tant sur le plan clinique que morphologique, comme cela s'est d'abord produit dans le cas présent(10). Les caractéristiques morphologiques qui permettent de distinguer l'agent de la babésiose de celui du paludisme est la présence d'éléments piriformes groupés par deux (parasites géminés) ou par quatre (tétrades, «croix de Malte») qui sont formés par fission binaire du trophozoïte en quatre mérozoïtes. Ces dernières formes sont pathognomoniques de la babésiose mais peuvent être difficiles à détecter. L'absence de pigments et de gamétocytes dans le cas de babésiose peut également faciliter le diagnostic. Une nouvelle espèce d'agents de la babésiose (WA-1), qui est morphologiquement identique à B. microti, a été observée sur la côte ouest des États-Unis et au Missouri(11,12).

C'est surtout I. scapularis au stade de la nymphe qui est responsable de la transmission de la maladie de Lyme et de la babésiose. La nymphe a < 3 mm de longueur même lorsqu'elle est complètement gorgée de sang, et la plupart des personnes infectées ne se souviennent pas d'avoir été mordues par une tique(13). Il est probable que, dans le cas qui nous intéresse, la petite tête noire enlevée par le patient était en fait une nymphe gorgée de sang. La période maximale d'activité de la nymphe est habituellement en mai et juin, expliquant la périodicité de la maladie clinique avec un pic en juillet. Comme dans le cas présent, les symptômes de la babésiose débutent normalement 1 à 4 semaines après une morsure de tique(13). Le tableau clinique varie, allant d'une maladie bénigne évoluant spontanément vers la guérison à une infection grave menaçant le pronostic vital et  accompagnée d'une anémie hémolytique sévère, d'une thrombocytopénie, d'une insuffisance rénale et d'une hypotension(13). Les taux de mortalité aux États-Unis sont demeurés sous la barre des < 10 % et les décès sont plus fréquents chez les personnes âgées, les splénectomisés et les sujets atteints d'une infection à VIH(13,14).

Récemment, les co-infections par d'autres agents transmis par des tiques ont été reconnus comme un important facteur influant sur le pronostic de la babésiose. Il y a une vingtaine d'années, il a été démontré chez des animaux de laboratoire que la maladie due à une co-infection par les agents de la maladie de Lyme et de la babésiose était plus sévère(15). Cette observation s'applique maintenant aux co-infections chez les humains. Krause et ses collègues ont signalé que 11 % des patients atteints de la maladie de Lyme dans le sud de la Nouvelle-Angleterre sont co-infectés par l'agent de la babésiose(7). Les patients co-infectés présentaient beaucoup plus fréquemment des symptômes de fatigue, céphalée, sueurs, frissons, anorexie, labilité de l'affect, nausées, conjonctivite et splénomégalie que ceux qui ne souffraient que de la maladie de Lyme. Qui plus est, 50 % de ces patients ont été malades pendant >=3 mois comparativement à 7 % des victimes de la maladie de Lyme. Cette augmentation de la durée et du nombre de symptômes peut être attribuée à l'immunodépression associée à la babésiose(7,15).

Dernièrement, des preuves immunosérologiques d'une co-infection par un troisième agent bactérien responsable d'une zoonose transmise par des tiques, appartenant à l'espèce Ehrlichia (EGH et EMH), ont été publiées(12,16,17). Dans une étude séro-épidémiologique portant sur des résidents du Wisconsin et du Minnesota, 9,4 % des patients atteints de la maladie de Lyme présentaient des signes sérologiques de co-infection : 5,2 % avaient une EGH, 2,1 % une babésiose et 2,1 % les deux(16). De même, dans le comté de Sonoma en Californie, 23 % des résidents possédaient des anticorps dirigés contre les antigènes d'un ou plusieurs agents transmis par des tiques : 1,4 % contre les antigènes de la maladie de Lyme, 0,4 % contre les antigènes de l'EGH, 4,6 % contre les antigènes de l'EMH, et 17,8 % contre les antigènes du piroplasme WA-1 ressemblant aux  Babesia(12). Il ressort de ces études que les maladies transmises par des tiques sont répandues et fréquentes dans certaines régions des États-Unis. Les voyageurs canadiens courent un risque d'être infectés lorsqu'ils visitent ces régions durant la saison des tiques (en général, de mai à septembre dans le nord-est). De plus, on a retrouvé des tiques appartenant à l'espèce I. scapularis dans environ 250 endroits au Canada(8). Les parasitémies de longue durée qui peuvent accompagner une co-infection par l'agent de la babésiose ou une infection infraclinique chez les voyageurs canadiens qui ont été parasités par un pathogène quelconque transmis par des tiques peuvent favoriser la transmission de l'infection à des tiques de l'espèce I. scapularis dans des régions du Canada où elles sont présentes(7). Enfin, on ne recherche pas systématiquement B. microti ou B. burgdorferi dans les produits sanguins. La babébiose peut être transmise par transfusion sanguine et est une cause de réactions fébriles post-transfusionnelles dans les zones endémiques(18,19).

En résumé, il faut toujours envisager le paludisme chez les voyageurs fébriles de même que chez les sujets présentant une fièvre d'origine inconnue qui n'ont pas effectué de voyages(20). La babésiose devrait également être prise en compte par les cliniciens dans le diagnostic différentiel d'un état fébrile au retour d'un voyage dans une zone enzootique des États-Unis ou, durant la saison des tiques (de mai à septembre), car l'infection à B. microti et à B. burgdorferi n'est pas rare. En outre, nous suggérons que dans tous les cas documentés d'infection transmise par des tiques, on recherche la présence d'une co-infection par d'autres agents connus transmis par des tiques, en particulier si les symptômes sont sévères ou persistent après le traitement. Étant donné la fréquence actuelle des voyages entre le Canada et les États-Unis et l'émergence de la maladie de Lyme, de la babésiose et de l'ehrlichiose, une hausse du nombre de cas importés d'infection par ces pathogènes transmissibles par des tiques est à prévoir au Canada. Une détection rapide des cas, une bonne identification et des mesures adéquates de prise en charge initiale contribueront de façon cruciale à réduire la morbidité et la mortalité associées à ces infections.

Références

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  20. Baqi M, Gamble K, Keystone JS et coll.  Malaria: probably locally acquired in Toronto, Ontario. Can J Infect Dis. Sous presse.

Source :

Dr C dos Santos, Dr K Kain, Tropical Disease Unit, The Toronto Hospital et University of Toronto, Toronto (Ontario).

 

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Dernière mise à jour : 2002-11-08 début