Élaboration de politiques sur la propriété intellectuelle :
Guide pratique à l'intention des musées
1.0 Introduction : L'effondrement de la « politique de politesse »
Il n'y a pas si longtemps de cela, la tradition touchant l'utilisation et la
mise en commun de la propriété intellectuelle (PI) dans les musées pouvait être
le mieux qualifiée de
« politique de
politesse »1.
Ceux et celles qui souhaitaient
se servir de la PI d'un musée pouvaient le faire en échange d'une courtoise
réciprocité ou d'une mention de source, et peut-être d'une modique somme d'argent.
La prolifération de cette tradition à l'échelle de l'univers muséal avant les
années 1970 reposait sur le sentiment selon lequel les musées avaient une obligation
de favoriser la rechercher, d'appuyer les collègues, et de rendre leurs ressources
accessibles à des projets visant en bout de ligne à bien desservir le public.
En réalité, pareil altruisme pouvait aisément bénéficier d'un soutien étant
donné que le volume d'utilisation des biens muséaux
« à l'extérieur du
musée »
était plutôt faible. Peu de musées avaient, ou se devaient d'avoir, des services
de gestion des droits et des reproductions. Les demandes externes d'utilisation
du matériel muséal étaient traitées en grande partie par voie de contacts officieux.
Un conservateur pouvait prêter l'image d'une œuvre à un collègue; un directeur
pouvait approuver l'utilisation d'une image pour sa valeur publicitaire dans un
film. La situation a commencé à se transformer au cours de la décennie 1970,
par la création d'expositions vedettes et de leur insistance sur les catalogues
amplement illustrés et les reproductions en montre dans les boutiques des musées.
Le phénomène s'est amplifié durant les années 1980 par suite de l'avènement des
technologies d'emmagasinage sur support numérique compact, notamment les disques
laser et les cédéroms, qui ont donné lieu à une demande de
« contenu » pouvant
être compilé, mis en boîte et acheminé à de vastes marchés dans un mode portable.
La création et l'acceptation populaire d'Internet, et son principal mode de diffusion
(le
« World Wide
Web » ou
« W3 »), ont fait grimper la demande en biens muséaux à
des sommets sans précédents
2.
Des entreprises commerciales et éducatives ont jailli
de toutes parts, soucieuses d'utiliser les images des musées sur réseaux pour
satisfaire des marchés particuliers (notamment les milieux d'érudition, toutes
les classes du primaire et du secondaire – de la maternelle à la 12e année –
de même que les étudiants du niveau collégial et les personnes inscrites à l'éducation
permanente) ou pour tirer parti de l'appétit croissant du grand public pour des
images pouvant être utilisées à des fins d'enrichissement individuel et de
satisfaction personnelle.
Dans le sillage de cette montée de la demande, la
« politique de
politesse »
a commencé à s'éroder. Les musées ne pouvaient plus combler les demandes touchant
leurs biens de la PI sans miner les ressources existantes. Ayant besoin de plus
d'effectifs et de plus d'heures allouées, ils ont commencé à prélever des droits
pour essuyer ces coûts. De plus grands problèmes économiques pointaient également
à l'horizon. Les sources traditionnelles de soutien des musées étaient en transformation,
et de nouvelles sources de revenus étaient indiquées. L'accroissement de la demande
touchant diverses formes de biens de la PI des musées – en particulier les
images – était perçu par bon nombre de personnes comme une nouvelle source
de recettes éventuelle pouvant servir à appuyer les autres activités muséales.
En fin de compte, ce qui a sonné le glas de la
« politique de
politesse »,
ce sont les répercussions sociales et économiques des nouvelles technologies
numériques et des réseaux connexes. La facilité à reproduire le matériel
numérique avec exactitude et à le rendre instantanément accessible à l'échelle
du globe s'est avérée à la fois un plus et un moins. En fournissant l'accès au
matériel sans égard aux frontières géographiques ni aux fuseaux horaires,
le concept même de musée a été élargi de la notion traditionnelle d'établissement
« réel » à une ressource en ligne
« virtuelle ». Cependant, cet avantage
s'accompagne d'un certain risque puisque l'environnement numérique facilite
l'appropriation illicite des œuvres. Tout le monde peut désormais
« publier »
sur des réseaux numériques. Ainsi, selon une éthique professionnelle qui a
été adoptée par bon nombre d'utilisateurs de réseaux et qui consiste à prendre
ce qui est disponible, les propriétaires et les créateurs de PI peuvent facilement
perdre le contrôle sur l'utilisation de leurs œuvres.
La discipline juridique qui traite de l'appropriation illicite des œuvres
créatives est celle du droit de la propriété intellectuelle. La révolution
numérique a fait migrer ce régime légal d'un bas niveau du paysage juridique
à l'une des zones les plus en vue du droit contemporain. En outre, la propriété
ntellectuelle est devenue un aspect de plus en plus important de notre culture,
passant des sphères plutôt juridiques à une aire élargie de débat socioculturel.
Nulle part ce phénomène est-il plus apparent que dans la mutation survenue dans
notre propre langage. Les industries et organisations culturelles – les musées
y compris – renvoient maintenant de manière collective à leurs objets et à leurs
fonds (collections, publications, conceptions, etc.) en tant que biens de la PI.
Il s'agit donc de toute une gamme de circonstances – demande croissante
touchant le contenu muséal, coûts d'acheminement de ce contenu, potentiel de
la propriété intellectuelle comme nouvelle source de revenus, et préoccupation
au sujet de l'appropriation illicite – qui a incité bon nombre de musées à
prendre conscience qu'ils avaient besoin de politiques et de procédures
officielles pour régir la propriété et l'utilisation de la PI. La
« politique
de
politesse » est ainsi remplacée par la politique sur la propriété intellectuelle.