Défense nationale
Symbole du gouvernement du Canada

Liens de la barre de menu commune

Discour

Allocution du Chef d'État-major de l'Armée de terre au Congrès des associations de la Défense

le 9 mars 2001

Introduction

Général Belzile, mesdames et messieurs. Il me fait plaisir de m'adresser pour la première fois aux participants au Congrès des associations de la Défense à titre de commandant de l'Armée de terre.

Comme le dit le proverbe, nous n'avons pas de problèmes, seulement des défis. L'Armée de terre a dû en relever de nombreux au cours des dix dernières années, et beaucoup parmi vous le savent très bien. Vous êtes peut-être curieux de savoir, pendant que je suis devant vous aujourd'hui, s'il y a du changement. Ne suis-je pas un autre commandant qui tâche de présenter le beau côté des choses, face à une situation de plus en plus pénible ?

Je crois fermement que la réalité est tout autre que ce que pensent la plupart des gens. Nous avons beaucoup trop souvent, selon moi, une perception en noir et blanc d'un monde très gris. En plus de vous présenter une vue d'ensemble de l'Armée de terre, je veux aussi vous faire partager ce point de vue.

Au cours des quelques minutes dont je dispose aujourd'hui, j'aimerais vous faire part de la manière dont je perçois la situation de l'Armée de terre et mettre en relief les principaux objectifs que je chercherai à atteindre à titre de Chef d'état-major de l'Armée de terre. Mes propos se situent dans le contexte de la politique de défense en vigueur ainsi que du cadre budgétaire et stratégique (Stratégie 2020). Ils correspondent également aux observations formulées hier par le ministre et le CEMD. Je parle du domaine qui me concerne, à titre de commandant de l'Armée de terre.

Les dix dernières années

Les dix dernières années se sont avérées un véritable défi. Nous avons assisté à la fin de la Guerre froide, au retrait de nos forces de l'Europe, à un renouveau dans la nature des opérations vers une prépondérance des opérations de maintien de la paix, et à un accroissement extrême des missions opérationnelles. D'autre part, l'institution a connu de grands bouleversements, car nous sommes aux prises avec des réductions de ressources et d'effectifs, une restructuration organisationnelle et un changement culturel. Nous avons aussi été témoins d'un échec institutionnel, au cours de cette période, car nous n'avons pas réussi aussi bien que nous l'aurions pu à relever tous les défis. Toutefois, nous avons également vécu des succès opérationnels et nous devrions tous être fiers de ce que les troupes canadiennes ont accompli.

Situation de l'Armée de terre (Force régulière/Réserve)
Sur cette toile de fond, quelle est la situation actuelle de l'Armée de terre ?

J'estime d'abord que l'Armée de terre fait preuve d'une efficacité opérationnelle globale remarquable. C'est-à-dire que les soldats canadiens continuent d'accomplir extrêmement bien les missions qui leur sont confiées. À vrai dire, j'ai eu l'occasion de me rendre sur les lieux de diverses missions et il est clair, d'après ce que je vois et ce qu'on me dit, que nos troupes sont aussi efficaces que n'importe quelle autre.

En réalité, la qualité de nos gens impressionne particulièrement, et nos soldats ainsi que leurs chefs sont compétents et sérieux à la tâche. De même le potentiel de notre équipement est satisfaisant et s'améliore, et à en pas douter nous traversons maintenant en quelque sorte une crise de richesses car nous essayons d'adopter une quantité importante d'équipement en peu de temps.

Cependant, tout n'est pas parfait. Vu la pénurie constante de ressources et le rythme élevé des opérations, le maintien en puissance de l'Armée de terre demeure un sujet de préoccupation. Bref, les tâches sont à mon avis trop nombreuses, et les ressources, insuffisantes pour assurer le maintien de l'Armée de terre à long terme, selon sa structure actuelle. La tension qui en résulte se fait sentir dans plusieurs domaines. Premièrement, nous mettons nos militaires à rude épreuve et indépendamment du rythme des opérations, nous sommes en présence d'un rythme très élevé des affectations, surtout parmi nos chefs. L'instruction collective ne suffit pas au maintien des compétences tactiques collectives et nous constatons un grave déclin des compétences dans certains domaines. Finalement, la santé morale de l'Armée de terre m'inquiète, en raison des bouleversements des dix dernières années. Nous faisons face à un sentiment d'incertitude engendré par les changements constants et à un sentiment de méfiance non négligeable à l'égard de la haute direction de l'Armée de terre.

Pour résumer la situation, je dirais donc que l'Armée de terre continue d'effectuer ses opérations avec succès mais qu'elle est en rupture d'équilibre et quelque peu fragile. Cela doit changer.


La voie à suivre
En vue d'affronter ces problèmes et bien d'autres, je veux m'appliquer à faire avancer l'Armée de terre. Nous ne pouvons pas, faute de temps, examiner en détail tous les problèmes qui se posent à nous mais j'aimerais m'entretenir de ce qui constitue selon moi les quatre principaux objectifs sur lesquels l'Armée de terre doit se concentrer. Permettez-moi d'abord de « baptiser le terrain » et de parler du cadre conceptuel de l'Armée de terre en évolution que nous utilisons.

Élaborer la structure des forces de l'avenir

Le premier objectif consiste à élaborer une structure des forces de l'avenir. Nous cherchons à atteindre deux objectifs : accroître la soutenabilité de l'Armée de terre et améliorer sa capacité opérationnelle.

Soutenabilité accrue. La soutenabilité accrue est un problème épineux. Nous devons comparer le besoin en ressources de l'Armée de terre aux ressources disponibles et, vu la marge de manœuvre restreinte de l'Armée de terre, cela se traduit presque certainement par un changement de structure et probablement une certaine réduction du personnel de la Force régulière. Toutefois, je dois également comparer le besoin en main-d'œuvre à un effectif toujours moins nombreux en raison d'une augmentation des départs, d'un recrutement décroissant, et d'un système d'instruction sous-équipé, en sous effectif. En cela aussi un changement structurel s'impose afin de produire un certain type de structure dotée d'un plus grand potentiel, mais nécessitant moins de ressources. (Se reporter à l'exemple du remplacement du Lynx).

Capacité opérationnelle. D'autre part, le changement structurel est l'une des principales conditions à remplir pour améliorer la capacité opérationnelle. À bien des égards, l'Armée de terre n'a pas suivi le rythme de la technologie en évolution et des besoins opérationnels et il faut implanter de nouvelles capacités. Ainsi, à l'ère de l'information, au moment où les opérations basées sur l'information ou les connaissances sont de plus en plus la règle, l'Armée de terre doit améliorer l'aide au commandement, les opérations d'information et son système ISTAR. D'autres rajustements internes s'imposeront dans le but d'accroître le potentiel de connaissances de l'Armée de terre, De même, sa structure correspond uniquement aux capacités nécessaires aux opérations de combat, alors qu'il faut également mener d'autres types d'opérations. Le général Krolak de l'USMC parle de guerre sur trois fronts, où la même unité doit mener à la fois des opérations humanitaires, des opérations de maintien de la paix et des opérations de combat dans un rayon de trois fronts. C'est le genre d'opérations que nous devons affronter et la capacité que nous devons posséder, et nous devons y adapter nos structures.

RRFT. Dans le cadre du développement des forces, nous devons aborder la question de la restructuration de la Réserve. Le cadre de la RRFT est énoncé dans le Plan stratégique de RRFT approuvé l'an dernier, mais il faut également faire en sorte que la structure actuelle de la Réserve corresponde à celle de la Force régulière. Nous devons nous attaquer essentiellement à la manière dont il conviendrait de structurer les éléments de la Force régulière et de la Réserve pour qu'ils soient complémentaires. Nous avons conservé pendant des années le modèle selon lequel la structure de la Réserve reproduit dans une large mesure celle de la Force régulière, encore que l'état de préparation soit inférieur. Je conçois les réservistes comme une capacité axée vers l'avenir. Ils doivent être en mesure de se mobiliser en prévision du pire des scénarios futurs, et non d'après des expériences du passé. La question à se poser est celle-ci : quelle est la structure optimale de la Réserve que l'on peut à la fois renforcer pour répondre aux besoins de maintenant et mobiliser en prévisions des menaces de l'avenir ? Il n'y a pas de réponse facile ou rapide, mais nous devons aborder cet enjeu. Il faudra l'examiner en étroite collaboration avec la Réserve par le biais d'un processus consultatif convenu et en liaison avec le Bureau de projet récemment mis sur pied dans le cadre de la RRFT. La création de ce bureau montre bien notre résolution et mon engagement envers un processus qui portera des fruits.

Processus. La restructuration est un processus long, qui comporte plus d'étapes évolutives que de bonds révolutionnaires. La première étape, cruciale, consistera à apporter des rajustements, surtout au niveau de la Force régulière, dans le but d'assurer la soutenabilité constante de l'Armée de terre. Je prévois déjà apporter des rajustements minimes cette année mais je prévois des changements encore plus substantiels à compter de 2002. Pour réaliser une restructuration à plus long terme, nous allons élaborer, à l'intention de l'Armée de demain, un plan détaillé qui doit inclure à la fois les structures de la Force régulière et celles de la Réserve. Ce travail prendra un an et demi à deux ans et s'accompagnera de discussions et d'une consultation d'envergure dans l'ensemble de l'Armée de terre. Je ne m'attends pas à une mise en œuvre immédiate des changements fondés sur le modèle de l'Armée de demain, mais ce modèle servira plutôt d'objectif de changement applicable à long terme.

Je tiens à préciser mon intention. L'objectif est d'arriver aussi rapidement que possible à une structure viable pour l'Armée de terre et d'améliorer ce modèle à la longue au moyen de rajustements marginaux de la capacité.

Mettre en œuvre un état de préparation planifié

Le deuxième objectif consiste à mettre en œuvre un état de préparation planifié au niveau de l'Armée de terre. Dans le passé, nous nous sommes efforcés de maintenir toutes les unités dans un état de préparation uniformément élevé. Il a été plus difficile de le faire lorsque le rythme des opérations s'est accéléré. Il en est résulté une incapacité à atteindre des normes collectives adéquates en matière de combat et une tension inacceptable pour nos gens, car on leur impose de passer d'une mission hautement prioritaire à une autre. L'expérience nous a permis de mieux gérer la charge de travail, mais l'Armée de terre demeure en rupture d'équilibre.

À l'instar du corps humain, une armée ne peut pas déferler partout à la fois. La mise en œuvre d'une démarche d'état de préparation planifié doit nous permettre d'atteindre les degrés de capacité et de préparation requis, et d'accorder aussi un « temps d'arrêt » aux personnes et aux unités.

À certains égards, l'état de préparation est déjà plus bas que je ne le voudrais, mais sans les avantages potentiels d'une démarche d'état de préparation planifié, ce serait pis encore. En gérant mieux le temps et l'activité de l'Armée de terre, nous faisons en sorte qu'à la longue, l'ensemble des unités et des militaires reçoivent l'instruction pertinente, tout en préservant une qualité de vie raisonnable.

Nous voulons faire en sorte qu'à n'importe quel moment, environ un tiers de la Force régulière soit opérationnellement prête ou déployée, un tiers participe à une période d'instruction accélérée qui se terminera par une évaluation opérationnelle, et un tiers sera en phase de reconstitution, pendant laquelle les affectations ont lieu et les unités et les équipes sont renouvelées.

Dans le cadre de la démarche d'état de préparation planifié, je prévois aussi inclure la participation de la Réserve structurée aux opérations. L'un des objectifs du plan de RRFT prévoit la disponibilité d'au moins un peloton structuré de la Réserve par Secteur de la Force terrestre par année, au cours des deux prochaines années. J'envisage d'atteindre cet objectif. De plus, nous avons à l'heure actuelle des projets selon lesquels nous pourrions assister à l'engagement d'une compagnie d'infanterie structurée de la Réserve en vue des opérations en Bosnie au cours de la Rotation 11, à compter de l'automne 2002. Comme vous le savez, les réservistes ont renforcé pendant longtemps les unités de la Force régulière au cours des opérations et leur participation est assez considérable. Toutefois, les initiatives visant à envoyer des compagnies et des pelotons structurés de la Réserve sont importantes pour deux raisons. Premièrement, elles réduisent le tribut imposé à la Force régulière, surtout parmi les chefs, car ils constituent la partie de la Force régulière que l'on met le plus à rude épreuve. Deuxièmement, elles fournissent l'occasion de former rapidement des chefs au sein de la Force de réserve, condition essentielle à l'obtention d'une Réserve saine et viable. Cette démarche ne peut pas nuire à la réalisation des objectifs de RRFT mais j'espère que ces initiatives augmenteront en fait la possibilité de les réaliser.

Il est crucial de mettre en place un état de préparation planifié afin que l'Armée de terre puisse maintenir le rythme récent des opérations. Cette démarche beaucoup plus disciplinée augmentera la prévisibilité pour tous les soldats, mais elle réduira inévitablement la marge de manœuvre à certains égards. La mise en œuvre de cette démarche prendra du temps et les retombées ne seront pas immédiates. Mais elle améliorera la situation, et doit le faire, aussi rapidement que possible. Bien sûr, tout système a ses limites, et même si je suis persuadé que nous pouvons mieux assumer la charge, la capacité globale de l'Armée de terre demeure restreinte.

Façonner la culture de l'Armée de terre

Le troisième objectif stratégique consiste à façonner la culture de l'Armée de terre. Cet enjeu est l'un des plus difficiles et des plus délicats à gérer car il se situe à la racine même de ce que nous sommes en qualité d'Armée de terre. Par culture, j'entends la sagesse de comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Ces leçons orientent notre manière de faire les choses et de nous comporter en tant qu'institution. Il est très difficile de décrire la culture, mais encore plus difficile de la modifier.

Notre système régimentaire est demeuré un fondement élémentaire de l'Armée de terre et nos unités ont su maintenir la grande cohésion et le véritable esprit de combat dont nous sommes fiers. Cette culture nous a aussi permis d'entreprendre des missions nombreuses et variées, du maintien de la paix aux opérations de paix. Peut-être vous demandez-vous pourquoi la culture doit changer ?

Une armée a besoin de la jeunesse. Si nous n'arrivons pas à attirer la génération du millénaire, ceux qui sont nés après 1984, nous dépérirons. Une culture vivante survit et nous devons nous adapter.

Nous devons avoir pour objectif d'attirer le plus de jeunes Canadiens dévoués et intelligents possible. Devant les changements démographiques de la société canadienne et la rivalité de plus en plus âpre afin d'obtenir les jeunes gens les plus brillants et les meilleurs sur le marché du travail actuel, nous ne pouvons pas assurer le maintien de l'Armée de terre en comptant sur son bassin de recrutement traditionnel.

Les jeunes gens que nous voulons attirer doivent percevoir l'Armée de terre comme un endroit où ils veulent être, et une fois enrôlés, ils doivent vivre une expérience qui les incite à y demeurer. Il nous faut donc adapter la nature même de notre culture et la rendre plus attrayante pour les Canadiens. Cela ne veut pas dire que la culture de l'Armée de terre doit complètement refléter les attitudes et les valeurs de la société car il y a certaines exigences propres à l'institution, mais elle doit être complémentaire à la tradition de la société canadienne et acceptée par la grande majorité des Canadiens. En effet, c'est là où l'institution puise sa raison morale d'exister.

Nous devons également avoir pour objectif de créer, au sein de l'Armée de terre, un environnement qui optimise les capacités de chaque soldat, peu importe son grade. Dans l'Armée de demain, l'essentiel sera la qualité, et non la quantité. Les soldats seront moins nombreux et chacun d'entre eux aura accès à plus de technologie et de capacités globales que jamais auparavant. Ils auront aussi beaucoup plus d'autonomie et devront posséder les capacités intellectuelles requises pour prendre les décisions essentielles. Nous devons donc former ce soldat dès le début comme une personne de qualité qui réfléchit, capable de penser par elle-même, et d'agir indépendamment ou au sein d'une équipe selon les circonstances. Ce soldat est beaucoup plus difficile à former que celui auquel on apprend simplement à suivre des ordres. Mais les soldats ainsi formés possèdent des capacités bien supérieures, et ce sont les capacités dont l'Armée de terre aura besoin dans le futur.

Je tiens à souligner à cet égard que ce changement ne doit pas réduire la compétence de l'Armée de terre à faire son travail. Nous remplissons une mission exigeante. Aucune expérience humaine n'est plus stimulante que le combat. Nous avons besoin de gens dotés de la force personnelle, physique et psychologique nécessaire pour accomplir la mission et résister aux rigueurs des opérations. De même, il nous faut des gens capables de travailler en équipe dans des situations très exigeantes, car la différence résidera dans la cohésion de l'équipe. Nous avons besoin d'une Armée de terre dont la somme vaut plus que le total de ses parties.

Une organisation d'envergure, qui possède de riches traditions et une culture qui la distingue, a besoin de temps pour s'adapter et cela ne va pas sans difficulté. Des problèmes surgiront dans le futur. Toutefois, le temps de nous interroger sur l'opportunité de nous engager dans cette voie est bien révolu. Nous devrions maintenant nous concentrer sur la manière d'y arriver. Nous devons faire en sorte que chaque soldat dévoué et compétent ait une chance égale de servir. La haute direction de l'Armée de terre est fermement déterminée à y arriver. Ceux qui refusent de nous aider à réaliser cet objectif nuisent à notre progrès et, je serai franc, nous avons l'intention de poursuivre sans eux.



Lien avec les Canadiens

Le dernier objectif stratégique que j'entends poursuivre consiste à établir un lien avec les Canadiens. Le ministre et le Chef d'état-major de la Défense ont tous deux souligné l'importance de notre relation avec le public, c'est pourquoi je n'y reviendrai pas. Je dirai seulement que cette relation est cruciale.

J'aimerais m'attarder à la nature de cette relation. Je me rappelle un temps, « avant la découverte des médias », où l'autorité recherchait pratiquement n'importe quelle couverture ou attention médiatique. Il faut se montrer prudent à cet égard. On nous accorde certainement beaucoup d'attention à l'heure actuelle. Il se passe rarement un jour sans qu'on ne nous voie quelque part. L'ennui c'est que, comme pour la majorité des nouvelles, beaucoup d'entre elles sont négatives ou du moins prêtent à controverse, et un public en grande partie mal informé imagine le pire. Le public canadien sait qui nous sommes, mais ne nous comprend pas. Nous devons nous faire mieux comprendre et faire en sorte qu'il soit mieux éclairé dans sa perception de la couverture médiatique.

Le lien avec les Canadiens va donc beaucoup plus loin que le seul fait de communiquer avec le public. Il faut faire en sorte que tous les Canadiens nous comprennent, sachent où nous allons et connaissent raisonnablement la vérité au sujet de l'Armée de terre canadienne. Au cours de mes déplacements, j'ai constaté beaucoup de désinformation et de perceptions erronées, même parmi ceux que l'on juge au courant. En fait, nous constatons le même problème au sein de l'Armée de terre, où même des militaires canadiens ne savent pas vraiment où nous en sommes.

Le problème que j'ai décelé tient en partie à la communication. Nous arrivons mal à faire savoir à tous les Canadiens où nous en sommes. Les attentes sont toutefois un problème aussi grave, sinon plus. Je crois, voyez-vous, que nous avons accordé tellement d'attention aux problèmes de l'Armée de terre, ces dernières années, que personne ne sait plus vraiment où se situe la vérité. Pis encore, la confiance envers les chefs et l'assurance qu'ils savent ce qu'ils font ont décliné au point où les discours ne sont pas susceptibles de rétablir l'équilibre. Nos réussites, quand nous en avons, sont vues comme des anomalies et on n'en tient pas compte.

Je pourrais apporter de nombreux exemples, mais permettez-moi d'apporter un éclairage nouveau au moyen de deux exemples d'équipement.

Dans toutes les armées, le processus de remplacement d'équipement est long et laborieux. À n'importe quel moment, une partie des divers parcs d'équipement est relativement récente et une partie est vieillissante. Souvent, une partie de cet équipement est vraiment périmée et beaucoup d'entre-vous ont eux-mêmes vécu l'expérience.


C'est le cas à l'heure actuelle. L'Armée de terre possède de l'équipement qui atteint ou approche la fin de sa durée de vie utile. Ainsi, le véhicule utilitaire léger à roues ILTIS, que l'on prévoit remplacer, est difficile à maintenir en activité. D'autres véhicules, comme la flotte de VBP, sont usés et il est prévu d'en remettre certains à neuf pour les affecter à divers rôles, et d'apporter des améliorations en vue d'assurer la protection et de faciliter l'entretien. Les deux véhicules servent encore et à tout prendre, ce sont encore des systèmes utiles. Il est cependant difficile d'en assurer l'entretien et ils sont moins performants que nous le voudrions.

D'autre part, nous avons adopté le véhicule de surveillance et reconnaissance Coyote, l'un des meilleurs au monde, et nous adoptons le VBLIII, un TTB à roues de troisième génération qui constitue une catégorie à part. Il fait admirablement ses preuves en Érythrée. Les Armées de terre des É.-U. et de N.-Z en ont fait l'acquisition. Son potentiel impressionne particulièrement l'Armée américaine, et le vice-chef de l'Armée américaine m'a confié, avant que l'achat ne soit annoncé, « si nous ne l'achetons pas, nos soldats seront terriblement vexés. »

Devant ces deux extrêmes, quel est l'état réel de notre équipement ?

L'habillement est l'un des aspects de l'équipement les plus chargés de connotations. Comme on le sait, chacun est spécialiste en ce domaine.

Notre système de vêtements de combat de base sert depuis les années 1960, mais il y a eu de nombreuses améliorations. Nous avons adopté les vêtements tactiques de base pour le transport du matériel au cours des années 1980, et nous avons fait l'acquisition du casque et des vestes pare-éclats pendant les années 1990. Ces améliorations ont amplement donné prise à la critique, non seulement parce que ce matériel est insuffisant mais à cause de son piètre entretien.

Je vous laisse supposer que cet ensemble de base constitue un assortiment raisonnable de vêtements et d'équipement de protection pour le personnel. Il est encore en très bon état et il est probablement aussi bon que ce que la plupart des armées utilisent en ce moment. Le problème actuel, c'est que sa mise hors service entraînera certaines pénuries pour ceux qui le portent encore et il y a certains problèmes de durabilité à l'usage.

Il est remplacé par deux ensembles. Le système amélioré de vêtements adaptés, ou S-A-V-A (SAVA) et le nouveau vêtement au dessin de camouflage canadien, ou DCamC.

Nos troupes déployées au cours d'opérations utilisent le SAVA depuis 1988, et la majorité de la Force régulière l'a adopté. L'ensemble de la Force de réserve l'a également reçu, sauf une brigade de la Milice qui le reçoit à l'heure actuelle. Il est à remarquer que les réservistes disposeront du SAVA avant que tous les membres de la Force régulière ne l'aient reçu.
Le DCamC, le vêtement au dessin de camouflage, sera lancé à compter du mois d'avril et la distribution se terminera d'ici novembre 2002. Il sera remis en fonction de notre calendrier de rotation opérationnelle, de sorte que les troupes qui participent à des opérations l'auront en premier. --

Ces systèmes de vêtements sont bien supérieurs au système actuel et placent le Canada à l'avant-garde en matière d'habillement et d'équipement de protection.

Vous serez peut-être intéressés d'apprendre que nos nouveaux vêtements pour temps froid (SAVA) font partie des ensembles choisis, mis à l'essai par la NASA au cours d'expériences dans des conditions climatiques extrêmes menées dans le Nord du Manitoba.

Fait assez curieux, lorsqu'il est question d'équipement, on croit et l'on prend pour acquis que nous, au Canada, nous ne savons pas faire les choses. À vrai dire, nos soldats se plaignent que nous n'avons pas de bon matériel même si les plus récents vêtements en Gortex -vestes et chaussettes-font envie.

Alors qu'en est-il vraiment ?

Nous affrontons un problème de gestion des attentes. Le public, dont vous faites partie, est loin de comprendre parfaitement ce qu'est l'Armée de terre de nos jours. Dans bien des cas, les gens voient l'armée à travers le prisme de leurs propres expériences, souvent débranchées. Et dans l'Armée de terre, nous n'avons pas réussi à bien sensibiliser les gens.

Malheureusement, nous avons aussi commencé à accepter beaucoup de discours négatifs. Pis encore, nos soldats ont commencé à les croire. Il en résulte un cynisme croissant et l'impression que nous sommes incompétents. Selon moi, si la majorité des Canadiens entendaient une opinion positive et une opinion négative sur une question liée à l'Armée de terre, ils retiendraient l'opinion négative.

Je ne dis pas que tout est rose. Je crois avoir bien montré que l'Armée de terre est exploitée au-delà de ses limites et s'en trouve fragilisée. De même, je ne dis pas que nous devrions pas déterminer les erreurs et les failles. En réalité, nous avons besoin de la sensibilisation du public et même d'un débat public pour garder le fil. Mais nous devons tous prendre garde de ne pas devenir un élément du problème. Il y a de vraies questions qui exigent de vraies réponses. Trop souvent, notre effort est dévié vers des enjeux qui découlent de perceptions erronées.

C'est pourquoi l'Armée de terre doit demeurer en lien avec les Canadiens. Tous les Canadiens. Nous devons faire en sorte qu'ils sachent ce que font les soldats canadiens et comment ils le font. Mais surtout, nous devons veiller à ce que le message transmis aux Canadiens et à nos soldats soit pondéré.


La solution a été, est et sera toujours le leadership et je réclame aussi votre collaboration à cet égard.

Résumé

En résumé, je constate, de mon point d'observation, que l'Armée de terre se trouve à la croisée des chemins. Elle a affronté les changements tumultueux des années 1990 et s'en est bien sortie. Elle est efficace au plan opérationnel. C'est une force de qualité. Mais elle est fragile. Il est important d'en prendre bien soin pour garantir sa soutenabilité et accroître ses capacités en prévision des défis à relever dans le futur. Elle doit donc changer, à la fois pour vivre selon ses moyens et se moderniser. Elle doit adopter une démarche d'état de préparation planifié qui réduit le rythme des affectations et maximise les capacités. Cela signifie également que nous devons façonner une culture de l'Armée de terre qui en assurera la pertinence constante et la rendra acceptable pour les Canadiens. Finalement, nous devons établir un lien avec les Canadiens car l'Armée de terre est très intimement liée au Canada et doit le demeurer car c'est la voie du succès.

Merci de votre attention.

RSS Nouvelles MDN/FC (Quel est RSS ?)