La gestion collective de la propriété intellectuelle des organismes de patrimoine culturel Canadiens -
Diverses solutions possibles
6. Autres facteurs d'ordre juridique influant sur la gestion collective
1. Règles régissant les pratiques pouvant porter
atteinte à la concurrence
La loi canadienne sur le droit d'auteur encourage la gestion
collective. Cela dit, le législateur canadien était
très conscient des possibilités de conflit avec
les règles régissant les pratiques pouvant porter
atteinte à la concurrence, telles qu'elles existent
aux États-Unis, par exemple. Les accusations de pratiques
monopolistiques ont émaillé l'histoire de la
gestion collective aux États-Unis et le gouvernement
canadien a souhaité prévenir le problème
de manière à ce que la gestion collective au
Canada ne connaisse pas une expérience similaire. En
élargissant les pouvoirs de supervision de la Commission
du droit d'auteur et en accordant à celle-ci l'autorité
en matière de détermination des tarifs et autres
conditions régissant l'attribution et la perception
de ceux-ci, le législateur canadien s'est efforcé
de supprimer toute source de conflit possible avec la loi
canadienne sur la concurrence12, surtout l'article
45, qui considère comme une infraction pénale
le fait de conspirer ou de s'entendre pour atténuer
la concurrence en augmentant le prix d'un bien ou d'un service.13
Les sociétés canadiennes de perception des
droits d'exécution sont protégées contre
certaines accusations de pratiques anti-concurrentielles dans
la mesure où elles sont soumises à l'autorité
de la Commission du droit d'auteur en matière d'établissement
des taux de redevances.14 Pour toutes les autres
questions, les sociétés de perception des droits
d'exécution et les autres sociétés de
gestion collective sont soumises à la législation
destinée à prévenir les atteintes à
la concurrence.
2. Exemptions du droit d'auteur
Les modifications apportées en 1997 à la loi
canadienne sur le droit d'auteur15 ont introduit
des exemptions spécifiques dans le cas des établissements
éducatifs, des musées, des archives et des bibliothèques,
lesquels bénéficient d'une exception lorsqu'ils
réalisent une copie d'une uvre pour les fins
de la gestion ou de la maintenance de leurs collections propres
(correspondant à des critères spécifiquement
définis dans la loi) ou, dans une mesure limitée,
pour les besoins des prêts inter-bibliothèques.
Sont également exemptés de l'application du
droit d'auteur les établissements d'enseignement qui
réalisent des copies destinées à être
utilisées à des fins d'enseignement dans une
classe ou à des fins d'examen.16 Les musées,
les bibliothèques et les archives qui font partie du
circuit éducatif peuvent se prévaloir des mêmes
exemptions. Certaines exemptions dont peuvent se prévaloir
tous ces groupes ne sont valables que lorsque les copies des
uvres ne sont pas « commercialement disponibles », c'est-à-dire
ne sont pas offertes par voie de licence par une société
de gestion collective.17
Certaines des modifications de 1997 à la loi sur
le droit d'auteur ne sont pas encore en vigueur, si bien que
l'incidence globale des exemptions sur le marché potentiel
d'un collectif n'est pas connue.Toutefois, on peut penser
que, puisque les établissements éducatifs sont
parmi les principaux utilisateurs de la propriété
intellectuelle des organismes de patrimoine culturel, cette
utilisation directe de la propriété intellectuelle
des organismes de patrimoine culturel à des fins éducatives
pourra être exemptée du droit d'auteur. En d'autres
termes, les établissements éducatifs peuvent
utiliser cette propriété intellectuelle aux
fins spécifiques définies dans la loi sur le
droit d'auteur (telles que la présentation sur un rétroprojecteur
dans une salle de classe) sans avoir à payer ni à
demander une autorisation préalable pour une telle
utilisation, tant que les musées, les bibliothèques
et les archives n'ont pas choisi de rendre leur propriété
intellectuelle commercialement disponible par l'intermédiaire
d'une société de gestion collective. Si les
musées, les bibliothèques et les archives choisissent
la voie commerciale par l'intermédiaire de sociétés
de gestion collective, les établissements éducatifs
devront, aux termes de la loi, se procurer eux aussi les uvres
par l'intermédiaire de ces sociétés.
Ainsi, aux termes du droit canadien, il est de l'intérêt
des organismes culturels de s'associer collectivement s'ils
souhaitent toucher des redevances de la part des marchés
éducatifs qui utilisent leur propriété
intellectuelle.
3. Utilisation équitable
L'utilisation équitable est une exemption accordée
par la loi canadienne sur le droit d'auteur qui permet d'utiliser
sans autorisation préalable une œuvre à des
fins de recherche, d'étude privée, de critique,
de compte rendu ou de rapport sans qu'il y ait violation du
droit d'auteur.18 La notion d'« utilisation équitable
» existe dans le droit canadien depuis l'introduction de la
loi canadienne sur le droit d'auteur en 1924. Elle constitue
une défense à laquelle l'utilisateur d'une uvre
protégée par le droit d'auteur peut recourir
pour justifier l'utilisation qu'il fait de celle-ci sans autorisation
préalable. Contrairement à son pendant états-unien
- qui n'est désigné d'un terme différent
(« use » au lieu de « dealing ») qu'en anglais -, l'utilisation
équitable ne suscite guère de litiges et, dans
la législation canadienne, il n'existe pas de critères
écrits (contrairement aux « quatre facteurs » de la
législation états-unienne) permettant de déterminer
où commence et où s'arrête l'utilisation
équitable.
Lorsqu'un utilisateur a déterminé que l'utilisation
d'une uvre relève de l'une des catégories
de l'utilisation équitable, il lui reste à déterminer
si l'utilisation qu'il compte lui-même en faire est
« équitable ». Le test dans ce cas consiste à
se demander s'il doit utiliser une partie importante de l'uvre
et si, le cas échéant, cela risque de diminuer
la qualité de l'uvre ou d'accroître la
quantité de celle-ci en circulation en diminuant le
rendement pécuniaire qu'en tire l'auteur.19
Si les critères de partie importante et d'effet sur
le marché sont similaires pour deux des quatre facteurs
appliqués aux États-Unis pour octroyer ou refuser
d'octroyer des dispenses, l'interprétation de ces critères
au Canada a été soumise à des règles
beaucoup moins précises. Pour certains tribunaux appelés
à juger des situations d'utilisation équitable,
ce qui était équitable était subordonné
à un critère de « première impression
». Ainsi, un tribunal ayant rendu une décision lourde
de conséquences a défini l'utilisation équitable
de la manière suivante :
Utiliser de longs extraits accompagnés de brefs
commentaires peut être inéquitable. Mais,
faire le contraire, c'est-à-dire commenter longuement
de brefs extraits peut être équitable...Tout
compte fait, c'est l'impression que l'on a qui doit l'emporter.20
Le résultat en est que la notion d'utilisation équitable
est une notion floue avec laquelle l'utilisateur de l'uvre
et le titulaire jonglent chacun à sa manière
pour déterminer où commence et où s'arrête
l'utilisation équitable. La gestion du droit d'auteur
par les sociétés de gestion collective prévient
ce dilemme. Bien qu'elles ne tentent pas de définir
ce qu'est une utilisation équitable dans leurs accords
de licence, les sociétés de gestion collective
s'efforcent en revanche de le faire lorsqu'elles établissent
les taux de redevances.21 L'idée que la
notion d'utilisation équitable s'applique également
dans l'environnement numérique est contestée.
Quels types d'utilisations peut-on considérer comme
équitables? Est-ce que le fait de fureter sur Internet
constitue une utilisation équitable? Le Comité
consultatif sur l'autoroute de l'information22
du gouvernement du Canada soutient que la notion d'utilisation
équitable s'applique également à l'environnement
électronique. Le gouvernement se penchera sur les nouveaux
médias à la prochaine étape du processus
de réforme du droit d'auteur, qui devrait s'amorcer
d'ici quelques années. Pour les collectifs désireux
de baliser leurs frontières opérationnelles,
l'incertitude à laquelle renvoyait la définition
de l'utilisation équitable dans les environnements
de l'analogique et de l'imprimé se trouve aggravée
lorsqu'on s'attaque à l'environnement électronique.
4. La loi sur le statut de l'artiste23
La loi canadienne sur le statut de l'artiste, qui définit
les conditions minimales régissant les rapports des
artistes qui travaillent à la pige pour le gouvernement
fédéral et ses mandataires, impose un plan de
réglementation pour l'accréditation des associations
d'artistes qui concluent des marchés à la pige
avec le gouvernement fédéral. Les organismes
de patrimoine culturel qui sont des mandataires du gouvernement
fédéral sont donc touchés par cette loi.
La loi sur le statut de l'artiste autorise les associations
d'artistes à négocier des conventions collectives
définissant les conditions minimales dont peuvent bénéficier
les artistes qui acceptent de travailler à contrat.
Aux termes de cette loi, les associations d'artistes peuvent
négocier collectivement ces conditions au nom de leurs
membres, mais ceux-ci doivent ultérieurement signer
individuellement un accord avec le mandataire fédéral
qui les emploie.24 La question de savoir si les
taux de redevances font ou non partie des conditions que les
associations d'artistes relevant de la loi sur le statut de
l'artiste peuvent négocier au nom de leurs membres.
(Aux termes de la loi sur le droit d'auteur, la détermination
de ces taux est la prérogative de la Commission du
droit d'auteur.) Toutefois, il est clair qu'il y a une possibilité
de chevauchement dans ce domaine entre les prérogatives
de la Commission du droit d'auteur et celles des associations
d'artistes relevant de la loi sur le statut de l'artiste.25
La Commission du droit d'auteur a exprimé l'avis qu'il
était illogique de remplacer le cadre administratif
prévu par la loi sur le droit d'auteur par un régime
de négociation collective (du type de celui que prévoit
la loi sur le statut de l'artiste) si les droits d'auteur
sont assignés à des sociétés de
gestion collective qui ne font pas partie des associations
d'artistes et, par conséquent, ne sont pas parties
prenante au processus de négociation collective de
celles-ci.26 Le tribunal responsable de la gestion
du statut de l'artiste a quant à lui conclu qu'une
association d'artistes pouvait négocier certaines utilisations
d'uvres artistiques dans une convention collective qui
inclut les droits d'auteur. Toutefois, l'élément
de représentation exclusive, qui est commun au processus
d'accréditation en droit du travail et à la
loi sur le statut de l'artiste, ne doit pas nécessairement
s'appliquer aux négociations sur les droits d'auteur.
Par conséquent, même si une association d'artistes
se voyait accorder la prérogative de négocier
les droits d'auteur, chaque artiste doit se voir expressément
accorder ceux-ci avant que l'association puisse les inclure
dans ses négociations collectives.27