CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL        TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE



L'ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA
la plaignante
- et -
COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE
la Commission
- et -
LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
l'intimée


MOTIFS DE LA DÉCISION
MEMBRES INSTRUCTEURS : Elizabeth Leighton
Gerald T. Rayner
2005 TCDP 39
2005/10/07


I. INTRODUCTION 1
A. La plainte 1
B. L'étape de l'enquête 2
C. La population 7
D. Environnement et le contexte (1981 à 1991) 9
II. LE CONTEXTE LÉGISLATIF 13
A. La nature des lois sur les droits de la personne 13
B. L'historique de la Loi canadienne sur les droits de la personne 17
III. LES QUESTIONS FONDAMENTALES 20
A. L'indépendance et l'impartialité du Tribunal 20
B. La rétroactivité et la validité des ordonnances 20
C. La preuve par présomption 21
D. La preuve prima facie 21
IV. L'EXAMEN DES QUESTIONS FONDAMENTALES 22
A. L'indépendance et l'impartialité du Tribunal 22
B. La rétroactivité et la validité des ordonnances 30
(i) Contexte 30
(ii) En quoi le concept de la « rétroactivité » est-il pertinent quant à la présente plainte? 32
a) Observations des parties 32
b) Analyse du Tribunal 39
(iii) Le paragraphe 8(2) et les articles 11 à 15 de l'OPS de 1986 sont-ils valides? 50
a) Observations des parties 50
b) Analyse du Tribunal 63
C. La preuve par présomption 72
V. LA PREUVE PRIMA FACIE 77
A. Contexte et les éléments d'une preuve prima facie quant à une plainte déposée en vertu de l'article 11 de la Loi 77
B. Le groupe plaignant et le groupe de comparaison représentent-ils, respectivement, un groupe professionnel à prédominance féminine et un groupe professionnel à prédominance masculine, permettant de comparer les fonctions, en vertu de la Loi? 79
C. Les membres du groupe plaignant et ceux du groupe de comparaison travaillent-ils dans le même « établissement »? 87
(i) Évolution de la définition d'établissement 88
(ii) La « cause des sociétés aériennes » 94
(iii) L'incidence de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans la « cause des sociétés aériennes » sur la présente cause 96
D. La comparaison entre le travail effectué par le groupe plaignant et le travail effectué par le groupe de comparaison démontre-t-elle que le travail comparé est de valeur égale?
Les données sur les postes/emplois et le processus de comparaison entre le travail du groupe plaignant et le travail du groupe de comparaison sont-ils fiables? 107
(i) Contexte 107
(ii) Questions pertinentes 113
E. Examen des renseignements recueillis sur les emplois et de la méthode utilisée :
L'étape de l'enquête 114
(i) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1987 114
(ii) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1991 117
F. Examen des renseignements recueillis sur les emplois et de la méthode utilisée : L'étape du Tribunal 120
(i) L'Équipe professionnelle 120
(ii) Les phases 1 et 2 122
(iii) Comment les évaluations des emplois ont-elles été effectuées par l'Équipe professionnelle? 125
(iv) Deux examens supplémentaires 128
G. La fiabilité des renseignements sur les emplois recueillis, de la méthode utilisée et des évaluations faites par la Commission et l'Équipe professionnelle : Les positions de l'Équipe professionnelle, de Postes Canada, de l'Alliance et de la Commission 130
(i) La norme de fiabilité 130
(ii) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1987 135
(iii) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1991 138
(iv) Les évaluations des emplois faites par l'Équipe professionnelle en 1993/1994 140
(v) La position de l'Équipe professionnelle quant à ses évaluations d'emplois de 1993 et de 1994 154
(vi) La position de Postes Canada quant aux évaluations des emplois de la Commission de 1991 et celles de l'Équipe professionnelle de 1993 et 1994 155
a) Le témoignage de Mme Winter 158
b) Le témoignage de M. Willis 163
c) Le témoignage de M. Wallace 167
(vii) La position de l'Alliance quant au : 170
a) Témoignage de Mme Winter 170
b) Témoignage de M. Willis 176
c) Témoignage de M. Wallace 178
(viii) La position de la Commission quant aux témoins experts de Postes Canada - Mme Winter, M. Willis et M. Wallace 180
H. L'analyse du Tribunal quant à la fiabilité de la méthodologie utilisée par l'Équipe professionnelle 183
(i) Introduction 183
(ii) Le système d'évaluation des emplois choisi 185
(iii) Le processus 189
VI. La fiabilité des sources de renseignements sur les emplois et les Renseignements obtenus utilisés par l' Équipe professionnelle 194
A. Contexte 194
B. LES FAITS I 196
(i) Contenu 196
(ii) Les observations des parties et des témoins experts 199
(iii) La crédibilité des témoignages des témoins experts 205
C. LES FAITS II 208
(i) Le contenu et son effet 208
D. Les Faits I et les Faits II en comparaison avec la norme de fiabilité admise dans l'industrie de l'évaluation des emplois 212
E. Analyse du Tribunal : 214
(i) Un défi de taille 214
(ii) Les définitions et les sous-fourchettes d'acceptabilité 220
VII. L'ÉCART DE RÉMUNÉRATION ET MÉTHODE DE RAJUSTEMENT DES SALAIRES 223
A. Contexte 223
B. Les observations des parties 226
(i) L'Alliance 226
(ii) La Commission 230
(iii) Postes Canada 235
(iv) Les observations de l'Alliance en réplique 242
(v) Les observations de la Commission en réplique 244
C. L'analyse du Tribunal 248
(i) Préliminaire 248
(ii) Examen des propositions de méthode de rajustement des salaires 252
(iii) Résumé 258
VIII. Les formes de rémunération indirecte 262
A. Contexte 262
B. Les observations des parties 265
(i) La position de la Commission 265
(ii) La position de l'Alliance 267
(iii) La position de Postes Canada 271
(iv) L'analyse du Tribunal 274
IX. Les réparations 284
A. Contexte 284
B. Les composantes de la réparation 288
(i) L'adjudication au titre de la perte de salaire 288
(ii) Les arrérages - La période d'indemnisation 289
(iii) Les intérêts 292
(iv) Les intérêts après jugement 295
(v) Indemnité spéciale 295
(vi) Les frais juridiques 300
(vii) Rétention de compétence 303
X. RESPONSABILITÉ CONJOINTE SYNDICAT-EMPLOYEUR QUANT À LA
DISCRIMINATION SALARIALE 303
A. Les observations de Postes Canada 303
B. La position de l'Alliance 304
C. La position de la Commission 304
D. L'analyse du Tribunal 304
XI. LES ORDONNANCES DU TRIBUNAL 307



I. INTRODUCTION
A. La plainte
[1] L'Alliance de la Fonction publique du Canada a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne le 24 août 1983. Cette plainte est ainsi libellée :
[Traduction]
Il est allégué que la Société canadienne des postes, à titre d'employeur, a contrevenu à l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne en rémunérant plus généreusement les employés du Groupe des opérations postales, lequel est à prédominance masculine, que les employés du Groupe commis aux écritures et règlements, lequel est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. Les taux de rémunération du Groupe des opérations postales, à prédominance masculine, peuvent être jusqu'à 58,9 pour cent plus élevés que ceux du Groupe commis aux écritures et règlements, à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale. Il est allégué que la composition des deux groupes quant au sexe a occasionné de la discrimination sur le plan salarial contre le Groupe commis aux écritures et règlements, et ce, en contravention de l'article 11.
La mesure corrective :
1. Que tous les employés du Groupe CR à l'emploi de la Société canadienne des postes reçoivent des salaires, tel que ce mot est défini au paragraphe 11(6) (maintenant le paragraphe 11(7)) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, égaux aux salaires des employés du Groupe PO ; lesquels effectuent un travail de valeur égale.
2. Que cette mesure corrective s'applique rétroactivement au 16 octobre 1981.

B. L'étape de l'enquête
[2] Dès qu'une plainte est reçue par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), les procédures générales qui sont suivies sont celles qui sont énoncées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne1 (la Loi).
[3] Lorsque la Commission reçoit une plainte déposée en vertu de la Loi, elle peut nommer un enquêteur pour effectuer un examen préliminaire de la nature et des détails de la plainte. L'ensemble des parties à la plainte sont impliquées dans cet examen. Les défenses de l'intimé à l'encontre des allégations mentionnées dans la plainte font partie intégrale de l'examen.
[4] Lorsque cet examen est terminé, la Commission a le pouvoir de décider qu'une défense valable a été soumise par l'intimé et, la plainte, par conséquent, ne peut pas être justifiée. Subsidiairement, la Commission a le pouvoir de nommer un conciliateur pour tenter d'en arriver à un règlement. Comme troisième possibilité, la Commission peut renvoyer la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour une instruction impliquant l'ensemble des parties, notamment la Commission en tant que représentante de l'intérêt public.
[5] Dans le cas d'une plainte déposée en vertu de l'article 11 de la Loi, le pouvoir de la Commission de conduire son enquête comprend le pouvoir de recueillir des données pertinentes quant à un poste. La Commission peut demander des renseignements à l'intimé comme des listes d'employés, des descriptions de poste et des données relatives à un poste, notamment des commentaires de la part du personnel de supervision et de la part du personnel de gestion ainsi que des entrevues réalisées auprès d'employés. Elle peut même demander à se rendre sur place et procéder à des observations.
[6] La réception des données sur un poste est cruciale quant à l'examen de la plainte par la Commission et quant à sa recommandation définitive fondée sur les faits dont elle est saisie. La valeur des fonctions effectuées par les hommes et les femmes mentionnées dans la plainte doit être établie et comparée, comme d'ailleurs les salaires du personnel masculin et les salaires du personnel féminin. Le processus d'évaluation doit comprendre l'examen de quatre éléments mentionnés au paragraphe 11(2) de la Loi, soit : les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail.
[7] La Commission a comme pratique habituelle d'entreprendre le processus d'évaluation du travail par l'entremise d'un comité d'évaluation des postes et en se servant du plan d'évaluation existant de l'employeur, pourvu que cela soit approprié pour une plainte déposée en vertu de l'article 11 de la Loi. À défaut de cela, la Commission doit trouver un plan de rechange d'évaluation des fonctions qui est impartial, sans distinction de genre et qui est approprié pour la tâche.
[8] La Commission doit également étudier la pertinence du comparateur qui a été choisi et qui est mentionné dans la plainte.
[9] En bout de ligne, la Commission doit effectuer sa comparaison préliminaire de la valeur des fonctions et des salaires entre le plaignant et le groupe de comparaison mentionné dans la plainte. Un rapport d'enquête, fondé sur les conclusions de la Commission, sera ensuite rédigé. Une fois qu'il a été approuvé par les parties impliquées, un rapport final d'enquête, avec ses recommandations, sera présenté aux commissaires de la Commission qui prendront la décision finale concernant l'engagement de la Commission quant à la plainte.
[10] Dans le cas de la plainte dont le Tribunal est saisi en l'espèce, l'étape de l'enquête a été prolongée. Cela peut s'expliquer par un certain nombre de raisons.
[11] Dès 1982, avant que la plainte ne soit déposée, la plaignante, l'Alliance de la Fonction publique du Canada (l'Alliance), et l'intimée, la Société canadienne des postes (Postes Canada) avaient convenu de travailler conjointement à l'élaboration d'un plan d'évaluation des emplois, connu sous le nom de System One.
[12] Par conséquent, au cours de 1984 et au cours de la majeure partie de 1985, la Commission n'a pas poursuivi activement son enquête quant à la plainte. Elle a plutôt fait des vérifications périodiques quant à l'état de l'élaboration conjointe de System One. Des divergences d'opinion entre l'Alliance et Postes Canada, notamment le retrait de l'Alliance, à un certain moment, de sa participation active à l'élaboration du processus d'évaluation, ont entraîné de nombreux retards et ont retardé la progression de l'élaboration du plan conjoint System One. Enfin, la Commission a décidé de réactiver son enquête en octobre 1985.
[13] À partir de la fin de 1985 et au cours de 1986, la Commission a participé activement à l'élaboration d'une Feuille de données sur l'emploi, un questionnaire devant servir à la cueillette de données actuelles sur l'emploi quant aux fonctions de la plaignante - des emplois dans le groupe Commis aux écritures et règlements (CR), un groupe mentionné dans la plainte comme étant « à prédominance féminine », et quant aux emplois comparateurs choisis - des emplois dans le Groupe des opérations postales (PO), un groupe mentionné dans la plainte comme étant « à prédominance masculine ».
[14] Pendant ce temps, Postes Canada a fait état de préoccupations sérieuses à la Commission quant à la conception et quant au contenu de la Feuille de données sur l'emploi envisagée. De plus, Postes Canada a fait part de ses réserves à la Commission quant au processus d'enquête en général. La Commission a affirmé que la Feuille de données sur l'emploi devait d'abord être remplie par un échantillon d'employés appartenant au groupe CR. Elle devait éventuellement servir comme moyen principal de cueillette de données sur l'emploi pour l'enquête de la Commission.
[15] En même temps qu'elle faisait part de ses réserves quant au processus d'enquête de la Commission, Postes Canada a répondu aux demandes de renseignements sur les donnés de l'emploi de la Commission en lui remettant des imprimés sur les employés ainsi que d'autres renseignements. Elle a fait une mise en garde à savoir que les descriptions d'emploi et les organigrammes qui avaient été demandés comme pièces jointes aux Feuilles de données sur l'emploi étaient souvent périmés. L'Alliance a informé la Commission que les descriptions d'emploi devraient être approuvées par le syndicat.
[16] En décembre 1986 au plus tard, un échantillon d'employés CR de Postes Canada avaient rempli la Feuille de données sur l'emploi et avaient eu une entrevue avec le personnel de la Commission en utilisant un guide d'entrevue créé par la Commission afin de clarifier les réponses données sur la Feuille de données sur l'emploi. De plus, durant le processus de l'entrevue, des membres du personnel de supervision pertinent ont été interviewés afin de clarifier les réponses données par les titulaires d'emploi échantillonnés.
[17] Entre avril et septembre 1987, un certain nombre de membres du personnel de la Commission ont évalué l'échantillon de 194 postes CR en utilisant les données recueillies en 1986. System One a été utilisé pour faire ces évaluations, malgré qu'il s'agît d'un plan non achevé et que l'Alliance avait conseillé de ne pas l'utiliser à des fins d'évaluation. Ces évaluations ont éventuellement été rejetées et n'ont pas été utilisées dans le processus d'enquête final.
[18] Il en a résulté, entre la fin de 1987 et le milieu de 1991, une longue correspondance ainsi que des réunions et des discussions prolongées entre la Commission et Postes Canada concernant l'échantillonnage du groupe de comparaison PO et la cueillette de données sur l'emploi auprès de ce même groupe. La Commission n'a pas réussi à obtenir la coopération des syndicats compétents du groupe de comparaison pour recueillir ces renseignements. Toutefois, Postes Canada a émis des doutes quant à la taille de l'échantillon envisagé des postes de comparaison PO et a refusé que les employés PO remplissent la Feuille de données sur l'emploi durant les heures de travail.
[19] L'Alliance s'inquiétait cependant de plus en plus du peu de progrès dans l'enquête de la Commission quant à la plainte. La Commission a menacé, au moins à deux occasions, d'invoquer l'article 58 de la Loi afin d'obtenir de Postes Canada les renseignements dont elle avait besoin pour continuer son enquête. Des réunions impliquant des cadres supérieurs de la Commission et de Postes Canada ont par la suite été tenues et ont mené à l'élaboration, par la Commission, d'un ensemble préliminaire de 10 particularités « génériques » d'emplois PO.
[20] Par la suite, la Commission a pu terminer ses 10 particularités « génériques » d'emplois du groupe PO en se fondant sur les données obtenues de Postes Canada. Cela s'est produit entre juillet et octobre 1991. Bien que Postes Canada ait affirmé que l'on avait omis d'englober de nombreux emplois PO lors de la création de ces emplois « génériques », ce problème n'a jamais été réglé. Des faits subséquents, comme une grève du syndicat en août 1991, ont prolongé la durée de l'enquête. La Commission est allée de l'avant, poussée par les préoccupations de l'Alliance qui ont été rendues évidentes par sa menace de dépôt d'une requête en mandamus en vertu de la Loi afin d'obliger la Commission à terminer son enquête. Son personnel a commencé l'évaluation des postes repères CR et PO, après quoi les 10 emplois « génériques » PO devaient être évalués et l'échantillon original des 194 postes CR devait être réévalué.
[21] Au milieu de cette activité, l'enquêteur principal a été temporairement réaffecté de son poste de chef de l'enquête pour s'occuper d'autres priorités. Dans le but d'achever le travail rapidement, les postes de direction  PO ont été retirés de la plainte et l'échantillon CR a été réduit de 194 à 93 postes. Un expert-conseil a été ajouté au personnel de la Commission pour le processus d'évaluation dans lequel on utilisait comme outil d'évaluation le plan d'évaluation des emplois Hay XYZ, lequel est disponible sur le marché. On n'a pas pu se servir de System One car il n'a jamais été accepté par le syndicat et n'a jamais été conçu pour servir à comparer des emplois représentés par des syndicats autre que l'Alliance. De plus, Postes Canada avait prévenu la Commission que System One n'était pas adapté à l'évaluation des emplois PO.
[22] La Commission a terminé ses évaluations d'emploi ainsi que son travail d'enquête en novembre 1991. Aucune séance d'information n'a été tenue avec Postes Canada avant qu'une ébauche du rapport d'enquête ne soit remise aux parties le 16 décembre 1991. Le rapport était accompagné d'une demande de présentation d'observations, laquelle devait être soumise au plus tard le 6 janvier 1992. Les deux parties ont présenté des observations à la fin de janvier 1992; le rapport d'enquête final de la Commission, daté du 24 janvier 1992, ne faisait mention d'aucune d'elles. Le rapport final concluait qu'il existait une différence évidente dans les salaires lorsque l'on comparait les salaires et les valeurs des emplois dans les groupes à prédominance masculine et les groupes à prédominance féminine mentionnés dans la plainte. Le rapport recommandait le renvoi de la plainte au Comité du tribunal canadien des droits de la personne (maintenant appelé Tribunal canadien des droits de la personne).
[23] Les commissaires ont examiné le rapport d'enquête final et, compte tenu de l'ensemble des circonstances de la plainte, ils ont décidé, le 16 mars 1992, de constituer un tribunal pour instruire la plainte au moyen d'un renvoi au Tribunal canadien des droits de la personne, lequel attribuerait l'affaire à une formation spécifique du Tribunal pour une audience.
[24] La formation du Tribunal a été constituée le 11 mai 1992, une conférence préparatoire a été tenue le 21 septembre 1992 et les audiences et les délibérations ont commencé le 25 novembre 1992. Les observations écrites et orales ont été complétées le 27 août 2003, bien que les observations écrites concernant la décision de la Cour d'appel fédérale dans la cause des « sociétés aériennes » Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Air Canada, Lignes aériennes Canadien International Limitée et Syndicat canadien de la Fonction publique (Division du transport aérien) [2004] A.C.F. n° 483 ont été soumises à la mi-août 2004. En juin 2004, le président initial de ce Tribunal, Benjamin Schecter, a démissionné.
C. La population
La plaignante et le groupe de comparaison
[25] Le rapport d'enquête final de la Commission, daté du 24 janvier 1992, montre que la population totale (avec le découpage par catégorie d'emploi du groupe de la plaignante et du groupe de comparaison) était comme suit (probablement à une date précise durant l'étape de l'enquête, malgré qu'il ne soit fait mention d'aucune date dans le rapport) :
Groupe de la plaignante (Groupe commis aux écritures et règlements)
CR 2 260
CR 3 950
CR 4 950
CR 5 150
____

Total du Groupe commis aux écritures et règlements 2 3l0



Groupe de comparaison (Groupe des opérations postales)

Traitement du courrier interne et sous-groupe du service postal complémentaire
PO INT 2 1 283
INT 3 2
INT 4 18 020
INT 5 1 205
______
20 510

Cueillette du courrier externe et sous-groupe des services de livraison
PO EXT 1 17 549
EXT 2 2 224
EXT 3 48
______
19 821

Sous-groupe de la supervision
PO SUP 1 549
SUP 2 1 343
SUP 3 427
SUP 4 331
SUP 5 96
SUP 6 22
______
2 768


Total du Groupe des opérations postales 43 099
[26] Par comparaison, les niveaux de la population totale du groupe de la plaignante et du groupe de comparaison tels que présentés dans la documentation (non datée) à l'appui de la plainte du 24 août 1983 sont les suivants :
Groupe commis aux écritures et règlements (Plaignante) - CR 2 316


Groupe des opérations postales (Comparateur) - PO
PO INT 25 056
PO EXT 21 661
PO SUP 4 195

Total PO 50 912
D. Environnement et le contexte (1981 à 1991)
[27] Dans le but de bien comprendre cette longue et complexe affaire, le Tribunal estime qu'il est important que l'environnement et le contexte historique soit décrit, notamment ce qui se passait dans le « monde » dans lequel les trois parties évoluaient durant les années cruciales 1981 à 1991?
[28] La Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée le 14 juillet 1977 et est entrée en vigueur par proclamation le 1er mars 1978. L'article 11 de la Loi est entré en vigueur le 1er mars 1978. Lorsque la présente plainte a été déposée devant la Commission le 24 août 1983, un certain nombre d'autres plaintes, des plaintes individuelles et des plaintes de groupe, alléguant la discrimination en vertu de l'article 11 de la Loi, avaient déjà été déposées par l'Alliance et d'autres syndicats des secteurs public et privé. Des tribunaux ont été désignés pour entendre certaines de ces causes mais la majorité ont été réglées à la suite d'une négociation impliquant des modérateurs, et ce, avec le consentement de la Commission.
[29] La Loi, laquelle est une loi quasi constitutionnelle portant sur les droits de la personne, énonce des principes généraux concernant l'interdiction de la discrimination fondée sur des motifs particuliers. La Loi a prévu la création d'une Commission canadienne des droits de la personne qui s'est vu accorder le pouvoir de participer activement à l'évolution de la Loi par le biais du traitement des plaintes et par l'élaboration et l'émission d'ordonnances en vertu du paragraphe 27(2). De plus, la Commission doit notamment entreprendre ou patronner des programmes de recherche dans les domaines qui ressortissent à ses objets et sensibiliser le public à l'objet de la Loi, tout en tentant d'empêcher la perpétration des actes discriminatoires visés par la Loi. Tout ceci, sans aucun doute, a imposé dès le début des défis exigeants à la Commission ainsi qu'à son personnel. Parallèlement, nous étions dans une période de compressions budgétaires tant au niveau des gouvernements provinciaux qu'au niveau du gouvernement fédéral.
[30] La négociation collective a été introduite dans la fonction publique du Canada en mars 1967 sous l'égide de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique2 (LRTFP), laquelle prévoyait que le gouvernement et la Commission de la fonction publique devaient édicter et déclarer des groupes de catégories d'emploi en vue de syndiquer officiellement les employés du gouvernement. Chaque catégorie d'emploi devait être définie par l'énumération des groupes d'employés constituant cette catégorie. Les employés du Bureau de poste, qui était à l'époque un ministère du gouvernement canadien, faisaient partie des mêmes catégories et des mêmes groupes que les employés des autres ministères du gouvernement, à l'exception des employés qui participaient directement à la manutention du courrier. Ce groupe unique était appelé « Préposés à la manutention du courrier » et comprenait les commis aux postes, les facteurs, les expéditeurs des postes, préposés à la manutention du courrier surveillants et de nombreux autres employés dont la fonction avait trait au tri et à la livraison du courrier.
[31] La circulation quotidienne de volumes très importants de différents types de courrier dans un pays aussi vaste que le Canada, avec ses nombreux fuseaux horaires et ses différentes conditions climatiques, nécessite un vaste réseau opérationnel bien coordonné. Obligatoirement, un tel réseau comprend des milliers de personnes appartenant à l'entreprise ou des personnes embauchées à contrat et des milliers de comptoirs postaux dans les régions urbaines et rurales, en plus de nombreuses installations de traitement du courrier dans l'ensemble du pays. L'état des relations avec les employés est de toute évidence un élément essentiel quant à l'efficacité de l'exploitation d'un réseau aussi complexe. Avant l'adoption de la LRTFP en 1967 et de l'accréditation ultérieure de divers syndicats représentant des groupes professionnels particuliers d'employés au sein de ce qui s'appelait alors le ministère des Postes, les employés étaient surtout représentés, officieusement, par des associations de personnel. La plus ancienne de ces associations aurait été formée en 1889.
[32] Dans les années 1960 et 1970, le ministère des Postes a connu l'une de ses périodes les plus troublées en matière de relations de travail. Bien qu'à cette époque on ait assisté à la naissance du système du code postal (1971) et à l'évolution de la technologie du traitement mécanisé du courrier, on a également assisté à de nombreux conflits employeur-employés qui ont mené à de nombreuses grèves.
[33] Le ministère des Postes a été remplacé par la Société canadienne des postes avec la proclamation de la Loi sur la Société canadienne des postes3 le 16 octobre 1981. L'un des objets visés par la nouvelle société, précisé dans la loi habilitante, est que dans l'exercice de sa mission la Société « [...] veille à l'autofinancement de son exploitation dans des conditions de normes de service adaptées aux besoins de la population du Canada [...] »4. La création de la société d'État a semblé avoir été approuvée par l'ensemble des partis politiques nationaux et par la plupart des syndicats, des associations de chefs d'entreprise et des organismes de défense des consommateurs. Il semblait également y avoir un consensus que l'un des nombreux objectifs recherchés par la nouvelle société était la réforme de sa structure de négociation collective dans le but d'obtenir la paix dans le milieu de travail.
[34] Après être devenue une société d'État, les unités de négociation accréditées en vertu de la LRTFP ont été réputées être des unités de négociation en vertu du Code canadien du travail5 et les agents de négociation représentant ces unités de négociation ont été maintenus dans leurs fonctions, vraisemblablement pour assurer une période de transition de stabilité relative et pour donner l'occasion à la nouvelle société de se restructurer. Cela a toutefois empêché un démarrage rapide de la réforme du processus de négociation collective qui a été davantage retardée par le passage, en 1982, de la loi fédérale sur le contrôle des dépenses de 6 et 5 p. 100. Le Conseil canadien des relations de travail (CCRT) a émis, en février 1984, un énoncé de politique exigeant un examen global de la structure de l'unité de négociation de la Société à un moment opportun dans l'avenir. Cet examen a finalement commencé en mai 1985 lorsque la Société a déposé sa demande auprès du CCRT pour que l'on étudie la pertinence de l'ensemble de ses unités de négociation alors existantes.
[35] L'étude du CCRT de 1985 a été réalisée sous la forme d'un Processus d'examen des unités de négociation (PEUN) dont la première phase des audiences s'est terminée en décembre 1987; la première décision du CCRT a été rendue le 10 février 1988. Le CCRT a entendu les témoignages de 8 syndicats comprenant 26 unités de négociation (représentant environ 58 000 employés) et a ordonné qu'ils soient tous regroupés en quatre syndicats de négociation et quatre unités de négociation. Les quatre syndicats sont les suivants :
L'Association canadienne des maîtres de poste et adjoints (ACMPA)
Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP), comprenant l'Union des facteurs du Canada (UFC), la Fraternité internationale des ouvriers en électricité (FIOE), le groupe Manuvre et hommes de métier, le groupe Services divers, et le STTP originel
L'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC) représentant les employés des services administratifs, les employés des services techniques et les employés professionnels, comprenant l'intégration de 15 unités distinctes en une seule unité de négociation collective
L'Association des officiers des postes du Canada (AOPC) représentant les employés d'encadrement opérationnel mais excluant les chefs de section et les gestionnaires de premier niveau
[36] Ce n'est qu'en 1988 que la fusion de l'unité de négociation a eu lieu et les rondes de négociation collective 1989-1992 ont été les premières qui ont été tenues avec des représentants des unités réunies - quelque huit années après avoir obtenu le statut de société d'État. Naturellement, alors que l'étude du PEUN était en cours, les négociations entre la Société et les 26 unités de négociation originelles se sont poursuivies. En fait, des négociations actives ont eu lieu durant cette période avec l'UFC, le STTP, l'ACMPA, l'AOPC et l'AFPC, certaines avec un peu de chevauchement et certaines avec l'aide d'une médiation spéciale. Malgré des négociations énergiques, trois grèves ont eu lieu dans les années 1980, dont l'une impliquant l'AFPC.
[37] Les rondes de négociation 1989-1992 entre la Société et le STTP ont été particulièrement éprouvantes pour l'ensemble des parties et elles ont mené à une médiation qui a échoué, des grèves tournantes et une loi du Parlement de retour au travail en 1991. Des ententes ont été conclues durant cette même période avec les trois autres syndicats - l'ACMPA, l'AOPC et l'AFPC - sans arrêts de travail.
II. Le CONTEXTE LÉGISLATIF
A. La nature des lois sur les droits de la personne
[38] Les lois sur les droits de la personne ont vu le jour dans les années 1970. Bien que, au début du vingtième siècle, des demandes aient été faites, souvent par des femmes, quant à des droits à l'égalité, il a fallu des décennies avant que des lois, provinciales et fédérales, s'attaquent au problème de la discrimination en général.
[39] On s'est attaqué au problème de la discrimination dans le monde du travail après la Première Guerre mondiale lorsque l'Organisation internationale du Travail a été fondée en 1919. Vers la même époque, le gouvernement canadien a adopté une loi prévoyant un salaire minimum pour les femmes.
[40] La Déclaration universelle des droits de l'homme6 fut proclamée par l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1948. Elle fut considérée à l'époque comme étant la première étape dans l'élaboration d'une « Charte internationale des droits de l'homme » qui aurait une force légale en plus d'une force morale. L'article 23 de cette Déclaration prévoit notamment que « [t]ous ont droit, sans aucune discrimination, à un salaire égal pour un travail égal ».
[41] Dès 1951, le principe du salaire égal pour un travail de valeur égal a été articulé par l'Organisation internationale du Travail dans la Convention  sur l`égalité de rémunération C1007. Cette convention a été ratifiée par le Canada en 1972 et a annoncé l'engagement du Canada à défendre activement les droits de la personne, notamment le principe du « salaire égal pour un travail de valeur égal ». Cet engagement a été réaffirmé lorsque le Canada a ratifié le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies8, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques9, et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques10 en 1976. Ces pactes des Nations Unies ont permis la réalisation d'une « Charte internationale des droits de l'homme » à laquelle on rêvait depuis longtemps.
[42] L'article 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît le droit qu'a toute personne à « [u]n salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour un même travail [...] »11.
[43] En 1970, le Canada a créé une Commission royale pour enquêter sur la situation de la femme. Le rapport de la Commission royale a mis l'accent sur le fait que la discrimination à l'égard des femmes existait toujours en milieu de travail12. La participation des femmes à la main-d'oeuvre canadienne n'a cessé d'augmenter au fil des décennies. Durant la période de 20 ans qui va de 1960 à 1979, elle a connu le même pourcentage d'augmentation que durant la période de 60 ans qui va de 1901 à 1961.
[44] L'engagement du Canada envers l'élimination de la discrimination en milieu de travail a été élargi afin d'inclure une définition plus large des droits de la personne par la promulgation de la Loi canadienne sur les droits de la personne en 1978 et, en 1981, par la signature du Canada de la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes13.
[45] Les objectifs généraux visés par les lois sur les droits de la personne sont la prévention de la discrimination et la promotion de l'éducation du public quant à l'élimination de la discrimination. Ces objectifs sont fondés sur la croyance de la société au droit à l'égalité de ses membres. Après coup, ils sont une tentative de remettre les victimes de discrimination dans leur état antérieur par une résolution consensuelle ou par une résolution prescrite. Le juge en chef Dickson a souligné dans Canada (Commission des droits de la personne) c. Taylor, [1990] 3 R.C.S. 892 que l'objet général de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel qu'il est énoncé à l'article 2, est « l'égalité des chances indépendamment de considérations fondées notamment sur des pratiques discriminatoires »14.
[46] Une protection législative des droits de la personne demande une interprétation des lois qui est large et à caractère final, faite d'« une façon compatible avec leurs objectifs prédominants »15. En d'autres mots une interprétation d'une loi sur les droits de la personne doit favoriser l'objet de ces lois visant à éduquer le public et à mettre fin à la discrimination. Pour ce faire, l'interprétation de la loi doit être large et il faut éviter de faire une analyse étroite, trop technique. On interprétera ainsi les droits prévus dans la loi d'une façon large et libérale, tout en interprétant les restrictions et les exceptions de la loi de façon rigoureuse.
[47] La Cour suprême du Canada a souligné dans Winnipeg School Division no 1 c. Craton [1985] 2 R.C.S. 150 :
qu'[u]ne loi sur les droits de la personne est de nature spéciale et énonce une politique générale applicable à des questions d'intérêt général. Elle n'est pas de nature constitutionnelle, en ce sens qu'elle ne peut pas être modifiée, révisée ou abrogée par la législature. Elle est cependant d'une nature telle que seule une déclaration législative claire peut permettre de la modifier, de la réviser ou de l'abroger, ou encore de créer des exceptions à ses dispositions16.
[48] Cette caractérisation de la Loi canadienne sur les droits de la personne comme étant quasi constitutionnelle demande une approche réfléchie et moderne à son interprétation. La remarque suivante, extraite de l'ouvrage d'E.A. Dreidger, intitulé Construction of Statutes17 et de celui de Ruth Sullivan, intitulé Dreidger on the Construction of Statutes18, montre l'approche moderne, contextuelle à l'interprétation de la loi :
[...] il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur19.
Il n'existe qu'une seule règle d'interprétation moderne : les tribunaux sont tenus d'interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l'objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d'interprétation, ainsi que des sources acceptables d'aide extérieure. Autrement dit, les tribunaux doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d'un texte législatif. Cela fait, ils doivent ensuite adopter l'interprétation qui est appropriée20.
Le sens des mots dans un texte législatif ne dépend pas seulement de leur contexte immédiat, mais aussi d'un contexte plus large, qui comprend l'ensemble de la Loi et l'ensemble des lois en vigueur. Les présomptions de cohérence et d'uniformité d'expression s'appliquent non seulement aux lois traitant d'une même matière, mais aussi quoique avec moins de force à l'ensemble des lois adoptées par le législateur. [...] Par conséquent, toutes choses étant égales par ailleurs, on retiendra les interprétations qui réduisent la possibilité de contradiction ou d'incohérence parmi les différentes lois21.
[49] En plus de ces observations, la Cour suprême a souligné la nécessité d'utiliser la Loi d'interprétation comme l'a fait le juge Iacobucci lorsqu'il a affirmé ce qui suit :
Je m'appuie également sur l'article 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois "sont réputées apporter une solution de droit" et doivent "s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leur sens, intention et esprit véritables"22.
[50] En plus d'un examen de la nature des lois sur les droits de la personne et des principes résultants de l'interprétation des lois, lorsque le Tribunal examine des lois aussi spéciales, il doit également, durant le processus décisionnel, examiner l'historique de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cet historique est examiné dans les prochains paragraphes.
B. L'historique de la Loi canadienne sur les droits de la personne
[51] Tel qu'il a déjà été mentionné, la Loi canadienne sur les droits de la personne a été adoptée en 1977 et est entrée en vigueur au début de 1978. Bien que plus de 25 ans se soient écoulés, les droits à l'égalité font toujours l'objet d'un litige et d'un débat. La juge L'Heureux-Dubé, dans un discours qu'elle a prononcé après avoir reçu un doctorat honorifique du Barreau du Haut-Canada en 2002, a souligné que :
Les mots se terminant par le suffixe isme ou phobie - racisme, sexisme, homophobie et tout le reste - sont tous des sources de discrimination et de harcèlement. Ils n'ont aucune place en cette époque de droits de la personne [...] L'égalité sera la bataille du millénaire. À l'occasion, les porte-étendards de l'égalité se sentiront seuls et seront durement critiqués en raison de leurs positions. Mais, pour ceux qui font ce qui est bien, la confirmation et la solidarité

viendront en temps opportun. Je crois fermement qu'une justice sans égalité n'est pas du tout une justice [...] 23.
[52] L'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne traite de l'objectif de l'égalité. Il mentionne que la Loi a pour objet :
... [de donner] effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.
[53] En mai 1977, le ministre de la Justice de l'époque, l'honorable Ron Basford, a affirmé ce qui suit durant les débats parlementaires qui ont précédé l'adoption de la Loi, et plus particulièrement l'adoption de l'article 11 de la Loi :
Sans le moindre doute, il y aura certains problèmes [...] [avec] le concept [de salaire égal pour un travail de valeur égale]. Le gouvernement fédéral a adopté une attitude différente : nous devons légiférer quand au principe et, par l'entremise de la Commission et de ses efforts en vue d'établir des lignes directrices, nous pourrons résoudre ces probèmes [...] indiquant comment mettre cela en application et comment y parvenir24.
[54] En d'autres mots, l'article 11 de la Loi est un énoncé de principe qui n'impose pas de règles strictes indiquant comment ce principe doit être appliqué. L'honorable Ron Basford a déclaré que cet article du projet de loi a été créé pour s'attaquer au problème particulier du cloisonnement professionnel des femmes, avec son historique de taux de rémunération plus faible fondé sur la sous-évaluation du travail des femmes sur le marché. La nécessité de s'attaquer à ce problème a été l'une des raisons sous-jacentes des conventions internationales du milieu du vingtième siècle et a été une recommandation clé du Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada25.
[55] Il est ressorti de ces conventions internationales et du Rapport de la Commission royale, la notion très large qui consiste à fixer les salaires en fonction de la valeur du travail effectué. L'article 11 de la Loi traite du principe qu'il ne doit y avoir aucune discrimination fondée sur le sexe en matière de taux de rémunération. Le salaire devrait être fixé en fonction de la valeur du travail effectué.
[56] Comme l'adhésion du Canada aux conventions internationales et aux recommandations de sa propre Commission royale constituée par le gouvernement fédéral a été traitée par l'article 11 de la Loi, son objet doit être examiné du point de vue historique.
[57] Par conséquent, l'article 11, bien qu'il soit fondé sur les plaintes, comme l'est d'ailleurs la Loi en général, peut être interprété comme étant la façon du législateur de s'attaquer à la discrimination systémique fondée sur le sexe dans le monde de l'emploi.
[58] Bien que le principe de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » constitue le fondement de l'article 11, celui-ci est silencieux quant à son application. Alors que l'article 11 énonce à l'intention du plaignant les critères qui doivent être utilisés pour évaluer la valeur du travail - c'est-à-dire, le dosage des quatre éléments suivants : les qualifications, les efforts, les responsabilités et les conditions de travail - il ne dit rien sur le processus d'évaluation qui doit être employé.
[59] La Commission s'est vu conférer un vaste pouvoir pour faire face aux subtilités de l'article 11 comme la capacité de prendre des ordonnances ayant force obligatoire concernant certains concepts figurant dans l'article. Ce pouvoir de prendre des ordonnances crée ce qui peut être décrit comme étant des règles statutaires servant à guider l'interprétation de l'article 11, ce qui ressemble à la création de règlements pour d'autres lois.
[60] La plainte dont le Tribunal est saisi appelle une interprétation de l'ensemble des aspects de l'article 11. Il semble que ce soit la première plainte fondée sur l'article 11 de la Loi renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne qui nécessite un examen aussi exhaustif.
III. LES QUESTIONS FONDAMENTALES
[61] Le Tribunal devra examiner quatre questions fondamentales au fur et à mesure qu'il examine la présente plainte. Ces questions sont énumérées ci-après et seront examinées en détail dans les Sections IV, V et VI.
A. L'indépendance et l'impartialité du Tribunal
[62] Le Tribunal est-il un tribunal quasi judiciaire impartial, indépendant au plan institutionnel? La Loi crée-t-elle notamment une crainte raisonnable de partialité institutionnelle de la part du Tribunal parce qu'elle donne à la Commission le pouvoir de prendre des ordonnances sur la parité salariale26 (les ordonnances) qui lient la Commission, laquelle est partie devant le Tribunal, et qui lient le Tribunal?
B. La rétroactivité et la validité des ordonnances
[63] Une loi peut-elle être appliquée rétroactivement ou rétrospectivement? Un pouvoir délégué de prendre des mesures législatives subordonnées, comme les ordonnances, peut-il être exercé rétroactivement ou rétrospectivement?
[64] Quel est le critère applicable quant à la validité des mesures législatives subordonnées? Le paragraphe 8(2) et les articles 11 à 15 de l'ordonnance de 198627 sont-ils valides?
C. La preuve par présomption
[65] Le juge Evans a souligné ce qui suit :
On peut donc croire que le paragraphe 11(1) a remédié au problème de la preuve en édictant une présomption selon laquelle, lorsque les femmes et les hommes reçoivent un salaire différent pour exécuter des fonctions équivalentes, cet écart est fondé sur le sexe, à moins qu'il puisse être attribué à un facteur que la Commission a reconnu comme motif raisonnable dans une ordonnance28.
[66] Bien que toutes les parties dans la présente plainte accepte cette déclaration du juge Evans, la question suivante se pose : cette présomption est-elle une présomption réfutable par des éléments autres que ceux qui sont mentionnés dans les ordonnances?
D. La preuve prima facie
[67] La plaignante a-t-elle établi prima facie une preuve de discrimination fondée sur l'article 11 de la Loi?
[68] La preuve prima facie a été définie de la façon suivante :
[...] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur intimé29.
[69] La norme de la preuve que l'on doit utiliser pour décider si une preuve prima facie a été établie par la plaignante est la norme civile, la prépondérance des probabilités. Une fois qu'une preuve prima facie a été établie par la plaignante, il incombe à l'intimé de démontrer que la discrimination était justifiée en utilisant la prépondérance des probabilités comme norme de preuve.
IV. L'EXAMEN DES QUESTIONS FONDAMENTALES
A. L'indépendance et l'impartialité du Tribunal
[70] Postes Canada a soulevé cette question la première fois en mai 1998 lorsque son avocat nouvellement mandaté a informé le Tribunal qu'une requête concernant [Traduction] « l'indépendance judiciaire et l'indépendance institutionnelle » du Tribunal était examinée.
[71] La question de l'indépendance et de l'impartialité du Tribunal a été soulevée après que la juge McGillis eut rendu une décision le 23 mars 1998 en Cour fédérale (Section de première instance)30.
[72] Cette décision a été l'aboutissement d'un contrôle judiciaire d'une décision rendue par le tribunal constitué pour entendre une plainte déposée en vertu de l'article 11 de la Loi par un certain nombre d'employés de Bell Canada et leurs syndicats. Après avoir entendu les plaidoiries quant à la requête de Bell Canada demandant que le tribunal s'estime incapable de poursuivre en raison d'une crainte de partialité, le tribunal a conclu qu'il était « un organisme quasi judiciaire indépendant, capable sur le plan institutionnel de procéder à l'audition d'une affaire d'une manière équitable et conforme aux principes de justice naturelle »31.
[73] La demande de contrôle judiciaire de la décision du tribunal a été accueillie et la Cour fédérale a conclu que le régime établi par la loi, à l'époque, ne garantissait pas suffisamment l'inamovibilité et la sécurité financière des membres du tribunal pour permettre au tribunal de fonctionner avec indépendance et impartialité. On s'est préoccupé du fait que la rémunération des membres du tribunal était contrôlée par la Commission, une partie dans presque toutes les instances dont il est saisi. De plus, la juge McGillis a mentionné qu'il existait certaines préoccupations concernant la capacité de la Commission de prendre des ordonnances obligatoires. La juge McGillis a fait remarquer, dans une remarque incidente, que le pouvoir de la Commission de rendre des ordonnances précisant « [...] les limites et les modalités de l'application de la présente loi qui lient les tribunaux » soulève des craintes quant à la capacité du tribunal d'agir d'une manière indépendante et impartiale32. Selon la juge McGillis ce problème pourrait être corrigé en rendant des ordonnances qui ne lient pas le Tribunal.
[74] Par conséquent, l'ensemble des procédures dans la plainte de Bell Canada ont été annulées et il a été ordonné qu'aucune autre procédure ne soit engagée quant à la plainte tant que le législateur n'aurait pas apporté les modifications nécessaires à la loi afin de régler les problèmes pertinents.
[75] Postes Canada a présenté sa requête en juin 1998 et a demandé ce qui suit :
1. une ordonnance ou une décision de la part du Tribunal selon laquelle il n'est pas un tribunal indépendant ou impartial capable de procéder à une audience équitable en conformité avec les principes de justice fondamentale garantis par l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits, L.R.C. 1985, parce que, notamment, il est lié dans son interprétation de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne par les Ordonnances prises par la Commission canadienne des droits de la personne, une partie ayant un intérêt dans l'affaire;
2. une ordonnance ou une décision de la part du Tribunal selon laquelle il n'est pas un tribunal indépendant ou impartial capable de procéder à une audience équitable en conformité avec les principes de justice fondamentale garantis par l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits, L.R.C. 1985 parce que la rémunération des membres du Tribunal est fixée par la Commission et que, du début des audiences du Tribunal jusqu'au 1er janvier 1997, elle a été remise sous forme de chèques émis par la Commission;
3. subsidiairement, une ordonnance du tribunal renvoyant les questions ci-dessus soulevées à la Cour fédérale en vertu de l'article 18.3 de la Loi sur la Cour fédérale L.R.C. 1985 ch. F-7 et les articles 320 et 323 des Règles de la Cour fédérale (1998).
[76] La requête a été débattue en août et septembre 1998. Le Tribunal a rendu sa décision le 21 octobre 1998 et a rejeté la requête de Postes Canada de la manière suivante :
[Traduction]
En ce qui concerne la question de la sécurité financière dans un tribunal et de l'inamovibilité des membres du Tribunal, le Tribunal conclut qu'il ne fait aucun doute qu'un désistement peut servir comme objection à une allégation de crainte raisonnable de partialité, comme en témoigne la jurisprudence citée [...]. Un fait est incontestable. À aucun moment au cours des six dernières années, Me Juriansz, l'avocat de l'intimée, n'a soulevé la question de l'inamovibilité ou de la sécurité financière du Tribunal [...]. Le Tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, l'intimée aurait su qu'il pouvait contester, de façon opportune, la compétence du Tribunal en raison d'une crainte raisonnable de partialité découlant de ces deux questions. Par conséquent, comme une telle objection n'a jamais été soulevée, pour quelque raison que ce soit, l'intimée doit être présumée avoir implicitement renoncé à son droit de contester l'indépendance ou l'impartialité du Tribunal sur le fondement de ces deux questions33.
[77] Le Tribunal a décidé ce qui suit quant à l'argument de Postes Canada que le caractère obligatoire des Ordonnances, lesquelles ont été préparées par la Commission, une partie devant le Tribunal, a créé une situation où le Tribunal ne pouvait pas accorder une audience équitable en conformité avec les principes de justice fondamentale :
[Traduction]
En ce qui concerne le caractère obligatoire des Ordonnances prévu au paragraphe 27(3) de la Loi, le Tribunal conclut que dès le début de l'audience les parties avaient toutes convenues que cette question devait être traitée lors des conclusions finales, après avoir entendu le témoignage de l'ensemble des parties.
Une autre façon d'envisager cette affaire est que l'exercice du droit de l'intimée de contester la question du caractère obligatoire des Ordonnances au motif qu'elles invalident l'indépendance et l'impartialité du Tribunal, a été reporté, par consentement, du début des procédures jusqu'à la plaidoirie finale, parce que l'ensemble des parties ont convenu qu'il était sage que le Tribunal entende d'abord la preuve de telle sorte qu'il comprenne l'objet visé par les Ordonnances.
Le droit de l'intimée de s'opposer n'a donc pas été résilié-il a été reporté et peut toujours être exercé « à la toute fin ». Il n'est pas question de renonciation en l'espèce. On a renoncé à rien quant à la question des Ordonnances - il ne s'agit que d'un accord que l'on a conclu ouvertement et honnêtement dans le but de traiter cette question plus tard34.
[78] Par conséquent, le Tribunal a continué d'entendre la preuve.
[79] Le 30 juin 1998, un certain nombre de modifications à la Loi sont entrées en vigueur, dont les suivantes :
Le paragraphe 27(2) prévoit que « dans une catégorie de cas donnés » plutôt que « dans un cas ou une catégorie de cas donnés » la Commission peut prendre une ordonnance liant la Commission et le tribunal.
Le paragraphe 48.2(2) reconnaît qu'un membre du tribunal dont le mandat est échu « [...] peut, avec l'agrément du président, terminer les affaires dont il est saisi ».
Le paragraphe 48.6(1) prévoit que les membres du tribunal reçoivent « [...] la rémunération que fixe le gouverneur en conseil » plutôt que les membres du tribunal ont droit « [...] à la rémunération et aux indemnités de dépenses fixées par règlement administratif de la Commission »35.
[80] Après que la Loi fut modifiée en juin 1998, le vice-président du Tribunal canadien des droits de la personne a décidé de reprendre l'audience du tribunal de la plainte de Bell Canada. Bell Canada, toutefois, a maintenu sa position que, même avec la modification au paragraphe 27(2) de la Loi, le tribunal était empêché de rendre un jugement indépendant dans une catégorie de cas donnés dans lesquels des ordonnances ayant un effet obligatoire ont été prises par la Commission, une partie intéressée dans l'affaire. Elle a prétendu, dans un contrôle judiciaire de la décision d'avril 199936 de reprendre l'audience de l'affaire Bell Canada, que le caractère obligatoire des ordonnances mène inévitablement à une perception de partialité et de manque d'indépendance institutionnelle. La juge Tremblay-Lamer de la Cour fédérale (Section de première instance) a souscrit à cette prétention. Dans une décision rendue le 2 novembre 2000, on a conclu que le caractère obligatoire des ordonnances prises par la Commission était incompatible avec les garanties d'indépendance institutionnelle et d'impartialité qui sont essentielles aux pouvoirs décisionnels du tribunal37.
[81] La décision de la Cour d'appel fédérale du 24 mai 2001 a infirmé la décision de la juge Tremblay-Lamer38. Cette décision de la Cour d'appel a été confirmée par la Cour suprême du Canada, laquelle a rendu sa décision le 26 juin 200339. Elle a conclu que les paragraphes 27(2) et (3) de la Loi, dans leur version modifiée, qui ont trait à la prise d'ordonnances ayant un effet obligatoire, n'étaient pas incompatibles avec l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits, L.C. 1960, c. 44, qui prévoit qu'une partie a droit à « une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale ». Aucun des deux paragraphes n'est incompatible avec le principe constitutionnel de l'indépendance juridictionnelle. Par conséquent, on a conclu que ces paragraphes de la Loi n'étaient pas sans effets ou inapplicables.
[82] La Cour suprême du Canada a examiné l'argument particulier de Bell Canada que le caractère obligatoire des ordonnances crée une perception d'absence d'indépendance et d'impartialité de la part d'un tribunal qui entend une plainte. De plus, Bell Canada avait prétendu que les ordonnances, créées par une partie à l'instance, et liant le tribunal, créeraient une crainte de partialité. La Cour suprême a souligné ce qui suit :
Comme la Commission l'a d'emblée reconnu, le pouvoir des ordonnances est limité. À l'instar d'autres organismes investis d'un pouvoir de législation déléguée, la Commission ne peut pas outrepasser le pouvoir qui lui a été conféré et elle est soumise à un contrôle judiciaire rigoureux [...]. Le Tribunal peut et, en fait, doit refuser d'appliquer les ordonnances qui, à son avis, outrepassent les pouvoirs de la Commission parce qu'elles vont à l'encontre de ses lois habilitantes, c'est-à-dire la Loi, la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits. Le pouvoir de trancher les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi, conféré au Tribunal par le paragraphe 50(2) de la Loi, est manifestement un pouvoir général d'examiner des questions de droit, notamment des questions relatives à la Charte et à la Déclaration canadienne des droits : [...] Aucune loi invalide ne lie le Tribunal. De plus, les ordonnances prises par la Commission, comme toute mesure législative subordonnée, sont assujetties à la présomption d'absence d'effet rétroactif. Étant donné que la Loi ne contient pas de termes précis qui traduiraient l'intention de renoncer à cette présomption, aucune ordonnance ne peut s'appliquer rétroactivement. Il s'agit là d'un empêchement majeur à toute tentative d'influencer l'issue d'une affaire en cours d'instance devant le Tribunal par la prise d'une nouvelle ordonnance. Enfin, toute partie devant le Tribunal pourrait contester une ordonnance prise par la Commission au motif que celle-ci a agi de mauvaise foi ou dans un but illicite; aucune ordonnance n'est censée primer sur les exigences de l'équité procédurale qui régissent le Tribunal40.
Le Parlement a de toute évidence décidé que la Commission exercerait un pouvoir législatif délégué. Comme tous les pouvoirs de prendre des mesures législatives subordonnées, le pouvoir de prendre des ordonnances que les paragraphes  27(2) et 27(3) confèrent à la Commission est rigoureusement limité. Nous ne voyons donc pas comment le pouvoir de prendre des ordonnances prévu par la Loi amènerait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, à croire à une « réelle probabilité de partialité »41.
[83] Par conséquent, la Cour suprême du Canada a répondu à l'argument concernant l'application des ordonnances et de leur incidence sur l'impartialité et l'indépendance du Tribunal. Cet argument avait été laissé pour « la toute fin » de la décision du Tribunal quant à la requête de 1998 de Postes Canada. La longue discussion de la Cour suprême quant au pouvoir conféré par la Loi à la Commission de prendre des ordonnances s'applique autant à l'époque présente qu'à l'époque où la Loi a été adoptée.
[84] Dans sa plaidoirie concernant la décision rendue par la Cour suprême dans l'arrêt Bell Canada, Postes Canada a maintenu son point de vue que la décision de la Cour suprême n'avait pas abordé la question des tribunaux qui ont été institués et qui fonctionnaient avant l'adoption des modifications apportées à la Loi en 1998. Postes Canada a renvoyé au premier paragraphe de la décision de la Cour suprême dans Bell Canada dans lequel il est mentionné que la question en litige que la Cour doit trancher est de savoir si le Tribunal est dépourvu de l'indépendance et de l'impartialité requises du fait que la Commission a le pouvoir de prendre des ordonnances qui lient le Tribunal « [. . .] dans "une catégorie de cas donnés" [. . .] ».
[85] Par conséquent, selon la prétention de Postes Canada, la Cour suprême a parlé des tribunaux qui existaient après 1998. Ce n'est que lors des modifications de 1998 que le pouvoir de prendre des ordonnances a été confiné à une « catégorie de cas donnés ». Avant les modifications de 1998, l'ancien paragraphe 27(2) de la Loi autorisait la prise d'ordonnance « dans un cas » ou une « catégorie de cas donnés ».
[86] L'argument de Postes Canada était que le Tribunal actuel, créé en 1992, n'était pas visé par la décision rendue par la Cour suprême dans Bell Canada.



[87] La position de la Commission sur cette question a été qu'elle avait été expressément traitée par la Cour d'appel fédérale dans la décision unanime Territoires du Nord-Ouest c. Alliance de la Fonction publique du Canada [2001], A.C.F. n× 791. Au paragraphe 41 de cette décision, la Cour d'appel fédérale mentionne ce qui suit :
L'appelant (le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest) soutient que la disposition modifiée porte encore atteinte à l'indépendance et à l'impartialité du Comité du tribunal des droits de la personne chargé d'entendre la plainte déposée contre lui. L'appelant a tenu pour acquis, à juste titre d'après moi, que le paragraphe 27(3) a, sous sa forme actuelle, une portée réduite en raison de la modification du paragraphe 27(2) et s'applique à l'examen de la plainte déposée contre lui [...] Il est raisonnable dans ces circonstances d'en déduire que le législateur avait l'intention que les nouveaux paragraphes 27(2) et (3) dont la portée a été restreinte continuent de s'appliquer aux enquêtes relatives à une catégorie de cas, comme celui qui nous occupe, qui ont été commencées avant la modification et poursuivies par la suite, d'autant plus que la modification de 1998 avait un objet réparateur et visait à éviter toute atteinte aux règles de la justice naturelle. L'effet combiné de la loi modificatrice et de la disposition transitoire a été, d'une part, de restreindre le pouvoir de la CCDP d'émettre des directives impératives à des catégories de cas donnés et, d'autre part, de faire en sorte que les directives déjà émises à l'égard d'une catégorie de cas donnés lient les trois membres du Comité du tribunal des droits de la personne qui achèvent l'enquête dont il s'agit ici.
[88] Selon la Commission, la Cour d'appel a conclu que l'article 27 actuel s'appliquait aux procédures de la cause Territoires du Nord-Ouest malgré le fait que son tribunal avait été constitué avant les modifications de 1998. Le comité a poursuivi en vertu des dispositions transitoires de la Loi tout en ne portant pas atteinte à l'application de la Loi modifiée. De plus, aucune ordonnance ayant force obligatoire propre à la cause de l'appelant n'a été prise par la Commission.
[89] La Commission a prétendu que, comme la cause Territoires du Nord-Ouest était régie par les mêmes dispositions que le Tribunal, c'est-à-dire les dispositions qui existaient avant 1998, la décision de la Cour d'appel, laquelle n'a pas été contredite par la décision de la Cour suprême dans Bell Canada, s'applique également au Tribunal et, de fait, lie ce dernier.
[90] Tout comme dans la cause Territoires du Nord-Ouest, le Tribunal a poursuivi en vertu des dispositions transitoires et a été lié par la modification de 1998 à l'article 27. Enfin, aucune ordonnance propre à la cause n'a été prise par la Commission.
[91] Le Tribunal estime que la prétention de la Commission est plus convaincante et convient que la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans la cause Territoires du Nord-Ouest est pertinente et le lie dans ses délibérations.
[92] Le Tribunal, pour l'ensemble des motifs dans la présente partie, conclut qu'il est un organisme quasi judiciaire indépendant et impartial, capable de procéder à l'audition d'une cause d'une manière équitable et conforme aux principes de la justice fondamentale.
B. La rétroactivité et la validité des ordonnances
(i) Contexte
[93] En plus d'être une réponse complète à l'argument de Postes Canada concernant le caractère obligatoire des ordonnances en rapport avec l'indépendance et l'impartialité du Tribunal, la Cour suprême du Canada a également abordé, dans sa décision de juin 200342, la question de la rétroactivité et de la validité des ordonnances.
[94] Comme il est souligné au paragraphe 82 susmentionné, bien que les ordonnances soient décrites comme étant « impératives », elles ne lient le Tribunal que si elles ne sont pas invalides car « aucune loi invalide ne lie le Tribunal ». Le Tribunal peut conclure que les ordonnances ont été rédigées par la Commission de manière à « outrepasser le pouvoir qui lui a été conféré [...][et par conséquent] outrepassent les pouvoirs de la Commission parce qu'elles vont à l'encontre de ses lois habilitantes, c'est-à-dire la Loi, la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droit ».
[95] De plus, la Cour a traité de la question de l'« effet rétroactif » des ordonnances. Elle a souligné que :
les ordonnances prises par la Commission, comme toute mesure législative subordonnée, sont assujetties à la présomption d'absence d'effet rétroactif. Étant donné que la Loi ne contient pas de termes précis qui traduiraient l'intention de renoncer à cette présomption, aucune ordonnance ne peut s'appliquer rétroactivement. Il s'agit là d'un empêchement majeur à toute tentative d'influencer l'issue d'une affaire en cours d'instance devant le Tribunal par la prise d'une nouvelle ordonnance 43.
[96] Comme la Cour suprême l'a également souligné : « toute partie devant le Tribunal pourrait contester une ordonnance prise par la Commission au motif que celle-ci a agi de mauvaise foi ou dans un but illicite »44.
[97] En se fondant sur son interprétation de la présomption d'absence d'effet rétroactif, Postes Canada a prétendu, devant le Tribunal, que les ordonnances qui doivent être utilisées pour la présente plainte sont celles qui étaient en vigueur au moment où la plainte a été déposée auprès de la Commission en 1983. Par conséquent, l'argument est que seule les Ordonnances de 1978 sur l'égalité de rémunération (l'OER de 1978) (modifiée en 1982)45 devrait présenter un intérêt pour le présent Tribunal dans le cadre de son processus décisionnel.
[98] De plus, Postes Canada a prétendu que, si le Tribunal rejette ses prétentions concernant l'effet rétroactif et accepte que l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale (l'OPS de 1986) est pertinente quant à la présente plainte, un certain nombre des dispositions de l'OPS de 1986 devraient être déclarées invalides. Postes Canada conteste le paragraphe 8(2) ainsi que les articles 11 à 15 de l'OPS de 1986.
[99] Aucune ordonnance n'a été contestée pour le motif qu'elle aurait été promulguée de mauvaise foi ou dans un but illicite. Les ordonnances ne sont promulguées qu'une fois que la Commission a reçu les commentaires de divers groupes d'intérêts comme les sociétés sous réglementation fédérale, les organismes gouvernementaux et les ministères gouvernementaux. En l'espèce, parmi les parties intéressées qui ont activement donné des conseils à la Commission avant la promulgation de l'OPS de 1986, on retrouve Postes Canada.
(ii) En quoi le concept de la « rétroactivité » est-il pertinent quant à la présente plainte?
a) Observations des parties
[100] Toutes les parties conviennent dans leurs observations concernant l'effet rétroactif, que, comme Postes Canada l'a affirmé dans ses observations : [Traduction] « la rétroactivité comporte la question de savoir quelle loi s'applique à un moment précis dans le temps »46.
[101] Comme l'a souligné Postes Canada dans ses observations concernant la rétroactivité, les auteurs en droit administratif, tels Sullivan et Dreidger, ont écrit des livres sur l'effet rétroactif de la loi. Selon les propos de l'avocat de Postes Canada [Traduction] « une application rétroactive d'une loi modifie les effets antérieurs d'une situation antérieure, la situation donnant lieu aux effets est antérieure et les effets sont antérieurs »47.
[102] Postes Canada poursuit en soulignant que :
[Traduction]
une application rétrospective de la loi modifie les effets futurs de situations antérieures, la situation qui nous intéresse est déjà passée mais ses effets ne sont pas tous passés. Un certain nombre d'effets apparaîtront dans l'avenir et si la loi peut les modifier, alors il s'agit d'une application rétrospective [...] Une application immédiate de la loi modifie les effets futurs d'une situation courante [...] la loi s'applique à compter du jour où elle entre en vigueur. Alors la loi s'applique à tout ce qui arrive après [...] l'application prospective de la loi, où la loi qui entre en vigueur ne peut s'appliquer qu'aux situations et aux effets qui surviennent après [...] Qu'en est-il des situations qui ont commencé avant que la loi entre en vigueur? [...] l'ancienne loi survit, la loi qui a été abrogée, l'ordonnance qui a été révoquée, s'appliquent, mais dans le seul but de régir des situations, et ce, jusqu'à ce qu'elles prennent fin [...] Donc, même si la Loi mentionne que les ordonnances sont révoquées lorsque de nouvelles ordonnances sont prises [...] le concept de survie l'emporte sur cela et on laisse l'ancienne loi s'appliquer si cela est nécessaire parce que la nouvelle loi n'est que prospective »48.
[103] Ces observations de Postes Canada soulignent les différentes applications de la loi en fonction du moment que Postes Canada a appelé « situations » et la nécessité que la loi applicable à ces « situations » soit utilisée. Dans son argumentation, Postes Canada a insisté sur le préjudice que subirait un intimé qui était incapable de savoir, avec précision, quelle était la plainte déposée contre lui. Selon Postes Canada, sans cette connaissance, un intimé serait privé de la capacité de répondre pleinement à la plainte. Le devoir d'équité envers tous est le fondement de la présomption d'absence d'effet rétroactif. En général, selon Postes Canada, les « règles du jeu » doivent être connues avant que le jeu commence : c'est-à-dire, un intimé doit savoir quelle loi s'applique au moment où il reçoit la signification d'une plainte, à moins que la loi ne prévoit en termes explicites un changement « au beau milieu du jeu. »
[104] Cet argument a devancé l'examen de l'effet rétroactif fait par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bell Canada de juin 2003. Cette décision a tout particulièrement souligné l'absence d'inclusion dans la Loi canadienne sur les droits de la personne d'une intention que les ordonnances soient appliquées rétroactivement. Par conséquent, les ordonnances ne peuvent pas être appliquées rétroactivement.
[105] Si les ordonnances ne peuvent pas être appliquées rétroactivement, quelle est la « situation » qui détermine le moment où une ordonnance précise doit être appliquée? Lors de ses observations sur ce point, Postes Canada a donné l'exemple hypothétique d'une entente contractuelle relative à un emploi d'été prévoyant un salaire horaire minimum qui est modifiée par une loi au beau milieu de l'été. Dans un tel cas, le taux de rémunération change lorsque la loi est promulguée, peu importe l'entente contractuelle. Le nouveau taux de rémunération ne s'applique pas de façon rétroactive à partir du début du contrat. Cet exemple comporte de la spécificité. Il y a un contrat. Il y a une modification précise apportée par la loi à compter d'une date précise. Il n'y a pas de zone grise dans l'exemple. Aucune allégation de discrimination ne fait partie de l'équation.
[106] Dans le même ordre d'idée, Postes Canada a prétendu qu'il n'y avait aucune zone grise dans la plainte dont le Tribunal est saisi. La date à laquelle la plainte a été déposée devant la Commission devrait être la date qui fixe la loi applicable à la plainte. Postes Canada a prétendu qu'un intimé doit savoir quelle loi est applicable au moment où il est confronté à une plainte. Selon Postes Canada, cela est important parce que, à partir du moment où une plainte est déposée, un intimé doit savoir quelles sont les règles qui s'appliquent afin d'articuler sa position. Durant l'enquête sur une plainte, la position de l'intimé sera influencé par ces « règles ». Selon Postes Canada, si les « règles » font l'objet d'une modification après qu'une plainte a été déposée, l'intimé subira un préjudice.
[107] Postes Canada a de plus prétendu que l'emploi de l'OPS de 1986 porterait atteinte à son droit acquis de se fier aux défenses dont elle disposait en vertu de l'OER de 1978 au moment du dépôt de la plainte. En particulier, Postes Canada a renvoyé à l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national49, pour étayer la position que peu importe que la loi ait ou non un effet rétroactif ou un effet rétrospectif, il est présumé qu'il n'y a aucune intention de porter atteinte aux droits acquis (à moins que le législateur ait voulu qu'il en soit autrement).

[108] Selon Postes Canada, la protection des droits acquis est renforcée par la Loi d'interprétation fédérale dans laquelle le mot « abrogation » comprend une loi ou un règlement. L'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation est ainsi libellé :
43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence [...]
c) [...] de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé.
[109] Postes Canada a soutenu que l'on porterait atteinte à ses droits acquis si l'OPS de 1986 était applicable parce qu'elle impose au Tribunal des règles d'interprétation de l'article 11 de la Loi qui diffèrent suffisamment des règles de l'OER de 1978 pour que la défense de Postes Canada soit affectée. Postes Canada a énuméré un certain nombre de ces différences qui, selon elle, entraîneraient un résultat injuste.
[110] Comme il a déjà été mentionné, toutes les parties ont convenu qu'il existe une présomption allant à l'encontre de l'application rétroactive de la loi, sauf disposition contraire dans la loi habilitante. La Commission a également convenu que, dans le contexte de mesures législatives subordonnées, il existe une restriction légale, plutôt qu'une présomption, qui interdit une telle application.
[111] De plus, la Commission a convenu avec Postes Canada que la définition d'application rétroactive est l'application d'une nouvelle loi à des faits passés. La Commission, a toutefois souligné que les faits doivent avoir pris fin.
[112] En renvoyant à l'application de la loi dans le temps, la Commission s'est appuyée dans ses observations sur les écrits du professeur Sullivan quant à la nécessité de situer les faits dans le temps :
[Traduction]
La loi a clairement un effet rétroactif si elle s'applique à des faits qui ont tous pris fin avant qu'elle n'entre en vigueur. La loi a clairement un effet prospectif si elle s'applique à des faits qui ont tous commencé après son entrée en vigueur. Mais, qu'en est-il des faits en cours, des faits en progrès? Il s'agit soit de faits continus, qui ont commencé mais qui n'ont pas encore pris fin lorsque la loi entre en vigueur, soit de faits successifs, un certain nombre s'étant produit avant et un certain nombre s'étant produit après l'entrée en vigueur de la loi. L'application de la loi à des faits en cours n'est pas rétroactive parce que [...] on ne tente pas de s'immiscer dans le passé et de modifier la loi ou les droits des personnes à compter d'une date antérieure50 [...] (Non souligné dans l'original)
[113] Selon la Commission, il est par conséquent important de déterminer l'ensemble des faits particuliers qui sont pertinents au cas en l'espèce. Dans la cause dont le Tribunal est saisi, il s'agit de savoir quels faits étaient en jeu lorsque l'OPS de 1986 est entrée en vigueur. La Commission a prétendu que les faits pertinents à ce moment-là étaient clairement « en cours » parce que la plainte traite d'une présumée discrimination salariale systémique.
[114] S'inspirant encore une fois des écrits du professeur Sullivan, la Commission a souligné ce qui suit :
[Traduction]
Une telle application [à des faits en cours] peut avoir une incidence sur les droits et les intérêts existants, mais il ne s'agit pas d'une application rétroactive. On dit de la loi qui s'applique à des faits en cours qu'elle a un « effet immédiat »51 [...]
[115] La Commission a insisté sur la nature continue de la discrimination systémique en renvoyant à une décision du juge Hugessen :
La discrimination systémique est un phénomène continu [...] Par sa nature même, elle s'étend sur une certaine période52.
[116] Par conséquent, la Commission a conclu que lorsque l'OPS de 1986 est entrée en vigueur, elle s'appliquait immédiatement et généralement à tous les faits en cours - c'est-à-dire, à des faits qui ont commencé dans le passé, qui se déroulent au moment présent et qui continueront de se dérouler dans l'avenir. Les faits en cause dans une allégation de discrimination salariale systémique seraient des faits continus.
[117] La Commission, a de plus prétendu, que l'OPS de 1986 n'a pas appliqué de nouvelles conséquences juridiques à des faits passés et n'a pas modifié les conséquences juridiques passées de faits passés. Il ne s'agissait donc pas d'une application rétroactive de l'OPS de 1986. L'OPS de 1986 a plutôt codifié la pratique qui a cours à la Commission quant à l'interprétation de l'article 11 de la Loi.
[118] Quant à la position de Postes Canada selon laquelle l'utilisation de l'OPS de 1986 porterait atteinte à ses droits acquis, la Commission a prétendu que le concept de droits acquis ne trouve pas facilement application dans le domaine de l'arbitrage des droits de la personne. La Commission a souligné que la seule jurisprudence à laquelle Poste Canada a renvoyé à l'appui de sa position avait trait à des faits pertinents qui s'étaient déroulés dans le passé, sauf que ces faits s'étaient déroulés dans un contexte de responsabilité civile. Cette situation se démarque nettement de la plainte qui a trait à des faits continus qui se déroulent dans un contexte de droits de la personne.
[119] La Commission a également prétendu qu'il est difficile de voir comment l'OPS de 1986 pourrait porter atteinte à des droits préexistants ou imposer de nouvelles obligations à Postes Canada, parce que l'OPS ne fait qu'interpréter et préciser des droits et des obligations qui existaient avant son adoption. Elle ne mène en aucune façon à des modifications à la loi.
[120] De plus, la Commission a fait valoir que l'OPS de 1986 n'a enlevé aucun des moyens de défense reconnus antérieurement par l'OER de 1978 que Postes Canada aurait pu désirer invoquer. En fait, l'OPS de 1986 a ajouté à la liste des « facteurs raisonnables » que l'on retrouve dans l'OER de 1978, mais Postes Canada n'a invoqué aucun des moyens de défense de « facteur raisonnable ». Par conséquent, la modification apportée dans l'OPS de 1986 quant aux « facteurs raisonnables » n'était pas quelque chose qui a porté atteinte à la position de Postes Canada.
[121] La Commission a fait remarquer que la présomption voulant qu'on ne peut porter atteinte à des droits acquis comporte normalement de l'ambiguïté dans l'interprétation des lois ou des règlements. La prétention de la Commission était qu'il n'y avait aucune ambiguïté en l'espèce, étant donné que le pouvoir réglementaire prévu à l'article 27 de la Loi indique clairement que l'ordonnance est d'application immédiate :
27(3) Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu'à ce qu'elles soient abrogées ou modifiées, la Commission et le membre instructeur désigné en vertu du [...] (Non souligné dans l'original)
[122] Enfin, la Commission a fait valoir que même s'il y avait eu ambiguïté, la présomption voulant qu'on ne peut porter atteinte à des droits acquis ne fait que protéger les droits qui étaient acquis au moment de modification à la loi ou au règlement. Non seulement la portée juridique des droits acquis est importante, mais les questions de politiques d'intérêt public qui sont soulevées par la présomption sont également importantes.
[123] En 2001, le juge Marceau a souligné ce qui suit dans Veale c. Law Society of Alberta : [Traduction] « Il n'existe pas de définition concrète de ce qui constitue un « droit acquis », principalement parce qu'il est difficile de faire une généralisation applicable à tous les cas car chaque cas doit être étudié individuellement »53. En parlant de l'examen de loi rétrospective, le juge Marceau a mentionné que les juges sont souvent confrontés à un dilemme - [Traduction] « [...] appliquer la nouvelle loi améliorée pour le plus grand bien, même si cela peut être injuste envers certaines personnes, ou retarder l'application de cette loi par respect pour certaines personnes en raison de l'injustice dont elles seraient victimes »54.
[124] La Commission a prétendu que l'OPS de 1986 avantage le plus grand bien en apportant des détails grandement nécessaires sur la procédure quant à l'interprétation de l'article 11 de la Loi, tout en ne créant aucune injustice à l'égard de Postes Canada.
[125] Pour l'ensemble de ces motifs, la Commission a conclu que la présomption voulant qu'on ne peut porter atteinte à des droits acquis ne s'applique pas en l'espèce.
b) Analyse du Tribunal
[126] Postes Canada précise clairement sa position que ni une loi, ni une mesure législative subordonnée ne peut être appliquée rétroactivement et la date à laquelle la présente plainte a été soumise à la Commission devrait être la date qui fixe la loi applicable. Postes Canada a également prétendu que l'OPS de 1986 porterait atteinte à son droit acquis d'invoquer les moyens de défense dont elle disposait en vertu de l'OER de 1978, laquelle était en vigueur lorsque la plainte a été déposée auprès de la Commission en 1983. En conséquence, l'OER de 1978 devrait l'emporter.
[127] En d'autres termes, Postes Canada a prétendu que ses observations étaient conformes au point de vue exprimé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bell Canada selon lequel les ordonnances peuvent influencer à bon droit le résultat de causes à venir dans lesquelles personne, notamment la Commission, ne peut prévoir qui verra ses intérêts particuliers avantagés par les ordonnances. Postes Canada a prétendu que les ordonnances pourraient influencer indûment le résultat d'une cause où leur incidence particulière est déjà connue et leur application est contrôlée par le choix de la Commission quant au moment du renvoi devant un tribunal. En conséquence, le pouvoir de prendre des ordonnances ne peut pas être interprété de manière à permettre à la Commission d'appliquer une ordonnance à une plainte sur laquelle elle enquête déjà lorsqu'elle prend l'ordonnance.
[128] Par conséquent, Postes Canada a prétendu que le raisonnement de la Cour suprême dans l'arrêt Bell Canada étaye sa position que l'OPS de 1986 ne devrait pas s'appliquer à la plainte parce que cela permettrait à la Commission d'influencer indûment son résultat. La Commission enquêtait déjà sur la plainte lorsque l'OPS de 1986 est apparue. Par sa décision de prendre l'OPS de 1986 avant de renvoyer la plainte au Tribunal, la Commission, selon l'observation de Postes Canada, a contrôlé ce que le Tribunal serait tenu d'appliquer à la plainte car elle savait quelle serait l'incidence probable de l'OPS sur le résultat de la plainte.
[129] Fait intéressant, alors que Postes Canada, a déclaré dans ses observations (p. 14 et 15) que la décision de la Cour suprême [Traduction] « [...] appuie fortement la position de Postes Canada que l'OPS de 1986 ne devrait aucunement s'appliquer à la présente plainte parce que cela permettrait à la Commission d'influencer indûment son résultat », Postes Canada n'a donné aucun exemple d'influence indue de la part de la Commission, même pas un simple indice d'influence indue. Elle parle tout simplement d'une menace possible d'irrégularité, de la création d'une possible partialité ou impartialité, et ce, sans que cela ne soit fondé.
[130] Tout en étant d'accord avec Postes Canada qu'il existe une présomption allant à l'encontre de l'application rétroactive de la loi et qu'il existe une restriction légale quant aux mesures législatives subordonnées, la Commission a prétendu que, en conformité avec la thèse du professeur Sullivan, la plainte dont le Tribunal est saisi a trait à des faits en cours. Ces faits en cours ont trait à l'allégation de disparité salariale fondée sur le sexe au sens de l'article 11 de la Loi.
[131] La Commission a prétendu que l'application de la loi, notamment de mesures législatives subordonnées, à des faits en cours n'est pas rétroactive parce qu'il n'y a aucune tentative de modifier une loi antérieure ou les droits de personnes à compter d'une date antérieure. La position de la Commission est que la loi ou les règlements qui s'appliquent à des faits en cours ont un effet immédiat, non rétroactif.
[132] Quant au point soulevé par Postes Canada que l'on porterait atteinte à ses droits acquis si l'OPS de 1986 était applicable, la Commission a rejeté cette inquiétude en l'absence de toute ambiguïté dans l'interprétation de la loi et de l'OPS. La Commission était également d'avis que Postes Canada n'a pas démontré que l'OPS de 1986 avait retiré tout moyen de défense reconnu antérieurement dans l'OER de 1978 que Postes Canada aurait pu désirer invoquer, du moins en ce qui concerne les essentiels « facteurs raisonnables ».
[133] La plainte dont le Tribunal est saisi comporte une allégation de disparité salariale fondée sur le sexe aux termes de l'article 11 de la Loi. Cette allégation en est une de discrimination systémique. L'article 11 de la Loi a été rédigé en utilisant, comme fondement premier, la Convention no 100 de 1951 de l'Organisation internationale du travail (ratifié par le Canada en 1972) ainsi que les recommandations du Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme55. Ces documents historiques traitaient de la question de la discrimination systémique à l'endroit des femmes dans le domaine des salaires et recommandaient fondamentalement que les salaires soient tous fondés sur la valeur du travail effectué.
[134] La discrimination systémique a été définie de la manière suivante par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Action Travail des Femmes c. C.N., [1987] 1 R.C.S. 1114 à la page 1139 :
[...] la discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces « naturelles », par exemple que les femmes « ne peuvent tout simplement pas faire le travail » (voir le rapport Abella, aux pages 9 et 10). Pour combattre la discrimination systémique, il est essentiel de créer un climat dans lequel tant les pratiques que les attitudes négatives peuvent être contestées et découragées [...]
[135] La discrimination qui est alléguée dans la plainte est donc, par définition, en cours.
[136] En traitant de la question de l'effet rétroactif, Postes Canada et la Commission ont renvoyé à l'arrêt Gustavson Drilling et au livre du professeur Sullivan Driedger on the Construction of Statutes56. Un certain nombre de ces renvois ont déjà été mentionnés plus haut, mais, compte tenu de la complexité du sujet, le Tribunal estime qu'il est opportun d'examiner d'une manière plus approfondie les écrits pertinents du professeur Sullivan.
[137] Le professeur Sullivan affirme que les mots « rétroactif » et « rétrospectif » sont souvent utilisés de façon interchangeable mais on a de plus en plus tendance à définir loi « rétroactive » comme étant une loi qui s'applique à des faits passés et qui modifie les conséquences juridiques passées de transactions conclues. Une loi « rétrospective » modifie les conséquences à venir de transactions complétées en imposant de nouvelles obligations57. Le Tribunal accepte l'utilisation du mot « rétroactif » tel que défini par le professeur Sullivan.
[138] Le professeur Sullivan mentionne que l'arrêt Gustavson Drilling de 1977 a confirmé qu'il existe une forte présomption qu'une loi n'est pas censée être appliquée de façon rétroactive à des faits qui se sont produits avant que la loi soit entrée en vigueur. Si on veut appliquer ce principe, le professeur Sullivan écrit qu'il est nécessaire de déterminer quels faits sont pertinents à la loi et de les situer dans le temps par rapport à la date d'entrée en vigueur de la loi.
[139] Les faits pertinents sont la « situation factuelle » de la cause, laquelle, en l'espèce, comprend la présumée discrimination salariale systémique.
[140] La situation des faits dans le temps, selon le modèle du professeur Sullivan, consiste à déterminer si la situation factuelle est éphémère, continue ou successive. Sullivan définit ces choix :
[Traduction]
[...] La situation factuelle éphémère consiste en des faits qui commencent et qui se terminent dans une courte période de temps, comme des actes ou des évènements. Les faits sont terminés et font partie du passé aussitôt que les actes ou les évènements se terminent; les conséquences juridiques se rattachant à la situation factuelle sont fixées à compter de ce moment.[...]
[...] La situation factuelle continue consiste en un ou plusieurs faits qui se déroulent pendant une certaine période de temps. Un fait continu peut être une situation, un statut ou une relation qui peut perdurer. Lorsque aucune limite de temps n'est mentionnée, une situation factuelle continue se poursuit et ne fait pas partie du passé tant que la situation factuelle elle-même - la situation, l'état ou la relation - n'a pas pris fin.[...]
[...] La situation factuelle successive consiste en des faits, éphémères ou continus, qui se produisent à des moments distincts. Une situation factuelle, définie en termes de faits successifs, n'est pas terminée et ne fait pas partie du passé tant que le dernier fait de la série, éphémère ou continu, n'est pas terminé58.[...]
[141] Le professeur Sullivan poursuit en affirmant que dès que la situation factuelle a été identifiée - et, en l'espèce, le Tribunal estime qu'il s'agit d'une situation factuelle continue - les critères établis dans la jurisprudence doivent être appliqués aux faits pertinents. Une application n'est rétroactive que si tous les faits pertinents étaient passés lorsque la mesure législative est entrée en vigueur. En ce qui concerne une situation comme la discrimination salariale systémique continue alléguée dans la présente plainte, la mesure législative (en l'espèce, l'OPS de 1986) n'est rétroactive que si la situation a pris fin avant l'entrée en vigueur de la disposition. Manifestement, la position de la Commission, appuyée par l'Alliance, est que la prétendue situation de discrimination systémique n'avait pas pris fin lorsque l'OPS de 1986 est entrée en vigueur.
[142] L'application d'une mesure législative, qu'il s'agisse d'une loi ou d'une mesure législative subordonnée, à des faits continus ou à des faits en progrès, n'est pas rétroactive selon le professeur Sullivan parce que [Traduction] « [...] pour employer les mots du juge Dickson dans l'arrêt Gustavson Drilling, on ne cherche pas à s'immiscer dans le passé et à modifier le droit ou les droits d'une personne à compter d'une date antérieure »59.




[143] Le professeur Sullivan poursuit en affirmant :
[Traduction]
La loi qui s'applique à des faits en cours est censée avoir un "effet immédiat". Son application est générale et immédiate : "immédiate" en ce sens que la nouvelle règle s'applique à partir de l'entrée en vigueur et déloge la règle qui était autrefois applicable aux faits pertinents, et "générale" en ce sens que la nouvelle règle s'applique à tous les faits pertinents, en cours de même que nouveaux60.
[144] Bien que Postes Canada a prétendu que l'utilisation de l'OPS de 1986 pour interpréter l'article 11 de la Loi pour une plainte qui remonte à 1983 équivaudrait à appliquer cette ordonnance rétroactivement, le Tribunal estime que l'on ne traite pas en l'espèce de la rétroactivité de l'OPS de 1986. On traite de ce que le professeur Sullivan a appelé une situation factuelle continue. Lorsque l'OPS de 1986 est entrée en vigueur elle s'est appliquée immédiatement et généralement à tous les faits en cours qui avaient commencé dans le passé et qui se sont poursuivis dans le présent et dans l'avenir. Cela comprenait tous les faits en cause dans la prétendue discrimination salariale systémique.
[145] Par conséquent, le Tribunal conclut que l'OPS de 1986 ne s'applique pas rétroactivement en l'espèce mais s'applique à une situation en cours et continue sans être injuste envers Postes Canada, ni sans lui faire subir un préjudice.
[146] Il convient d'examiner l'argument de la Commission, lequel a été présenté après que la Cour suprême du Canada eut rendu sa décision en juin 2003 dans l'arrêt Bell Canada. La Commission a prétendu que le moment pertinent à retenir pour savoir quelle loi s'applique à une plainte est la date de son renvoi à un tribunal. Ce moment a été décrit par la Commission comme étant [Traduction] « le moment de cristallisation ».
[147] La Commission a déclaré que, dès que le renvoi a été effectué, les nouvelles ordonnances prises par la Commission durant la vie d'un tribunal ne s'appliquent pas à la plainte renvoyée. S'il en était autrement, l'application des nouvelles ordonnances serait rétroactive, ce qui serait clairement inacceptable.
[148] La Commission a de plus prétendu que la Cour suprême du Canada [Traduction] « [...] semble accepter la position prise par la Commission devant la Cour que la date du renvoi constitue la ligne de démarcation pertinente »61. Cet argument de la Commission a renvoyé au paragraphe 47 de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Bell Canada. Il est reconnu dans ce paragraphe que les ordonnances, comme toute mesure législative subordonnée, sont assujetties à la présomption d'absence d'effet rétroactif. La Cour suprême a mentionné que la présomption est « [...] un empêchement majeur à toute tentative d'influencer l'issue d'une affaire en cours d'instance devant le Tribunal par la prise d'une nouvelle ordonnance »62.
[149] Dans ses arguments quant à ce même arrêt de la Cour suprême, Postes Canada a souligné que la Cour suprême, tout en déclarant que le principe qu'aucune ordonnance ne peut s'appliquer rétroactivement, n'a pas déclaré que la date du renvoi à un tribunal est le moment qui sert à établir quelle loi s'applique à une plainte. La Cour, selon l'argument de Postes Canada, n'a fait que donner un exemple d'un cas hypothétique examiné par un tribunal et a mentionné que la rétroactivité ne pouvait pas s'appliquer car il serait inapproprié, dans un tel exemple, de permettre à la Commission d'influencer l'issue de la cause en promulguant une nouvelle ordonnance. Dans ces circonstances, la Commission serait à la fois partie devant le tribunal et partie devant l'organisme qui rédige la nouvelle ordonnance, laquelle, selon la Loi, lierait le tribunal.
[150] Le Tribunal estime que c'est l'argument de Postes Canada qui est le plus convaincant. Le Tribunal n'estime pas que la Cour suprême a accepté dans son arrêt dans l'affaire Bell Canada que la date de renvoi d'une plainte au Tribunal canadien des droits de la personne constitue la ligne de démarcation pertinente quant à savoir quelle loi s'applique à une plainte. La Cour suprême a plutôt donné un exemple évident pour illustrer que le pouvoir de prendre des ordonnances de la Commission est limité et ne peut pas être appliqué rétroactivement. De plus, l'exemple souligne les observations de la Cour suprême selon lesquels il est toujours loisible à une partie de s'interroger sur l'opportunité du pouvoir de prendre des ordonnances, et ce, pour le motif que l'ordonnance a été prise de mauvaise foi ou pour un motif illégitime.
[151] Postes Canada a également prétendu que ni la Commission, ni l'Alliance ne peut invoquer, à juste titre ou en droit, l'OPS de 1986 en traitant la plainte parce que ce recours porterait atteinte aux droits acquis de Postes Canada d'invoquer les moyens de défense dont elle pouvait se prévaloir à la date à laquelle la plainte a été déposée en 1983.
[152] Postes Canada prétend que l'OPS de 1986 impose au Tribunal des règles d'interprétation de l'article 11 de la Loi, lesquelles règles diffèrent, d'une manière qui est importante pour les moyens de défense de Postes Canada, des règles qui prévalaient dans l'OER de 1978. L'un des trois exemples de ces différences mentionnées par Postes Canada était la possibilité, dans l'OER de 1978, d'inclure, dans l'évaluation d'emplois, la valeur des heures supplémentaires ou des primes de travail par quarts. Comme l'OPS de 1986 interdit cette inclusion, Postes Canada a prétendu que la dernière ordonnance a enlevé un moyen de défense qui était acquis à Postes Canada à la date du dépôt de la plainte. Selon Postes Canada, il en est résulté une injustice.
[153] Comme nous l'avons déjà souligné, la Commission, dans ses observations sur les droits acquis, a renvoyé à la décision rendue par le juge Marceau en 2001 dans laquelle il a déclaré ce qui suit : [Traduction] « [...] il n'existe pas de définition concrète de ce qui constitue un "droit acquis" principalement parce qu'il est difficile de faire une généralisation à partir de la jurisprudence et que chaque cas doit être étudié individuellement »63. Il a également mentionné que les juges sont souvent confrontés à un dilemme lorsqu'ils sont appelés à se pencher sur la question des droits acquis et peuvent devoir trancher en fonction du « plus grand bien »64.
[154] La prise de décision en fonction du « plus grand bien » apporte une autre dimension à l'analyse. Par exemple, y-a-t-il des caractéristiques dans l'OPS de 1986 qui favorisent davantage le « plus grand bien » par rapport aux caractéristiques de l'OER de 1978? Cela peut-il être réalisé sans commettre une injustice à l'égard de l'une ou l'autre partie?
[155] Le professeur Sullivan déclare ce qui suit dans son examen des droits acquis :
[Traduction]
Pour évaluer la force probante de la présomption voulant qu'on ne puisse porter atteinte aux droits acquis, il faut avant tout évaluer le degré d'injustice que l'atteinte entraînerait dans des cas particuliers. Lorsque la restriction ou l'abolition d'un droit semble particulièrement arbitraire ou injuste, les cours de justice exigent une preuve convaincante que législateur prévoyait et désirait ce résultat. Lorsque l'ingérence est moins préoccupante, la présomption est facilement repoussée65.
[156] Le Tribunal s'est par conséquent demandé la question suivante : La promulgation de l'OPS de 1986 a-t-elle été injuste pour Postes Canada, compte tenu que la plainte date de 1983? La promulgation constitue-t-elle un empiètement sur les droits acquis de Postes Canada?
[157] Le Tribunal estime que la période de 1983 à 1986 fait partie du continuum qui constitue la vie de la présente cause. Ces trois années ne doivent pas être considérées isolément mais doivent être considérées dans le contexte de la situation factuelle continue qui existait au moment où l'OPS de 1986 est entrée en vigueur.
[158] En 1986, malgré que peu de chose ait été accompli entre les parties dans l'enquête sur la plainte, l'ensemble des parties se sont tenues mutuellement informés du travail qui se faisait et qui avait une incidence sur la plainte. Par exemple, Postes Canada et l'Alliance ont continué de travailler à l'élaboration de System One comme outil d'évaluation des postes occupés par les employés du groupe commis aux écritures et aux règlements à Postes Canada. La Commission a été informée de ce travail.
[159] De plus, durant cette période, Postes Canada et l'Alliance ont participé activement aux efforts faits par la Commission en vue d'obtenir des données pour son processus d'évaluation des emplois. En fait, on avait commencé à faire des entrevues d'employés du groupe CR juste avant l'entrée en vigueur de l'OPS de 1986 en novembre de cette même année.
[160] Le Tribunal a déjà établi que l'OPS de 1986 n'a pas d'effet rétroactif et ne tente nullement de modifier une loi antérieure ou les droits de quiconque à compter d'une date antérieure. L'OPS de 1986 s'applique plutôt à la situation factuelle en cours avec effet immédiat.
[161] L'OPS de 1986 est entrée en vigueur le 18 novembre 1986, bien avant que la Commission ait renvoyé la présente plainte pour audience au Tribunal canadien des droits de la personne le 16 mars 1992. La Commission avait joué un rôle dans les discussions entre les parties tout au long du stade de l'enquête sur la plainte. Plusieurs des sujets discutés par les parties avant 1986 ont éventuellement fait partie de l'OPS de 1986, comme par exemple la question des groupes professionnels et des méthodes d'évaluation des postes, y compris le critère permettant d'établir l'équivalence des fonctions.
[162] Par conséquent, toutes les parties intéressées ont bien compris la plainte telle qu'elle a été initialement rédigée. Bien que l'OPS de 1986 représente un changement important par rapport à l'OER de 1978, sa mise en application n'a fait que codifier un certain nombre des procédures de la Commission avec lesquelles les parties avaient eu affaire depuis la date du dépôt de la plainte. Le libellé même de la plainte, illustre la nature historique de ces procédures car il parle de groupes professionnels à prédominance féminine ou masculine et de salaires versés aux employés appartenant à ces groupes. Ces procédures ne font pas partie de la Loi ni de l'OER de 1978. Elles font toutefois partie de l'OPS de 1986.
[163] Un préjudice ou une injustice réelle se produirait si, comme la Cour suprême l'a mentionné, l'ordonnance qui était pertinente à une plainte déjà renvoyée pour audience par un tribunal a été promulguée après le renvoi de la plainte à ce tribunal. Même dans le cas de plaintes déposées en vertu de l'article 11 de la Loi, la Commission pourrait, par promulgation d'ordonnances durant la vie d'un tribunal, en influencer leurs issues. Ce n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce.
[164] En ce qui concerne l'exemple, sous l'OPS de 1986, de violation de droits acquis donné par Postes Canada, notamment l'exclusion de la valeur du travail des heures supplémentaires ou des primes de travail par quarts, le Tribunal préfère l'observation de la Commission. La Commission a mentionné dans ses observations qu'il s'agit d'un exemple de « compromis » de politique neutre. La plaignante n'inclut pas les heures supplémentaires ou la prime de travail par quarts dans la valeur des salaires, alors que l'employeur n'inclut pas les heures supplémentaires ou le travail par quarts dans la valeur en points de l'emploi. Il ne s'agit pas d'un exemple de retrait d'un moyen de défense pouvant être invoqué par Postes Canada.
[165] En termes de l'argument du « plus grand bien », le Tribunal accepte que la promulgation par la Commission de l'OPS de 1986 était une tentative de précision grandement nécessaire quant à l'interprétation de l'article 11 de la Loi, et ce, sans injustice à l'égard de l'une ou l'autre partie. La création de l'ordonnance a été complétée après de nombreuses années de consultation avec des sociétés et des organismes, notamment Postes Canada. Le Tribunal accepte que la décision de la Commission de créer une nouvelle ordonnance en 1986 visait à favoriser le « plus grand bien ».
[166] Par conséquent, le Tribunal ne comprend pas en quoi l'introduction de l'OPS de 1986 après la présentation de la plainte à la Commission canadienne des droits de la personne a été une source d'injustice ou de préjudice pour Postes Canada, une violation de ses droits acquis ou en quoi elle a exercé une influence indue sur l'issue de la plainte dont le Tribunal est saisi.
[167] Par conséquent, le Tribunal conclut que l'OPS de 1986 est applicable aux questions qui doivent être tranchées dans la plainte actuelle. La question de la rétroactivité de cette ordonnance ne s'applique pas à la présente plainte, laquelle a été déposée en vertu de l'article 11 de la Loi. Les faits impliqués sont des faits en cours ou continus et, à ce titre, ne soulèvent aucune préoccupation quant à la rétroactivité. De plus, le Tribunal estime qu'il n'y a aucune violation des droits acquis de Postes Canada en raison du caractère applicable de l'OPS de 1986.
(iii) Le paragraphe 8(2) et les articles 11 à 15 de l'OPS de 1986 sont-ils valides?
a) Observations des parties
[168] Toutes les parties conviennent que l'ordonnance est une mesure législative subordonnée, créée en vertu de pouvoir accordé à la Commission canadienne des droits de la personne par l'article 27 de la Loi et, à ce titre, ne doit pas entrer en conflit avec la Loi. Il existe toutefois une présomption qu'une mesure législative subordonnée est valide. Lorsqu'une partie conteste une mesure législative subordonnée, cette partie a le fardeau de convaincre le décideur que la mesure législative subordonnée contestée est invalide. La question à laquelle le décideur doit répondre est une question de droit.
[169] Dans la présente plainte, Postes Canada a contesté la validité du paragraphe 8(2) et des articles 11 à 15 inclusivement de l'OPS de 1986 parce que, selon elle, une simple lecture de la Loi donnant une signification simple au libellé de la Loi, en particulier à l'article 11, crée une contradiction avec le libellé et la signification des articles contestés de l'OPS de 1986. C'est ce manque de cohésion entre le libellé et la signification de l'article 11 de la Loi, tel qu'il a été interprété par Postes Canada et le libellé et la signification des articles de l'OPS de 1986, la mesure législative subordonnée, qui crée, selon Postes Canada, une situation où la Commission n'a pas exercé d'une manière raisonnable son pouvoir en vertu de l'article 27 de la Loi et ainsi a entraîné l'invalidité de ces articles de l'OPS de 1986.
[170] Les observations des parties ont traité de ce qui constituerait une méthode acceptable pour déterminer la validité de l'ordonnance. Une fois que l'argument concernant le critère de validité a été entendu, des observations supplémentaires ont été faites par chacune des parties concernant sa position quant à la validité de l'ordonnance contestée par Postes Canada.
[171] Postes Canada et la Commission ont toutes les deux renvoyé à l'arrêt Oldman River66 dans lequel la Cour suprême du Canada traitait de l'interprétation des lois, surtout dans le contexte d'une situation où deux lois fédérales et une mesure législative subordonnée de l'ordre d'une ordonnance sont impliquées.
[172] Citant des extraits de l'ouvrage du professeur Ruth Sullivan, Postes Canada a enjoint le Tribunal de séparer la loi habilitante et ses règlements (l'ordonnance en l'espèce) avant de statuer sur la validité de ces derniers. Postes  Canada a cité l'extrait suivant tiré de l'ouvrage de Sullivan :
[Traduction]
Les lois ont priorité sur les règlements [...] La présomption de cohérence s'applique tant aux règlements qu'aux lois. On présume que les dispositions réglementaires sont censées fonctionner ensemble, non seulement avec leur propre loi habilitante mais également avec les autres lois et les autres règlements67.
[173] Postes Canada a prétendu que, lorsqu'il vérifie la validité d'une mesure législative subordonnée contestée, une ordonnance en l'espèce, le Tribunal doit d'abord interpréter la loi habilitante, puis apprécier la validité des articles contestés de l'ordonnance. Postes Canada a estimé que cette méthodologie est différente de celle à laquelle adhère la Commission.
[174] L'argument de la Commission concernant l'interprétation de la Loi en présence d'une contestation d'une mesure législative subordonnée s'appuie également sur l'arrêt Oldman River. La Commission a cité le passage suivant afin de souligner ses observations concernant le critère qui doit être utilisé pour vérifier la validité des articles contestés de l'ordonnance :
On ne met pas en doute les principes fondamentaux du droit. Il ne peut y avoir incompatibilité entre le texte réglementaire et la loi en vertu de laquelle il est adopté [...] pas plus qu'il ne peut y en avoir avec les autres lois fédérales [...] sauf si la loi l'autorise [...] Normalement, la loi fédérale doit l'emporter sur le texte réglementaire incompatible. Toutefois, en matière d'interprétation, un tribunal préfèrera, dans la mesure du possible, une interprétation
qui permet de concilier les deux textes. Dans ce contexte, l'« incompatibilité » renvoie à une situation où le texte législatif et le texte réglementaire ne peuvent être conciliés68.
[175] La Commission a prétendu que, conformément à l'arrêt Oldman River et à l'ouvrage du professeur Sullivan, la présomption de cohérence présume que les dispositions réglementaires fonctionnent bien avec leur loi habilitante ainsi qu'avec les autres lois et règlements.
[176] Dans son observation, la Commission a attiré l'attention sur ce qu'elle avait perçu comme étant l'argument de Postes Canada que cette présomption de cohésion disparaît dès qu'il y a eu contestation de la validité de la mesure législative subordonnée. La Commission a prétendu que si c'était le cas, on ne reconnaîtrait plus l'importance de la recherche de la conciliation des différences comme il a été souligné dans l'arrêt Oldman River.
[177] La Commission a prétendu qu'il importe peu que l'on adopte la méthode qui consiste à lire conjointement la législation habilitante et la mesure législative subordonnée ou la méthode de Postes Canada qui consiste à interpréter d'abord la loi habilitante, puis à examiner la mesure législative. La partie importante de l'exercice consiste à voir s'il y a cohérence entre les deux niveaux de loi.
[178] Commençons cet exercice d'interprétation par la lecture de l'article 11 et des paragraphes 27(2), (3) et (4) de la Loi ainsi que des dispositions contestées de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, c'est-à-dire le paragraphe 8(2) et les articles 11, 12, 13, 14 et 15 :
Loi canadienne sur les droits de la personne
Disparité salariale discriminatoire
11(1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes.
Critère
11(2) Le critère permettant d'établir l'équivalence des fonctions exécutées par des salariés dans le même établissement est le dosage de qualifications, d'efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail.
Établissements distincts
11(3) Les établissements distincts qu'un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l'application du présent article, ne constituer qu'un seul et même établissement.
Disparité salariale non discriminatoire
11(4) Ne constitue pas un acte discriminatoire au sens du paragraphe (1) la disparité salariale entre hommes et femmes fondée sur un facteur reconnu comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne en vertu du paragraphe 27(2).
Idem
11(5) Des considérations fondées sur le sexe ne sauraient motiver la disparité salariale.
Diminutions de salaire interdites
11(6) Il est interdit à l'employeur de procéder à des diminutions salariales pour mettre fin aux actes discriminatoires visés au présent article.
Définition de « salaire »
11(7) Pour l'application du présent article, « salaire » s'entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment
a) des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;
b) de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;
c) des rétributions en nature;
d) des cotisations de l'employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d'assurance contre l'invalidité prolongée et aux régimes d'assurance-maladie de toute nature;
e) des autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur.
Pouvoirs et fonctions (de la Commission)
Directives
27(2) Dans une catégorie de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser, par ordonnance, les limites et les modalités de l'application de la présente loi.
Effet obligatoire
27(3) Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu'à ce qu'elles soient abrogées ou modifiées, la Commission et le membre instructeur désigné en vertu du paragraphe 49(2) lors du règlement des plaintes déposées conformément à la partie III.
Publication
27(4) Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) et portant sur les modalités d'application de certaines dispositions de la présente loi à certaines catégories de cas sont publiées dans la partie II de la Gazette du Canada.
L'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale
Équivalence des fonctions - Conditions de travail
8(2) Pour l'application du paragraphe 11(2) de la Loi, il est fait abstraction, dans l'évaluation des conditions de travail, de l'obligation de travailler des heures supplémentaires ou par poste lorsque l'employé reçoit une prime pour ce travail.
Plaintes individuelles
11(1) Lorsqu'une plainte dénonçant une situation de disparité salariale est déposée par un individu qui fait partie d'un groupe professionnel identifiable, ou est déposée au nom de cet individu, la composition du groupe selon le sexe est prise en considération avant qu'il soit déterminé si la situation constitue un acte discriminatoire fondé sur le sexe.
(2) Si une comparaison peut être établie avec au moins deux autres employés exécutant des fonctions équivalentes à celle du plaignant visé au paragraphe (1), le salaire moyen pondéré versé à ces employés doit être utilisé dans le calcul du rajustement qui doit être apporté au salaire du plaignant.
Plaintes collectives
12 Lorsqu'une plainte dénonçant une situation de disparité salariale est déposée par un groupe professionnel identifiable ou en son nom, ce groupe doit être composé majoritairement de membres d'un sexe et le groupe auquel il est comparé doit être composé majoritairement de membres de l'autre sexe.
13 Pour l'application de l'article 12, un groupe professionnel est composé majoritairement de membres d'un sexe si, dans l'année précédant la date du dépôt de la plainte, le nombre de membres de ce sexe représentait au moins :
a) 70 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d'un groupe comptant moins de 100 membres;
b) 60 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d'un groupe comptant de 100 à 500 membres;
c) 55 pour cent du groupe professionnel, dans le cas d'un groupe comptant plus de 500 membres.
14 Si le groupe professionnel ayant déposé la plainte est comparé à plusieurs autres groupes professionnels, ceux-ci sont considérés comme un seul groupe.
15(1) Pour l'application de l'article 11 de la Loi, lorsque la plainte déposée dénonce une situation de disparité salariale entre un groupe professionnel et un autre groupe professionnel et qu'une comparaison directe de ces deux groupes ne peut être faite quant à l'équivalence des fonctions et aux salaires des employés, une comparaison indirecte de ces éléments peut être faite.
15(2) Pour la comparaison des salaires des employés des groupes professionnels visés au paragraphe (1), la courbe des salaires du groupe professionnel mentionné en second lieu doit être utilisée pour établir l'écart, s'il y a lieu, entre les salaires des employés du groupe professionnel en faveur de qui la plainte est déposée et de l'autre groupe professionnel.
[179] Postes Canada a prétendu que son interprétation de l'article 11 de la Loi est fondée sur l'objet visé, large et libérale mais, en même temps, suit l'approche moderne de l'interprétation des lois. Selon cette dernière approche, le décideur doit lire les termes d'une loi « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur »69 .
[180] Au paragraphe 11(1), ce sont les mots « les hommes et les femmes » qui ont déclenché une différence marquée d'interprétation entre les parties. Postes Canada a prétendu que ces mots, lourds de conséquences pour l'ensemble de l'article 11, ont un sens clair. L'article parle de discrimination entre des hommes ou des femmes et non pas entre des groupes de personnes composés d'hommes et de femmes. La discrimination est fondée sur le sexe et se manifeste dans une différence entre les salaires payés aux hommes et femmes concernés.
[181] Postes Canada a prétendu que l'article 11 de la Loi s'attache principalement à la discrimination fondée sur le sexe entre des hommes et des femmes, laquelle discrimination s'exerce par une disparité entre les salaires payés par l'employeur à ces hommes et à ces femmes pour le travail qu'ils exécutent. Si on accepte cette interprétation, les articles 11 à 15 de l'OPS de 1986 doivent être invalides parce qu'ils n'ont aucun rapport avec l'article 11 de la Loi. Le paragraphe 11(1), ainsi interprété, ne parle pas de groupes professionnels et de la nécessité de d'établir la composition de ces groupes selon le sexe afin de les classer comme étant « à prédominance masculine » ou comme étant « à prédominance féminine ». Par conséquent, les buts visés par les articles 11 à 15 de l'OPS de 1986 ne pourraient aucunement être atteints. Ces articles représenterait la promulgation par la Commission d'ordonnances qui ne sont pas compatibles avec la loi habilitante. Par conséquent, elles seraient invalides.
[182] Selon ses observations, l'interprétation fondée sur le sens ordinaire du paragraphe 11(1) préconisée par Postes Canada est ainsi formulée :
[Traduction]
constitue un acte discriminatoire [...] quelque chose d'interdit, le fait pour un employeur d'instaurer et de pratiquer, c'est-à-dire d'établir ou de créer un certain pouvoir d'établir ou de pratiquer une disparité salariale, c'est-à-dire le versement de salaires plus élevés et de salaires moins élevés [...] entre deux personnes, deux groupes de personne, des employés de sexe masculin et des employés de sexe féminin [...] entre des employés qui sont de sexe masculin et des employés qui sont de sexe féminin [...] qui travaillent dans le même établissement [...] [ce qui] signifie qu'ils sont visés par une même politique en matière de salaire et de personnel [...] il existe une disparité salariale qui est interdite si les employés, les employés de sexe masculin et les employés de sexe féminin, dans le même établissement, exécutent des fonctions, leurs fonctions individuelles, qui sont équivalentes [...]70
[183] Postes Canada a prétendu qu'une plainte, fondée sur une telle interprétation de l'article 11, pourrait être déposée par toute personne, homme ou femme, ou par tout groupe d'hommes ou de femmes, sans avoir à subir la contrainte de barrières artificielles érigées à l'encontre de personnes qui travaillent dans des groupes professionnels et dont la fonction est classée comme étant sans discrimination sexuelle ou « de sexe masculin ». Le mécanisme de la plainte deviendrait plus accessible à tous les employés. Par conséquent, l'objet général de la Loi, lequel vise à éliminer la discrimination fondée, notamment, sur le sexe, serait avancé. Selon Postes Canada, la restriction, laquelle est créée par l'interprétation de la Commission de l'article 11, notamment dans sa promulgation des articles 11 à 15 de l'ordonnance, serait enlevée.
[184] Toutefois, ce qui est plus important, selon Postes Canada, la transformation apparente par la Commission du sens ordinaire du paragraphe 11(1) de la Loi en une interprétation complètement différente du concept de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » par l'utilisation de l'ordonnance. Au lieu d'examiner la discrimination fondée sur le sexe dans le domaine des salaires, la Commission, selon Postes Canada, a interprété l'article 11 comme s'attachant principalement à la discrimination fondée sur la sous-évaluation du travail des femmes dans des groupes professionnels séparés. En d'autres termes, la Commission a décidé que l'article 11 de la Loi s'attache au concept de « parité salariale ». Dès que la Commission eut décidé d'interpréter l'article 11 de cette manière, elle devait définir les groupes professionnels.
[185] Le fondement des observations de Postes Canada concernant l'interprétation de l'article 11 de la Loi est que l'article ne traite pas de « parité salariale ». Les « fonctions équivalentes » qui doivent être comparées afin de prouver l'acte discriminatoire dénoncé par l'article 11 sont les fonctions exécutées par chacun des hommes et chacune des femmes touchés par la plainte. L'article ne traite pas de fonctions de groupes professionnels composés d'hommes et de femmes qui effectuent des « fonctions de femmes » ou des « fonctions d'hommes ».
[186] Postes Canada a prétendu que son interprétation de l'article 11 est une évolution naturelle, si on regarde l'histoire, de la législation qui traitait de la discrimination à l'égard des femmes au travail. La première loi du genre, adoptée au début du XXe siècle, avait trait à un salaire minimum pour les femmes au travail. Cette loi fut suivie, des décennies plus tard, par une loi dénonçant la pratique qui consistait à verser aux femmes des salaires moins élevés pour des fonctions équivalentes, ou essentiellement équivalentes, à des fonctions exécutées par des hommes. Bien que cette évolution naturelle pouvait éventuellement mener au concept de « parité salariale », l'argument de Postes Canada est que l'article 11 ne peut pas être interprété comme étant un mouvement sur le continuum qui a mené à ce point.
[187] Postes Canada a prétendu que l'on ne peut pas affirmer que l'article 11 de la Loi traite du concept de la « parité salariale ». Postes Canada a souligné, dans son argument final, que la législation provinciale concernant la « parité salariale » est très précise. Il existe habituellement dans les provinces une loi distincte intitulée « Loi sur la parité salariale ». Le concept n'est pas incorporé dans les lois provinciales sur les droits de la personne parce que, en règle générale, elles ne sont pas fondées sur les plaintes. Il s'agit plutôt d'un concept obligatoire comportant des méthodologies et des règles précises quant à sa mise en oeuvre.
[188] Postes Canada a prétendu que le processus de traitement de la « parité salariale » tire ses idées de la doctrine et de la documentation qui sont apparues à propos de ce concept abstrait. La méthodologie est fondée sur des classes d'emplois qui sont à prédominance féminine ou à prédominance masculine parce que l'objet des études sur la « parité salariale », et, ultérieurement, la législation sur la « parité salariale », consiste à corriger les iniquités qui sont apparues dans le monde de l'emploi en raison d'un cloisonnement professionnel et de la sous-évaluation des postes à prédominance féminine. Toutefois, Postes Canada a poursuivi en soulignant que la Loi canadienne sur les droits de la personne s'attache à la disparité salariale entre les hommes et les femmes, laquelle disparité est fondée sur le sexe, et non pas au concept large de la « parité salariale ». Selon Postes Canada, la Loi [Traduction] « s'attache à la protection des personnes contre les inconvénients ou la discrimination engendrés par les caractéristiques fondamentales des personnes ».
[189] Selon Postes Canada, la Loi a été promulguée au profit des personnes dans la société canadienne. L'objet de la Loi, tel qu'énoncé à l'article 2, souligne que cette loi sur les droits de la personne a été créée pour donner effet au principe suivant : « le droit de tous les individus [...] à l'égalité des chances d'épanouissement [...] ». Les motifs de discrimination qui sont énumérés dans la Loi sont des caractéristiques personnelles. L'article 3 de la Loi mentionne expressément que la liste des motifs vaut « pour l'application de la présente loi ». Au fur et à mesure qu'on lit la Loi, les articles se suivent en parlant de « personnes » ou d'« employés ».
[190] Ce point commun est rompu par l'article 11 de la Loi qui ne parle pas d'un employé ou d'un groupe d'employés, mais parle de discrimination affectant des « hommes et des femmes qui exécutent des fonctions équivalentes ». Postes Canada prétend que c'est cette modification dans le libellé qui lui fait prendre conscience que cet article particulier traite de la discrimination systémique car il reflète les préoccupations suivantes du législateur, notamment [Traduction] « y-a-t-il discrimination systémique, y-a-t-il une tendance dans l'ensemble de l'établissement à pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes ».
[191] Postes Canada a souligné dans ses observations qu'elle accepte que l'article 11 traite de la discrimination systémique, mais a prétendu que cette acceptation ne signifie pas qu'elle accepte que les plaintes de discrimination systémique ne peuvent être déposées que par des groupes. En effet, elle a prétendu que des plaintes individuelles fondées sur des allégations de discrimination systémique peuvent être déposées.
[192] L'avocat de Postes Canada a prétendu ce qui suit :
[Traduction]
[...] s'il s'agit de discrimination systémique et s'il s'agit d'hommes et de femmes qui travaillent dans le même établissement, vous prenez les salaires des femmes qui travaillent dans l'établissement et vous prenez les salaires des hommes qui travaillent dans l'établissement, puis vous comparez le travail et les salaires des hommes et des femmes qui exécutent des fonctions équivalentes. Si on constate une tendance à la disparité salariale, alors il y a contravention71.
[193] Selon Postes Canada, cette comparaison ne doit pas être confondue avec le processus d'évaluation, lequel est, soit obligatoire, soit suivi, lorsque l'on traite de questions de la « parité salariale ». Ce processus comporte le plus souvent une comparaison de la valeur du travail de groupes de personnes qui exécutent des « fonctions exécutées par des femmes » ou des « fonctions exécutées par des hommes ».
[194] La Commission a prétendu que le juge Evans, à ce moment juge à la Cour fédérale, section de première instance, a rendu une décision qui fait autorité dans la cause Conseil du Trésor72, notamment que l'interprétation de la Commission selon laquelle l'article 11 traite de la question de la « parité salariale », comme en atteste la promulgation de l'OPS de 1986, est juste. En réponse, Postes Canada a prétendu que l'acceptation par le juge Evans de l'interprétation de la Commission (et l'utilisation de l'OPS de 1986) était fondée sur le fait que toutes les parties intéressées dans cette cause avaient accepté cette interprétation. Comme l'interprétation de la Commission de l'article 11, la présomption de validité de l'ordonnance n'a jamais été contestée. Postes Canada a souligné que les commentaires formulés par le juge Evans ne doivent être acceptés par le présent Tribunal comme n'étant que ça - c'est-à-dire des commentaires qui peuvent être utiles au Tribunal alors qu'il élabore sa décision concernant la question en litige et non pas des commentaires qui lient le Tribunal.
[195] De plus, le juge Evans a commenté longuement quant à la viabilité de l'article 14 de l'Ordonnance, lequel traite des groupes professionnels, dans le contexte de l'article 11 de la Loi. L'interprétation de cet article particulier était la principale question qui devait être tranchée par le tribunal qui a entendu la cause Conseil du Trésor et par la Cour fédérale qui a examiné sa décision. Le juge Evans a fait allusion aux commentaires formulés par le juge Hugessen dans la cause Ministère de la Défense nationale73, et, par conséquent, selon la Commission, ces commentaires devraient avoir de l'importance quant à l'interprétation par le Tribunal de l'article 11 de la Loi.
[196] La Commission a prétendu que la Cour suprême du Canada, dans sa décision de juin 2003 dans l`affaire Bell, a conclu que la Commission a le pouvoir, en vertu de l'article 27 de la Loi, de prendre des ordonnances qui sont analogues à des règlements. Selon la Commission, cette décision a créé la présomption que l'ordonnance est valide.
[197] Tout comme une contestation de règlements promulgués, une contestation de la validité de l'ordonnance est difficile. Les cours de justice préfèrent accepter que la mesure législative subordonnée puisse être conciliée avec sa loi habilitante. La Commission prétend que, si il accepte l'interprétation de Postes Canada, le Tribunal devrait conclure qu'il existe une incompatibilité d'application entre la Loi et l'ordonnance et qu'il n'y a aucune possibilité de résoudre le conflit.
[198] La Commission a prétendu que le choix de Postes Canada de commencer son argument d'« acceptation courante » avec les mots « employés de sexe masculin et féminin » évite la véritable signification de l'article 11. La Commission a fondé ses observations sur l'évolution historique du concept de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » ainsi que sur les commentaires formulés par les cours. Après avoir fait cela, elle a prétendu que le Tribunal devrait accepter l'interprétation faite par la Commission de l'article 11 de la Loi comme étant l'énonciation par le législateur du principe de la « parité salariale ». La Commission a de plus observé que le législateur a traité de la difficulté engendrée par l'examen du concept abstrait de la « parité salariale » en donnant à la Commission les outils pour rendre ce principe fonctionnel. Ces outils comprennent la capacité de la Commission de promulguer des ordonnances en conformité avec l'article 27 de la Loi.
[199] Par conséquent, la Commission a promulgué ses ordonnances en conformité avec l'objet de la « parité salariale » visé par la Loi. La Commission a prétendu que l'objet d'une telle loi est de palier au cloisonnement professionnel des femmes et au paiement discriminatoire de salaires moins élevés à ces groupes cloisonnés pour un travail de valeur égale au travail effectué par des groupes principalement composés d'hommes. Le principal objet de l'article 11 de la Loi, selon la Commission, devrait être le travail qui est effectué ainsi que sa valeur et non pas le sexe des employés qui effectuent le travail.
[200] La Commission a prétendu que, selon cette interprétation large et libérale, les articles 12 à 15 de l'OPS de 1986 représentent la méthodologie qui doit être utilisée pour faire du principe de l'article 11 une théorie qui fonctionne. Ces articles de l'OPS sont tout à fait liés à l'article 11 de la Loi et fait fonctionner ensemble les domaines de la loi pour créer un ensemble cohérent qui constitue le fondement pour le travail d'évaluation qui doit être complété pour établir si une plainte peut être justifiée.
[201] La Commission a prétendu que, malgré les arguments catégoriques de Postes Canada selon lesquels son interprétation de l'article 11 de la Loi est large et à caractère final et est plus libérale dans sa capacité d'englober tout plaignant, l'interprétation de Postes Canada mènerait, elle, à des conclusions étroites et restrictives. Son interprétation ne traite pas du concept large de « parité salariale » qui est ce que la loi vise à traiter depuis son origine.
[202] Selon les arguments de la Commission, l'interprétation de Postes Canada limiterait le processus d'évaluation à une méthodologie unique. Seule l'approche de la comparaison entre les postes pourrait être utilisée. Seul un examen de l'ensemble du « système » pourrait être fait dans le processus d'évaluation, même si la plaignante était une seule personne. Bien que Postes Canada eut concédé qu'un échantillonnage représentatif pourrait être fait lors de l'étape de l'évaluation, la Commission a prétendu que l'interprétation de l'article 11 de Postes Canada créerait une méthodologie encombrante qui serait, en fait, d'une nature régressive.
b) Analyse du Tribunal
[203] L'ensemble des parties ont cité, dans ses nombreuses versions, des extraits de l'ouvrage de Sullivan intitulé "Driedger on the Construction of Statutes". Le Tribunal convient que ce travail est lourd de conséquence lorsque l'on a affaire avec l'interprétation des lois. Il convient de souligner les commentaires de Driedger sur ce qu'il a intitulé « la règle moderne » de l'interprétation :
[Traduction]
Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur74.
Il n'existe qu'une seule règle d'interprétation moderne : les cours de justice sont tenus d'interpréter un texte législatif dans son contexte global, en tenant compte de l'objet du texte en question, des conséquences des interprétations proposées, des présomptions et des règles spéciales d'interprétation, ainsi que des sources acceptables d'aide extérieure. Autrement dit, les cours de justice doivent tenir compte de tous les indices pertinents et acceptables du sens d'un texte législatif. Cela fait, elles doivent ensuite adopter l'interprétation qui est appropriée. L'interprétation appropriée est celle qui peut être justifiée en raison : a) de sa plausibilité, c'est-à-dire sa conformité avec le texte législatif, b) de son efficacité, dans le sens où elle favorise la réalisation de l'objet du texte législatif, et c) de son acceptabilité, dans le sens où le résultat est raisonnable et juste75.


[204] De plus, la Loi d'interprétation doit être examinée. Il y est mentionné que :
[l]es lois sont réputées apporter une réparation [...] Elles doivent par conséquent s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprits véritables76.
[205] Compte tenu de ces principes d'interprétation, le Tribunal conclut que les observations de la Commission concernant l'interprétation de l'article 11 de la Loi représentent la meilleure approche quant à cet article. Le Tribunal a lu l'article dans le contexte de la Loi. De plus, il a examiné les interprétations de l'article 11 qui ont été présentées dans le passé par les tribunaux et les cours de justice. Le Tribunal est saisi d'une preuve d'expert qui traitait de l'évolution historique du concept de « parité salariale ». Cette preuve, conjuguée avec les commentaires formulés par le député Ron Basford au cours des discussions qui ont précédé la promulgation de la Loi, renforce, de l'avis du Tribunal, la conclusion que l'article 11 de la Loi vise à traiter de la question de la « parité salariale ».
[206] Le Tribunal accepte que cette interprétation est compatible avec l'objet de la loi, son contexte et son historique législatif. L'objet de la Loi est mentionné à l'article 2 qui est ainsi libellé :
La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.
[207] L'argument de Postes Canada que cet objet souligne la portée de la Loi en tant que loi qui ne vise uniquement que la discrimination exercée contre des personnes pour des motifs précis ne peut être accepté. Le Tribunal est d'avis qu'il s'agit d'une interprétation restrictive de la loi, laquelle vise clairement à traiter de la vaste question de la discrimination à l'égard de toutes les personnes. Les lois du Parlement doivent être interprétées de la manière la plus équitable et la plus large possible, et ce, afin d'être équitable envers tous. L'élimination de groupes composés d'hommes et de femmes de la protection de la Loi entraînerait un rétrécissement de l'objet de la Loi. Le Tribunal rejette cette interprétation et accepte que l'article 11 de la Loi, en traitant de la discrimination dans le domaine de la « parité salariale », est conforme à l'objet général de la Loi.
[208] L'une des observations de Postes Canada était fondée sur ce qu'elle a décrit comme étant un continuum historique de la loi. Ce continuum comprend d'autres lois liées au travail, comme par exemple le Code canadien du travail, qui traitent de l'important problème de la différence entre les salaires versés aux femmes et les salaires versés aux hommes. Comme nous l'avons déjà souligné, des gouvernements successifs ont tenté, depuis le tournant du XIXe et du XXe siècles, de régler le problème de la disparité salariale entre les hommes et les femmes. Du point de vue de Postes Canada, l'introduction de l'article 11 dans la Loi représente la quatrième étape d'un continuum qui a commencé avec la loi sur le salaire minimum puis a évolué vers « un salaire égal pour le même travail » effectué par des hommes et par des femmes, modifié légèrement pour devenir « un salaire égal pour un travail fondamentalement similaire » et, selon leur argument, deviendrait éventuellement tout naturellement « un salaire égal pour un travail de valeur égale » effectué par des hommes et par des femmes. Éventuellement, selon Postes Canada, la « parité salariale », un concept plus loin sur le continuum et quelque peu éloigné des quatre premières étapes en termes de méthodologie et d'accent, pourrait devenir une question à traiter à la cinquième étape. Toutefois, son principal argument, était que le concept de la « parité salariale » ne fait pas actuellement partie de la Loi.
[209] Postes Canada a concédé que l'accent qui est mis sur les groupes professionnels, présumés à prédominance féminine ou à prédominance masculine, qui peuvent être comparés en utilisant diverses méthodologies comportant des méthodes statistiques comme des analyses de régression, est une caractéristique légitime d'une étude en matière de la « parité salariale ». Elle a toutefois prétendu que l'article 11 de la Loi n'avait pas trait à la « parité salariale ».
[210] La Loi sur la « parité salariale » est, selon Postes Canada, quelque chose de tout à fait différent d'une dénonciation d'une disparité salariale entre hommes et femmes qui exercent des fonctions équivalentes. Alors que Postes Canada convient que la « parité salariale » met l'accent sur le problème du cloisonnement professionnel des femmes et du problème connexe de la sous-évaluation du travail des femmes, elle croit que cette interprétation représente un bond dans la pensée conceptuelle de ce qu'elle prétend être le libellé clair de l'article 11. À ce titre, Postes Canada suppose que la « parité salariale » ne peut pas être ce que le législateur visait à régler lorsqu'il a créé l'article 11 de la Loi.
[211] Le Tribunal rejette cet argument que la « parité salariale », en tant que concept, est au-delà de la portée de la Loi. Le concept a déjà été accepté comme étant le fondement d'interprétation de l'article 11 de la Loi. Dans l'une des premières causes à discuter de l'article 11, Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), la Cour d'appel fédérale a affirmé ce qui suit : 
[c'est l'équité salariale qui est en cause en l'espèce [...] l'appelante, en sa qualité d'agent négociateur des employés en cause, a soutenu que l'employeur intimé ne versait pas à certaines employées de sexe féminin une rémunération équivalente à celle versée à certains employés de sexe masculin qui accomplissaient un travail équivalent [...] en violation des articles 7 et 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne]77.
[212] Par conséquent, dès le tout début du jugement dans cette cause, le juge Hugessen a décrit l'article 11 de la Loi d'article comme étant un article qui a été créé expressément pour traiter du problème de la « parité salariale ».


[213] Il a cité un long passage des motifs du juge en chef qui « dans la cause type Action Travail des femmes c. Compagnie des chemins de fer du Canada » a parlé au nom de la Cour suprême du Canada78. Dans cet arrêt, le juge en chef Dickson a cité le rapport Abella et a déclaré que :
la discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces "naturelles", par exemple que les femmes "ne peuvent tout simplement pas faire le travail". [...] À cela s'ajoutent les attitudes des administrateurs et des collègues de travail qui acceptent une vision stéréotypée des compétences et du "rôle approprié" du groupe touché, laquelle vision conduit à la conviction ferme que les membres de ce groupe sont incapables de faire un certain travail, même si cette conclusion est objectivement fausse79  (Non souligné dans l'original).
[214] Le juge Hugessen a ensuite renvoyé à la décision du Tribunal canadien des droits de la personne dans Alliance de la Fonction publique du Canada c. Conseil du Trésor où le concept de la discrimination systémique est décrit comme étant :
axé sur les formes de discrimination les plus subtiles [...] et fondé sur la reconnaissance du fait que les moeurs sociales et culturelles de longue date transmettent des présomptions de valeur qui contribuent à créer de la discrimination sous des formes totalement ou presque entièrement voilées et inconscientes. Ainsi, la tendance traditionnelle à sous-évaluer le travail des femmes peut être perpétuée par des présomptions selon lesquelles certains types de tâches habituellement confiées dans le passé aux femmes ont naturellement moins de valeur que certains types de tâches traditionnellement accomplies par les hommes 80.
[215] Manifestement, le langage utilisé dans la décision Conseil du Trésor est le langage de la « parité salariale ».
[216] À partir de cette position, le juge Hugessen a mentionné ce qui suit au paragraphe 15 : « On peut en effet soutenir que le type de discrimination que la « parité salariale » vise à contrer est toujours systémique ». Il poursuit en citant Nan Weiner et Morley Gunderson, Pay Equity Issues Options and Experiences, Toronto, Butterworths, 1990 :
[Traduction]
[...] Peu importe la terminologie utilisée, la parité salariale est conçue pour corriger une forme de discrimination systémique. La discrimination systémique est fondée sur les pratiques d'emploi. C'est un sous-produit involontaire de pratiques et politiques en apparence neutres. Toutefois, ces pratiques et politiques peuvent très bien avoir un impact défavorable ou différent sur un groupe par rapport à un autre (p. ex., sur les femmes par rapport aux hommes). Elle se distingue de la discrimination interpersonnelle où une personne agit de façon discriminatoire envers autre. [...]La parité salariale exige des changements dans les systèmes de rémunération de façon à garantir que les postes occupés par des femmes ne seront pas sous-évalués. (Non-souligné dans l'original)
[217] Là encore, le juge Hugessen a souligné dans sa décision que l'article 11 de la Loi traite du concept de la « parité salariale ». Il a clairement mentionné, en citant Weiner et Gunderson, que ce concept traitent des emplois occupés par des femmes, lesquels emplois, historiquement, ont été sous-évalués. Cette situation doit être corrigée si l'on veut remédier à cette situation de discrimination systémique. Ce sont les emplois qui sont de première importance et non pas le sexe des titulaires.
[218] Ce point, c'est-à-dire que la création d'une loi sur l'égalité des salaires au Canada avait pour fondement la présumée nécessité qu'il fallait s'occuper du cloisonnement professionnel et de la sous-évaluation du travail des femmes, a été souligné au Tribunal dans la présente plainte par le professeur Pat Armstrong qui a été accepté comme expert en matière de travail des femmes, de la rémunération des femmes et des aspects sociologiques des lois sur l'égalité des salaires. Elle a insisté sur la fait que, historiquement, au Canada, on a pratiqué le cloisonnement professionnel, c'est-à-dire que les emplois ont été divisés en deux catégories, les emplois à prédominance féminine et les emplois à prédominance masculine.
[219] Mme Armstrong a souligné que l'une des réponses du gouvernement fédéral suite au rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada (1970) a été la promulgation en 1978 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, notamment de l'article 11 de la Loi, afin de s'occuper de la question de la disparité salariale systémique occasionnée par le cloisonnement professionnel. Ce contexte historique doit donc être pris en compte lorsque l'on interprète l'article 11 de la Loi. L'objet visé par l'article doit comprendre la nécessité de s'occuper de la sous-évaluation du travail des femmes tel qu'on le constate dans le cloisonnement de ce travail en groupes professionnels dominés par des femmes.
[220] Elle a mentionné que l'article 11 de la Loi concerne la « parité salariale » et, à ce titre, doit traiter des classes d'emplois à prédominance masculine et à prédominance féminine afin de traiter du cloisonnement professionnel visé par ce concept. En plus de traiter d'emplois et de sexe, le concept de la « parité salariale » doit discuter de ces questions à travers le prisme du cloisonnement professionnel.
[221] Ce témoignage d'expert fait écho à la déclaration qu'a fait l'honorable Ron Basford, ministre de la Justice, durant les débats parlementaires de 1977 qui ont précédé l'adoption de la Loi. Comme il a été souligné aux paragraphes [53] et [54] de la présente décision, l'honorable Ron Basford avait anticipé des problèmes avec le concept de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » tel qu'il est présenté à l'article 11 de la Loi. Il a toutefois souligné que l'approche du gouvernement était d'intégrer le principe à la loi et de confier à la Commission la tâche de régler tout problème rattaché à la mise en uvre de ce principe. Il a poursuivi en mentionnant que le problème sous-jacent était le cloisonnement professionnel des femmes et leurs rémunérations historiquement inférieures occasionnées par une sous-évaluation de leur travail.
[222] Compte tenu de ce contexte, ainsi que du témoignage d'expert, le Tribunal accepte que l'article 11 de la Loi traite du concept de la « parité salariale » qui se traduit en « salaire égal pour un travail de valeur égale » entre les hommes et les femmes.
[223] Le principe de la « parité salariale » entre le travail des hommes et le travail des femmes qui ont une valeur égale appelle une méthodologie qui a évolué avec le concept. L'article 11 est silencieux sur la méthodologie à utiliser pour traiter le concept. Comme la Cour suprême l'a souligné dans sa décision de juin 2003, la tâche d'expliquer le fonctionnement de l'article 11 de la Loi a été confiée à la Commission. La promulgation de l'OPS de 1986 est le résultat direct de la tâche qui a été confiée à cet organisme.
[224] Chacun des articles de l'ordonnance qui a été contestée par Postes Canada, en fonction de son interprétation de la Loi, traite du concept de la « parité salariale ». En effet, Postes Canada a concédé dans ses observations concernant l'interprétation de l'article 11 de la Loi que l'ordonnance serait cohérente et logique si on traitait de la « parité salariale » à l'article 11. Sa position était que l'article 11 ne traite pas de la notion de la « parité salariale » et doit plutôt être interprété en utilisant une méthode simple qui repose sur le sens ordinaire des mots.
[225] Le Tribunal conclut que l'article 11 a été créé afin de traiter du concept de la « parité salariale ». Le libellé permet de conclure à la vraisemblance de cette interprétation car les commentateurs ont pratiquement utilisé les expressions « un salaire égal pour un travail de valeur égale  », « valeur comparable » et « parité salariale » les unes pour les autres. Cette interprétation de l'article 11 est efficace car elle favorise la réalisation de l'objet du texte législatif tel qu'énoncé par le ministre de la Justice immédiatement avant l'adoption de la Loi ainsi que l'objet visé par l'article 2 de la Loi, interprété de façon large et libérale. Compte tenu de la conclusion que cette interprétation est plausible et efficace, elle est acceptée comme une interprétation juste et raisonnable qui traite précisément de l'objet de la Loi à la fois dans l'article lui-même et à la fois dans le contexte de l'économie de la Loi.
[226] Par conséquent, le Tribunal conclut que la « parité salariale » a été acceptée comme principe d'interprétation de l'article 11 de la Loi, lequel traite de la sous-évaluation des fonctions exécutées par des femmes dans des groupes professionnels à prédominance féminine. Donc, l'examen des catégories d'emplois des hommes et des femmes devient un aspect important de toute étude portant sur la « parité salariale » et l'Ordonnance de 1986 prise par la Commission, particulièrement les articles qui sont contestées par Postes Canada, permettent de rendre cela possible.
[227] Le critère qui doit être appliqué par le Tribunal afin de déterminer la validité des articles de l'ordonnance contestés en l'espèce par Postes Canada consiste à savoir si elle est compatible avec le sens de l'article 11 de la Loi. Postes Canada a prétendu qu'elle n'est pas compatible avec l'article 11.
[228] Le Tribunal réitère qu'une interprétation correcte de l'article 11 reconnaît que l'article a été créé pour traiter du concept de la « parité salariale », tel que décrit ci-dessus. La Commission s'est vu confier, en vertu de la Loi, la mise en uvre du concept et s'est vu demander de le rendre fonctionnel en prenant certaines ordonnances.
[229] Par conséquent, le Tribunal conclut que les contestés articles 11 à 15 de l'OPS de 1986, en fournissant des indications quant à l'interprétation de l'article 11 de la Loi, lequel est fondé sur la « parité salariale », ont une influence déterminante quant à cette interprétation. Ils fournissent également une cohésion ainsi qu'une complétude à la loi. Ils sont compatibles avec la signification de l'article 11 de la Loi et sont, de ce fait, valides et fonctionnels.
[230] De plus, le paragraphe 8(2) de l'OPS de 1986 traite précisément de la méthodologie qui doit être utilisée lorsque l'on a affaire à un aspect particulier du facteur des conditions de travail énoncé au paragraphe 11(2) de la Loi. À ce titre, il est également nécessaire au développement des principes de la Loi et est compatible avec le sens de l'article 11.
[231] En tirant ces conclusions, le Tribunal s'est penché sur les observations de Postes Canada ainsi que sur celles de la Commission quant à la meilleure façon de vérifier la validité de la mesure législative subordonnée. En effet, le Tribunal a souscrit à l'approche qui veut que l'on interprète la loi habilitante, puis, que l'on détermine en fonction de cette interprétation si la mesure législative contestée est compatible avec sa loi habilitante.

[232] Enfin, le Tribunal estime qu'il est pertinent de renvoyer à la décision de l'honorable juge Evans dans la décision Conseil du Trésor, dans laquelle il a mentionné ce qui suit concernant la validité d'une ordonnance contestée :
Compte tenu de la portée du libellé du paragraphe 27(2) et des attributs de l'organisme auquel le pouvoir discrétionnaire a été accordé, une disposition d'une ordonnance ne sera considérée comme invalide que si elle est clairement incompatible avec les termes dans lesquels le pouvoir a été conféré, interprétés en fonction des objectifs de la Loi81 [...]
[233] Pour reprendre les propos tenus par Me. le juge Evans, le Tribunal conclut que le paragraphe 8(2) et les articles 11 à 15 de l'OPS de 1986, contestés par Postes Canada ne sont pas incompatibles avec leur loi habilitante lorsqu'ils sont interprétés à la lumière de l'objet de la Loi. En effet, l'ordonnance contestée est nécessaire au bon fonctionnement de la Loi et est jugée valide.
C. La preuve par présomption
[234] La question à trancher consiste à savoir si la preuve par présomption mentionnée par le juge Evans dans la décision Conseil du Trésor, est une présomption réfutable. Toutes les parties à la présente plainte ont convenu qu'une présomption, de par sa nature même de présomption, peut être réfutée. La véritable question consiste à savoir ce qui constitue une réfutation acceptable dans les circonstances de la présente plainte? Cette présomption peut-elle par exemple être réfutée par des « facteurs raisonnables » autre que ceux qui sont mentionnés dans l'OPS?
[235] Le juge Evans a souligné que la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes imputable aux « facteurs raisonnables » prévus, autre que le sexe, sont exclus de la portée de l'article 11 de la Loi. Il a affirmé ce qui suit :
Par conséquent, dès que l'auteur de la plainte a prouvé qu'il existe une disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes, il est établi que cette disparité contrevient à l'article 11, sous réserve uniquement de la preuve faite par l'employeur que cette disparité est fondée sur un "facteur reconnu comme raisonnable" par l'article 16 de l'ordonnance82.
[236] Le juge Evans a conclu ce qui suit :
« On peut donc croire que le paragraphe 11(1) a remédié au problème de la preuve en édictant une présomption selon laquelle, lorsque les femmes et les hommes reçoivent un salaire différent pour exécuter des fonctions équivalentes, cet écart est fondé sur le sexe, à moins qu'il puisse être attribué à un facteur que la Commission a reconnu comme motif raisonnable dans une ordonnance ».
[237] De plus, le juge Evans a déclaré ce qui suit :
[...] Troisièmement, en raison de la nature de la discrimination systémique, il est souvent difficile de prouver que la situation défavorable dans laquelle se trouvent de nombreux membres de groupes particuliers dans leur milieu de travail est fondée sur les caractéristiques reliées aux groupes auxquels ils appartiennent. Pour reprendre les propos tenus par le juge en chef Dickson [...] la discrimination systémique « résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauche et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. » Par conséquent, les politiques et les pratiques salariales d'un employeur peuvent être fondées sur des prémisses et des normes sociales tellement profondément ancrées, quant B la valeur des fonctions exécutées par les femmes, qu'il serait extrêmement difficile d'établir dans un contexte judiciaire que, le cas échéant, c'est en raison de leur sexe que les femmes reçoivent un salaire inférieur aux hommes qui exécutent des fonctions équivalentes83.
[238] La Commission et l'Alliance ont prétendu dans leurs observations que la seule façon de réfuter la preuve par présomption mentionnée précédemment est de se fier à l'un des « facteurs raisonnables » mentionné dans l'OPS.
[239] Postes Canada a prétendu que, bien que se fier à un « facteur raisonnable » de l'OPS est certainement une façon de réfuter la présomption, cette solution n'est pas la seule.
[240] Postes Canada a expliqué qu'il serait incompatible avec l'objet de la Loi de permettre que seule la Commission puisse réfuter la présomption du paragraphe 11(1) au moyen des « facteurs raisonnables » qui y sont mentionnés. Elle a prétendu que l'objet de la Loi vise à régler le problème de la discrimination pour divers motifs et l'article 11 ne comprend pas tous ces motifs. Il ne vise uniquement que la discrimination fondée sur le sexe.
[241] Par conséquent, selon Postes Canada, l'intimé ou l'employeur devrait être capable de présenter une preuve pour montrer que le motif justifiant une disparité salariale, bien qu'il ne soit pas un « facteur raisonnable », puisse être dû à une raison autre que le sexe. En d'autres mots, la liste de « facteurs raisonnables » ne peut pas être fermée mais doit plutôt être ouverte, offrant ainsi un moyen de défense additionnel de réfutation de la présomption.
[242] Alors que la preuve doit être convaincante et que le fardeau de la preuve doit reposer clairement sur les épaules de l'intimé ou de l'employeur, il devrait avoir, selon Postes Canada, la possibilité de réfuter la présomption en présentant une telle preuve.
[243] Essentiellement, Postes Canada a prétendu que si l'employeur ou l'intimé a soumis une preuve au Tribunal qui a démontré que, selon la prépondérance des probabilités, la disparité salariale n'était pas occasionnée par la discrimination fondée sur le sexe, alors cela constituerait une réfutation de la présomption. Selon Postes Canada, le juge Evans n'a pas exclu cet argument.
[244] La Commission a prétendu que le juge Evans a affirmé très clairement ce qui constitue une présomption réfutable en vertu du paragraphe 11(1), notamment, que la seule preuve de la présence de « facteurs raisonnables » décrits à l'article 16 de l'OPS de 1986 peut réfuter la présomption que, une fois qu'une « disparité salariale » entre les hommes et les femmes qui exécutent les mêmes fonctions a été établie, selon la prépondérance des probabilités, la discrimination fondée sur le motif du sexe est également établie.
[245] En outre, la Commission a renvoyé au paragraphe 48 de la décision rendue par la Cour suprême du Canada le 26 juin 2003 dans l`affaire Bell Canada (Supra note 39). Cette référence renvoie au rôle de la Commission lorsqu'elle prend des ordonnances qui portent précisément sur les « facteurs raisonnables » mentionnés aux paragraphes 11(4) et 27(2) de la Loi pour justifier la « disparité salariale » fondée sur le sexe. Ce paragraphe est ainsi libellé :
Cette disposition prévoit clairement que des ordonnances peuvent préciser la Loi, sans primer de quelque façon que ce soit sur la Loi elle-même.
[246] Selon la Commission, une liste ouverte de « facteurs raisonnables » ne permettrait pas de favoriser l'objectif qui consiste à ajouter des précisions à la Loi. Elle ne favoriserait pas non plus le principe qui consiste à interpréter d'une façon limitative les défenses dans les causes de droits de la personne en général.
[247] Enfin, il est utile d'examiner le témoignage de l'experte qui a témoigné pour la Commission, le professeur Pat Armstrong, concernant la discrimination systémique en tant que concept. Le témoin a répondu de la façon suivante, en contre-interrogatoire, à une question posée par l'avocat de Postes Canada concernant la législation sur les droits de la personne en Ontario :
[Traduction]
La discrimination systémique est présumée [...] la discrimination systémique renvoie à la discrimination qui est occasionné par un ensemble de facteurs, non pas par un seul facteur, comme un seul employeur qui se conduit de façon inappropriée. Le principe de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » est fondé sur un certain genre de discrimination. C'est ce qui est reconnu comme discrimination systémique, c'est pourquoi la culpabilité n'est pas la question, ou, comme Morley Gunderson l'affirme dans son travail pour la Commission Abella, pourquoi ce n'est même pas une question de chercher les causes profondes. C'est une question de tenter de rendre plus égale les rémunérations des fonctions à prédominance masculine et les rémunérations des fonctions à

prédominance féminine. Donc, ce n'est pas une question de discrimination au sens général, mais une question de discrimination systémique au sens de particulier84.
[248] Le Tribunal accepte que l'article 11 de la Loi traite principalement d'une pratique discriminatoire particulière mieux connue sous le nom de discrimination systémique. Ce type de discrimination a souvent été, historiquement, la conséquence de politiques et de pratiques de recrutement et d'embauche qui intrinsèquement, mais pas nécessairement intentionnellement, ont eu pour conséquence que les femmes étaient moins rémunérées que les hommes pour des fonctions comparables. Le concept de « un salaire égal pour un travail de valeur égale » est, par conséquent, une tentative de régler le problème de la discrimination systémique en mesurant la valeur du travail effectué par des hommes et des femmes.
[249] Le Tribunal souligne que le juge Evans a décidé le 19 octobre 1999 dans Conseil du Trésor que le paragraphe 11(1) édicte effectivement une présomption selon laquelle :
« lorsque les femmes et les hommes reçoivent un salaire différent pour exécuter des fonctions équivalentes, cet écart est fondé sur le sexe, à moins qu'il puisse être attribué à un facteur que la Commission a reconnu comme motif raisonnable dans une ordonnance85 ».
[250] Le Tribunal souligne également que, alors que l'ensemble des parties ont convenu qu'une présomption, par définition, est réfutable, il n'y a aucune unanimité sur ce qui constitue une réfutation acceptable dans les circonstances de la plainte.
[251] Le juge Evans précise clairement que la présomption prévue au paragraphe 11(1) peut être réfutée par des « facteurs raisonnables » établis par la Commission en vertu des paragraphes 11(4) et 27(2) de la Loi. Par contre, Postes Canada a prétendu que la réfutation ne devrait pas être limitée aux « facteurs raisonnables » mentionnés dans l'ordonnance, mais devrait être « ouverte ».
[252] Le Tribunal souligne que la décision susmentionnée de la Cour suprême du Canada appuie le point de vue que l'intention du législateur était d'ajouter des précisions à la Loi en termes du pouvoir de prendre des ordonnances qui, de l'avis du Tribunal, sont compatibles avec une approche « fermée » à l'établissement de « facteurs raisonnables ». En outre, une liste fermée de « facteurs raisonnables » serait, de l'avis du Tribunal, également compatible avec le principe d'interprétation limitative des défenses dans les causes de droits de la personne.
[253] Par conséquent, le Tribunal conclut que la présomption édictée par le paragraphe 11(1) de la Loi, bien qu'elle soit réfutable, en est une qui ne peut être réfutée que par des « facteurs raisonnables » reconnus, le cas échéant, par la Commission, conformément aux paragraphes 11(4) et 27(2) de la Loi.
V. LA PREUVE PRIMA FACIE
A. Contexte et les éléments d'une preuve prima facie quant à une plainte déposée en vertu de l'article 11 de la Loi
[254] En raison de la nature systémique de la discrimination alléguée dans la plainte déposée devant le Tribunal, la plainte est traitée en utilisant la Loi actuelle, telle que modifiée en 1998. Cela ressort de la discussion sur la rétroactivité et la validité de l'OPS de 1986 souligné à la Section IV, B de la présente décision. Par conséquent, le Tribunal doit examiner chaque élément de l'article 11, dans son libellé actuel. Chaque élément de l'article 11 de la Loi doit être justifié, selon la prépondérance des probabilités, afin de justifier la plainte.
[255] L'article 11 interdit la discrimination fondée sur le sexe dans la fixation des salaires. Le paragraphe 11(1) mentionne que constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. Le paragraphe 11(2) mentionne le critère permettant d'établir l'équivalence des fonctions exécutées. La valeur attribuée aux fonctions doit être fondée sur le dosage de qualifications, d'efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. De plus, le paragraphe 11(4) permet aux employeurs d'échapper à toute conclusion de discrimination, et ce, dans des circonstances spéciales qui sont appelées « facteurs raisonnables ».
[256] Comme il est souligné à la Section IV, C de la présente décision, l'article 11 comprend une présomption intégrée de discrimination fondée sur le sexe, l'un des facteurs de discrimination interdit mentionné dans la Loi, lorsque l'on a conclu qu'il existe une disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. Cette présomption est assujettie à la contrainte des « facteurs raisonnables » présentée au paragraphe 11(4) et dont la définition est étoffée par l'OPS.
[257] Comme il est souligné à la Section IV, B de la présente décision, l'OPS de 1986 est nécessaire à toute discussion de l'article 11 de la Loi, car elle éclaire le principe de la « parité salariale » qui est le fondement de l'article. Par conséquent, lorsque l'on traite de l'article 11 dans le contexte de la plainte dont le Tribunal est saisi, chacun des éléments suivants doit être prouvé, selon la prépondérance des probabilités. Les éléments figurent à l'article 11 de la Loi et dans les directives qui sont offertes concernant les précisions de l'article dans les ordonnances prises par la Commission en vertu du mandat qui lui est conféré en vertu de l'article 27 de la Loi :
(1) Le groupe professionnel plaignant est composé majoritairement de membres appartenant au même sexe et le groupe professionnel de comparaison est composé majoritairement de membres de l'autre sexe. Dans la présente plainte, cela signifie que le groupe des CR plaignants doit être à prédominance féminine et le groupe de comparaison PO doit être à prédominance masculine.
(2) Le groupe professionnel à prédominance féminine et le groupe professionnel à prédominance masculine qui sont comparés sont composés d'employés qui travaillent dans le même établissement.
(3) La valeur du travail comparé entre les deux groupes professionnels a été évaluée de façon fiable sur le fondement du dosage de qualifications, d'efforts et de responsabilités nécessaire pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail. L'évaluation qui s'ensuit établit que le travail comparé est de valeur égale.
(4) Une comparaison faite entre les salaires versés aux employés des deux groupes professionnels pour des fonctions équivalentes démontre qu'il existe une différence entre les salaires versés entre les deux groupes, le groupe professionnel à prédominance féminine qui est moins bien rémunéré que le groupe professionnel à prédominance masculine. Cette disparité salariale est communément appelée « écart de rémunération ».
B. Le groupe plaignant et le groupe de comparaison représentent-ils, respectivement, un groupe professionnel à prédominance féminine et un groupe professionnel à prédominance masculine, permettant de comparer les fonctions, en vertu de la Loi?
[258] L'histoire des groupes connus sous les noms de CR et de PO commence lorsque le système de classification du Conseil du Trésor a été créé pour les ministères du gouvernement fédéral dans les années 60. Encore aujourd'hui, ce système existe toujours dans l'ensemble, dans la sphère fédérale. Au sein du gouvernement fédéral, le ministère des Postes a été le précurseur de Postes Canada, laquelle est une société d'État. Lorsque, par la loi fédérale, la société d'État Postes Canada a été créée en 1981, les normes de classification du gouvernement fédéral ainsi que les échelles de salaire attribuées aux niveaux de classification du gouvernement ont été conservées pour les employés du gouvernement qui sont devenus employés de Postes Canada. Cela a été accompli en conformité avec les règles de transition prévues dans la loi qui a créé Postes Canada en tant que société d'État.
[259] La présente plainte a été déposée devant la Commission par le groupe professionnel CR employé par la toute nouvelle société d'État, Postes Canada. Le Groupe CR s'est présenté dans la plainte comme étant à « prédominance féminine ». Le groupe était composé de travailleurs qui avaient été classés comme « Commis aux écritures et règlements » lorsqu'ils travaillaient au ministère des Postes. Cette classification du Conseil du Trésor a été utilisée par l'ensemble des travailleurs Commis aux écritures et règlements employés dans l'ensemble du gouvernement fédéral. Lorsque les CR dans la plainte sont devenus des employés de la société d'État, Postes Canada, leur classification CR a été conservée. Il y a toutefois eu une promesse entre l'Alliance, le syndicat représentant les CR et certains autres groupes occupationnels et Postes Canada qu'il y aurait éventuellement des négociations visant à réévaluer les postes CR ainsi que d'autres postes. Cette promesse était le fondement du travail que la direction de Postes Canada et l'Alliance ont entrepris lorsqu'ils ont tenté de créer le système d'évaluation « System One ».
[260] Le groupe plaignant a choisi, comme groupe de comparaison pour la plainte, le Groupe des opérations postales (les PO), lequel est à prédominance masculine. Les PO étaient, tout comme les CR, des employés du gouvernement fédéral lorsque le Bureau de poste était un ministère gouvernemental et ils ont conservé leur statut de PO lorsqu'ils sont devenus employés de la nouvelle société d'État. Ces employés, représentés par le Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes (STTP), avaient été à l'origine des membres d'un groupe fédéral unique appelé « préposés à la manutention du courrier ».
[261] Comme il a été souligné aux paragraphes [25] et [26] ci-dessus, au 24 janvier 1992, la date du rapport finale d'enquête de la Commission de la présente plainte, avec sa recommandation que la plainte soit renvoyée au Tribunal, il y avait 2 310 postes de CR, divisés en niveaux CR-2 (260 postes), CR-3 (950 postes), CR-4 (950 postes) et CR-5 (150 postes). Il y avait 43 099 postes PO, divisés en postes PO-INT (quatre niveaux), postes PO-EXT (trois niveaux) et postes PO-SUP (six niveaux). Bien que la véritable date de prise d'effet de ces chiffres n'a pas été mentionnée dans le rapport final de la Commission, il est présumé qu'ils représentent les populations des deux groupes en date du rapport final ou à cette date près.
[262] Dans l'année où la plainte a été déposée, 1983, le nombre de postes CR était à peu près le même (2 316) qu'au début de 1992, alors que le nombre de postes PO était plus élevé d'environ 8 000 postes (50 912).
[263] L'article 11 de la Loi traite des fonctions et des salaires dans le contexte de la « parité salariale ». Historiquement, on a tenté, par la « parité salariale », de régler le problème du cloisonnement professionnel fondé sur le sexe et des salaires qui découlent de ce cloisonnement. Traditionnellement, les salaires versés pour les fonctions généralement exécutées par des femmes ont été inférieurs à ceux versés pour des fonctions généralement exécutées par des hommes. Comme l'article 11 ne prévoit aucune définition pour ce qui constitue un groupe professionnel composé majoritairement de membres d'un même sexe, le Tribunal doit chercher des éclaircissements dans les articles 12 et 13 de l'OPS de 1986. La Commission a utilisé les pouvoirs qui lui sont accordés par l'article 27 de la Loi de produire cette ordonnance pratique pour les plaintes collectives. Les articles 12 et 13 de l'OPS de 1986 permettent une comparaison entre les « groupes professionnels » tant et aussi longtemps que ces groupements représentent des fonctions exécutées surtout par des hommes et surtout par des femmes.
[264] L'article 13 de l'OPS de 1986 mentionne de nombreuses formules servant à établir si un groupe professionnel est composé majoritairement de membres d'un sexe. Par exemple, un groupe professionnel qui compte plus de 500 membres est présumé être composé majoritairement des membres d'un sexe si au moins 55 p. 100 de ses membres appartiennent à ce sexe. Dans la plainte dont le Tribunal est saisi, chaque groupe, dans l'ensemble, était composé de plus de 500 membres lorsque la plainte a été déposée et lorsqu'elle a été renvoyée au Tribunal.
[265] Le groupe plaignant a fait savoir à la Commission, et a exprimé cet avis dans le libellé de la plainte elle-même, qu'il était un groupe à prédominance féminine. Le groupe choisi comme groupe de comparaison a été présenté par le plaignant comme étant un groupe à prédominance masculine. En 1983, plus de 80 p. 100 du Groupe CR était composé d'employés de sexe féminin et un peu plus de 75 p. 100 du Groupe PO était composé d'employés de sexe masculin86. Au moment du renvoi de la plainte au Tribunal en 1992, le Groupe CR était toujours à prédominance féminine dans une proportion de plus de 83 p. 100 et le Groupe PO (qui n'était alors composé que des sous-groupes PO-INT et PO-EXT, le sous-groupe PO-SUP ayant été enlevé par la Commission durant son enquête) était toujours à prédominance masculine dans une proportion d'un peu plus de 71 p. 10087.
[266] L'Alliance et la Commission prétendent que ces pourcentages suffisent pour classer le groupe plaignant comme étant composé d'employés à prédominance féminine et le groupe de comparaison comme étant composé d'employés à prédominance masculine.
[267] Les observations de l'Alliance et de la Commission concernant la prédominance d'un sexe ou de l'autre dans les deux groupes sont fondées sur leur interprétation de l'OPS de 1986. De plus, ils prétendent que, selon la Loi, l'OPS, à moins qu'elle ne soit jugée ultra vires (ce qui n'est pas le cas en l'espèce), lie le Tribunal.
[268] L'Alliance et la Commission prétendent que selon l'OPS de 1986 lorsqu'un groupe professionnel compte plus de 500 membres, seulement 55 p. 100 des personnes dans le groupe n'ont qu'à appartenir à un sexe ou l'autre pour présumer que ce groupe exécute des fonctions de personnes appartenant à ce sexe. Par conséquent, dans la présente plainte, les groupes sont présumés exécuter des fonctions généralement exécutées par des femmes (les CR) ou des fonctions généralement exécutées par des hommes (les PO) en raison du fait qu'ils sont des groupes qui comptent plus de 500 membres au total et que le pourcentage de membres de sexe féminin ou de membres de sexe masculin de chaque groupe rend ses fonctions représentatives soit des fonctions exécutées par des femmes, soit des fonctions exécutées par des hommes. L'argument est qu'il s'agit d'un simple calcul arithmétique qui, une fois effectué, est l'un des facteurs dont on se sert pour choisir un groupe plaignant et un groupe de comparaison. Toutefois, c'est le facteur qui répond à l'élément de l'article 11 (clarifié par l'OPS) qui exige que, lorsque l'on traite avec une plainte collective, le groupe plaignant est un groupe à prédominance féminine et le groupe de comparaison est un groupe à prédominance masculine.
[269] Postes Canada prétend que les pourcentages sont illusoires. Elle prétend que le Groupe PO ne peut pas être considéré comme un groupe fusionné. Selon Postes Canada, le groupe PO est, et a traditionnellement été, un groupe qui aspire au principe de la ligne de salaire « rectiligne ». L'argument de Postes Canada insiste sur le fait que, au cours de l'histoire de la plainte, le niveau PO-4 a toujours été l'élément le plus important du sous-groupe PO-INT. Selon Postes Canada, c'est le niveau PO-4 qui est le plus représentatif du Groupe PO dans son ensemble et la catégorie de classification où l'on retrouve le plus grand nombre de postes PO. En effet, Postes Canada prétend que le niveau PO-4 du Groupe PO a toujours été essentiellement neutre quant à sa composition en femmes et en hommes et devrait être plutôt considéré comme étant représentatif du Groupe PO dans son ensemble. En 1983, 53 p. 100 des employés classés au niveau PO-4 étaient des hommes et 47 p. 100 étaient des femmes. En 1992, les chiffres étaient 50,6 p. 100 hommes et 49,4 p. 100 femmes. Si le Groupe PO était défini comme étant de niveau PO-4, Postes Canada prétend que, comme groupe de comparaison, il n'est pas visé par la définition d'un groupe de comparaison à « prédominance masculine » en vertu de l'OPS.
[270] Postes Canada prétend que si l'on prend le Groupe PO dans son ensemble, on se trouve à ignorer la tendance historique voulant que le nombre d'employés de niveau PO-4 devient de plus en plus la catégorie la plus importante et la plus représentative des travailleurs des Opérations postales. En fait, les employés classés au niveau PO-4 au sein du sous-groupe du Traitement du courrier interne et du service postal complémentaire représentaient un peu plus de 83 p. 100 du total du sous-groupe en 1983 et 88 p. 100 en 1992. Par contre, comme pourcentage de l'ensemble du Groupe PO, les employés du niveau PO-4 représentaient 41 p. 100 en 1983 et presque 42 p. 100 en 1992.
[271] Le Tribunal n'accepte pas cet argument. Le système de classification des postes du gouvernement fédéral est fondé sur le concept de groupes d'employés, liés ensemble par des catégories de classes de poste. Au sein de ces groupes, le concept de niveaux est lié aux différences salariales. Historiquement, ces niveaux, avec leur différence salariale, ont reposé sur des facteurs comme l'ancienneté, l'opinion de la direction sur l'importance des fonctions exécutées à chaque niveau, la formation et les compétences exigées. Qu'un syndicat à Postes Canada, représentant de nombreux ou l'ensemble des membres du Groupe PO puissent avoir décidé de tenter de créer une situation où les niveaux de classification n'ont essentiellement rien à voir avec les différences salariales ne peut pas changer le concept historique qui constitue le fondement des groupes et niveaux eux-mêmes. C'est ce concept qui est important pour la désignation de « groupe professionnel » aux articles 12 et 13 de l'OPS de 1986 et pour la question de la « parité salariale » à l'article 11 de la Loi.
[272] Par conséquent, le Tribunal accepte que le groupe professionnel plaignant, les CR, et le groupe de comparaison, les PO, sont respectivement représentatifs d'un groupe à prédominance féminine et d'un groupe à prédominance masculine parce que chacun comprend plus de 500 membres et parce que chacun comprend au moins 55 p. 100 d'employés de sexe féminin (les CR plaignants) et des employés de sexe masculin (les PO le comparateur). Cette conclusion est fondée sur l'OPS de 1986 qui mentionne l'importance de la taille de chaque groupe et du pourcentage nécessaire d'hommes ou de femmes dans chaque groupe professionnel d'une certaine taille qui fera en sorte que le groupe sera présumé être à prédominance masculine ou à prédominance féminine.
[273] La Loi oblige le Tribunal à suivre l'OPS qui traite des questions mentionnées dans la plainte dont il est saisi, une plainte en matière de « parité salariale » en vertu de l'article 11 de la Loi, qui traite de groupes professionnels.
[274] Postes Canada prétend que, même si les groupes ont une composition adéquate quant au sexe, le choix Groupe PO comme groupe de comparaison a été fait par l'Alliance parce que ce groupe se disait, à l'époque, généreusement rémunéré. Un tel choix, dans le contexte de la « parité salariale », serait, selon Postes Canada, une « sélection aléatoire » et, par conséquent, non approprié.
[275] M. Norman Willis, un témoin pour le compte de Postes Canada qui a été accepté par le Tribunal comme expert en parité salariale et en évaluation des emplois, était l'un des témoins qui a expliqué le concept de « sélection aléatoire ».
[276] Il a expliqué que, dans le cadre d'une plainte collective en matière de « parité salariale », le groupe plaignant choisit son groupe de comparaison. La « sélection aléatoire » dans des situations de « parité salariale » prévoit un scénario dans lequel le groupe plaignant choisit un groupe de comparaison qui, bien qu'il ne comprenne que peu de membres, représente le groupe le mieux rémunéré parmi les groupes de comparaison disponibles. Bien que, naturellement, la rémunération constitue l'un des aspects naturels du choix, étant donné que la plainte en matière de « parité salariale » comporte une allégation de paiement d'une rémunération inférieure au groupe plaignant lorsqu'on le compare avec le groupe de comparateur choisi, le choix d'un groupe en fonction uniquement de sa caractéristique de rémunération élevée, si l'on compare avec le groupe plaignant, n'est pas un point de départ acceptable pour faire une comparaison légitime en matière de « parité salariale ». Cela fausserait les résultats de l'évaluation et de la comparaison au profit du groupe plaignant. Permettre l'utilisation d'un groupe de comparaison « choisi aléatoirement » créerait un bouleversement au sein d'un établissement, car il y aurait inévitablement des comparaisons ultérieures entre le groupe plaignant originel et les autres travailleurs.
[277] Au cours de ses explications quant au « choix aléatoire », M. Willis a exprimé l'opinion que la plainte dont le Tribunal est saisi était viciée dès le départ en raison du « choix aléatoire » du groupe de comparaison en fonction de la rémunération relativement élevée versée aux employés du groupe PO. Lorsqu'il a été confronté au fait que le nombre de membres du Groupe PO n'était aucunement peu élevé mais représentait environ 80 p. 100 de l'ensemble des employés de Postes Canada, il a convenu que ce choix aurait été un « choix très aléatoire »88
[278] Au nom de la Commission, M. Paul Durber, directeur de la Direction de la parité salariale à la Commission, accepté par le Tribunal comme expert en parité salariale, a mentionné dans son témoignage que le Groupe PO, dans son ensemble, a été approuvé par la Commission comme étant un groupe de comparaison convenable car il faisait partie des groupements professionnels de l'employeur. Au début de l'enquête de la Commission, le Groupe PO semblait également offrir une certaine facilité d'évaluation et de comparaison en raison de la nature générale homogène des divers postes dans chacun des sous-groupes PO-INT et PO-EXT.
[279] Selon le témoignage de M. Chris Jones, le représentant syndical du groupe plaignant, une raison pour laquelle le groupe de comparaison a été choisi est la similitude entre les tâches et les responsabilités de certains postes CR et PO. L'exemple le plus patent était le poste CR appelé « commis au service à la clientèle » et le poste PO appelé « commis au guichet ». Bien que chaque poste semblait exiger du travail presque identique, chacun était rémunéré différemment au moment où la plainte a été déposée. La rémunération supérieure du commis au guichet et des autres postes PO a fait du Groupe PO, qui, d'après les apparences, était à prédominance masculine, un choix évident de groupe de comparaison pour le groupe plaignant. De plus, le Groupe PO représentait, en nombre absolu, la majorité des employés des postes.
[280] M. Jones a mentionné que bien que l'on croyait que la rémunération des  PO était généralement supérieure à celle des CR, l'importance même du Groupe PO a été cruciale quant à la raison pour laquelle il a été choisi. En tant que groupe d'employés le plus important à Postes Canada, représentant de loin la majorité du nombre total d'employés de l'employeur, les PO étaient un choix naturel de groupe de comparaison pour les CR. Le fait, également, qu'une certaine partie du travail exécuté par les employés appartenant au groupe plaignant et par les employés appartenant au groupe de comparaison soit similaire en termes de qualifications, d'efforts, de responsabilités et de conditions de travail témoignait pour la plaignante, de la pertinence de son choix de groupe de comparaison.
[281] Le Tribunal accepte que le groupe professionnel le plus important au sein de l'organisme, un groupe représentant environ 80 p. 100 de l'effectif total de Postes Canada, était un groupe approprié comme choix de groupe de comparaison. Il semblait être un groupe professionnel à prédominance masculine selon l'OPS. La connaissance additionnelle que certains membres du Groupe PO effectuaient du travail qui, dans certains cas du moins, étaient semblable au travail effectué par le groupe plaignant a ajouté à la pertinence du choix.
[282] De plus, la preuve indique que peu d'autres groupes de comparaison auraient pu être choisis. Au moment de l'émission de la plainte, les groupes professionnels Manuvre et hommes de métier et Services divers - les deux groupes étant apparemment à prédominance masculine, selon l'OPS - représentaient un faible pourcentage des employés de Postes Canada. En outre, il n'existe aucune preuve que l'on ait constaté que le travail effectué par les membres de ces groupes était semblable à celui des membres du groupe CR plaignant.
[283] Par conséquent, le Tribunal conclut que le groupe plaignant, un groupe professionnel à prédominance féminine et que le groupe de comparaison, un groupe professionnel à prédominance masculine, sont désignés de façon appropriée en vertu de l'article 11 de la Loi et de l'OPS de 1986 comme groupes représentatifs pour la comparaison des fonctions généralement exécutées par des femmes et des fonctions généralement exécutées par des hommes. Par conséquent, le premier critère nécessaire à l'établissement d'une preuve prima facie en vertu de l'article 11 de la Loi a été rencontré.
C. Les membres du groupe plaignant et ceux du groupe de comparaison travaillent-ils dans le même « établissement »?
[284] Le paragraphe 11(1) de la Loi est ainsi libellé :
Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. (Non souligné dans l'original)
[285] Le paragraphe 11(3) de la Loi est ainsi libellé :
Les établissements distincts qu'un employeur aménage ou maintient dans le but principal de justifier une disparité salariale entre hommes et femmes sont réputés, pour l'application du présent article, ne constituer qu'un seul et même établissement.
[286] L'article 10 de l'OPS de 1986 est ainsi libellé :
Employés d'un établissement
Pour l'application de l'article 11 de la Loi, les employés d'un établissement comprennent, indépendamment des conventions collectives, tous les employés au service de l'employeur qui sont visés par la même politique en matière de personnel et de salaires que celle-ci soit ou non administrée par un service central. (Non souligné dans l'original)



[287] La version anglaise de l'article 10 de l'OPS 1986 est libellé comme suit :
Employees of an establishment
For the purpose of section 11 of the Act, employees of an establishment include, notwithstanding any collective agreement applicable to any employees of the establishment, all employees of the employer subject to a common personnel and wage policy, whether or not such policy is administered centrally.
(i) Évolution de la définition d'établissement
[288] La Commission a créé le Groupe de travail sur la « parité salariale » en novembre 1977 [Traduction] « pour étudier les répercussions de l'application de l'article 11 de la Loi ». Entre autres choses, le Groupe de travail s'est penché sur la question de la définition du mot « établissement » tel qu'il est utilisé au paragraphe 11(1).
[289] Le rapport du Groupe de travail, intitulé « Rémunération égale entre les hommes et les femmes qui exécutent des fonctions équivalentes », daté de mars 1978, recommandait que « établissement » soit défini comme suit, puis inscrit dans une ordonnance :
L'« établissement » désigne tous les bâtiments, les ouvrages ou autres endroits de l'entreprise d'un employeur qui se trouvent dans les limites d'une municipalité, d'un district municipal, d'une région métropolitaine, d'un comté ou de la région de la capitale nationale, selon ce qui est le plus étendu89. (Recommandation à être complétée)
[290] Le Groupe de travail a souligné que cette définition était incomplète et avait besoin d'être examinée davantage. À cet égard, il a souligné ce qui suit : [Traduction] « l'introduction du terme « établissement » dans l'article 11 a été présumée être une tentative d'adoption du facteur des différences régionales quant au niveau de rémunération comme motif légitime de disparité salariale entre les employés »90.
[291] M. Paul Durber a témoigné que, selon lui, la définition géographique susmentionnée du mot « établissement » n'a probablement pas été conservée dans l'OER de 1978 parce que le Groupe de travail avait souligné un certain nombre d'opinions contradictoires sur la question. De plus, il a fait part de la nécessité pour la Commission d'acquérir plus d'expérience dans la mise en application de l'article 11 avant d'enchâsser la définition dans l'OPS de 198691. Par conséquent, aucune définition du mot « établissement » ne figure dans l'OER de 1978.
[292] En septembre 1984, la Commission a publié le Guide d'interprétation de l'article 11 de la Loi intitulé « À salaire égal, travail égal »92. Ce Guide visait à aider les employeurs et les employés à comprendre comment la Commission évaluerait les plaintes en fournissant des définitions de certains termes utilisés dans la Loi et en commentant sur les « facteurs raisonnables » figurant dans l'OPS de 1978.
[293] Le guide d'interprétation de 1984 définit comme suit le mot « établissement » :
L'établissement désigne tous les bâtiments, les ouvrages ou autres endroits de l'entreprise d'un employeur qui se trouvent dans les limites d'une municipalité, d'un district municipal, d'une région métropolitaine, d'un comté ou de la région de la capitale nationale, selon ce qui est le plus étendu, ou toutes limites géographiques plus étendues qui peuvent être établies, par l'employeur ou conjointement par l'employeur et le syndicat.
[294] M. Durber a témoigné que malgré que la définition géographique du mot « établissement » fut acceptée dans le Guide d'interprétation de 1984, la Commission ne l'a pas appliqué de façon constante car la Commission a souvent utilisé une autre définition fondée sur des lignes fonctionnelles, en particulier pour des causes impliquant le gouvernement fédéral et des organismes nationaux qu'elle a estimé être des « établissements » nationaux uniques.
[295] Le président de la Commission, dans une lettre datée du 19 mars 1985 qu'il envoyée à environ 60 employeurs du secteur public et du secteur privé, notamment Postes Canada, a demandé à ceux-ci leur opinion quant à un certain nombre de définitions et de lignes directrices envisagées, notamment la définition du mot « établissement ». La demande visait à faire disparaître une grande partie de l'incertitude vécue par un certain nombre d'employeurs quant à la mise en uvre de leur propre programme de « parité salariale ».
[296] La lettre du président de la Commission mentionnait que l'on avait proposé de définir d'une façon plus large le mot « établissement », et ce, en utilisant un fondement différent que celui utilisé dans le Guide d'interprétation de la Commission. La proposition prévoyait qu'une définition fonctionnelle remplacerait la définition géographique prévue dans le Guide. La Commission a plus particulièrement proposé ce qui suit :
On considérerait que les travailleurs font partie du même établissement lorsqu'ils sont visés par un ensemble commun de politiques, de règlements et de procédures en matière de personnel et de rémunération, et lorsque ces politiques, règlements et procédures sont contrôlés centralement même si leur administration est déléguée à de plus petites unités organisationnelles.
[297] Le vice-président, Personnel, de Postes Canada a répondu le 3 juin 1985 à la lettre du président et a expressément abordé la question de la définition envisagée du mot « établissement ». Il a mentionné ce qui suit :
[Traduction]
La définition du mot « établissement » envisagée par la Commission est également une source d'inquiétude. Alors que la Commission a clairement compétence en vertu des dispositions de l'article 22 de la Loi canadienne sur les droits de la personne de prendre des ordonnances, nous sommes d'avis que ces ordonnances doivent être conformes à la Loi dans son ensemble. Selon nous, définir le mot « établissement » d'une façon fonctionnelle plutôt que d'une façon géographique serait incompatible avec la Loi et contraire à d'autres interprétations législatives et judiciaires de ce mot, lesquelles parlent fréquemment en termes de lieu plutôt que de fonction.
[298] Des consultations tenues entre la Commission et les divers employeurs, notamment Postes Canada, ont mené à certaines modifications dans les définitions et dans l'ordonnance envisagées. En bout de ligne, l'OER de 1978 (telle que modifiée en 1982) a été remplacée par l'OPS de novembre 1986 dans laquelle, pour la première fois, figurait une définition du mot « établissement » (art. 10 de l'OPS). Cette définition est fonctionnelle et s'inspire de celle mentionnée au paragraphe [296] susmentionné.
[299] En même temps, un nouveau « facteur raisonnable » a été ajouté à la liste alors existante (art. 16) des facteurs reconnus raisonnables pour justifier la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent dans le même établissement des fonctions équivalentes. Ce facteur est le suivant : « les variations salariales régionales, dans les cas où le régime salarial applicable aux employés prévoit des variations de salaire pour un même travail selon la région où est situé le lieu de travail ».
[300] Par conséquent, à fin de 1986, la Commission en était officiellement arrivée à une définition fondée sur la fonction du mot « établissement » de préférence à sa politique antérieure, appliquée de manière irrégulière, selon laquelle elle employait une définition fondée sur la région. Les motifs de la Commission quant à ce changement sont très bien expliqués par M. Durber dans la réponse suivante qu'il a donnée :
[Traduction]
Q. Pouvez-vous nous rappeler le motif qui a été donné quant à l'adoption d'une définition fonctionnelle?
R. Oui. Je crois que cela avait pour but de permettre une interprétation et une application plus large, disons plus libérale, de l'article 1193.
[301] La Commission a mentionné que durant l'étape de l'enquête sur la présente plainte (1984-1991), l'hypothèse que le groupe plaignant et le groupe de comparaison étaient dans un seul « établissement » n'a pas été contestée. Postes Canada n'a pas soulevé la question de la définition du mot « établissement » dans le contexte de la plainte durant cette période, bien qu'elle a été impliquée dans des discussions avec la Commission précisément sur ce sujet lors de la rédaction de l'OPS de 1986.
[302] M. Durber a témoigné qu'il s'est rappelé que, « au cours de 1991 », il avait appris de l'enquêteur sur la plainte que la personne ressource principale de Postes Canada avait mentionné que la société [Traduction] « se demandait si la question de l'établissement était un point contesté ». Selon M. Durber, Postes Canada n'avait pas formellement mentionné que la définition du mot « établissement » serait débattue dans le cadre de la contestation de la plainte de l'intimée94.
[303] Après un long contre-interrogatoire, comprenant notamment des questions sur le travail de la Commission pour définir le mot « établissement », l'avocat de la Commission a demandé à M. Durber si son opinion initiale concernant la signification du mot « établissement » avait changé. Il a répondu que, dans le contexte de la présente plainte il :
[Traduction]
« [...] avait continué [...] de voir qu'il n'y avait qu'un seul établissement, un bon nombre de caractéristiques communes au niveau de la responsabilité de la gestion qui faisaient relever ces groupes d'un seul établissement, au sens de l'article 10 de l'Ordonnance sur la parité salariale, permettant ainsi de poursuivre la comparaison de la valeur des fonctions entre les commis et les personnes travaillant aux opérations postales »95.



[304] La Commission et l'Alliance ont reconnu que l'avocat de Postes Canada avait soulevé des questions quant à la signification du mot « établissement » dans le contexte de l'article 11 de la Loi et de l'article 10 de l'OPS de 1986 durant les remarques préliminaires qu'il avait faites devant le Tribunal, en février 1993. Il avait affirmé ce qui suit :
[Traduction]
La prochaine question est celle que nous estimons comme étant la question charnière et il s'agit de la question de l'établissement [...] Donc, la loi envisage certainement différents établissements chez le même employeur. La grande question, laquelle n'a jamais été examinée, et pour autant que nous sachions, laquelle n'a jamais été débattue, est la suivante : Qu'est-ce qu'un établissement96?
[305] L'avocat de Postes Canada a par la suite abordé la question de l'« établissement » dans le cadre spécifique de l'OPS de 1986 soulignant que [Traduction] « l'OER de 1978 ne comprend aucune définition du mot « établissement ». L'OPS de 1986 prévoit une définition du mot « établissement »97.
[306] Il a ensuite déclaré que la position de Postes Canada serait la suivante :
[Traduction]
Notre position sera que l'autre partie doit donner une définition du mot « établissement » qui comprend les CR, les PO-Interne, les PO-Externe et les PO-Sups à l'intérieur du même établissement à l'exclusion des autres groupes. Si la définition du mot « établissement » exclut les autres travailleurs qui travaillent dans le secteur opérationnel chez Postes Canada, en quoi peut-elle comprendre les CR98?

(ii) La « cause des sociétés aériennes »
[307] L'ensemble des parties conviennent que le Tribunal est lié par la décision de la Cour d'appel fédérale qui a été rendue le 18 mars 2004 et dans laquelle il a été question de la définition du mot « établissement » dans le contexte de l'article 11 de la Loi et de l'article 10 de l'OPS de 1986. Cette décision a renversé la décision du tribunal et de la Cour fédérale (Section de première instance) dans une plainte en matière de « parité salariale » déposée par des agents de bord (groupe à prédominance féminine) d'Air Canada et de Lignes aériennes Canadien. Ils n'étaient représentés que par un seul syndicat. Ils ont désigné comme groupes de comparaison le groupe des pilotes et le groupe des travailleurs qui assurent les services de maintenance et autres services techniques (groupes à prédominance masculine). Ces groupes étaient représentés par deux autres syndicats. La question de savoir si le groupe plaignant et les groupes de comparaison travaillaient dans le même établissement est une question fondamentale qui a été examinée par le tribunal comme question préliminaire.
[308] Le tribunal a conclu que le demandeur, représenté par le Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) a été incapable de démontrer « le moindre semblant de politiques essentielles communes des salaires et du personnel s'appliquant à l'ensemble des unités de négociation »99 et a conclu que les trois groupes d'employés ne travaillaient pas dans le même « établissement » pour les fins d'une plainte déposée en vertu de l'article 11 de la Loi. La Cour fédérale (Section de première instance) a confirmé la décision du tribunal100.
[309] La Cour d'appel fédérale a infirmé ce jugement à l'unanimité en décidant que la définition fondée sur la fonction du mot « établissement » figurant à l'article 10 de l'OPS de 1986 situerait, dans la majorité des cas, l'ensemble des employés d'un employeur dans le même établissement
même si un certain nombre d'employés pourraient être représentés par différents syndicats101. La Cour a conclu que le groupe plaignant et les groupes de comparaison choisis dans la « cause des sociétés aériennes » travaillaient, par conséquent, dans le même établissement aux fins de l'article 11 de la Loi.
[310] La Cour d'appel fédérale a souligné l'importance d'interpréter les lois en matière de droits de la personne de façon large, libérale et en fonction du libellé et de l'objet de la loi pertinente. La Cour a insisté sur la nécessité d'interpréter la Loi et l'OPS de 1986 conformément à leur objet, tout en étant toujours conscient de la nature quasi constitutionnelle de la Loi et de l'objet qu'elle vise, c'est-à-dire l'élimination de la discrimination. La Cour a souligné que dans les plaintes déposées en vertu de l'article 11 de la Loi, l'« objet général » de l'article qui est « de prévenir la discrimination salariale fondée sur le sexe »102 et « l'objet plus particulier [...] la promotion de la « parité salariale »103, doivent guider l'interprétation du libellé de l'article et de l'ordonnance prise par la Commission.
[311] La Cour a mentionné que le critère quant à l'interprétation du mot « établissement » dans le contexte de ces objets était qu'« il doit être établi que l'employeur considère les groupes d'employés comme parties d'une entreprise unique et intégrée. Si tel est le cas, alors les employés font partie du même établissement »104. Le juge Evans, dans ses motifs concourants, a déclaré que « [...] les employés du même employeur seront en principe soumis à la "même politique en matière de personnel et de salaires" s'ils travaillent au sein de la même entité commerciale »105.
[312] En d'autres mots, la définition du mot « établissement » prévue à l'article 10 de l'OPS de 1986 a été acceptée par la Cour comme exigeant la preuve de l'existence de politiques communes de nature générale en matière de personnel et de rémunération. Il ne serait pas nécessaire d'examiner les détails précis des différentes conventions collectives négociées par les syndicats qui représentent les groupes qui sont comparés. La Cour a convenu que « la définition de "établissement" ne devrait pas dépendre des innombrables détails donnés dans les conventions collectives »106.
[313] Le juge Evans, dans ses motifs concourants, a également mentionné que « [l]es termes des conventions collectives qui s'appliquent aux plaignants et autres employés avec lesquels les plaignants souhaitent être comparés aux fins de la « parité salariale » sont sans rapport avec la question de savoir si les plaignants et les groupes de référence font partie du même établissement au sens de l'article 11 de la Loi [...] et au sens de l'article 10 de l' Ordonnance de 1986 sur la parité salariale [...] »107.
(iii) L'incidence de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans la « cause des sociétés aériennes » sur la présente cause
[314] Comme il a déjà été souligné, malgré que l'ensemble des parties à la plainte dont le Tribunal est saisi ont reconnu que le Tribunal est lié par la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans la « cause des sociétés aériennes », Postes Canada a prétendu dans ses observations écrites que la décision était importante pour le Tribunal parce qu'elle soulignait plusieurs des arguments déjà invoqués par Postes Canada.
[315] Trois des arguments de Postes Canada méritent une attention particulière. Le premier argument avait trait à la question de l'objectif essentiel visé par l'article 11 de la Loi et la présomption de discrimination fondée sur le sexe que l'on retrouve à cet article. Le deuxième argument avait trait à l'évaluation juste et équitable de la valeur des « salaires » aux fins d'une enquête en vertu de l'article 11. Le troisième argument concernait la pertinence de la force de la négociation collective dans une étude en matière de « parité salariale ».
[316] Comme il a été souligné au paragraphe [310], la Cour d'appel fédérale a donné des directives claires dans la décision qu'elle a rendue dans la « cause des sociétés aériennes » sur la question de l'objectif essentiel visé par l'article 11. Quant à la question de présomption de discrimination, le Tribunal a déjà traité de cette question à la Section IV C de la présente décision.
[317] Le deuxième argument de Postes Canada concernant la définition de « salaires » est examiné dans le contexte de la Section VIII, intitulée « Formes de rémunération indirectes », laquelle figure plus loin dans la présente décision.
[318] Postes Canada, dans son troisième argument, a soutenu que la Cour d'appel fédérale reconnaît que la force de la négociation est non seulement pertinente à la « cause des sociétés aériennes » mais constitue également une partie importante de toute enquête en matière de discrimination salariale fondée sur le sexe.
[319] Le Tribunal conclut que la décision de la Cour d'appel fédérale limite son examen de la force de négociation aux :
[...] facteurs dont le Tribunal doit tenir compte pour savoir si des employés reçoivent des salaires égaux et exécutent des fonctions équivalentes. Dans la mesure où la preuve d'une force particulière de négociation constitue une preuve reliée aux facteurs en question, elle est pertinente et elle sera étudiée par le Tribunal à l'étape de l'analyse de fond 108 (Non souligné dans l'original).
[320] Les facteurs sont mentionnés par la Cour d'appel fédérale comme étant ceux qui sont mentionnés à l'article 11 de la Loi et dans l'ordonnance. Par conséquent, ils sont par définition limités à l'interprétation de l'article 11 et aux « facteurs raisonnables » mentionnés à l'article 16 de l'OPS de 1986.
[321] Le Tribunal n'estime pas que la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans la « cause des sociétés aériennes » approuve une approche « ouverte » aux « facteurs raisonnables », permettant l'acceptation de facteurs additionnels comme la force de négociation en plus de ceux qui sont déjà prévus dans l'ordonnance. La Cour d'appel fédérale mentionne clairement que dans la mesure où la preuve d'une force particulière de négociation constitue une preuve reliée aux facteurs mentionnés à l'article 11 de la Loi, elle est pertinente et elle sera étudiée par le tribunal pertinent à l'étape de l'analyse de fond.
[322] La « force de négociation » a-t-elle été présentée dans la présente plainte comme preuve relative aux  facteurs qui sont mentionnés à l'article 16 de l'OPS de 1986 et qui sont reconnus « raisonnables » pour justifier qu'un employeur pratique la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent dans le même établissement des fonctions équivalentes? Postes Canada a fait valoir que les différences entre les philosophies de négociation collective du groupe plaignant et du groupe de comparaison doivent être examinées par le Tribunal. Elle a également prétendu que le sous-groupe PO-4, groupe historiquement neutre en genre, qui est important en nombre de membres et qui est un représentant actif dans le processus de négociation collective pour le groupe PO, doit être examiné en raison de sa philosophie de rémunération « rectiligne ».
[323] La Commission et l'Alliance ont fait valoir que la force de négociation syndicale n'a jamais été mentionné dans l'ordonnance comme étant un « facteur raisonnable ». Par conséquent, les arguments de Postes Canada ne devraient pas être pris en compte à moins que certains éléments de preuve ne lient ces arguments aux « facteurs raisonnables ». Très tôt au cours de l'audience, l'avocat de la Commission s'est penché précisément sur ce point et a affirmé ce qui suit :
[Traduction]
Un autre point qui n'est pas contesté, c'est la force des syndicats ou la force de négociation des syndicats, peu importe comment on l'appelle. On en parle pas dans l'ordonnance. On en n'a pas parlé dans l'OER de 1978, dans l'OER de 1982 ou dans l'OPS de 1986. On n'en a jamais parlé dans les ordonnances109 [...]
[324] Selon le Tribunal, à aucun moment les parties à la présente plainte ont présenté un élément de preuve spécifique de force de négociation en relation avec les facteurs énumérés à l'article 11 de la Loi ainsi que ceux mentionnés dans l'ordonnance.
[325] La question de l'« établissement » n'était pas directement traité dans la plainte originelle. La plainte a été rédigée par la plaignante pour mentionner que l'employeur, Postes Canada, aurait contrevenu à l'article 11 de la Loi « en rémunérant plus généreusement les employés du Groupe des opérations postales, lequel est à prédominance masculine, que les employés du Groupe commis aux écritures et règlements, lequel est à prédominance féminine, et ce, pour un travail de valeur égale ». De plus, il a été allégué que la composition des deux groupes quant au sexe a été le fondement de la disparité salariale, et, par conséquent, il est allégué dans la plainte qu'il y a eu discrimination fondée sur le sexe.
[326] Par conséquent, comme l'a souligné M. Durber dans son témoignage concernant l'interprétation de la Commission du mot « établissement » lorsqu'elle traitait des plaintes déposées par des groupes à l'emploi du gouvernement fédéral ou à l'emploi d'autres importantes sociétés nationales, il est clair que la plaignante et la Commission ont pris pour acquis, dès le dépôt de la plainte, que le mot « établissement » et le mot « l'employeur » étaient synonymes.
[327] Pour les motifs donnés par la Cour d'appel fédérale dans la décision qu'elle a rendue dans la « cause des sociétés aériennes », ce postulat semble être juste. Bien qu'il arrive parfois qu'un employeur possède plus d'un établissement sous sa gouverne, dans la plupart des cas l'employeur et le mot « établissement », dans le contexte de la Loi, seront indissociables lorsque l'employeur traite ses groupes d'employés comme faisant partie d'une entité commerciale intégrée possédant une politique commune en matière de personnel et de salaires.
[328] Dans la présente plainte, de nombreux éléments de preuve ont été présentés, généralement par des témoins de Postes Canada, selon lesquels Postes Canada fonctionnait comme une entité commerciale intégrée avec, d'une manière générale, une politique commune en matière de personnel et de salaires. De nombreux exemples de ces éléments de preuve sont examinés ci-après.
[329] En mai 1997, Elisabeth Kriegler, présidente et PDG de Elisabeth Kriegler and Associates, un organisme de consultants en gestion du changement, a comparu devant le Tribunal. Elle avait été appelée par Postes Canada comme témoin ordinaire. Elle avait travaillé comme vice-présidente dans plusieurs domaines fonctionnels à Postes Canada de 1983 à 1992. Elle a ensuite occupé le poste de premier vice-présidente, Administration, de 1992 à 1995. De 1995 jusqu'au début de 1997, elle a été présidente de Postes Canada, Gestion de systèmes limitée, une société qui possédait la propriété intellectuelle d'un certain nombre de systèmes et de processus de gestion élaborés au fil des ans par Postes Canada et commercialisés, à l'échelle internationale, par des accords d'octroi de licence.
[330] Mme Kriegler a souligné que l'exploitation d'un système postal est probablement l'une des entreprises de logistique les plus complexes au monde car, dans le cas de Postes Canada, elle affecte non seulement ses propres employés mais également plusieurs milliers d'autres employés contractuels. [Traduction] « Ils font tous partie intégrante de ce réseau intégré, lequel doit fonctionner de concert et en conformité avec les normes et en harmonie [...]110 ».
[331] Comme il a été souligné au paragraphe [33], pour s'aquitter de son mandat, la nouvelle société d'État créée en octobre 1981 devait « [...] veiller à l'autofinancement de son exploitation dans des conditions de normes de service adaptées aux besoins de la population du Canada [...] ». Mme Kriegler a mentionné que cela exigeait une collecte, un traitement et une livraison efficace et efficiente du courrier dans un cadre financièrement concurrentiel qui, à son tour, exigeait l'élaboration et l'implantation d'un ensemble exhaustif de ressources opérationnelles, financières et humaines, de systèmes de mise en marché et de gestion.
[332] Mme Kriegler a mentionné que les activités de Postes Canada [Traduction] « [...] sont le cur et l'âme de cette société, et que sans elles, ce n'est pas une société, ce n'est pas une entreprise [...] »111. La création du Centre national de contrôle à Ottawa, au milieu des années 80, traduisait le besoin crucial quant à la création d'un système centralisé de contrôle et de gestion des activités.
[333] Les membres de la haute direction de Postes Canada se rencontrent quotidiennement au Centre national de contrôle pour examiner les problèmes opérationnels qui sont référés au bureau central par les centres divisionnaires de contrôle de partout au pays. Cela encourage les personnel qui travaille à l'exploitation à prendre des décisions au fur et à mesure que les problèmes apparaissent. Le réseau d'exploitation est appuyé par un ensemble de systèmes qui suit la trace du courrier partout au Canada.
[334] Les membres du Tribunal ont eu l'occasion de visiter le Centre national de contrôle et de le voir fonctionner avec son flux de renseignements qui entre et qui sort et que l'on peut observer sur des écrans couleur dans une salle ayant une carte géante du Canada comme toile de fond.
[335] Le rôle et l'incidence des fonctions opérationnelles de Postes Canada, notamment le Centre national de contrôle, sont peut-être le mieux résumés dans les commentaires suivant qui ont été tenus par Mme Kriegler devant le Tribunal en mai et juin 1997 :
[Traduction]
[...] et en fait aujourd'hui, malgré la décentralisation et l'habilitation [...] le contrôle de l'exploitation est entièrement centralisé aujourd'hui et doit toujours le demeurer parce que dès que vous le desserrez, le réseau se met à mal fonctionner. Le contrôle est centralisé et c'est le rôle du Centre de contrôle et c'est pourquoi le président, le directeur des finances, le premier vice-président - marketing, le premier vice-président - exploitation et l'ensemble des cadres supérieurs s'assoient à cette table chaque matin. C'est le contrôle central112.
Tous les employés savent qu'ils sont une composante ou font partie de ce vaste système intégré113.
[336] À coup sûr, la nature des opérations de Postes Canada et particulièrement le rôle du Centre national de contrôle, démontrent clairement que Postes Canada fonctionne comme une entreprise unique intégrée et traite l'ensemble de ses groupes d'employés comme des composantes essentielles de cette entité.
[337] Mme Kriegler a également expliqué que cela n'était pas limité au domaine des opérations. La création de domaines de responsabilité fonctionnels de gestion à la suite de la création de Postes Canada en tant que société d'État dépassait de loin le domaine critique des opérations. Mme Kriegler a déclaré que les diverses fonctions de gestion de soutien ont été graduellement importées des différentes agences du gouvernement et ont été mises au point sous la responsabilité de Postes Canada avec son propre personnel.
[338] Des fonctions comme les finances, les ressources humaines, les relations avec le personnel et les relations de travail ont été transférées peu après que le statut de société d'État fut créé. Les achats, la rémunération et les avantages sociaux, la gestion immobilière et les affaires juridiques ont été transférés plus tard. Le personnel de Postes Canada a dû être augmenté et des politiques, des normes et des procédures ont dû être élaborées dans chacun des domaines fonctionnels.
[339] Dans les années 80 l'accent a de plus en plus été mis sur le marketing et sur la satisfaction des besoins des clients. Des points de vente et des contrats de franchise ont été créés. Un Centre de recherche et de développement a été créé et de nouveaux produits, de nouveaux services et du nouvels équipements pour Postes Canada y ont été conçus et testés.
[340] Sur le plan de l'organisation, selon Mme Kriegler, on a créé en 1983 un poste de premier vice-président, relations du personnel et des relations de travail. En 1992, Mme Kriegler, en tant que première vice-présidente, Administration, a assumé la responsabilité des politiques en matière de ressources humaines, de relations de travail, de personnel, d'affaires juridiques et de plusieurs autres fonctions.
[341] Mme Kriegler a mis en évidence certaines situations où une méthode unifiée a été adoptée par Postes Canada dans le secteur des politiques en matière de gestion du personnel ou dans des domaines intimement liés aux politiques en matière de gestion du personnel ou politiques en matière de ressources humaines, comme on les appelle le plus souvent. Une de ces méthodes a été la création de l'Institut d'apprentissage de Postes Canada qui a créé un budget de formation centralisé en allant chercher des fonds de programme de formation dans des unités de fonctionnement individuels. Un des principaux objectifs visés était la coordination dans l'ensemble de l'organisme de la création et de l'utilisation des programmes de formation destinés aux employés afin d'obtenir le meilleur rendement possible pour les employés et pour l'employeur.
[342] Un autre exemple pourrait être donné en ce qui concerne les stratégies en matière de relations de travail et de négociations collectives, lesquelles, obligatoirement, touchent aux politiques en matière de rémunération. Entre les séances de négociation collective, Postes Canada a coordonné, au niveau de la haute direction, la création d'objectifs et de stratégies qu'elle désirait réaliser en collaboration avec ses divers syndicats. Mme Kriegler, à titre de première vice-présidente, Administration, a soumis ces objectifs et ces stratégies envisagées au Comité de gestion pour que celui-ci les examine.
[343] D'autres témoignages ont également été présentés par des témoins de Postes Canada qui ont comparu devant ce Tribunal et ces témoignages faisaient état d'une orientation générale centralisée dans des domaines comme la rémunération et les avantages sociaux, les relations de travail, les politiques en matière de formation des employés et de ressources humaines. Ces exemples sont analysés ci-après.
[344] M. Harry Phillips, directeur, Sécurité, Ergonomie et hygiène du travail, au bureau central de Postes Canada, a témoigné en août 1997. Il a parlé du Guide de la société qui est entré en vigueur en 1989 en vue d'assurer une orientation générale appropriée en regroupant l'ensemble des procédures fonctionnelles. Comme exemples, il a mentionné les procédures qui ont trait à des domaines fonctionnels comme l'exploitation, l'ingénierie, les ressources humaines (le personnel) et les risques d'accident.
[345] M. Ron Featherstone a témoigné que, en décembre 1998, à titre de directeur, Relevage et distribution pour le secteur nord de Vancouver. Il a mentionné que l'une de ses responsabilités consistait à fixer [Traduction] [...] des objectifs à long terme qui complémentent les principes opérationnels de la Société ainsi que ses objectifs généraux [...] ». Lorsqu'il a été contre-interrogé par l'avocat de la Commission, M. Featherstone a convenu que, selon lui, les principes et les objectifs généraux visent à guider l'ensemble des employés de la Société et s'appliquent aux CR et aux PO ainsi qu'à leur fonction respective114.
[346] En avril 1999, Mme Joanne Hronowski, une agente de la rémunération pour la Région des Prairies (elle a, à l'occasion, occupé le poste gestionnaire intérimaire, Rémunération et avantages) a témoigné que de nombreux manuels qui avaient été publié à l'origine par le ministère des Approvisionnements et Services, ont guidé dans leur travail les agents de la Rémunération et des avantages. Des mises à jour des manuels, des communiqués, des circulaires d'information concernant des éléments comme les avantages particuliers ont été reçus du bureau central. [Traduction] « [...] Donc, la plus grande partie du matériel a été examiné au bureau central, puis nous a été envoyée »115. Elle a également témoigné que le système de rémunération utilisé à l'époque dans sa région était un système national. Elle a affirmé ce qui suit : [Traduction] « Il est entièrement contrôlé par le bureau central »116.


[347] M. Charles Reece, un employé de longue date de Postes Canada et, tout récemment, directeur de la Section de la vérification des revenus du Centre principal Gateway à Mississauga (Ontario) a affirmé ce qui suit lorsqu'il a témoigné en avril 1999 en rapport avec la capacité de son installation quant à la formation des superviseurs et du personnel :
[Traduction]
Parfois, nous avons fait venir des personnes du bureau central. D'ordinaire, lorsque quelque chose de nouveau était introduit et que c'était quelque chose que nous ne connaissions pas, elles venaient nous voir et nous donnaient une formation officielle117.
[348] En mai 1999, M. Frank Pasacreta, vice-président, Opérations, à l'Association des employeurs maritimes de la C.-B., a témoigné devant le Tribunal. Il occupait ce poste depuis 1987. Avant cela, il avait été directeur des Relations de travail à Postes Canada à Vancouver et avait été responsable de la Région du Pacifique de 1984 à 1987. L'avocat de la Commission a demandé à M. Pasacreta si, pendant son mandat dans la Région du Pacifique, lui ou son personnel avaient participé aux négociations collectives pour les employés de sa Région. Il a répondu ce qui suit :
[Traduction]
[...] essentiellement les personnes qui ont participé à la négociation étaient des collègues qui travaillaient au bureau central. Un certain nombre d'entre nous ont participé à quelques séances. J'ai participé moi-même à quelques séances, mais la principale fonction était la responsabilité du bureau central118.
[349] Mme Karin Vogt, agente de la rémunération et des avantages, au niveau de la direction, à Burnaby (C.-B.), a témoigné en septembre 1999 que Rente de retraite, Procédures et autres manuels constituent une source importante de renseignements pour les personnes qui travaillent dans son domaine de responsabilité. L'utilisation de systèmes d'enregistrement informatisés est également critique. Elle a confirmé que les mises à jour de manuels et les communiqués provenaient du bureau central. Elle a également mentionné que le bureau central organisait parfois les séances de formation. Plus particulièrement, elle a souligné que [Traduction] « [...] l'an dernier quelqu'un est venu du bureau central et cette personne a examiné le régime d'assurance-invalidité »119.
[350] M. Brian Wilson a témoigné en mai 1999. Un employé de longue date de Postes Canada, il a pris sa retraite en 1995. Le dernier poste qu'il a occupé était celui de directeur, Relations avec les employés, Région du centre. Lorsqu'il a été contre-interrogé par l'avocat de la Commission, M. Wilson a confirmé qu'il avait compris qu'un ensemble de directives en matière de personnel existaient à Postes Canada, dont la plupart auraient été émises par le groupe de la Gestion des ressources humaines au bureau central. Ces directives s'appliquent à l'ensemble des employés dans l'ensemble de la Société et comprennent notamment les directives qui suivent :
- Politique sur les langues officielles;
- Programme d'aide aux employés (service de counseling et d'orientation);
- Politique sur l'information sensible;
- Pratique religieuse, Congé de maladie et de maternité, Fonctions modifiées, Langage gestuel;
- Droits de la personne et équité en emploi, notamment Partenariat avec les femmes, Harcèlement sexuel, Personnes handicapées, Minorités visibles.
[351]  Le Tribunal conclut que la preuve susmentionnée démontre que Postes Canada, durant la période de temps de la présente plainte, était devenue une entreprise de mieux en mieux intégrée dotée de nombreuses directives organisationnelles. Les directives organisationnelles s'appliquaient aux diverses opérations régionales de Postes Canada, englobant ses nombreux employés dans l'ensemble du pays. En effet, la majorité des éléments de preuve donnent à penser que les relations de travail entre les régions et le bureau central étaient très bonnes.
[352] Les directives sur les politiques des Ressources humaines (ou du personnel) émanaient manifestement du bureau principal et s'appliquaient à l'ensemble des employés en tant que membres de l'entreprise intégrée. De même, les relations de travail, notamment les négociations collectives qui comprennent les considérations de politique de rémunération, ont reçu une orientation générale et même une implication directe de la part du bureau central.
[353] Par conséquent, le Tribunal conclut que l'ensemble des employés de Postes Canada ont été, selon le cas, soumis aux mêmes diverses directives générales sur les politiques communes émises par la Société, notamment les directives qui avaient trait aux politiques du personnel et de la rémunération. Donc, le Tribunal conclut que, aux fins de l'article 11 de la Loi, les groupes d'employés représentant le groupe plaignant et le groupe de comparaison travaillent dans le même établissement.
[354] Ce faisant, le deuxième élément nécessaire à l'établissement d'une preuve prima facie en vertu de l'article 11 de la Loi a été établi.
D. La comparaison entre le travail effectué par le groupe plaignant et le travail effectué par le groupe de comparaison démontre-t-elle que le travail comparé est de valeur égale?
Les données sur les postes/emplois et le processus de comparaison entre le travail du groupe plaignant et le travail du groupe de comparaison sont-ils fiables?
(i) Contexte
[355] Les trois parties ont reconnu l'importance de l'utilisation de renseignements et d'un plan d'évaluation fiables dans le cadre de l'évaluation des emplois. De plus, le plan et le processus choisis doivent convenir à une étude en matière de « parité salariale ». Cela n'est pas contesté. Toutefois, la question à trancher est de savoir dans quelle mesure les renseignements sur les emplois et la méthode employée pour leurs évaluations dans le cadre de la présente plainte étaient fiables. Si l'on veut arriver à une conclusion raisonnable quant à la valeur du travail effectué par le groupe professionnel plaignant et quant à celui effectué par le groupe professionnel de comparaison, le processus d'évaluation doit être fiable dans son ensemble, et ce, selon la prépondérance des probabilités.
[356] La Commission a présenté en preuve un livret intitulé Mise en uvre de la parité salariale dans la sphère de compétence fédérale120. Ce document a été initialement écrit par le personnel de la Direction de la parité salariale de la Commission canadienne des droits de la personne. Il a été publié sous forme de livret par la Commission en mars 1992. Au moment de sa publication, la Commission était impliquée dans un certain nombre de plaintes en matière de « parité salariale », notamment la plainte dont le Tribunal est présentement saisi.
[357] Il est mentionné dans l'introduction du livret que celui-ci avait été préparé en réponse à des demandes formulées par les employeurs et les syndicats. Il a été rédigé dans le but de fournir des conseils « pour mettre en uvre des programmes efficaces de « parité salariale » en vertu de la Loi et de l'ordonnance s'y rattachant. Il est de plus mentionné dans l'introduction que les suggestions mentionnées dans le livret « reflètent l'expérience du personnel de la Commission affecté à la « parité salariale », ainsi que les observations reçues des employeurs et des syndicats au sujet des premières ébauches ».
[358] Bien que ce livret n'existait pas durant l'étape de l'enquête (1984-1992) sur la présente plainte, les idées qui y étaient exprimées ont progressé au sein de la Commission durant cette période. Il est donc utile de s'y référer afin de constituer le contexte dans lequel la Commission en est arrivée aux idées qu'elle s'était faite dès 1992 quant aux plans d'évaluation des emplois, quant à leur administration et quant à la collecte des données sur les emplois. Les paragraphes suivants sont des extraits des sections du livret que l'on juge pertinentes.
Plan d'évaluation des emplois
Le plan d'évaluation des emplois est l'élément clé pour déterminer ce qui constitue « des fonctions équivalentes ». Il n'élimine pas la subjectivité du processus d'évaluation d'un emploi, mais le rend systématique et permet d'évaluer les postes de façon uniforme. Sans un examen systématique de la valeur des emplois, il serait facile de perpétuer les stéréotypes courants concernant la valeur de différentes professions - qui, généralement, sont au désavantage des emplois occupés par les femmes
Un organisme peut adopter un plan fait « sur mesure » ou commander un plan normalisé d'une entreprise de consultation. Ces derniers comportent des critères d'évaluation précis, alors que d'autres font appel à l'ordinateur pour générer des critères fondés sur les données réunies au sein de l'organisme. Tous les plans reposent en fin de compte sur une pondération d'un ensemble de facteurs normalisés en regard desquels sont cotés différents emplois. Afin d'être considéré comme un instrument acceptable pour la mise en uvre de la parité salariale, un plan doit satisfaire à un certain nombre de conditions :
- il doit comprendre les quatre critères d'évaluation énoncés dans la Loi et explicités dans l'Ordonnance : qualifications, efforts, responsabilités et conditions de travail;
- il doit mesurer la valeur du travail suivant une méthode permettant de comparer facilement les emplois - ordinairement, on adopte un système de points. D'autres systèmes sont également acceptables dans certains cas, par exemple, des comparaisons par paires dans les petits organismes;
- il doit être exempt de tout préjugé sexiste : Le « préjugé sexiste » désigne tout facteur ou comportement qui, même involontairement, favorise injustement un sexe par rapport à l'autre. Dans le cadre des études sur la parité salariale, le préjugé sexiste peut influer sur la conception du plan d'évaluation des emplois et son application.
Parce que la parité salariale repose sur l'hypothèse qu'il faut comparer différentes fonctions au sein d'un même organisme pour en établir l'équivalence, il est essentiel d'utiliser un seul et même plan pour évaluer tous les postes.
En ce qui a trait au plan lui-même :
- les définitions des facteurs doivent être génériques et se baser le moins possible sur des exemples de descriptions de poste qui pourraient reproduire des stéréotypes - cela aide à réduire au minimum la tendance des évaluateurs à considérer certaines tâches ou fonctions comme typiquement masculines ou féminines;
- les facteurs utilisés doivent intégrer tous les éléments importants du travail évalué, y compris les aspects des emplois à prédominance féminine qui ont toujours été négligés lors de l'évaluation;
- la pondération accordée aux facteurs caractéristiques d'emplois à prédominance masculine et à prédominance féminine doit être équitable;
- les plans informatisés doivent être programmés de telle manière que les éléments importants de fonctions traditionnellement exercées par les femmes soient considérés dans l'élaboration des facteurs et leur pondération - d'ordinaire, il faut accorder une attention particulière à l'élaboration des questionnaires pour éviter que certains éléments clés ne soient négligés.
En ce qui a trait à l'application du plan :
- la représentation des femmes et des hommes devrait être similaire dans tous les comités;
- les participants devraient provenir de tous les niveaux de l'organisme; et
- il doit être dit clairement aux participants qu'au cours du processus de parité salariale, tous sont égaux - les employés des niveaux inférieurs d'un organisme ne doivent pas craindre d'exprimer leur opinion et de contester celle des autres.
Collecte de l'information sur les emplois
En ce qui a trait à la collecte de l'information sur les emplois :
- les descriptions de tâches ne doivent pas être utilisées ou traitées comme source exclusive ou même principale de données, puisqu'elles reproduisent souvent les stéréotypes et qu'elles ne reflètent pas toujours fidèlement le travail exécuté;
- il est préférable de recourir aux sources d'information qui permettent au titulaire même d'énoncer ses fonctions - dans la plupart des cas, on utilisera un questionnaire;
- le questionnaire doit être soigneusement élaboré et vérifié, peut-être au moyen d'une étude pilote, pour s'assurer qu'il englobe tous les aspects importants des emplois à prédominance masculine et féminine, et qu'il reflète la structure du plan d'évaluation;
- on doit établir clairement que le questionnaire doit refléter le travail effectué et non les tâches théoriques;
- les superviseurs doivent examiner le questionnaire rempli et formuler des observations ou des réserves sur une feuille annexée; et
- lorsque le questionnaire ne semble pas avoir permis de recueillir suffisamment d'information, les évaluateurs peuvent rencontrer les titulaires et suivre un plan structuré pendant l'entrevue.
Il peut s'agir de questions ouvertes, fermées ou des deux types, selon les exigences du plan, les préférences des responsables de l'étude et la taille de l'organisme. Dans les petits organismes, il ne sera peut-être pas possible d'effectuer les tests nécessaires à la formulation de questions fermées et fiables. Cependant, les questionnaires comportant des questions ouvertes doivent être utilisés avec précaution. On doit s'assurer que les hommes et les femmes utilisent un langage semblable pour décrire leur travail. Par conséquent, si l'on choisit des questions ouvertes, il faudrait donner des directives incitant toutes les personnes qui y répondront à utiliser des termes exacts pour décrire leurs fonctions. Des exemples illustrant comment décrire différentes tâches peuvent être utiles.
Coopération entre employeur et employés
Même s'il incombe légalement à l'employeur d'assurer la parité salariale, la Commission croit que les programmes d'équité salariale sont plus efficaces lorsque l'employeur et les employés collaborent pleinement [...] Les deux parties doivent contribuer au processus. L'employeur finance les études et tout rajustement nécessaire, et fournit la perspective informée des gestionnaires sur les caractéristiques des différentes tâches. Les employés donnent les renseignements critiques sur les divers postes et l'appui nécessaire à la correction de tout écart qui pourrait être identifié. L'employeur et les employés déterminent conjointement la valeur des tâches reflétée par le plan d'évaluation et son application.
L'étude conjointe débute généralement par une entente entre l'employeur et l'agent négociateur sur les objectifs de l'initiative et sa structure de base. On peut établir un comité directeur conjoint pour choisir un plan d'évaluation des emplois approprié, évaluer les postes-repères, mettre sur pied des comités d'évaluation, préciser d'autres détails de l'étude et fournir l'orientation nécessaire à son exécution efficace. La plupart des évaluations réelles sont menées par au moins un comité d'évaluation comprenant un nombre comparable de femmes et d'hommes de tous les niveaux de l'organisme. Tous les rajustements salariaux jugés nécessaires à la suite des évaluations doivent alors faire l'objet d'une entente entre les deux parties.
[359] Le Tribunal estime que les points susmentionnés décrits dans le livret de la Commission constituent un guide général d'orientation ainsi qu'un modèle de comparaison quant à la collecte de renseignements fiables et quant au traitement de ces renseignements d'une manière qui, compte tenu d'un plan d'évaluation des emplois acceptable et d'évaluateurs compétents, conduira à l'établissement de valeurs fiables quant au travail évalué et comparé dans le cadre d'une étude en matière de parité salariale.
[360] Ces points exprimés par la Commission sont exactement les mêmes que ceux exprimés par des experts comme Mme Pat Armstrong, laquelle a été acceptée par le Tribunal comme experte en matière de travail des femmes, de rémunération des femmes et de sociologie de la législation sur l'équité salariale. Celle-ci a témoigné devant le Tribunal en rapport avec, notamment, l'historique et l'élaboration du concept de « parité salariale » et des méthodes utilisées pour mettre ce concept en application.
[361] Il convient toutefois de souligner que les points exprimés dans le livret de la Commission sont fondés sur l'hypothèse que le processus de « parité salariale » sera un processus dans le cadre duquel un employeur et ses employés travailleront en partenariat. La « parité salariale » sera l'objectif commun visé par ce partenariat. Le livret et les suggestions qui y figurent concernant les études en matière de « parité salariale » ne prévoient pas le cas où un processus se déroulerait dans un contexte litigieux.
(ii) Questions pertinentes
[362] Par conséquent, les questions qui seront traitées sont les suivantes :
1. Quel système ou plan d'évaluation des emplois a été utilisé pour faire l'évaluation des emplois/postes CR et PO et dans quelle mesure était-il fiable?
2. Quel processus a été utilisé et dans quelle mesure était-il fiable quant à l'analyse des données recueillies sur les emplois aux fins de l'attribution de critères d'équivalence des fonctions aux emplois/postes CR et PO examinés?
3. Quelles données sur les emplois/postes ont été recueillis, de quelles sources provenaient-elles, dans quelle mesure sont-elles fiables?
4. Quels critères d'équivalence ont été attribués aux divers emplois/postes CR et PO et dans quelle mesure étaient-ils fiables?
[363] Pour mieux examiner ces questions, faisons d'abord une distinction entre deux périodes :
Premièrement, la durée de l'étape de l'enquête sur la plainte, c'est-à-dire de 1984 à 1992. C'est durant cette période que la Commission a coordonné la collecte des données sur les emplois et a effectué les évaluations des emplois.
Deuxièmement, la période qui a suivi la création du Tribunal en 1992. C'est durant cette période que l'Alliance a embauché une équipe d'évaluateurs d'emplois professionnels composée de trois personnes pour examiner les données sur les emplois déjà recueillies par la Commission, pour les compléter si possible et pour entreprendre des évaluations des emplois indépendantes du groupe professionnel plaignant ainsi que du groupe professionnel de comparaison. L'équipe professionnelle a été active du milieu de 1993 et à la fin de 1994 et elle a réexaminé son travail en juillet 1997 ainsi qu'en juin 2000.
E. Examen des renseignements recueillis sur les emplois et de la méthode utilisée : L'étape de l'enquête
[364] Une étude complémentaire conjointe employeur/employé de la plainte déposée devant le Tribunal n'a pas été entreprise. On a donc pas eu l'occasion de créer un comité directeur mixte afin de coordonner la sélection d'un plan d'évaluation des emplois, la collecte de renseignements/données sur les emplois et l'évaluation des emplois. La Commission, par nécessité, a assuré, avec la plaignante et l'intimée, lors de l'étape de l'enquête, la coordination des questions relatives au suivi de la plainte.
[365] Alors qu'une étude conjointe employeur/employé aurait été la façon qui aurait convenu le mieux pour traiter la plainte, le Tribunal conclut que l'absence de la tenue d'une telle étude, pour quelque raison que ce soit, n'empêche pas le traitement de la plainte par d'autres méthodes. La plainte a été déposée en vertu de l'article 11 de la Loi; le mandat de la Commission consiste à enquêter sur chacune des plaintes qui sont déposées devant elle en vertu de la Loi. Lorsque les parties ne peuvent pas être amenées à négocier un règlement, la tâche de la Commission consiste à enquêter le mieux possible sur la plainte. Par exemple, le plan d'évaluation des emplois utilisé pour établir la valeur d'un emploi en particulier devrait, normalement, être un plan dont l'employeur se sert déjà. S'il n'y en a pas, un plan d'évaluation ordinaire serait acceptable tant qu'il n'est pas sexiste et qu'il permet de donner un résultat fiable.
(i) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1987
[366] Dans la présente plainte, comme il a déjà été souligné au paragraphe [17], les premières évaluations des emplois ont été effectuées par le personnel de la Commission en 1987 et ont été fondées sur des données recueillies en 1986. Ces évaluations faisaient appel à ce que la Commission a décrit comme étant un échantillon aléatoire de 194 postes CR. Ces postes CR échantillonnés ont été évalués grâce au plan d'évaluation des emplois System One de Postes Canada. Aucun poste PO n'a été évalué en 1987.
[367] System One est un plan qui a été caractérisé comme comprenant des « facteurs qui font penser à ceux de la méthode Hay ». Il comprenait toutefois un certain nombre de différences par rapport à la méthode d'évaluation « Hay » standard, surtout en ce qui a trait particulièrement au facteur conditions de travail. Au moment où la Commission a enquêté sur la plainte, System One était toujours en cours d'élaboration conjointe par Postes Canada et l'Alliance. Il était destiné à être utilisé par les employés représentés par les unités de négociation de l'Alliance dans l'ensemble de Postes Canada. Comme Postes Canada l'avait souligné, System One ne se prêtait pas à l'évaluation éventuelle de postes PO étant donné que les titulaires de ces postes étaient représentés par d'autres unités de négociation. De plus, l'Alliance a conseillé de ne pas l'utiliser, même pour l'évaluation des postes CR, à ce stade incomplet de son élaboration.
[368] Les principales sources de renseignements quant à l'évaluation des 194 postes CR en 1987 ont été des imprimés de listes d'employés fournies par Postes Canada ainsi que la Feuille de données sur l'emploi - un questionnaire détaillé - qui avait été conçu par la Commission afin d'être rempli par les employés échantillonnés à partir des listes d'employés. Après que chaque employé répondant l'eut rempli et eut joint la description d'emploi ainsi que l'organigramme pertinent, la Feuille de données sur l'emploi était approuvée par le superviseur et par le chef de division compétent. Le questionnaire, ou Feuille de données sur l'emploi, a été préparé durant la première moitié de 1986. Au cours de l'été de la même année, il a été rempli par des employés CR choisis au hasard comme échantillon représentatif des postes CR.
[369] La Commission avait décidé qu'un tel échantillonnage de titulaires de postes CR serait nécessaire étant donné qu'un recensement complet de la population totale des CR, laquelle comptait environ 2 300 titulaires de postes CR, serait irréalisable en termes de temps et d'argent. Un échantillonnage aléatoire stratifié a été élaboré en 1986 par un cadre supérieur de la Commission. Au départ, il consistait en 246 noms de titulaires de postes CR plus 33 « remplaçants », pour un total de 279 noms. Par la suite, certains noms ont été enlevés et d'autres ont été ajoutés. Le véritable nombre de noms est difficile à vérifier à partir des documents disponibles. L'échantillon CR définitif qui a été proposé a pu comprendre, à un certain moment, jusqu'à 355 noms, y compris des noms de « remplaçants ». Ce qui est clair, toutefois, c'est que la Commission a reçu 194 Feuilles de données sur l'emploi, remplies et utilisables, de la part de titulaires de postes CR et celles-ci ont servi de fondement à l'évaluation des postes CR de 1987.
[370] Entre-temps, un Guide d'entrevue fut créé par la Commission, et ce, en tenant compte des commentaires formulées par l'Alliance et Postes Canada. Ce guide visait à orienter l'enquêteur de la Commission durant les entrevues de suivi qui devaient être effectuées auprès des titulaires de postes afin de clarifier les réponses données sur les Feuilles de données sur l'emploi. Un espace avait été prévu sur le formulaire afin de permettre à l'enquêteur de consigner les commentaires fait par le titulaire du poste et par le superviseur qui l'accompagnait. Le formulaire n'a pas été vu par les titulaires de postes. On voulait que, tout comme pour la Feuille de données sur l'emploi, le Guide d'entrevue soit utilisé avec les employés CR et avec les employés PO. En fait, les deux n'ont été utilisés que pour obtenir des renseignements de la part des CR. En décembre 1986, toutes les entrevues avaient été effectuées.
[371] La Feuille de données sur l'emploi a été utilisée comme source principale de renseignements sur l'emploi et les autres documents ont servi comme deuxième et troisième source.
Comment les évaluations des emplois de l'échantillon composé des 194 postes CR ont-elles été faites en 1987?
[372] Une « équipe d'évaluation » composée de deux agents de la Commission fut créée afin de faire les évaluations. Ces évaluations ont été faites entre avril et septembre 1987. L'équipe a été complétée par un des trois agents supplémentaires qui ont été affectés progressivement en fonction de celui qui avait interrogé le CR titulaire du poste évalué. L'équipe, composée d'hommes et de femmes, a utilisé le plan System One et a tiré des données à partir des Feuilles de données sur l'emploi de 1986, des descriptions d'emploi, des organigrammes et des Guides d'entrevue.
[373] M. Paul Durber, directeur de la Parité salariale à la Commission, a mentionné, dans son témoignage devant le Tribunal en juin 1993, que lui et l'enquêteur principal chargé de la plainte avaient décidé, vers le milieu de 1991, de rejeter les évaluations des postes CR de 1987 et de soumettre les renseignements de la Feuille de données sur l'emploi de 1986 à une autre appréciation de l'évaluation des emplois. La majorité des agents de la Commission qui avaient siégé sur le comité d'évaluation de 1987 ne faisaient plus partie de la Commission. On a donc constitué un nouveau groupe. En conséquence, les résultats de l'évaluation des postes CR de 1987 n'ont pas été utilisés dans le processus final d'enquête.
(ii) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1991
[374] Une nouvelle série d'évaluations des emplois a été entreprise par le personnel de la Commission en 1991 afin que celle-ci l'utilise dans le cadre de son enquête finale. Ces évaluations ont porté sur 93 postes CR (la Commission a réduit le nombre de postes évalués de 194 qu'il était initialement à 93) et 10 emplois PO « génériques ». L'utilisation possible du plan d'évaluation des emplois System One, lequel était en pleine évolution, a été examinée par la Commission mais a été rejeté au profit du plan d'évaluation des emplois Hay XYZ standard.
Comment les évaluations des emplois de l'échantillon de 93 postes CR et des 10 emplois PO « génériques » ont-elles exactement été effectuées en 1991?
[375] Le travail d'évaluation de la Commission consistait maintenant à comparer les postes CR échantillonnés et les 10 emplois PO « génériques » dont la création avait résulté, essentiellement, de l'incapacité de la Commission et de Postes Canada à s'entendre sur la taille des échantillons et sur les instruments de collectes de données quant aux postes du groupe de comparaison PO. La Commission avait consulté Statistique Canada et avait reçu sa recommandation concernant l'échantillonnage aléatoire stratifiée de la collectivité PO, lequel comprenait les sous-groupes internes, les sous-groupes externes ainsi que les sous-groupes de supervision. Elle avait planifié procéder en utilisant le questionnaire des Feuilles de données sur l'emploi. Postes Canada n'a toutefois pas voulu que les titulaires de postes PO remplissent la Feuille de données sur l'emploi durant les heures de travail. Le syndicat représentant les PO n'a pas voulu que ses membres fassent du travail non rémunéré « après les heures de travail ». Par conséquent, la Commission a choisi d'utiliser les renseignements qui lui avaient été fournis par Postes Canada, et, à partir de ces renseignements, elle a créé un groupage de classes « génériques » de postes PO - lequel comprend les fonctions opérationnelles internes et externes, mais ne comprend pas les superviseurs PO. Les 10 emplois « génériques » n'étaient par conséquent pas de véritables postes mais représentaient les dix fonctions les plus homogènes effectuées par les titulaires d'emplois PO.
[376] La création de 10 emplois PO « génériques » a exigé que la Commission laisse tomber le sous-groupe des superviseurs PO (PO-SUP). Il s'agissait d'une mesure importante car le sous-groupe PO-SUP représentait 6 niveaux différents de supervision, lesquels comprenaient un grand nombre de titres de poste. Un bon nombre des titres figuraient à plus d'un niveau, ce qui les rendaient difficiles à faire cadrer dans les « particularités de l'emploi » sans un échantillonnage de titulaires de poste et sans l'utilisation d'une Feuille de données sur l'emploi ou d'un questionnaire. Étant donné la décision de la Commission d'adopter les 10 emplois PO « génériques », on a estimé qu'il serait trop exigeant et que ce serait une perte de temps que d'analyser la question du PO-SUP avec Postes Canada. Alors que l'Alliance a été consultée, Postes Canada n'a été qu'informée de cette décision. Un résultat important a été l'incompatibilité avec l'échantillon CR. Cet échantillon comprenait les superviseurs au niveau CR-5.
[377] Le personnel de la Commission a bénéficié d'une courte période de formation donnée par M. Roger Childerhose, un cadre supérieur chez Hay Canada, quant à l'utilisation du plan Hay XYZ standard. Après la période de formation, l'enquêteur principal de la Commission ainsi qu'un autre cadre supérieur ont commencé à évaluer, un par un, 16 postes qu'ils avaient déclarés être des postes repères (10 postes CR et 6 emplois PO « génériques »). Ce nouveau travail d'évaluation a commencé en juillet 1991. Ils ont ensuite examiné et « récapitulé » conjointement les 16 postes/emplois, puis ils ont consulté de façon périodique M. Paul Durber, le directeur de la Parité salariale de la Commission. Les deux agents ont continué de réévaluer les CR-2 et les CR-3 avec l'intention de réévaluer l'ensemble de l'échantillon original de 194 postes CR et d'évaluer les 10 emplois PO « génériques ». L'enquêteur principal a été relevé de sa tâche afin de s'attaquer à d'autres priorités et la deuxième agente a continué seule. On lui a par la suite adjoint un autre agent et un consultant externe. Ces trois personnes ont ensuite évalué, un par un, des lots de postes CR et d'emplois PO « génériques », puis ont effectué périodiquement, de façon informelle, des « récapitulations » et des examens conjoints. Cette « équipe » était composée d'hommes et de femmes.
[378] En septembre 1991, à mi-chemin du processus de réévaluation des CR, on a demandé à l'agente responsable de réduire l'échantillon initial de 194 postes CR à un nombre plus facile à gérer. Après avoir étudié la situation, elle a proposé un nombre révisé de 93 postes, lequel a été accepté par la Commission comme étant le nouvel échantillon.
[379] Les évaluateurs de la Commission ont utilisé le plan d'évaluation Hay XYZ standard pour les 93 postes CR et les 10 emplois PO. C'est ce plan qui avait servi de base lors de leurs séances de formation chez Hay. Les sources de renseignements sur l'emploi quant aux CR étaient essentiellement les mêmes que celles qui avaient été utilisées dans le cadre des évaluations de 1987, c'est-à-dire les Feuilles de données sur l'emploi pertinentes de 1986 avec les descriptions de poste à l'appui, les organigrammes et les Guides d'entrevue. En ce qui concerne les emplois PO « génériques », les données ont été extraites des « particularités de l'emploi », lesquelles avaient été compilées par la Commission à partir de renseignements fournis par la direction de Postes Canada en 1990 et en 1991, ainsi qu'à partir des descriptions de l'emploi et des profils d'emploi, lesquels avaient également été fournies par Postes Canada.
[380] Tout comme pour les évaluations de 1987, la Commission a utilisé les Feuilles de données sur l'emploi remplies comme principale source de renseignements sur l'emploi pour les évaluations des 93 postes CR. En ce qui concerne les évaluations PO, les « particularités de l'emploi » ont été considérées comme étant la source principale.
[381] C'est donc sur ces évaluations des 93 postes CR et des 10 emplois PO « génériques », lesquelles ont été remplies au plus tard en novembre 1991, que la Commission a fondé les conclusions de son enquête. Celles-ci, à leur tour, ont mené aux conclusions du Rapport d'enquête final de la Commission de janvier 1992, notamment à la recommandation que la plainte soit renvoyée pour audience au Tribunal canadien des droits de la personne.
F. Examen des renseignements recueillis sur les emplois et de la méthode utilisée : L'étape du Tribunal
(i) L'Équipe professionnelle
[382] Au début de 1993, alors que les procédures engagées devant le Tribunal étaient à un stade avancé, l'Alliance a embauché une équipe d'évaluateurs d'emplois professionnels composée de trois personnes (ci-après appelée l'« Équipe professionnelle ») afin de faire un examen spécialisé des évaluations réalisées en 1991 par la Commission de 93 postes CR et de 10 emplois PO « génériques » et afin de faire des évaluations indépendantes. L'Équipe professionnelle était composée des personnes suivantes :
M. Bernard Ingster travaille comme expert-conseil en ressources humaines depuis 1967 et il est notamment spécialisé en classification et en évaluation des emplois. Au début de sa carrière, il a occupé le poste de directeur des Services chez Hay Associates (Philadelphie), et, entre 1971 et 1977, il a travaillé en affiliation indépendante avec Hay tout en travaillant avec des clients. Depuis 1977, M. Ingster travaille comme expert-conseil indépendant dans des domaines comme l'analyse et la conception de structures d'emploi et de structures organisationnelles, l'analyse de systèmes de rémunération, l'analyse de pratiques d'évaluation du rendement et l'élaboration de plans d'évaluation des emplois. Parmi ses clients on retrouve des sociétés industrielles, des établissements de santé publique, des établissements d'enseignement et des cabinets d'avocats. M. Ingster est diplômé du Collège LaSalle (Philadelphie) et de l'université Temple et il est détenteur d'un doctorat de l'université Rutgers.
M. Martin G. Wolf a obtenu, en 1958 et 1959, respectivement, un baccalauréat ainsi qu'une maîtrise en sciences, avec spécialisation en psychologie, à l'université du North Texas. Il a obtenu, en 1964, un doctorat spécialisé en psychologie clinique, avec mineure en psychologie industrielle, à l'université Case Western Reserve (Cleveland). M.Wolf a commencé sa carrière chez IBM dans la domaine de la gestion du personnel, puis il a travaillé pendant un certain temps, à la fin des années 60, dans une société de conseil en gestion oeuvrant dans l'amélioration des programmes de formation du personnel ainsi que dans les politiques et les procédures en matière de ressources humaines. Il a par la suite travaillé un certain temps comme psychologue de la gestion, travail dans la cadre duquel il analysait les exigences des emplois en matière de connaissances et d'aptitudes. Au début des années 70, il a commencé à travailler à son compte à Cleveland comme consultant en gestion spécialisé en programmes de formation dans le domaine de la vente, du recrutement de cadres et de systèmes de suivi informatisés. M. Wolf a commencé à travailler chez Hay Management Consultants en 1974. Il a travaillé au bureau de Pittsburg jusqu'en 1981, puis au bureau de Philadelphie jusqu'en 1989. Au cours de sa carrière chez Hay, il a travaillé avec un grand nombre de clients à l'élaboration de systèmes d'évaluation des emplois, d'amélioration du rendement et de rémunération. Le dernier poste qu'il a occupé chez Hay a été celui de directeur, Développement technologique. M. Wolf a fondé sa propre boîte de consultant en 1989 - MAS Management Advisory Services Inc. - et il était toujours actif au sein de cette société lorsqu'il a comparu devant le Tribunal. Sa société est spécialisée dans l'élaboration et dans l'implantation de systèmes d'évaluation des emplois assistées par ordinateur, d'administration des salaires et d'amélioration du rendement ainsi que la gestion de projets de gestion du changement. M. Wolf a comparu devant le Tribunal en tant que porte-parole de l'Équipe professionnelle et il a témoigné qu'il avait travaillé pendant 30 ans dans le domaine de l'évaluation des emplois et que, au cours de cette période, il s'était servi pendant environ 20 ans du processus Hay. Il a travaillé comme « corrélographe » chez Hay - un rôle de « gardien de la flamme » dans la maintien de l'intégrité du système. Il a estimé qu'il avait évalué « un peu plus de 10 000 » postes grâce au processus Hay, notamment des postes de commis de bureau, des postes de comptabilité de paye et, au début de sa carrière, d'un certain nombre de postes de cols bleus. Le Tribunal l'a qualifié d'expert du processus Hay en matière d'évaluation des emplois et du processus Hay en matière de rémunération.
Mme Judith Davidson-Palmer, présidente EEO Associates, une société d'experts-conseils en matière d'équité salariale, notamment en matière de développement et de changement organisationnel et d'équité en matière d'emploi et de rémunération. De 1982 à 1985, Mme Davidson-Palmer a occupé le poste de directrice principale - Perfectionnement des cadres et du renouvellement de l'organisation - au siège social de la Société canadienne des postes. Elle est diplômée de l'université Mount Allison et elle est détentrice d'une maîtrise en psychologie de l'université Queen's.
[383] L'Alliance a mentionné dans sa preuve que, avant que l'Équipe professionnelle ne soit formée, M. Ingster avait passé une semaine avec les représentants de l'Alliance à examiner les documents relatifs à la nature du travail dont la Commission s'était servie pour faire ses évaluations. Ces documents comprenaient des copies de Feuilles de données sur l'emploi remplies des descriptions de poste ainsi que des Guides d'entrevue. M. Ingster a conclu que ces documents pouvaient être utilisés par un comité de professionnels pour l'évaluation des emplois.
[384] On a demandé à M. Ingster de faire [Traduction] « un examen spécialisé des évaluations des 93 postes de commis aux écritures et règlements ainsi que des 10 emplois PO créés par la Commission canadienne des droits de la personne121 ». On a ensuite demandé à l'Équipe professionnelle, en tant que groupe, d'[Traduction] « appliquer la méthode Hay quant à la nature du travail, et ce, conformément aux "meilleures pratiques" des experts-conseils de niveau supérieur de Hay, lesquels sont considérés comme étant des experts quant à l'utilisation du processus122 ».
(ii) Les phases 1 et 2
[385] L'Équipe a entrepris sa tâche en deux phases. Voici quelles furent ces phases :
La phase 1, qui a porté sur la réévaluation de l'échantillon de 1991 de la Commission, lequel était composé de 93 postes CR et de 10 emplois PO « génériques »; cette phase a été réalisée en mai et juin 1993.
La phase 2, qui a porté sur l'évaluation de 101 postes CR supplémentaires. Celle-ci a été réalisée en novembre et décembre 1994. Ce chiffre représentait le solde restant de l'échantillon initial de 1987 de la Commission, lequel était composé de 194 postes (194 moins 93). Par la suite, 4 postes pour lesquels l'Équipe professionnelle estimait que les données étaient insuffisantes ont été radiées, ce qui a donné un total révisé de 97 postes CR supplémentaires et un grand total de 190 postes CR évalués.
[386] L'Équipe professionnelle a appelé la méthode d'évaluation des emplois qu'elle a utilisée dans le cadre de ses évaluations, la méthode de comparaison des facteurs Hay ou « la méthode classique Hay standard ». M. Ingster a mentionné qu'il s'agissait d'une application de la méthode Hay [Traduction] « qui correspond exactement à ses origines de comparaison des facteurs123 ». M. Wolf a défini cette méthode comme la méthode conçue à l'origine par la société Hay dans laquelle on évalue la nature de chaque emploi par rapport à la structure des facteurs prévus dans le plan Hay. Ces facteurs sont le savoir-faire, la résolution de problèmes, l'imputabilité et les conditions de travail. On compare progressivement chaque emploi/poste, facteur par facteur, aux emplois/postes qui suivent. Cette méthode a également été qualifiée de comparaison directe, facteur par facteur et emploi par emploi, entre les emplois/postes quant à la nature complète du travail. Comme l'Équipe a estimé que le facteur des conditions de travail était celui qui était le moins élaboré des facteurs du plan Hay, elle a créé un barème d'évaluation des conditions de travail plus élaboré afin qu'il soit utilisé dans cet ensemble d'évaluations.
[387] Quelles ont été les principales sources de renseignements sur l'emploi qui ont servi dans le cadre de la phase 1 et de la phase 2 des évaluations de l'Équipe professionnelle? L'Alliance a fourni à l'Équipe professionnelle les documents suivants afin de lui permettre de puiser des renseignements :
La phase 1 - 93 postes CR (mai/juin 1993)
- les Feuilles de données sur l'emploi pertinentes de 1986
- les descriptions de poste jointes aux Feuilles de données sur l'emploi de 1986
- les organigrammes joints aux Feuilles de données sur l'emploi de 1986
- les Guides d'entrevue pertinents remplis de 1986
- les énoncés de justification des évaluations de 1991 de la Commission, lesquels consistaient habituellement en une liste sommaire d'une page des tâches principales et des principales caractéristiques de chaque poste évalué, facteur par facteur, du classement et du pointage attribuées par les évaluateurs ainsi que du raisonnement sous-jacent, par facteur également.
- l'Équipe professionnelle a également eu accès à ses propres notes, confectionnées au cours d'entrevues téléphoniques qu'elle avait effectuées en mai 1993 avec des titulaires de poste CR.
La phase 1 - 10 emplois PO « génériques » (mai/juin 1993)
- les « particularités de l'emploi » compilées par la Commission selon les données obtenues de Postes Canada en 1990 et 1991
- les descriptions des emplois obtenues par la Commission auprès de Postes Canada en 1990 et 1991
- les profils décrivant les caractéristiques d'un certain nombre d'emplois PO obtenus par la Commission auprès de Postes Canada
- les données relatives au comportement obtenues par la Commission auprès de Postes Canada
- les énoncés de justification des évaluations faites par la Commission en 1991
- une profusion de manuels, de guides, de formulaires, de matériel didactique émanant de Postes Canada.
La phase 2 - 101 postes CR (novembre/décembre 1994)
- les Feuilles de données sur l'emploi pertinentes remplies de 1986
- les descriptions du poste jointes aux Feuilles de données sur l'emploi de 1986
- les organigrammes joints aux Feuilles de données sur l'emploi de 1986
- les Guides d'entrevue pertinents remplies de 1986
- l'Équipe professionnelle a également utilisé les évaluations qu'elle avait faites à la phase 1 des 93 postes CR comme postes repères dans le cadre de l'évaluation des 101 (97 en fin de compte) postes CR à la phase 2, et ce, en raison du chevauchement dans les particularités du poste
- l'Équipe a également eu accès à ses propres notes, confectionnées au cours d'entrevues téléphoniques qu'elle avait effectuées en septembre 1994 avec des titulaires de poste.
[388] La principale source de renseignements sur l'emploi quant aux postes CR a été les descriptions de poste. Celles-ci ont été acceptées telles qu'elles ont été reçues. La principale source de renseignements sur l'emploi quant aux emplois PO « génériques » a été les « particularités de l'emploi » créées par la Commission pour chacun des 10 emplois PO « génériques ».
(iii) Comment les évaluations des emplois ont-elles été effectuées par l'Équipe professionnelle?
[389] La phase 1 : l'Équipe professionnelle s'est d'abord réunie à Ottawa en mai 1993 pour effectuer des entrevues téléphoniques avec les 93 titulaires de poste CR de la phase 1. Les trois membres de l'Équipe ont participé aux entrevues par conférence téléphonique et un des membres a assumé la responsabilité de la tenue des entrevues et de la préparation des notes. M. Ingster avait divisé en trois la liste des 93 titulaires de poste, de telle sorte que chacun des membres de l'Équipe s'est occupé d'un tiers des appels.
[390] L'un des buts principaux visés par ces entrevues téléphoniques était d'obtenir des renseignements additionnels sur l'environnement de travail du poste occupé par chacune des personnes interrogés. On a fait cela parce que, de l'avis de l'Équipe, le facteur des conditions de travail était l'aspect le moins bien documentés dans la Feuille de données sur l'emploi de 1986 ainsi que dans d'autres documents dont disposait l'Équipe. Une deuxième raison était de permettre aux membres de l'Équipe de poser les questions qui leur étaient venues à l'esprit après leur examen antérieur des documents relatifs aux postes. Les personnes interrogées avaient été prévenues qu'elles recevraient des appels et elles avaient entre les mains des copies de la Feuille de données sur l'emploi pertinente ainsi que des documents à l'appui. Chaque personne s'est fait poser des questions sur son poste tel qu'il était en 1986.
[391] Tous les titulaires de poste CR rejoints par téléphone ont été interrogés. Quant aux quelques personnes qui n'ont pas pu être rejointes, des employés qui avaient occupé dans le passé le même poste que celles-ci ou des employés qui occupaient alors un poste lié ont eu la possibilité de remplacer les véritables titulaires des postes de 1986. À l'occasion, le superviseur compétent a pu répondre. Le nombre précis de ces remplaçants n'est pas connu. Toutefois, sur le total des 93 entrevues téléphoniques possibles, on sait que 59 entrevues ont été réalisées.
[392] À la suite des entrevues téléphoniques de la phase 1, l'Équipe professionnelle s'est réunie, en mai et juin 1993, à Philadelphie, afin de faire l'évaluation des 93 postes CR et des 10 emplois PO « génériques ». M. Ingster a assumé la présidence. L'Équipe s'était fixée comme objectif d'évaluer entre 10 et 11 emplois par jour sur une période de 10 jours. Chaque membre de l'Équipe avait reçu à une date antérieure le matériel de renseignements sur l'emploi.
[393] Les membres réunis ont commencé par classer les renseignements sur l'emploi par ordre ascendant du total des points de l'évaluation des emplois attribués par l'équipe d'évaluation de la Commission dans le cadre de l'évaluation qu'elle avait faite en 1991 de 93 postes CR et de 10 emplois PO « génériques »; ces renseignements provenaient de l'énoncé de justification de la Commission. Un numéro identificateur situé entre 1 et 103 a alors été attribué à chacun des emplois/postes selon l'ordre obtenu.
[394] En général, chaque emploi a fait l'objet d'une discussion avant que l'on entreprenne le processus d'évaluation. On a fait cela afin de répondre à toute interrogation que les membres de l'Équipe pouvaient avoir ou afin de souligner un aspect particulier de l'emploi visé. L'Équipe a alors commencé à évaluer la nature du travail et à attribuer un pointage à chacun des facteurs Hay, puis à comparer progressivement ces pointages emploi par emploi. Dans la plupart des cas, les trois membres se sont finalement entendus à l'unanimité sur une décision quant aux pointages des facteurs individuels. Un consensus de deux opinions était pour le moins exigé pour qu'on puisse l'emporter, et ce, après la tenue d'une discussion et non pas à la suite d'un simple vote.
[395] Au début de chaque journée, les membres ont examiné leurs décisions et leurs pointages de la journée précédente en examinant leurs notes respectives. Ils ont fait cela afin de garantir l'exactitude de leur consignation conjointe du travail de la journée précédente. Le Dr Wolf n'a pas pris de notes mais a introduit les pointages des facteurs et des sous-facteurs dans l'ordinateur durant le processus de pointage.
[396] La phase 2 : les trois membres de l'Équipe ont tenté de faire les entrevues téléphoniques avec les 97 titulaires de poste CR de la phase 2. Ils ont procédé de la même manière que celle qui a été décrite ci-dessus pour la phase 1. Ces tentatives de contacts ont été faites à Ottawa en septembre 1994. Sur une possibilité totale de 97 entrevues téléphoniques, 55 entrevues ont été réalisées.
[397] À la suite des entrevues téléphoniques de la phase 2, l'Équipe s'est réunie en novembre et décembre 1994, à Philadelphie, afin d'évaluer les 97 postes CR. Là encore, le Dr Ingster a assumé la présidence. L'Équipe s'était fixée pour objectif d'évaluer environ 10 emplois par jour sur une période de 10 jours; il ne lui en a pris que 9 jours. L'Équipe a suivi le même processus d'évaluation que celui qui a été décrit ci-dessus pour la phase 1, avec une différence cependant - l'ensemble complet des 93 postes évalués de la phase 1 a été utilisé comme postes-repères. Un « poste-repère » possède d'importantes caractéristiques quant à la nature du travail qui sont utiles lorsque l'on fait une comparaison avec un poste non évalué. Compte tenu de la similarité entre la nature du travail des postes de la phase 1 et la nature du travail des postes CR échantillonnés de la phase 2, les postes de la phase 1 ont constitué des postes-repères convenables pour les évaluations de la phase 2.
[398] La pratique habituelle veut que les personnes qui font des évaluations des emplois, préparent, à des fins de consignation, un exposé des motifs sous-jacents quant au plan d'évaluation utilisé, au processus suivi et aux pointages auxquels elles sont arrivées, facteur par facteur. Dans le cas de la Commission, on a fait cela grâce à l'« enoncé de justification ». Dans le cas de l'Équipe professionnelle, on s'est servi d'une « piste de vérification ». L'Équipe professionnelle a incorporé dans son rapport à l'Alliance une piste de vérification concernant les évaluations qu'elle avait faites à la phase 1 et à la phase 2.
(iv) Deux examens supplémentaires
[399] On a demandé à l'Équipe professionnelle de participer à deux exercices supplémentaires qui pouvaient avoir une incidence sur leurs évaluations antérieures (phases 1 et 2). Le premier exercice, lequel a eu lieu en juin 1997, a consisté à examiner un certain nombre de documents relatifs aux emplois que l'on venait de trouver. Ces documents avaient été égarés lorsque la Commission avait changé de locaux; ils ont été retrouvés au printemps de 1997. Les documents retrouvés comprenaient des éléments comme de nombreuses descriptions d'emplois qui avaient été égarées, des photocopies plus lisibles et une clarification de traductions françaises. Ces documents touchaient 89 des 190 postes CR qui avaient été évalués dans le cadre des phases 1 et 2.
[400] La question à laquelle l'Équipe devait répondre était de savoir si les documents nouvellement retrouvés auraient eu une incidence sur les évaluations antérieures s'ils avaient été disponibles lorsque ces évaluations avaient été faites. Un seul membre de l'équipe, M. Wolf, s'est penché sur cette question. Il a conclu que, à une petite exception près, rien d'important n'avait été ajouté aux renseignements initiaux sur l'emploi. Les nouveaux documents n'ont tout simplement servi qu'à confirmer les résultats des évaluations antérieures de l'Équipe.
[401] Le deuxième exercice a été complété après que l'Alliance eut demandé, en juin 2000, que l'Équipe professionnelle examine les témoignages d'un certain nombre de témoins de Postes Canada qui avaient comparu devant le Tribunal depuis le dernier témoignage de M. Wolf. Cette tâche comportait l'examen d'environ 4 000 pages de documents écrits comprenant notamment des transcriptions officielles d'environ 70 jours de témoignage et de contre-interrogatoire avec documents à l'appui, des manuels ainsi que des documents connexes concernant la nature du travail. Ces documents traitaient principalement des emplois PO. L'Alliance avait demandé cet examen afin d'établir quelle incidence les éléments de preuve supplémentaires présentés par Postes Canada avaient pu avoir sur les évaluations faites par l'Équipe en 1993 et 1994 des postes CR et des emplois PO.
[402] Le rapport de l'Équipe professionnelle concernant la preuve volumineuse de l'intimée a été inscrit comme contre-preuve. Avant que le groupe ne se réunisse pour examiner la preuve de l'intimée, M. Wolf a lu toutes les transcriptions des 70 jours de témoignage ainsi que tous les documents à l'appui. L'Équipe l'a chargé d'évaluer l'utilité potentielle des nouveaux documents quant à l'évaluation des emplois. Il a fait une sélection en se fondant sur trois critères - la pertinence, la justesse et le chevauchement des tâches. Cela s'est traduit par environ 36 jours d'éléments de preuve testimoniale et de documents à l'appui sur lesquels il a ordonné à ses deux collègues de centrer leur attention. Les trois membres de l'Équipe se sont ensuite réunis et ont fait conjointement leur révision pendant cinq jours.
[403] Après une étude attentive des volumineux documents sélectionnés, il est apparu clairement à l'Équipe que le travail effectué par les titulaires de l'un ou l'autre des emplois PO « génériques » pouvait varier énormément selon le lieu. L'Équipe a établi que les éléments de preuve avaient révélé ce qui suit :
- [Traduction] « l'utilisation d'une seule description générique pour chacun des 10 emplois donne un document qui ne décrit probablement avec exactitude que peu, voire aucun, des nombreux titulaires de ces postes à volets multiples »
- [Traduction] « l'ensemble des 10 emplois PO semblent être le reflet d'un amalgame de sous-emplois, dont certain peuvent se situer à des niveaux différents d'évaluation Hay, et ce, en fonction de la composition des tâches aux différents endroits124 ».
[404] Vu cette conclusion, l'Équipe a mentionné que, en toute équité envers le processus d'évaluation des emplois, elle avait choisi d'accorder le bénéfice du doute aux emplois PO et d'évaluer chacun des emplois en fonction de ce qu'il semblait être le niveau le plus élevé des tâches couramment effectuées par les titulaires de cet emploi. L'Équipe a examiné l'ensemble des 10 emplois « génériques » et les a comparés selon la méthode de comparaison des facteurs Hay avec des postes CR classés au même niveau. Les membres se sont demandés si, en conséquence des éléments de preuve additionnels, leur compréhension des emplois était différente de celle qu'ils avaient au départ.
[405] L'Équipe a conclu qu'une grande partie des nouveaux renseignements fournis par les témoins de Postes Canada n'étaient pas pertinents quant à l'évaluation des emplois. L'Équipe a notamment conclu qu'aucune de ses évaluations initiales de poste CR n'avait été touchée par les éléments de preuve additionnels. En fait, M. Wolf a témoigné que, durant l'exercice de juin 2000, il n'avait pas réexaminé les évaluations CR de 1993 et de 1994 car il les avait acceptées comme telles125. L'équipe a toutefois reconnu que les nouveaux éléments de preuve avaient confirmé que l'étendue des variations entre les tâches de chacun des titulaires des 10 emplois PO « génériques » était beaucoup plus importante que ce que l'Équipe avait d'abord crû.
[406] Peu de modifications ont été apportées aux pointages totaux des évaluations suite à cet examen. Sur les 10 emplois PO, cinq ont conservé exactement le même pointage et trois ont fait l'objet d'une modification de trois points ou moins. Deux emplois, toutefois, ont vu leur pointage modifier de façon importante. L'un des emplois a vu son pointage total augmenter et l'autre a vu son pointage total diminuer.
G. La fiabilité des renseignements sur les emplois recueillis, de la méthode utilisée et des évaluations faites par la Commission et l'Équipe professionnelle : Les positions de l'Équipe professionnelle, de Postes Canada, de l'Alliance et de la Commission
(i) La norme de fiabilité
[407] Après avoir examiné la manière selon laquelle les renseignements sur l'emploi ont été recueillis, traités et utilisés aux fins des évaluations, il convient maintenant d'examiner la fiabilité des renseignements sur l'emploi, de la méthode utilisée et des évaluations effectuées par la Commission et l'Équipe professionnelle.
[408] Quelle norme de fiabilité le Tribunal devrait-il utiliser? Bien que les trois parties dans la présente plainte aient toutes convenu qu'elles ne cherchent pas la perfection en soi, il est nécessaire d'établir ce qui constitue une norme de fiabilité acceptable dans le contexte de la présente situation relative à la « parité salariale ».
[409] La décision du tribunal dans la cause Conseil du Trésor, laquelle exclut toute norme absolue de la décision correcte, est utile à cet égard :
Ce que font ressortir clairement ces observations ainsi que la nature du sujet, c'est que l'égalité de rémunération pour fonctions équivalentes est un but à rechercher qu'il est impossible de mesurer de façon précise et qui ne doit pas faire l'objet d'une norme d'exactitude absolue. De plus, le non-sexisme entendu dans son sens absolu est probablement irréalisable dans un monde imparfait, et l'on devrait donc se satisfaire de résultats raisonnablement satisfaisants fondés sur ce qui, selon le bon sens, constitue un règlement juste et équitable de tout écart discriminatoire entre les salaires payés aux hommes et ceux versés aux femmes pour des fonctions équivalentes126.
[410] De plus, la décision rendue par le juge Evans en octobre 1999 favorise une approche flexible, au cas par cas, pour décider comment appliquer le concept de rémunération égale pour un travail de valeur égale. Le juge Evans a affirmé ce qui suit :
En bref, j'estime que la bonne interprétation de l'article 11 est que le Parlement avait l'intention de conférer aux organismes créés pour appliquer la Loi une marge de manoeuvre pour décider, à la lumière de chaque affaire et avec l'aide de l'expertise technique disponible, comment appliquer le principe, inscrit dans la loi, de l'égalité de rémunération pour fonctions équivalentes dans un cadre d'emploi donné127.
[411] Enfin, la décision rendue par le juge Hugessen en juin 1996 dans l'affaire Ministère de la Défense nationale réitère que le fardeau qui incombe à un plaignant dans une affaire civile est celui de la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle se situe « [...] loin de la certitude [...] » :
[...] Le fardeau qui incombe à un plaignant devant un Tribunal des droits de la personne ne peut, à mon avis, être plus exigeant que la norme de la prépondérance des probabilités appliquée habituellement dans les affaires civiles. Cette norme se situe loin de la certitude et signifie simplement que le plaignant doit démontrer que ses prétentions sont plus probables qu'improbables128[...]
[412] Ces décisions appuient le choix de la norme de la décision raisonnable car il n'existe pas de norme de fiabilité absolue. L'application d'une telle norme dépendra en grande partie du contexte de la situation à l'étude. La question, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire dont le Tribunal est saisi, consiste à savoir si, selon toute vraisemblance, les renseignements sur l'emploi, compte tenu de leurs diverses sources, le système d'évaluation, le processus utilisé et les évaluations qui en ont résulté, malgré leurs lacunes, sont-ils suffisamment adéquats pour que l'on puisse en arriver à une conclusion juste et raisonnable, quant à savoir, en vertu de l'article 11 de la Loi, s'il existait une différence entre les salaires des employés du groupe plaignant et les salaires des employés du groupe de comparaison pour l'exécution de fonctions équivalentes?
[413] Si on se concentre précisément sur les renseignements sur l'emploi et sur les données utilisées en l'espèce, un moyen supplémentaire pour établir s'ils sont raisonnablement fiables consiste à les analyser en regard d'une pratique généralement admise de l'industrie de l'évaluation des emplois. Des renseignements précis, cohérents et complets, voilà ce que l'industrie a pour objectif d'obtenir, dans la mesure du possible, quant aux renseignements sur l'emploi qui sont utilisés aux fins d'évaluation des emplois. La précision exige que les données soient justes. Pour qu'il y ait cohérence, le même genre de renseignements, un degré de détails et un niveau de qualité à peu près égaux, doivent avoir été utilisés quant à l'ensemble des emplois évalués. Pour qu'il y ait intégralité, il ne faut pas qu'il manque de renseignements importants sur l'emploi et il faut que les données recueillies soient compatibles avec le plan d'évaluation des emplois utilisé.
[414] Les éléments de preuve fournis par un certain nombre de témoins experts constituent un facteur très important qui affecte le jugement du Tribunal quant à la fiabilité raisonnable des renseignements sur l'emploi recueillis, de la méthode utilisée et de l'évaluation des emplois/postes. Le fait que plusieurs de ces témoins experts ne partagent pas du tout le même avis et que, parfois, ils se contredisent, est tout aussi important.
[415] Dans ces circonstances, le Tribunal a jugé utile d'examiner les témoignages de ces témoins experts d'une manière très systématique afin de voir à ce qu'ils soient traités d'une manière uniforme et équitable.
[416] Le Tribunal a été influencé par deux décisions récentes lorsqu'il a compilé les éléments qui doivent composer l'approche systématique.
[417] La première décision est un renvoi, dans une décision de la Cour d'appel fédérale datée du 5 avril 2004, à une discussion de la notion de crédibilité des témoins dans les motifs rendus par le juge O'Halloran dans Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354 (B.C.C.A.). aux pages 356 et 357 :
[...] le véritable critère de la véracité de ce que raconte un témoin dans une affaire déterminée doit être la compatibilité de ses dires avec la prépondérance des probabilités qu'une personne éclairée et douée de sens pratique peut d'emblée reconnaître comme raisonnable dans telle situation et telles circonstances129.


[418] La deuxième décision est un renvoi, dans une décision de la Cour fédérale datée du 14 avril 2004, à une discussion des tâches et des responsabilités du témoin expert figurant dans les motifs rendus par le juge Cresswell dans National Justice Compania Riviera S.A. c. Prudential Assurance Co. Ltd. (« the Ikarian Reefer ») [1993] 2 Lloyd's Rep. 68 à la page 81 :
[...] le témoignage que l'expert donne devant le tribunal devrait être le fruit d'un travail effectué par cette personne à l'abri de toute influence quant à la forme ou au contenu du procès et que ce témoignage devrait être perçu ainsi. Le rôle du témoin expert consiste à éclairer la Cour en donnant un avis objectif et impartial sur des questions qui relèvent de son champ de compétence130.
[419] L'approche systématique que le Tribunal a appliqué pour l'examen des témoignages des témoins experts visés est la suivante :
1. Dans quel domaine l'expert est-il qualifié pour témoigner, et par quelle partie est-il convoqué?
2. Quel est le mandat de l'expert?
3. Quelle est l'étendue des connaissances et de l'expérience de l'expert et quelle réputation possède-t-il dans le champ d'expertise visé?
4. Comment l'expert s'est-il acquitté de son mandat?
5. À quelles conclusions l'expert est-il arrivé?
6. Comment l'expert a-t-il présenté ses conclusions au Tribunal?
7. Quel poids le Tribunal accorde-t-il aux conclusions de l'expert?
[420] Il est donc le temps de vérifier cette norme de la fiabilité raisonnable quant aux évaluations des emplois faites par la Commission et l'Équipe professionnelle.


(ii) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1987
[421] Bien que les résultats des évaluations des postes CR de 1987 n'aient pas été utilisés dans le processus d'enquête finale de la Commission, il est néanmoins très pertinent de vérifier la fiabilité des instruments de 1986 et des renseignements sur l'emploi qui en ont résulté étant donné qu'une grande partie de ces renseignements et de ces données ont été utilisées dans les évaluations qui ont suivi.
[422] La Feuille de données sur l'emploi ou le Questionnaire, bien qu'elle ne fut remplie en 1986 que par un échantillonnage des titulaires de poste CR, avait initialement été conçue pour être utilisée par les employés CR et PO. Elle avait clairement était conçue pour être la source la plus importante de renseignements à jour sur l'emploi. En fait, la Commission l'a choisie comme source principale pour ses évaluations des postes CR de 1987. Toutefois, selon Postes Canada, la conception et le contenu de la Feuille de données sur l'emploi comportaient de graves lacunes. Postes Canada a mentionné dans les observations qu'elle avait faites, à l'époque, au Tribunal et à la Commission, que la Feuille de données sur l'emploi relevait de l'auto-évaluation dans sa conception, une caractéristique jugée plutôt inacceptable aux fins de l'évaluation des emplois. Lorsqu'elle a présenté ses objections à la Commission, Postes Canada a proposé des modifications importantes et a même offert sa propre conception mais la Commission a refusé les deux propositions et a choisi de poursuivre avec sa propre formule. De plus, la Feuille de données sur l'emploi a été conçue pour cadrer avec le système d'évaluation System One. Ce système d'évaluation n'était pas complètement au point et son utilisation n'était pas tout à fait acceptable, à l'époque, selon l'Alliance et selon Postes Canada.
[423] La Feuille de données sur l'emploi ne rencontrait pas le modèle ultérieur proposé par la Commission, laquelle a déclaré qu'un questionnaire [Traduction] « [...] doit être soigneusement conçu et vérifié, à l'aide d'une étude pilote le cas échéant131 [...] ». La Feuille de données sur l'emploi a été conçue et mise au point par un employé ayant de l'ancienneté à la Commission soumis aux pressions du temps et à des contraintes en matière de ressources humaines et ne disposant pas d'aide professionnelle. L'élaboration de questions pertinentes, leur ordre ainsi que leur formulation dans un sondage très important qui doit être présenté à des employés travaillant dans un organisme important, dynamique, très actif, possédant un long passé de relations de travail troublées, tel que Postes Canada, appelait une expertise professionnelle appropriée. La Feuille de données sur l'emploi n'a pas été le produit d'une telle expertise.
[424] Certes, la Feuille de données sur l'emploi n'a pas été conçue, ni vérifiée par un ordre professionnel indépendant. Les quatre personnes qui ont soumis le questionnaire à un « essai » étaient toutes, soit des commis, soit des secrétaires. Aucun travailleur de type PO n'a participé à l'essai. Les résultats de l'essai ont été vérifiés par l'enquêteur principal qui a conclu que les quatre personnes qui avaient participé à l'essai du questionnaire avaient souvent surévalué leurs postes respectifs quant à un certain nombre de facteurs. Cela a mené à certaines modifications dans le document mais la version finale révisée n'a jamais été soumise à l'essai.
[425] Les deux autres instruments, considérés comme étant des sources importantes de renseignements sur l'emploi, étaient des descriptions d'emplois et des organigrammes qui devaient tous les deux être joints à la Feuille de données sur l'emploi par chacun des titulaires de poste CR qui l'avait remplie. Comme Postes Canada l'avait affirmé, de nombreuses descriptions d'emplois étaient désuètes. Un certain nombre d'entre elles dataient même de bien avant 1986. En effet, un certain nombre d'entre elles étaient manquantes, un certain nombre étaient « non officielles » et d'autres ne portaient aucune signature d'agrément. De plus, l'Alliance n'était pas convaincue que toutes les descriptions d'emplois avaient été approuvées par les syndicats, un droit consacré des syndicats visés. On a vécu une situation presque semblable avec les organigrammes. Ils ne dataient pas tous de la même époque et un certain nombre d'entre eux étaient manquants.
[426] Le Guide d'entrevue, lequel visait à aider l'enquêteur de la Commission à tenir ultérieurement des entrevues avec des employés et à consigner leurs réponses, a soulevé des réserves de la part de l'Alliance et de Postes Canada quant à sa conception et quant à son utilisation. On n'a jamais complètement répondu à ces inquiétudes. À l'instar de la Feuille de données sur l'emploi, il a été conçu pour cadrer avec le plan d'évaluation System One.
[427] Postes Canada a proposé de nombreuses modifications importantes quant à la présentation du Guide d'entrevue. La Commission a choisi de ne pas apporter les modifications proposées.
[428] L'Alliance, par l'entremise de l'un de ses représentants, a observé, dans quatre des premières entrevues, de quelle manière le Guide d'entrevue était utilisé et, en conséquence, a proposé de nombreuses modifications pour l'améliorer. Seul un certain nombre de ces modifications furent acceptées par la Commission. On a décidé d'accepter les modifications au Guide d'entrevue après que le personnel de la Commission eut commencé à utiliser la version originale. En conséquence, des modifications ont été apportées au document au beau milieu de son utilisation, une pratique qui n'est pas recommandée dans le monde de l'évaluation des emplois.
[429] De plus, l'enquêteur principal de la Commission a témoigné que la Commission utilisait en règle générale le Guide d'entrevue d'une manière sélective avec les employés interrogés lorsqu'il était nécessaire de clarifier des contradictions ou d'autres difficultés quant à des réponses fournies dans certaines Feuilles de données sur l'emploi. En l'espèce, la Commission, pour des raisons inconnues de l'enquêteur principal, lequel n'était pas à son emploi à cette étape du processus d'évaluation, a choisi d'interroger l'échantillon CR au complet.
[430] Un autre facteur qui a provoqué une certaine consternation était l'origine de la taille de l'échantillon CR. Un cadre de la Commission avait mis au point un échantillon aléatoire stratifié sans avoir préalablement obtenu un avis professionnel. Ses calculs d'échantillon ont fait l'objet d'un certain nombre de configurations comportant des « remplaçants » supplémentaires, mais seulement 194 Feuilles de données sur l'emploi acceptables ont été reçues. C'est ce nombre de postes CR qui ont éventuellement été évaluées. Statistique Canada, qui a été ultérieurement consultée par la Commission, a recommandé que la taille de l'échantillon soit augmentée. La Commission n'a pas donné suite à cette proposition.
[431] Enfin, le processus suivi par l'Équipe d'évaluation de la Commission était quelque peu inhabituel. Trois des membres de l'Équipe ont à tour de rôle servi d'évaluateur. Peu d'éléments de preuve ont été présentés quant à l'étendue de la formation en évaluation des emplois donnée à ces évaluateurs de la Commission ou quant à leur expérience personnelle en tant qu'évaluateur d'emplois.
(iii) Les évaluations des emplois faites par la Commission en 1991
[432] Comme il a déjà été souligné, la Commission s'est fiée aux évaluations qu'elle avait faites en 1991 des 93 postes CR et des 10 emplois PO « génériques » pour étayer les conclusions et les recommandations de son enquête finale. La Commission a déclaré que, pour établir la valeur, elle utiliserait le Système Hay avec sa méthode des quatre facteurs et ses graphiques XYZ. La Commission était d'avis que cette version de Hay était [Traduction] « [...] tout à fait capable d'évaluer les emplois de "cols bleus" et les emplois de bureau132 ».
[433] Ni Postes Canada, ni l'Alliance n'était parfaitement d'accord avec l'utilisation par la Commission, en 1991, du plan d'évaluation des emplois Hay. Postes Canada, notamment, estimait que le plan Hay visait, principalement, le travail de type « col blanc » et le travail de type gestion.
[434] Fait intéressant, M. Wolf, en répondant à une question de l'avocat de l'Alliance, a mentionné ce qui suit à propos de la méthode d'évaluation utilisée par la Commission :
[Traduction]
Essentiellement, ce que les évaluateurs de la Commission des droits de la personne ont fait, c'est de créer leur propre méthode d'évaluation [...] ils ont expressément dit qu'ils n'utilisaient rien qui ressemble à la méthode traditionnelle Hay. Ils ont affirmé qu'ils utilisaient une méthode de "valeur égale" quant à l'évaluation des emplois [...] Je ne sais pas comment vous appelez la méthode qu'ils ont utilisée, mais il ne s'agissait pas du processus Hay133.
[435] Il y avait également une certaine incompatibilité dans le fait d'utiliser le plan Hay avec une Feuille de données sur l'emploi conçue pour cadrer avec le plan System One. Toutefois, System One, aussi incomplet qu'il pouvait être, était censé correspondre étroitement au plan Hay. À l'instar du plan Hay, il comprenait quatre facteurs pour évaluer la valeur du travail. L'Alliance estimait que les deux plans comportaient plus de lacunes qu'ils n'auraient dû quant aux employés PO en ce qui avait trait au facteur des conditions de travail.
[436] Comme pour les évaluations de 1987, la Feuille de données sur l'emploi a été utilisée par la Commission comme source principale de données sur l'emploi pour les évaluations CR de 1991. Par contre, la source principale pour les évaluations PO a été les « particularités de l'emploi » compilées par la Commission. On peut prétendre que la comparaison résultante entre les postes CR du groupe plaignant occupés par certains titulaires de poste et les emplois PO « génériques » n'était pas une comparaison appropriée, compte tenu que les emplois génériques n'étaient pas de véritables postes occupés par des titulaires. Il s'agit là d'un exemple de traitement incompatible que les renseignements sur l'emploi ont imposé à toute équipe d'évaluation qui tentait d'évaluer ces emplois/postes particuliers dans un contexte de « parité salariale ».
[437] La diminution de la composition de l'échantillon CR de 194 postes en 1987 à 93 postes en 1991 a semblé avoir été provoquée par la nécessité d'accélérer le processus d'évaluation. Le calcul de l'échantillon revu de 93 postes a été effectué par l'un des évaluateurs de la Commission, un employé qui, de toute évidence, était bien intentionné, mais qui n'était pas un expert en échantillonnage. On pense même que l'échantillon de 93 postes est peut-être mal pondéré. On pense cela parce que l'ensemble des 10 postes repères CR qui ont été créés au début des évaluations de 1991 et tous les postes CR au siège social de Postes Canada, ont censément été automatiquement incorporés dans l'« échantillon » de 93 postes. Cela démentit l'idée que l'échantillon de 93 postes a été choisi au hasard.
[438] Les évaluations de 1991 de la Commission n'ont pas été faites dans le cadre de la structure du comité recommandée par la Commission. Les membres du personnel de la Commission ont fait leur évaluation chacun de leur côté et se sont réunis périodiquement pour comparer leurs pointages.
[439] M. Paul Durber de la Commission, a mentionné dans le témoignage qu'il a rendu devant le Tribunal en juin 1993, qu'il croyait que le processus d'évaluation suivi par la Commission en 1991 se situait entre un minimum acceptable et un processus idéal, lequel idéal consisterait en une étude conjointe employeur/employé134. Bien qu'il fut [Traduction] « satisfait quant à la qualité et quant à la cohérence du produit » des évaluations, M. Durber a mentionné que le comité d'évaluation n'était pas [Traduction] « [...] un comité orthodoxe [...] ». D'une part, son processus [Traduction] « [...] était une sorte de dérogation [...] car, à sa connaissance, la Commission a en règle générale suivi - dans les cas de groupe - une approche rigoureuse de comité [...] ». Par « orthodoxe », M. Durber a mentionné qu'il voulait dire une structure de comité où, après avoir calculé leurs pointages, les membres se réunissent, et, par un processus de recherche d'un consensus, arrivent ensemble à une conclusion mutuellement acceptable. Le comité de la Commission ne fonctionnait pas de la sorte. Les membres travaillaient chacun de leur côté, puis ils se réunissaient pour faire part de leurs pointages.
(iv) Les évaluations des emplois faites par l'Équipe professionnelle en 1993/1994
[440] L'Alliance et la Commission ont choisi de se fier exclusivement aux évaluations effectuées en 1993/1994 par l'Équipe professionnelle en tentant de prouver le bien-fondé de la plainte déposée devant le Tribunal. Un certain nombre de modifications apportées en juin 2000 aux pointages des évaluations ont modifié les valeurs initiales des évaluations de l'Équipe.
[441] Au moins deux membres de l'Équipe professionnelle étaient très confortables avec le plan d'évaluation Hay et avec son utilisation pour faire les évaluations pour la présente audience du Tribunal. M. Wolf et M. Ingster ont passé beaucoup de temps chez Hay et ont travaillé pendant plusieurs années avec des clients en utilisant le plan Hay. De plus, soucieuse de rigueur, l'Équipe a appliqué ce qu'elle a appelé la comparaison de facteurs, ou la norme classique Hay standard, qui, selon elle, était une méthode plus minutieuse et qui prenait beaucoup plus de temps que les solutions « rapides » du barème d'évaluation Hay.
[442] M. Wolf, porte-parole pour l'Équipe professionnelle, expert reconnu en évaluation des emplois fondée sur la méthode Hay, a mentionné qu'il était d'avis que le plan Hay était généralement considéré comme étant capable de mesurer la valeur relative des emplois à prédominance masculine et des emplois à prépondérance féminine. De plus, les facteurs du plan  Hay mesuraient la valeur du travail en fonction d'un amalgame de qualifications, d'efforts, de responsabilités et de conditions de travail, comme l'exige la Loi.
[443] Toutefois, des questions continuent d'être soulevées quant à la pertinence de l'utilisation du plan  Hay pour les emplois de bureau et les emplois de « cols bleus », compte tenu de son utilisation notoire actuelle en matière d'évaluation du travail de niveau de gestion. Il s'agissait certes là d'une préoccupation de l'Alliance et de Postes Canada. M. Wolf a déclaré que le plan Hay, à ses débuts, a été utilisé pour l'évaluation du travail de « cols bleus » mais, plus récemment, c'est en rapport avec le domaine de la gestion que les clients font des demandes. Bien que M. Wolf eût admis que l'évaluation des emplois Hay se fait surtout dans le domaine des emplois de supervision, de gestion et des emplois de professionnel, lui et ses deux collègues estimaient qu'elle était très compatible à la fois avec l'évaluation des emplois de « cols bleus » et à la fois avec les emplois de bureau135. Il a mentionné que cette opinion est particulièrement vraie lorsque l'on a affaire à des évaluateurs qui ont déjà appliqué la méthode Hay. De plus, l'élargissement par l'Équipe du facteur des conditions de travail de la méthode Hay illustrait son adaptabilité.
[444] Bien que l'on puisse estimer acceptable l'utilisation du plan Hay dans ces évaluations - notamment par la très compétente Équipe professionnelle - les sources d'une grande partie des données utilisées soulèvent de nombreuses interrogations. La Feuille de données sur l'emploi, laquelle visait, lors de sa conception, à servir comme source de renseignements à jour sur l'emploi, s'est révélée tout à fait inacceptable comme il a déjà été souligné. En effet l'Équipe professionnelle a estimé que la Feuille de données sur l'emploi était à ce point peu fiable qu'elle l'a écartée dans une large mesure et a utilisé les descriptions d'emplois comme document principal quant à ses évaluations de postes CR.
[445] Le commentaire qui en dit peut-être le plus long quant à la Feuille de données sur l'emploi est celui de M. Wolf lui-même. Il a affirmé ce qui suit lorsqu'il a témoigné devant le Tribunal en avril 1995 :
[Traduction]
Les documents sur l'emploi qui ont été préparés par la Commission canadienne des droits de la personne exigeaient énormément d'interprétation parce que le formulaire était abominable. La personne qui l'a conçu devrait être arrêtée et fusillée.
Le formulaire contrevenait à la règle fondamentale de tout processus de documentation sur l'emploi qui veut que l'on demande à des personnes de décrire leurs emplois et non pas de les évaluer. Il a été structuré de manière [...] à demander aux personnes de faire leur propre évaluation. Nous l'avons donc rejeté complètement parce que les gens ne peuvent pas évaluer leurs propres emplois parce qu'ils ne comprennent pas le processus136.
[446] En plus de son « abominable » structure, la Feuille de données sur l'emploi a été conçue, comme il a déjà été souligné, pour cadrer avec le plan System One. Il semble y avoir un conflit potentiel à utiliser, même dans un rôle moins important, des renseignements sur l'emploi fournis au moyen d'un instrument fondé sur un plan d'évaluation différent de celui utilisé pour les évaluations. Selon le modèle de la Commission, [Traduction] « [...] il est essentiel de n'utiliser qu'un seul plan pour évaluer l'ensemble des emplois »137.
[447] L'utilisation des descriptions d'emploi comme premier document pour les évaluations CR a posé son propre problème. M. Wolf a témoigné que l'Équipe avait accepté telles quelles les descriptions d'emploi du moment qu'elles étaient présentées dans le format accepté par Postes Canada, en présumant qu'elles avaient servi de fondement à la classification faite par Postes Canada quant à ces postes.
[448] Malheureusement, les ensembles de descriptions d'emploi qui ont servi pour les évaluations de postes CR à la phase 1 et à la phase 2 n'étaient pas toujours compatibles. Par exemple, ils ne comprenaient pas de formule de présentation normalisée. Comme il a déjà été souligné, les descriptions d'emploi ne dataient pas toutes de la même époque. Un certain nombre d'entre elles dataient de plusieurs années. D'autres n'étaient pas considérées par l'Alliance comme étant des versions « officielles », même si elles étaient plus récentes. Un certain nombre d'entre elles étaient manquantes. M. Wolf a reconnu en contre-interrogatoire que 14 descriptions d'emploi des évaluations de la phase 1 étaient manquantes ainsi que 11 descriptions d'emploi des évaluations de la phase 2. Par la suite, en juin 1997, une des descriptions d'emploi CR de la phase 1 manquante a été retrouvée et trois des descriptions d'emploi CR de la phase 2 manquantes ont été retrouvées. De plus, 5 descriptions d'emplois disponibles ont été jugées incompatibles avec la Feuille de données sur l'emploi, et, n'ont par conséquent pas été utilisées. Il y a même eu des exemples de pages manquantes dans un certain nombre de descriptions d'emploi. Environ 50 descriptions d'emploi n'étaient pas signées ou datées. Enfin, en règle générale, les descriptions d'emploi ne comprenaient pas de renseignements sur les conditions de travail. Ces lacunes soulèvent la question de la cohérence, de l'intégralité et de l'exactitude de cet aspect des données sur l'emploi.
[449] Ces problèmes ont grandement entaché la crédibilité d'un bon nombre de descriptions d'emploi, notamment en tant que première source de renseignements sur les postes CR pour l'Équipe professionnelle. Même le modèle de la Commission reconnaissait que les descriptions d'emploi ne constituent pas toujours une expression fidèle, à jour, du travail effectué et reproduisent souvent les stéréotypes les plus répandus dans le milieu de travail et elles ne devraient pas être utilisées comme première sources de données.
[450] La question de la taille de l'échantillon de la population totale des titulaires d'un poste est un facteur qui, en règle générale, exige une expertise professionnelle. En l'espèce, un échantillon aléatoire de postes CR devrait être assez grand pour qu'il puisse, avec un certain degré de confiance, être jugé comme étant représentatif de l'ensemble du travail effectué par la population CR totale. L'augmentation ou la diminution de l'échantillon peut avoir une incidence sur la valeur moyenne du travail dans l'échantillon et dans la population totale. Il en va de même de l'échantillon aléatoire stratifié dont nous avons un exemple dans la répartition de la Commission de l'ensemble des 194 postes CR en échantillons individuels pour chacun des niveaux CR-2, 3, 4, et 5.
[451] La création en 1986 de la taille initiale de l'échantillon CR et les « recalculs » ultérieurs qui ont permis d'en arriver à la taille finale de l'échantillon de 194 postes constituaient un processus non professionnel qui a été discrédité davantage par la diminution de l'échantillon à 93 postes en 1991. L'Équipe professionnelle a rétabli cet échantillon diminué presque à son niveau initial en évaluant 97 postes CR additionnels. Les témoins experts de Postes Canada et de l'Alliance ont témoigné quant à savoir jusqu'à quel point ces échantillons étaient représentatifs de la population CR totale.
[452] Postes Canada a fait témoigner M. David Bellhouse, lequel a comparu pour la première fois devant le Tribunal en janvier 1996.
[453] M. Bellhouse a témoigné à titre de professeur de statistique à l'université Western Ontario. Il était également président du département des Sciences statistiques et actuarielles, poste qu'il occupait depuis juillet 1992. Il avait obtenu un baccalauréat et une maîtrise de l'université du Manitoba et avait obtenu un doctorat à l'université de Waterloo en 1975. Sa thèse de doctorat avait comme titre Some results in sampling from a finite population under superpopulation models, 1975. M. Bellhouse a commencé sa carrière en milieu universitaire en 1974 comme professeur adjoint - Département de statistique, université du Manitoba. Plus tard, il est allé travailler à l'université Western Ontario, puis a gravi les échelons; professeur adjoint, professeur agrégé (avec titularisation) et professeur titulaire. Comme président de son département, il est directeur du Laboratoire statistique, lequel s'occupe de la conception et de l'exécution de recherches et d'enquêtes statistiques pour d'autres selon le principe de la récupération des coûts. Il a estimé que sa charge de travail quant à la recherche, l'enseignement et l'administration était répartie selon un pourcentage de 40-20-40. M. Bellhouse a publié de nombreux articles dans des publications revues par un comité de lecture (approuvés par des collègues) dans son champ d'expertise. Il a mentionné quelque 40 de ces articles traitant de sujets comme les techniques d'échantillonnage, la modélisation et l'analyse statistique. En 1985, M. Bellhouse a reçu de l'université une médaille d'or d'excellence en enseignement. Des subventions de recherche ont été accordées à chaque année depuis 1976-77 par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie à l'appui des travaux de M. Bellhouse. M. Bellhouse est Fellow de l'American Statistical Association. Son titre de Fellow lui a été accordé en raison de sa recherche en échantillonnage d'enquête. Il est également membre élu de l'Institut international de statistique.
[454] M. Bellhouse a été reconnu par le Tribunal comme étant un expert en statistique, spécialisé en échantillonnage d'enquête (l'échantillonnage d'enquête englobe la collecte et l'analyse de données). Il a souligné que lorsqu'une personne souhaite obtenir des renseignements individuels sur l'ensemble des unités d'une population, cette personne exige un recensement de l'ensemble de ces unités parce que [Traduction] « la technique de sélection d'échantillon aléatoire à elle seule [...] ne peut fournir aucun renseignement sur les unités qui ne font pas partie de l'échantillon138 ». M. Bellhouse a mentionné dans son rapport que, en accord avec l'opinion de M. Wolf que l'objet de l'évaluation des emplois est de [Traduction] « tenter de compenser chaque poste en fonction de sa valeur139 », on doit utiliser un recensement complet plutôt qu'un échantillon quelconque car l'[Traduction] « évaluation de postes échantillonnés ne fournit aucun renseignement sur les autres postes qui n'ont pas été échantillonnés140 ».
[455] Si, toutefois, on doit utiliser un échantillonnage, M. Bellhouse a mis l'accent sur la nature scientifique de cet instrument et sur la nécessité de se doter de lignes directrices strictes afin d'éviter la partialité et afin de tirer des conclusions qui seraient utiles à des fins d'évaluation. Parmi ses conclusions concernant l'échantillonnage effectué par la Commission, M. Bellhouse a conclu que l'échantillonnage initial était une méthode appropriée pour voir si oui ou non l'affectation actuelle de postes au niveau de classification CR créée afin d'être utilisée par les ministères du gouvernement fédéral, puis utilisée par Postes Canada, concordait avec les fourchettes de prévisions non chevauchantes du plan Hay.
[456] Il a poursuivi en affirmant que lorsqu'il est devenu évident que les niveaux de classification CR étaient composés de fourchettes de prévision chevauchantes du plan Hay, un recensement de l'ensemble des postes était nécessaire de telle sorte que chacun des postes (ou emplois) reçoive une valeur au moyen du processus d'évaluation des emplois.
[457] M. Bellhouse a conclu que, même s'il pouvait être utilisé dans l'évaluation, l'échantillonnage fait par la Commission en 1986 pour la population CR était vicié dans sa conception en ce qu'il s'attachait aux employés plutôt qu'aux postes. Il a estimé que ce choix d'échantillonnage des employés plutôt que des postes [Traduction] « avait mené à de la partialité dans le sondage en ce sens qu'il y [avait] des postes que l'on ne [pouvait] pas échantillonner141 ». Il a poursuivi en concluant que cette partialité était aggravée par le nombre de cas de non-réponses au sondage à l'égard desquelles aucune mesure de suivi corrective n'avait été prise.
[458] La conclusion de M. Bellhouse quant au groupe occupationnel PO était qu'étant donné qu'il n'y avait pas d'« échantillon aléatoire » de ce groupe occupationnel, il n'y avait aucune estimation d'échantillonnage valide de la valeur moyenne de l'évaluation des emplois pour chaque niveau PO. En effet, parce que la valeur de l'emploi par niveau était mesurée de façon différente pour les groupes PO et les groupes CR - le groupe CR ayant été évalué en utilisant des postes et le groupe PO ayant été évalué en utilisant des titres d'emploi - ces évaluations ne peuvent pas être utilisées pour faire une comparaison des valeurs de l'emploi entre les deux groupes.
[459] M. Bellhouse a également conclu qu'il peut y avoir eu une partialité dans la sélection importante dans l'échantillon PO parce qu'il s'agissait d'une sélection de titres d'emploi plutôt que des postes eux-mêmes et également parce que les descriptions d'emploi représentait une nature du travail générique plutôt que réelle. Il a donné l'exemple suivant pour illustrer son point :
[Traduction]
il est possible que la partialité s'infiltre dans ce qui est la véritable valeur quant à, disons, un facteur, parce qu'il s'agit d'une description d'emploi générique qui ne saisirait peut-être pas la variabilité dans la valeur de l'emploi qui est présente dans la population générale142.
[460] La Commission a fait témoigner M. John Kervin, lequel a comparu pour la première fois devant le Tribunal en janvier 2002.
[461] M. Kervin a témoigné à titre de professeur au département de sociologie et de chercheur au centre de relations industrielles de l'université de Toronto. Il a obtenu son baccalauréat en sociologie de l'université de Colombie-Britannique et son doctorat à l'université John Hopkins à Baltimore en 1972. Sa thèse de doctorat portait le titre suivant : An Information-Combining Model for the Formation of Performance Expectations in Small Groups. M. Kervin a commencé sa carrière de professeur en 1971 comme professeur adjoint à l'université de Toronto et est devenu professeur agrégé (titularisé) en 1976. Il a été nommé conjointement au Centre de relations industrielles en 1977, où s'accomplit en grande partie son travail de recherche. M. Kervin a mentionné qu'une partie importante de sa carrière en enseignement et en recherche avait eu trait aux méthodes statistiques et à l'analyse de données ainsi qu'à l'effet du genre sur l'interaction sociale. Il a effectué des projets de recherche comme Measuring Gender Bias in Wages et a publié un certain nombre d'articles revus par un comité de lecture, notamment un article intitulé Where's the Bias? : Sources and Types of Gender Bias in Job Evaluation. Parmi les clients qui ont fait appel aux services de recherche de M. Kervin, on retrouve le Conseil de gestion de l'Ontario et le Conseil du Trésor du Canada. Certaines de ces recherches comportaient des analyses de données statistiques dans un contexte de « parité salariale ». Un exemple de travail fait conjointement par M. Kervin et une autre partie, en l'espèce Mme Nan Weiner : Report on Possible Gender Bias in the Bank of Montreal's Hay-Points Compensation System - 1999. M. Kervin est un membre de la Société canadienne de sociologie et d'anthropologie et de l'American Sociological Association. Il est également membre de trois associations de relations industrielles.
[462] Le témoignage de M. Kervin, lequel a témoigné pour la Commission à titre d'expert en collecte et analyse de données (l'analyse de données comprend l'utilisation de statistiques et de méthodologie statistique), contredit d'une manière générale le témoignage de M. Bellhouse. La principale critique de M. Kervin à l'égard du rapport de M. Bellhouse est qu'il repose sur un fondement erroné. Alors que le rapport de M. Bellhouse met l'accent sur la nature analytique de l'analyse statistique et de la nécessité de fiabilité scientifique, M. Kervin a mentionné que, lorsque l'on a affaire à un phénomène sociologique, on doit placer le phénomène dans le contexte de sa culture sociale. Afin de faire cela, l'élément-clé de la collecte de données concernant le phénomène étudié est la formulation, dès le départ, d'une question juste. Il a déclaré dans son rapport que M. Bellhouse n'a jamais posé la question pertinente, compte tenu du contexte de la plainte143. M. Bellhouse s'est soucié que l'analyse des données, faite avec les données recueillies, suivent la méthode scientifique. Il a été particulièrement soucieux que l'analyse emploie des procédures ainsi que des preuves et des critères empiriques qui peuvent être reproduits. Ce souci reposait sur la croyance qu'il avait que la « parité salariale » incarne le principe que [Traduction] « tout le monde devrait être rémunéré selon ce que vaut son emploi ».
[463] Selon M. Kervin, cela n'est pas juste. Il estimait que la véritable question en matière de « parité salariale » est [Traduction] « existe-t-il un écart de rénumération fondée sur le sexe, déterminante pour la valeur du travail »144? Selon le rapport de M. Kervin, il en est ainsi parce que le concept de « parité salariale » part du principe qu'il existe une disparité salariale fondée sur le sexe. Ce que l'on veut faire lorsque l'on vérifie cette hypothèse c'est dresser la liste des emplois, la composition de ces emplois quant au sexe, les valeurs des emplois et la rémunération.
[464] M. Kervin a déclaré qu'il désirerait examiner les emplois quantitativement et qualitativement, et, à la lumière du jugement qui provient de l'aspect « art » du traitement de questions sociologiques. Le rapport de M. Bellhouse n'a pas tenu compte de l'aspect « art », ni de l'aspect « science » de la plainte. Cette difficulté, conjuguée avec son insistance qu'il existe une corrélation entre la rémunération et les niveaux de classification, devrait, selon M. Kervin, faire disparaître les inquiétudes exprimées par M. Bellhouse concernant le processus d'échantillonnage de la Commission. Cette préoccupation concernant la corrélation entre la rémunération et les niveaux de classification indique, selon M. Kervin, que M. Bellhouse ne comprend pas les fondements systémiques de la question de la « parité salariale ».
[465] M. Kervin a déclaré dans son rapport que les conclusions de M. Bellhouse traitent, principalement, de questions d'échantillonnage et de mesure de valeur d'emploi. M. Kervin ne souscrit pas, dans l'ensemble, à ces conclusions.
[466] Plus particulièrement, M. Kervin était d'avis qu'il n'est aucunement nécessaire de faire un recensement de la population totale visée pour rencontrer l'objectif de la « parité salariale ». Un échantillon représentatif est plus que suffisant. Il a également prétendu que la justification de M. Bellhouse pour l'utilisation d'un recensement - le chevauchement des pointages Hay relatifs aux emplois dans l'ensemble des niveaux de classification CR - est invalide parce que le chevauchement n'est pas dû à l'échantillonnage. Il est uniquement dû à l'utilisation d'une mesure différente de la valeur des emplois. Il y a toujours du chevauchement peu importe le type d'échantillonnage.
[467] M. Kervin a jugé invalide l'argument de M. Bellhouse que l'échantillon de 1986 était erroné parce qu'il s'attachait à des employés plutôt qu'à des postes et, par conséquent, a mené à de la partialité et à des taux plus élevés de non-réponses. M. Kervin a déclaré qu'il n'avait découvert aucun élément de preuve étayant cette position.
[468] M. Kervin est d'accord avec M. Bellhouse pour affirmer que l'échantillon PO n'était pas un échantillon aléatoire, mais plutôt un échantillon choisi à dessein. Toutefois, à la différence de M. Bellhouse, M. Kervin a prétendu qu'il était probable qu'il soit raisonnablement exact. Il croyait qu'il s'agissait-là de l'un des exemples où lui et M. Bellhouse posaient des « questions de recherche » différentes - M. Bellhouse recherche la précision et la signification statistique alors que M. Kervin répond aux besoins d'une situation de « parité salariale ».
[469] M. Kervin n'était pas d'accord avec M. Bellhouse pour affirmer qu'il peut y avoir une partialité dans la sélection importante de l'échantillon PO. Il a prétendu que M. Bellhouse n'a aucunement discuté du mode de sélection ou de la possibilité de partialité dans la sélection occasionnée par l'utilisation de titres d'emploi et de descriptions génériques.
[470] Enfin, en ce qui a trait à la mesure de la valeur de l'emploi au niveau des titres d'emploi pour les PO et des postes pour les CR, M. Kervin a classé cela comme une différence dans l'unité d'analyse et non comme une différence dans la mesure. M. Kervin a de plus déclaré qu'il s'agissait-là d'une situation qui peut facilement être corrigée.
[471] De toute évidence, il existe une sérieuse divergence d'opinion, voire même une contradiction, entre ces deux témoins experts quant aux questions d'échantillonnage et de mesure de la valeur des emplois.
[472] Les « particularités de l'emploi » utilisées pour les 10 emplois PO « génériques » étaient, à certains égards, semblables aux Feuilles de données sur l'emploi CR. Les renseignements accumulés pour celles-ci ont été fournis par Postes Canada qui a également fourni un certain nombre de descriptions d'emploi PO fondés sur les titres d'emploi des 10 emplois « génériques ». Un certain nombre de descriptions d'emploi étaient « non officielles » car elles n'avaient pas été approuvées par les syndicats concernés. Bien que, d'une façon générale, elles comprenaient plus de renseignements à jour que les Feuilles de données sur l'emploi CR, les « particularités de l'emploi » ne représentaient pas des postes précis détenus par des titulaires, mais étaient plutôt un amalgame de fonctions pour les 10 types d'emplois les plus répandus. Il en a résulté une comparaison inégale et incompatible entre les emplois du groupe plaignant et ceux du groupe de comparaison. À cela s'ajoute le fait que la collecte des données avait été faite à des époques différentes - 1986 dans le cas des postes CR et 1990-1991 dans le cas des emplois PO. Une telle différence dans le temps est habituellement considérée inacceptable dans un exercice d'évaluation des emplois.
[473] Postes Canada a de plus prétendu que les 10 emplois PO « génériques » avaient été sous-évalués parce que certains des « sous-postes », comme le travail en rotation des PO-4, avaient été exclus durant le processus d'évaluation de l'Équipe professionnelle.
[474] Bien que l'évaluation des emplois PO « génériques » ne dépendait pas des Feuilles de données sur l'emploi, comme c'était censé être initialement le cas pour les évaluations CR, elle reposait en grande partie sur les « particularités de l'emploi » élaborées par la Commission. Comme il a déjà été souligné, ces particularités ont été créées à partir d'une gamme de données acquises grâce à une série de réunions tenues avec le personnel de gestion de Postes Canada. Tout en évaluant pourquoi la Commission avait emprunté ce parcours particulier, la preuve présentée au Tribunal montre que la majorité des experts en emploi ne considèreraient pas cette méthode de collecte de renseignements comme étant une méthode appropriée. Selon Mme Pat Armstrong, un témoin expert pour la Commission, les gestionnaires sont en général trop loin du travail opérationnel pour qu'ils puissent le connaître suffisamment en profondeur lorsqu'il est question de faire une évaluation. Le contact avec les titulaires de poste individuel est la meilleure façon d'obtenir des renseignements. En fait, les profils d'emploi fournis par Postes Canada pour que la Commission puisse les utiliser dans l'élaboration de ses 10 « particularités de l'emploi » PO ont posé leur propre difficulté parce qu'ils avaient été étiquetés « ébauche » et n'avaient pas été approuvés par les syndicats.
[475] En raison de la nature inhabituelle des techniques de collecte de renseignement utilisées par la Commission, l'Équipe professionnelle disposait d'une surabondance de renseignements sur l'emploi concernant la collectivité PO. En plus des « particularités de l'emploi », un certain nombre de descriptions d'emploi, de profils d'emploi et d'attributs relatifs au comportement étaient disponibles. L'Équipe a également eu accès à divers manuels, guides et autres documents de Postes Canada. Lorsque l'Équipe a effectué son travail d'évaluation en juin 2000, elle a eu accès aux nombreux éléments de preuve et documents à l'appui des témoins de Postes Canada qui ont témoigné abondamment quant aux fonctions et quant aux activités des travailleurs PO. Bien que l'examen fait par l'Équipe de l'ensemble de ces documents à cette époque a mené à peu de modifications dans ses évaluations initiales, il a servi à confirmer les données sur l'emploi PO qu'elle possédait déjà, même si ce n'était que dans la configuration des 10 emplois PO « génériques ».
[476] Les emplois PO « génériques » ne représentent aucun des nombreux postes du sous-groupe superviseur PO. Cependant, les échantillons des titulaires de poste CR comprennent un certain nombre de superviseurs au niveau CR-5. Cela soulève des questions de cohérence et d'intégralité entre le groupe plaignant et le groupe de comparaison.
[477] Des éléments tels que les organigrammes et le Guide d'entrevue ont été considérés comme des sources secondaires et tertiaires de données sur les emplois CR. Des difficultés avec ces deux instruments ont déjà été relevées - des versions périmées ou manquantes des organigrammes, le mécontentement de Postes Canada et de l'Alliance principalement quant au contenu et quant à l'utilisation projetée du Guide d'entrevue. En fait, M. Wolf a témoigné que le Guide d'entrevue n'avait rien ajouté de particulier à la compréhension de l'Équipe quant aux fonctions de l'emploi des titulaires de poste CR.
[478] Postes Canada et ses trois témoins experts clés, dont les témoignages principaux sont examinés plus loin dans la présente section, ont critiqué l'accès qui a été accordé à l'énoncé de justification de la Commission. Leur préoccupation avait trait à l'utilisation par l'Équipe professionnelle de l'énoncé de justification dans la préparation de sa principale liste de postes CR et d'emplois PO qu'elle évaluerait. La liste de l'Équipe a été fondée sur les pointages totaux, par ordre ascendant, attribués par la Commission. Ces pointages figuraient dans l'énoncé de justification. Les experts qui ont comparu devant le Tribunal pour Postes Canada ont estimé que cela était inadmissible dans un processus d'évaluation et ont estimé qu'une telle utilisation a pu indûment influencer les pointages des éventuelles évaluations.
[479] Les entrevues téléphoniques effectuées avec les titulaires de poste CR avant que les évaluations ne soient entreprises par l'Équipe professionnelle aux phases 1 et 2 étaient un exercice bien intentionné conçu pour améliorer les connaissances de l'Équipe sur l'emploi. M. Wolf a reconnu que les entrevues avaient principalement mis l'accent sur les conditions de travail et, à une ou deux exceptions près, n'ont rien ajouté d'important quant à cet aspect. De plus, un pourcentage de 63 p. 100 d'entrevues achevées lors de la phase 1 et de 57 p. 100 à la phase 2, soulève des questions quant à savoir si les postes d'un nombre important de titulaires qui n'ont pas participé, pour quelques raisons que ce soit, ont été d'une certaine façon désavantagés. Compte tenu de l'importance de la cohérence et de l'intégralité, et même de l'équité de traitement, il y a probablement, par conséquent, une certaine limite à l'avantage apporté par ces renseignements additionnels.
[480] Le processus dont l'Équipe professionnelle s'est servie pour évaluer les emplois individuels était carrément supérieur à celui dont s'est servie la Commission pour faire ses évaluations en 1987 ou en 1991. L'Équipe a fonctionné comme une entité, laquelle a pris conjointement ses décisions, soit à l'unanimité, soit par consensus. Il s'agit de la méthode du comité, laquelle est recommandée par les experts en évaluation et laquelle suit le modèle présenté dans le livret de la Commission.
[481] Le processus de l'Équipe professionnelle comportait toutefois un certain nombre de lacunes. Par exemple, un seul des trois membres s'est rendu dans une installation de Postes Canada et était familier avec les opérations postales. L'Équipe n'a évidemment pas reçu d'observations provenant des niveaux organisationnels pertinents de l'employeur. Compte tenu des circonstances en l'espèce, l'Équipe fonctionnait comme un organisme extérieur embauché à contrat, n'ayant aucun contact avec l'employeur et peu ou aucun contact avec ses employés. Elle possédait peu de rétroactions ou de connaissance directe de la nature, de l'historique et de la dynamique de l'organisme concerné, à l'exception de ce que le troisième membre qui possédait une certaine expérience à Postes Canada pouvait fournir.
[482] La piste de vérification de l'Équipe professionnelle a présenté des difficultés quant il a été question de retracer précisément comment M. Wolf et ses collègues avaient utilisé la méthode Hay ainsi que la justification de leurs choix et de leurs pointages d'évaluation. En contre-interrogatoire, M. Wolf a admis que leur piste de vérification ne reflétait pas l'ensemble de leur raisonnement sur lequel reposaient les pointages. Il a affirmé qu'elle était « rudimentaire » et ne donnait que les « grandes lignes par opposition à des détails ». Il a poursuivi en admettant :
[Traduction]
[...] si vous laissez entendre que nous avons bâclé notre travail en ce qui concerne la consignation de la piste de vérification, alors je dois l'admettre145.
(v) La position de l'Équipe professionnelle quant à ses évaluations d'emplois de 1993 et de 1994
[483] M. Wolf a reconnu que lui et ses deux collègues avaient trouvé de nombreuses lacunes dans les renseignements et les données sur l'emploi disponibles. En effet, comme il a déjà été souligné, il a même été jusqu'à qualifier d'« abominable » la Feuille de données sur l'emploi, laquelle était initialement censée être la source première d'obtention de renseignements à jour sur les postes CR et les emplois PO.
[484] En ce qui concerne la compréhension des emplois que l'Équipe s'est faite à partir des documents dont elle a été saisie, il a témoigné ce qui suit :
[Traduction]
[...] Je dois dire que, à l'exception de quatre emplois que nous n'avons pas examinés, notre compréhension était adéquate mais pas nécessairement idéale146 [...]
[485] Quelle est la signification du mot « adéquat »? Le Oxford Concise Dictionary définit le mot « adéquat » comme signifiant [Traduction] « suffisant, satisfaisant; à peine suffisant ». Le dictionnaire Webster définit le mot adéquat comme [Traduction] « suffisant pour ce qui est demandé; suffisant; convenable ». Le dictionnaire Oxford définit le mot « suffisant » comme [Traduction] « suffisant, adéquat, suffisamment » et le dictionnaire Webster le définit comme [Traduction] « autant qu'il faut, suffisamment, adéquat ».
[486] Suivant ces définitions, M. Wolf et son Équipe ont dû croire que les renseignements sur l'emploi dont ils étaient saisis étaient suffisants pour ce dont ils avaient besoin pour faire les évaluations des emplois. C'était suffisant.
[487] En ce qui concerne la méthode Hay et comment l'Équipe professionnelle l'a employée dans ses évaluations, M. Wolf a affirmé ce qui suit dans son témoignage :
[Traduction]
Q. Comment est la norme en l'espèce par rapport aux normes commerciales?
R. Comme je crois l'avoir mentionné, nous avons adopté une méthode plus rigoureuse ou plus exigeante que celle que nous adopterions normalement. Donc, elle rencontre certainement au moins, et selon moi surpasse probablement, la norme commerciale habituelle, c'est-à-dire ce que les experts de Hay ou d'autres sociétés d'experts-conseils font pour leurs clients147.
(vi) La position de Postes Canada quant aux évaluations des emplois de la Commission de 1991 et celles de l'Équipe professionnelle de 1993 et 1994
[488] La position de Postes Canada quant à la fiabilité du travail de l'Équipe professionnelle est claire. Elle a prétendu que les renseignements et les données sur l'emploi n'étaient pas assez fiables pour prouver le bien-fondé de la plainte, et, plus particulièrement, ne peuvent pas être invoqués pour déterminer s'il y a un écart de rémunération fondé sur le sexe au sens de l'article 11 de la Loi. Postes Canada prétend également que le système Hay n'est pas approprié en ce qui concerne les évaluations en matière de « parité salariale » comportant des « cols bleus » et des employés de bureau et que le processus entrepris par l'Équipe professionnelle comportait des lacunes.
[489] À l'appui de leur prétention, Postes Canada a fait témoigner les trois témoins experts suivants, classés par ordre de comparution devant le Tribunal : les deux premiers témoins ont témoigné quant aux évaluations de la Commission de 1991 et des évaluations de l'équipe professionnelle de 1993 et 1994 :
a) Mme Nadine Winter a comparu pour la première fois devant le Tribunal en avril 1996 en tant que présidente de N. Winter Consulting Inc., une société spécialisée en évaluation des emplois, en recherche en matière de rémunération et en gestion de la rémunération. Avant de créer sa propre société en 1989, Mme Winter a travaillé chez Hay Management Consultants Canada Ltd. entre 1982 et 1988. En tant que directrice des programmes Égalité d'accès à l'emploi, elle conseillait les experts-conseils de Hay ainsi que ses clients et elle s'est occupée de la modification du système Hay afin qu'il respecte les exigences en matière de non-sexisme. Parmi ses réalisations, elle a mentionné la mise en uvre du système Hay, dans un contexte de « parité salariale », au sein du gouvernement du Manitoba. Elle est devenue associée chez Hay Canada en 1987 et a obtenu le titre de directrice des Pratiques d'équité en matière d'emploi. Elle a été qualifiée par le Tribunal d'expert en évaluation des emplois et en gestion de la rémunération, y compris expert en parité salariale et en salaire égal pour un travail de valeur égale.
b) M. Norman D. Willis a comparu pour la première fois devant le Tribunal en mai 1996. À cette époque, il était à la retraite depuis deux ans. Il a commencé sa carrière en évaluation des emplois chez Hay & Associates, aux Etats-Unis, en 1968. Dès 1971, il avait créé sa propre société spécialisée en formation en gestion et en études des ressources humaines. En 1974, il a créé son propre plan d'évaluation des emplois, lequel était semblable, sur le plan conceptuel, au système Hay. Ce plan a évolué depuis en incorporant des modifications afin de rencontrer les exigences des clients. M. Willis s'est d'abord concentré sur les clients dans la région de Seattle. Sa première proposition d'évaluation des emplois au Canada a commencé par une présentation sur l'équité salariale au gouvernement du Yukon en 1985. Par la suite, il s'est occupé d'études en évaluation des emplois à l'Île-du-Prince-Édouard, dans les Territoires du Nord-Ouest, en Alberta et au Manitoba. Willis & Associates a été embauchée par le Comité de l'Initiative conjointe syndicale-patronale (le Comité mixte). L'Initiative conjointe syndicale-patronale est une étude sur la « parité salariale » faite conjointement par le gouvernement canadien et les syndicats de la fonction publique afin d'aider le Comité dans son travail. Éventuellement, le Comité a décidé d'utiliser le plan d'évaluation Willis à condition qu'il puisse être modifié pour rencontrer les critères de la disposition habilitante, c'est-à-dire l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces modifications furent apportées. M. Willis a plus tard comparu comme témoin expert devant le tribunal du Conseil du Trésor qui a entendu la plainte du syndicat, déposée en vertu de l'article 11 après que l'étude du Comité mixte eut échoué. Il a été qualifié d'expert en parité salariale et en évaluation des emplois par le Tribunal.
c) M. P.G. Wallace a comparu pour la première fois devant le Tribunal en juin 2002. À cette époque, il était Premier vice-président de Aon Consulting Inc., un organisme qui offre des services d'expert-conseil sur la gestion des pratiques en matière de rémunération. Il possède une très grande expérience en matière d'évaluation des emplois et de conception de programmes de rémunération car il a participé à l'introduction du système Hay à la Banque de Montréal dans les années 70. Il a également géré le processus d'évaluation des emplois Hay pour Shell Canada Ltd. et l'a intégré avec Hay mondial pour le compte de la société mère, Royal Dutch Shell. Dans le cadre de sa pratique courante, il donne des conseils à de nombreuses sociétés quant à la conception, la mise en uvre et la gestion de divers programmes d'évaluation des emplois. Il a été qualifié par le Tribunal d'expert en évaluation des emplois.


a) Le témoignage de Mme Winter
[490] Après avoir examiné le travail fait par la Commission en 1991 quant à l'évaluation des emplois, Mme Winter est arrivée à un certain nombre de conclusions, la principale étant la suivante :
- en adoptant le plan Hay XYZ, la Commission a choisi une méthode qui ne mesure pas, de façon précise et complète, l'ensemble des aspects du travail que l'on retrouve dans les postes d'employé de bureau et dans les postes de cols bleus (tout en soulignant également que ni l'Alliance, ni Postes Canada, n'avait approuvé l'utilisation du plan Hay);
- la majorité des postes CR ont été évalués par les évaluateurs, individuellement, et non pas par les évaluateurs réunis en comité; dans le cas des 10 emplois PO « génériques », tous sauf un ont été évalués par au moins deux évaluateurs, ce qui a résulté en un processus de pointage différent quant aux postes CR et quant aux emplois PO;
- l'évaluateur de la Commission, lequel a évalué le plus grand nombre de postes CR, n'avait aucune expérience antérieure en matière d'évaluation des emplois;
- les évaluateurs de la Commission, dans l'ensemble, ne possédaient pas une bonne connaissance des postes CR et des emplois PO;
- les outils de collecte de données pour les postes CR et les emplois PO ont été incapables de recueillir des descriptions précises, cohérentes et complètes du travail en cause;
- plus particulièrement, la Feuille de données sur l'emploi n'a pas pu produire de renseignements précis, cohérent, et complets sur les postes; on a demandé aux employés CR d'évaluer leur propre poste plutôt que de fournir des renseignements précis sur leur poste; les directives et les lignes directrices présentées aux répondants étaient insuffisantes et prêtaient à confusion;
- comme la Feuille de données sur l'emploi avait été conçue pour cadrer avec System One, les renseignements non pertinents à ce système n'ont pas été recueillis; cela signifie que des renseignements relatifs à des domaines comme les aptitudes aux relations humaines et les conditions de travail ont été perdus;
- le but poursuivi par le Guide d'entrevue n'était pas clair et apparemment aucun ensemble commun de lignes directrices et de définitions n'avait été mis à la disposition des intervieweurs afin de les aider; les mêmes lacunes relevées dans la Feuille de données sur l'emploi se retrouvaient dans le Guide d'entrevue; de nombreuses modifications ont été apportées à la conception du Guide d'entrevue après le début du processus d'entrevue; parfois, il y avait des incompatibilités ou des différences dans les descriptions d'emploi, mais celles-ci n'ont pas été clarifiées par les entrevues;
- les renseignements recueillis sur les emplois PO étaient incomplets et ne reflétaient pas vraiment la réalité des postes; le caractère unique et les différences de chacun des postes n'ont pas été reconnus; les exigences quant à la rotation des postes au niveau PO-4 n'ont pas été reconnues; les « particularités de l'emploi » en ce qui concerne le groupe PO étaient une compilation subjective faite par une personne, laquelle compilation n'a pas été confirmée par les employés ou par une visite des lieux;
- rien n'indique que les postes-repères CR et PO de 1991 étaient représentatifs de la gamme complète des postes visés; la qualité des renseignements des postes-repères laissait grandement à désirer; comment les postes-repères ont-ils été utilisés pour orienter l'évaluation d'autres postes ne semble pas clair, même pour l'enquêteur principal, si on se fie au témoignage de ce dernier;
- le groupe-échantillon de 93 postes CR et de 10 emplois PO « génériques » ne rend pas visible l'ensemble du travail de la population totale des CR et des PO;
- la Commission a peut-être pu fausser le processus d'évaluation en évaluant au départ les postes CR dans l'ordre selon lequel ils avaient été classés, par niveau de classification CR;
- l'énoncé de justification de la Commission n'a pas fourni de motifs adéquats pour expliquer et justifier les pointages;
- la Commission n'a pas vérifié, officiellement et systématiquement, la cohérence et l'exactitude des évaluations; un bon nombre des examens officiels de « récapitulation » qui font partie intégrale du système Hay, ne semblent pas avoir été faits.
[491] En résumé, Mme Winter a conclu que [Traduction] « le processus de collecte de renseignements sur les postes comportait de graves lacunes [...] » et que [Traduction] « la Commission n'avait pas appliqué un processus rigoureux ou défendable pour établir la valeur des postes CR et des emplois PO qu'elle avait évalués148 ».
[492] Les principales conclusions tirées par Mme Winter à la suite de son examen du travail d'évaluation des emplois effectué par l'Équipe professionnelle sont les suivantes :
- elle a exprimé la même réserve qu'elle avait exprimé quant aux évaluations faites par la Commission en 1991 grâce à l'utilisation du plan Hay; elle a prétendu que ce plan ne tient pas compte, de façon exacte et complète, du travail que l'on retrouve dans les postes d'employé de bureau et dans les postes de « cols bleus »;
- l'Équipe professionnelle n'a pas suivi l'application usuelle de la méthode des barèmes d'évaluation Hay; elle s'est fiée à des comparaisons entre les emplois plutôt qu'à des comparaisons des définitions poste-barème d'évaluation;
- en commençant par classer les postes en fonction de leurs niveaux de classification et en fonction des pointages de la Commission, il y a une possibilité que l'Équipe ait pu fausser complètement le processus d'évaluation;
- un ensemble d'évaluations de postes repères représentatif et cohérent n'a pas été créé au début du processus d'évaluation;
- les normes de description de l'emploi canadiennes et américaines de Hay aux fins d'enquêtes sur les salaires ont été utilisées dans les évaluations, ce qui a créé un problème de cohérence;
- les postes de la phase 1 n'ont pas été utilisés comme postes repères officiels et n'ont pas été choisis comme postes repères d'une manière rigoureuse et systématique;
- un certain nombre de postes, possédant peu de caractéristiques en commun avec les autres postes ou pour lesquels les documents à l'appui étaient incomplets, ont été utilisés comme postes repères;
- les trois évaluateurs manquaient d'expérience en ce qui a trait à l'évaluation de postes de « cols bleus » et de postes d'employé de bureau avec la méthode des barèmes d'évaluation Hay;
- les descriptions de poste comportaient de graves lacunes, principalement en ce qui avait trait à l'âge, l'exactitude, le statut officiel et la connaissance des postes de la part des évaluateurs, laquelle connaissance était très limitée;
- l'Équipe n'a pas effectué un examen officiel, rigoureux de « récapitulation » des résultats de l'évaluation;
- de nombreux autres problèmes ont été mentionnés, notamment le délai entre les évaluations de la phase 1 et de la phase 2, la piste de vérification mal tenue et la définition erronée du mot « magnitude » dans le facteur de l'imputabilité.
[493] En résumé, Mme Winter a conclu que l'Équipe professionnelle avait dérogé de façon importante à l'application usuelle de la méthode des barèmes d'évaluation Hay et a accepté des lacunes importantes dans la nature des postes. Elle a également conclu que [Traduction] « la qualité des renseignements sur les postes/emplois CR et PO laissait trop à désirer pour pouvoir faire des évaluations149 ».
[494] Mme Winter a également effectué une comparaison entre les résultats des évaluations des postes CR de la Commission (1991) et ceux de l'Équipe professionnelle (1993). Les deux ensembles d'évaluateurs ont évalué les mêmes 93 postes CR avec essentiellement les mêmes données et le même plan Hay. Dans ces circonstances, Mme Winter a mentionné que les pointages respectifs devraient être semblables. S'ils ne le sont pas, les résultats ne peuvent pas être acceptés comme fiables.
[495] Mme Winter a conclu que les hiérarchies de valeur, reflétées dans les deux ensembles de résultats d'évaluation [Traduction] « [...] [étaient] manifestement contradictoires. Compte tenu des contradictions dans les résultats, le Tribunal ne [pouvait] se fier sur ni l'un ni l'autre des pointages ». Abstraction faite de la différente « discipline » d'évaluation adoptée par les deux groupes d'évaluateurs, elle croyait qu'il y avait trois explications quant au nombre et quant à l'importance des contradictions entre les deux résultats. Premièrement, la méthode Hay n'est pas un outil approprié pour mesurer la valeur des postes CR et PO. Deuxièmement, l'application de la méthode Hay exige un ensemble cohérent d'évaluations de référence pour orienter les évaluations ultérieures. Aucun poste-repère n'a été utilisé par l'Équipe professionnelle et ceux qui ont été utilisés par la Commission ne convenaient pas. Troisièmement, le manque de renseignements de qualité sur les postes a fait en sorte qu'il a été impossible d'arriver à des résultats d'évaluation cohérents et significatifs150.


b) Le témoignage de M. Willis
[496] M. Willis a résumé de la façon suivante la conclusion de son examen des évaluations faites par la Commission en 1991 :
[Traduction]
En comparaison de l'approche disciplinée exigée par une étude sérieuse en matière de parité salariale, le travail de la CCDP a consisté en un plan d'ensemble mal conçu et en un processus mis en application à la légère en utilisant des données qui ne pouvaient pas servir de fondement à des évaluations acceptables. Il ne serait pas possible de dépendre d'évaluations faites par ce groupe pour obtenir un résultat solide en matière de parité salariale151.
[497] M. Willis a notamment conclu ce qui suit :
- la Commission a permis à l'Alliance de « faire une sélection minutieuse » des emplois du groupe de comparaison à prédominance masculine en n'englobant pas dans son enquête des postes qui n'étaient pas mentionnés dans la plainte; elle n'a pas tenu compte du groupe Manuvre et hommes de métier;
- le système des barèmes d'évaluation Hay utilisé aurait dû être satisfaisant comme instrument d'évaluation, à condition que les évaluateurs eussent reçu une formation adéquate; le facteur Conditions de travail, qui, apparemment a été élaboré par Hay Canada, prévoyait un large éventail de points dans chaque niveau ou dans chaque sous-facteur, rendant ainsi très difficile la réalisation d'une évaluation cohérente; des éléments de preuve démontrent qu'il y avait eu à un certain nombre d'occasions, application erronée du sous-facteur Aptitudes aux relations humaines; les évaluateurs ont rejeté l'étape du Profil (un moyen de vérification des relations entre les facteurs) du processus d'évaluation parce que les évaluateurs [Traduction] « avaient reçu certains profils qui étaient plutôt étranges152 »; le libellé des sous-facteurs Imputabilité, Magnitude et Incidence a été modifié de façon arbitraire par les évaluateurs durant les évaluations, ce qui a pu modifier les pointages et occasionner des incohérences;
- des évaluations de postes repères sont opportunes en l'espèce mais elles doivent être représentatives des emplois au sein du groupe total évalué, tels qu'ils sont compris par les évaluateurs - cela n'a pas été fait par la Commission; les postes repères auraient dû être évaluées par l'ensemble du Comité et non pas par deux évaluateurs qui ont travaillé de façon indépendante;
- le processus de sélection des échantillons de poste/emploi n'a pas du tout satisfait aux exigences rigoureuses en matière d'échantillonnage prévues dans le cadre d'un projet de « parité salariale »; les postes échantillonnés devraient représenter un éventail complet de la profondeur et de l'ampleur de l'organisme; ce ne fut pas le cas en l'espèce; de plus, la diminution de l'échantillon de 194 postes à 93 postes CR ne pouvait pas être considérée comme valable ou objective;
- la qualité des renseignements sur l'emploi utilisés était inacceptable et on ne pouvait s'attendre à obtenir un résultat d'évaluation équitable; [Traduction] « [...] la Feuille de données sur l'emploi était absolument insuffisante si l'on voulait faire une évaluation en matière de « parité salariale »; les descriptions d'emploi [Traduction] « [...] étaient de peu d'utilité [...] à l'appui de la Feuille de données sur l'emploi [...] »; « [...] un Guide d'entrevue de 14 pages, incorporé dans les renseignements fournis aux évaluateurs était plus nuisible qu'utile [...] »; les données sur l'emploi ont été recueillies à deux époques différentes, 1986 pour les CR et 1990/1991 pour les PO153;
- bien que les « particularités de l'emploi » PO ont presque réussi à fournir des renseignements concrets sur l'emploi, elles étaient fondées sur des données fournies par la direction et non pas sur des données fournies par les employés et elles ont été acquises au moyen d'un processus tout à fait différent de celui utilisé pour les CR;
- l'étape de récapitulation de la Commission n'était pas une étape appropriée - il devrait s'agir d'une comparaison bien structurée, menée par un groupe, des évaluations visées, sous-facteur par sous-facteur et niveau de pointage des facteurs par niveau de pointage des facteurs.
[498] M. Willis a résumé comme suit les conclusions de son examen des évaluations faites par l'Équipe professionnelle en 1993/1994 :
- l'Équipe [Traduction] « [...] a mal utilisé le plan d'évaluation Hay en s'en servant comme système de comparaison de facteurs »;
- l'Équipe a essentiellement utilisé les mêmes renseignements incomplets quant à la nature du travail que ceux qui avaient été utilisés par les évaluateurs de la Commission;
- l'Équipe [Traduction] « [...] ne disposait pas des outils nécessaires pour s'acquitter avec succès de sa tâche en raison de son manque de connaissances et de son manque de contexte pour entreprendre la tâche ainsi qu'en raison d'une méthode d'évaluation qui manquait de rigueur. Le processus d'évaluation utilisé était inacceptable compte tenu de ce qui est exigé pour la réalisation d'une étude réussie en matière de « parité salariale154 ».
[499] M. Willis a conclu en affirmant ce qui suit : [Traduction] « À mon avis, le travail effectué par les experts-conseils dont les services ont été retenus par l'AFPC ne peut pas servir de fondement à l'obtention de résultats justes quant à une évaluation en matière de « parité salariale »155.
[500] M. Willis a conclu plus précisément ce qui suit :
- il a exprimé des doutes quant à la sagesse d'utiliser la méthode de comparaison des facteurs du plan Hay dans une affaire de « parité salariale » et il a accordé la préférence à la méthode de points de la méthode des barèmes d'évaluation Hay quant à la mesure de la valeur de l'emploi; cette préférence était fondée sur son opinion que la méthode de points convient davantage à l'évaluation d'une vaste gamme de postes dans un contexte de « parité salariale »; de plus, il était d'avis que la méthode de comparaison des facteurs est plus acceptable dans le contexte traditionnel d'un groupe professionnel d'emplois uniques;
- l'Équipe professionnelle disposait des mêmes renseignements incomplets sur l'emploi utilisés par la Commission, c'est-à-dire la Feuille de données sur l'emploi, le Guide d'entrevue, la description d'emploi et les « particularités de l'emploi »; il manquait des descriptions de poste CR et les descriptions des emplois PO étaient « non officielles »;
- il a souscrit à l'opinion de M. Wolf que les entrevues téléphoniques menées par l'Équipe professionnelle, [Traduction] « [... ] à une ou deux exceptions près, en dehors du domaine des conditions de travail, [...] n'ont rien ajouté d'important156 »;
- les trois membres de l'Équipe disposaient de renseignements sur le niveau de classification de chacun des postes et ces renseignements auraient pu avoir une incidence sur leur perception quant aux postes et, par conséquent, sur leurs évaluations;
- on ne pouvait s'attendre à ce que l'application de la méthode de la « boîte noire » à l'évaluation des emplois permette d'en arriver à une évaluation utile de ce qui était compris à l'intérieur de la boîte noire, compte tenu de la piètre qualité des données quant aux renseignements sur l'emploi;
- il s'agissait d'une « pratique très discutable » que d'utiliser la norme Hay américaine quant à la description d'emploi, notamment dans une affaire de « parité salariale », car cette norme a été conçue pour des comparaisons d'études et on ne saurait présumer que les titres d'emploi américains et canadiens, même s'ils sont les mêmes ou même s'ils se ressemblent, sont semblables quant à la nature du travail.
c) Le témoignage de M. Wallace
[501] M. Wallace a mentionné que sa société s'était fait demander par Postes Canada d'examiner et de formuler des observations quant au processus entrepris par l'Équipe professionnelle en 2000 dans son appréciation de l'incidence possible sur ses évaluations de 1993/1994 des nombreux éléments de preuve supplémentaires qui avaient été apportés par un certain nombre de témoins de Postes Canada. M. Wallace a déclaré qu'il avait utilisé ce qu'il a appelé [Traduction] « [...] des critères standards par rapport auxquels les exercices d'évaluation des emplois au sein des sociétés sont mesurés »157. Ce qu'il voulait savoir, c'était si les résultats de l'évaluation des emplois de l'Équipe étaient justes, cohérents et crédibles.
[502] M. Wallace a de plus mentionné que [Traduction] « l'objectif visé par le présent examen est d'établir si oui ou non le processus et la rigueur employés par le Comité (l'Équipe professionnelle) permettait de produire des résultats qui satisfont à ces critères158 ».
[503] Parmi les principales conclusions tirées par M. Wallace, on retrouve notamment les conclusions suivantes :
- les processus suivis et les actions prises par l'Équipe professionnelle n'étaient pas à la hauteur d'un bon nombre de ce qu'il estimait être des pratiques courantes de l'industrie quant à l'évaluation des emplois, ce qui a eu pour effet de compromettre de façon importante l'exactitude, la cohérence et la crédibilité des résultats;
- [Traduction] « l'absence de documents complets et cohérents sur ce qui est mesuré par le processus d'évaluation des emplois [...] et le défaut du Comité (l'Équipe professionnelle) d'appliquer les mesures de protection du système Hay, ont une incidence directe sur la cohérence des résultats de l'évaluation159 »;
- le manque de rigueur et de discipline dans le processus de l'Équipe professionnelle devrait mettre en doute la crédibilité des résultats de l'évaluation.
[504] M. Wallace a notamment conclu ce qui suit :
- la méthode des barèmes d'évaluation Hay, bien qu'elle soit un excellent outil d'évaluation des emplois, ne convenait pas aux emplois de bureau et aux emplois liés à la production et (ou) à l'exploitation;
- la méthode de comparaison des facteurs Hay ne date pas d'hier et elle ne cadre pas avec le matériel didactique Hay ou avec les 30 années d'expérience de M. Wallace avec la méthode Hay;
- la méthode de comparaison des facteurs convient mieux aux emplois qui sont de nature semblable; [Traduction] « il est difficile, voire impossible, de créer un classement précis d'emplois différents en se fiant totalement à la méthode de comparaison des facteurs sans lier les évaluations aux barèmes d'évaluation160 »;
- l'Équipe professionnelle, bien que comprenant des experts reconnus dans l'utilisation de la méthode Hay, avait peu d'expérience en matière d'opérations postales; le risque de partialité était élevé, compte tenu que l'Équipe avait été chargée de l'affaire par deux des parties en l'espèce;
- bien que l'Équipe professionnelle se soit réunie pendant cinq jours pour débattre de la question de l'incidence des éléments de preuve supplémentaires sur ses évaluations initiales, le processus suivi ne semblait aucunement structuré; M. Wolf n'avait avec lui aucune note provenant de son examen des documents, ni aucun résumé, ni aucune analyse des données sur l'emploi que l'Équipe avait examinées;
- le tri initial des documents supplémentaires effectué par un membre unique de l'équipe, M. Wolf, soulève des questions, en raison tout particulièrement de l'absence de documents concernant les éléments qui ont été estimés non pertinents ou inopportuns; il n'y a non plus aucun document concernant les témoignages additionnels sélectionnés;
- les descriptions d'emploi étaient incomplètes et contradictoires et les renseignements supplémentaires fournis n'ont pas été analysés et documentés correctement; il est essentiel qu'un groupe d'évaluation soit tout à fait convaincu de ses descriptions d'emploi;
- M. Wallace n'a pas souscrit à la décision de l'Équipe professionnelle [Traduction] « [...] de n'évaluer les emplois PO que si elle jugeait qu'il y avait une différence à peine perceptible entre le souvenir qu'elle avait de sa compréhension initiale des emplois et de sa nouvelle compréhension des emplois161 »; l'Équipe aurait dû motiver son jugement quant à la « différence à peine perceptible » en utilisant les barèmes d'évaluation Hay et aurait dû réévaluer chaque emploi en incorporant l'ensemble des données additionnelles;
- la faiblesse de la piste de vérification du processus d'évaluation 1993/1994 a compromis le processus de 2000 car il n'y avait aucun dossier d'évaluations solides faites dans la période antérieure, lesquelles évaluations auraient pu servir de postes repères pour les évaluations de 2000, et car il n'y avait aucun dossier concernant des décisions antérieures controversées qui auraient pu être modifiée par les documents supplémentaires.

(vii) La position de l'Alliance quant au :
a) Témoignage de Mme Winter
[505] Dans ses prétentions, l'Alliance a mis l'accent sur trois éléments qui concernent Mme Winter et son témoignage. Ces trois éléments sont les suivants :
1. sa familiarité avec la méthode Hay et avec le plan d'évaluation des     emplois Hay ;
2. sa crédibilité;
3. ses rapports (Pièces R-235, R-249, R-253 et R-278).
[506] L'Alliance prétend que, en tant que pierre angulaire de l'offensive de Postes Canada contre l'enquête et les évaluations de la Commission ainsi que contre les évaluations de l'Équipe professionnelle, le témoignage de Mme Winter ne satisfaisait pas aux exigences que l'on a à l'endroit d'un témoin expert et il était si peu crédible qu'on devrait ne lui accorder aucun poids.
[507] Mme Winter s'est jointe à Hay en 1982 et a commencé un stage comme expert-conseil en évaluation des emplois en 1985. Ce n'est qu'au début de 1986 qu'elle a commencé à se considérer comme étant un expert-conseil à part entière en évaluation Hay. Elle a travaillé dans le domaine de l'évaluation des emplois pendant environ deux ans et demi tout en assumant d'autres responsabilités chez Hay, lesquelles responsabilités n'étaient pas directement liées à l'évaluation des emplois. Postes Canada n'a pas cherché à la qualifier d'expert en système d'évaluation des emplois Hay.
[508] L'Alliance renvoie au fait que Mme Winter, alors qu'elle travaillait toujours pour la société Hay Canada, avait participé à une poursuite intentée par Hay contre Norman Willis pour ce qu'elle avait appelé une « violation des lois en matière du droit de la propriété ». Lors de son témoignage sur cette question, Mme Winter a donné de nombreux renseignements inexacts et a apporté de nombreuses rectifications. L'Alliance a prétendu que cela s'était produit parce qu'elle désirait éviter de reconnaître les fortes et évidentes similitudes entre les plans d'évaluation des emplois Willis et Hay. Compte tenu que le plan Willis avait été utilisé, avec succès, dans de nombreuses applications en matière de « parité salariale », notamment dans des cas de travail de bureau et de travail de « cols bleus », l'Alliance a fait valoir que Mme Winter tentait d'induire le Tribunal en erreur à propos de ces similarités.
[509] L'Alliance a mis davantage en doute la crédibilité de Mme Winter en renvoyant au fait qu'elle avait omis de renvoyer le Tribunal à la décision du tribunal laquelle faisait suite au travail du Comité mixte (la cause du Conseil du Trésor), et laquelle contredisait son opinion concernant la norme de fiabilité exigée quant aux renseignements sur l'emploi162. Elle avait demandé que l'on applique la norme de la décision correcte, comme l'exigeait son interprétation de la décision ontarienne Haldimand-Norfolk163; la décision du tribunal dans la cause Conseil du Trésor était fondée sur la norme du caractère raisonnable. Elle a prétendu que, lorsqu'on l'a contre-interrogé sur ce point, elle ne savait pas ce que « caractère raisonnable » signifiait dans le contexte des évaluations en matière de « parité salariale ».
[510] L'Alliance a mentionné les autres exemples suivants quant au manque de crédibilité de Mme Winter :
- elle a omis des éléments clés lorsqu'elle a donné son opinion concernant la qualité des renseignements sur l'emploi;
- elle a eu tendance à faire ressortir le négatif et à ignorer le positif lorsqu'elle a fait part de ses opinions, et ce, plutôt que de répondre directement aux questions;
- les réponses qu'elle a données aux questions posées ressemblaient souvent à des argumentations plutôt qu'à des réponses ;
- au fur et à mesure que se sont écoulés les jours de son témoignage, il est devenu évident qu'elle était de plus en plus portée à modifier avec beaucoup d'ampleur des points qui avaient été soulevés la journée précédente.
[511] En résumé, l'Alliance a prétendu que, pris dans son ensemble, le témoignage d'expert de Mme Winter a fait preuve de partialité envers la position de l'intimée et n'a pas du tout satisfait aux normes exigées de la part d'un témoin expert crédible, notamment en ce qui a trait à l'indépendance. Par conséquent, selon l'Alliance, on ne devrait accorder aucun poids au témoignage de Mme Winter.
[512] Plus particulièrement, les prétentions de l'Alliance concernant le témoignage d'expert de Mme Winter ont mis l'accent sur son opinion concernant les outils de collecte de données sur l'emploi, le processus de renseignements sur le poste, la qualité des renseignements sur le poste et le processus d'évaluation des emplois de l'Équipe professionnelle. Cette opinion a été présentée dans son témoignage de vive voix ainsi qu'aux chapitres 4 et 6 de ses rapports (Pièces R-235 et R-249).
[513] Dans son rapport, Mme Winter a prétendu que la [Traduction] « qualité des renseignements quant aux postes CR et PO ne permettait pas de faire une évaluation adéquate164 ». Elle a illustré son point de vue en examinant deux postes CR qui avaient servi de postes repères. Après avoir examiné l'ensemble des documents pertinents concernant ces postes, elle a affirmé qu'elle avait eu de la difficulté à comprendre ce en quoi consistaient les postes. Un poste en particulier lui a donné beaucoup de difficulté. Lors du contre-interrogatoire de Mme Winter, l'Alliance a démontré que le superviseur compétent pour ce poste avait recensé un autre poste qui était essentiellement identique. Mme Winter avait utilisé, comme exemple de poste repère pour lequel la documentation était à ce point mauvaise qu'elle était incapable de comprendre de quoi il s'agissait, le poste repère qui avait servi de point de référence au poste presque identique. Mme Winter avait toutefois omis de renvoyer à ce poste presque identique. L'eût-t-elle fait, elle aurait amélioré sa compréhension de ce qu'elle avait estimé être un poste de référence difficile; l'Équipe professionnelle a immédiatement reconnu le chevauchement entre les deux postes.
[514] Selon l'Alliance, le témoignage de Mme Winter, en contre-interrogatoire, concernant son poste de coprésidente du processus d'évaluation des emplois Hay dans le cadre de l'étude sur la « parité salariale »  du Manitoba, a illustré sa capacité d'intégrer des renseignements qui se trouvaient dans les différentes réponses des titulaires d'emploi afin d'obtenir une compréhension acceptable des emplois. Cette capacité contraste fortement, selon l'Alliance, avec l'approche de Mme Winter quant à la compréhension des emplois dans la plainte dont le Tribunal est saisi. Elle a souvent exprimé ses opinions isolément et a fait peu d'efforts pour intégrer les renseignements qui lui étaient disponibles dans diverses sources.
[515] L'Alliance a cité d'autres exemples d'opinions catégoriques ou exagérées qui avaient été présentées dans ses rapports et en interrogatoire principal et qui ont été mitigées en contre-interrogatoire.
[516] Malgré les modifications et les explications qu'elle avait apportées durant le contre-interrogatoire, Mme Winter a maintenu les conclusions dont elle avait fait part. Plus particulièrement, elle a déclaré que les résultats d'évaluation de l'Équipe professionnelle [Traduction] « ne peuvent pas être jugés fiables, précis ou reflétant le travail effectué165 » parce que les renseignements sur l'emploi utilisés comportaient de graves lacunes et que le processus d'évaluation de l'Équipe professionnelle, s'écartait beaucoup de l'application « standard » du système Hay tel qu'elle le comprenait.
[517] Cette opinion a été fondée sur le refus de Mme Winter de reconnaître que la méthode Hay pouvait être appliquée de façon fiable au moyen d'une méthode de comparaison des facteurs comme celle utilisée par l'Équipe professionnelle. L'Alliance a prétendu que cette opinion devrait être rejetée par le Tribunal si on se fie à l'opinion contraire mais plus crédible de M. Martin Wolf, le seul témoin à être qualifié d'expert dans l'utilisation du plan Hay. Le fait que Mme Winter n'ait pas évalué les postes CR ou les postes PO, en utilisant un quelconque plan d'évaluation des emplois, a fait ressortir la nature théorique de son opinion. Fondée, comme elle l'était, sur une théorie qui avait été modifiée durant son contre-interrogatoire, l'Alliance a prétendu que l'opinion de Mme Winter concernant la méthode de comparaison des facteurs appliquée par l'Équipe professionnelle dans le cadre du plan d'évaluation Hay devait être rejetée.
[518] Dans la partie de son rapport (R-254) concernant les méthodes de rajustement des salaires que la Commission et l'Alliance avaient utilisées, Mme Winter a insisté sur sa croyance que l'identification du sexe, l'évaluation du travail et tout rajustement des salaires devraient se faire au niveau des emplois eux-même plutôt qu'au niveau plus large du groupe et niveau où les emplois se situent. En contre-interrogatoire, elle a admis que, dans la décision du tribunal dans la cause Conseil du Trésor, le tribunal avait adopté l'identification du sexe au niveau du groupe plutôt qu'au niveau de l'emploi individuel.
[519] Mme Winter a invoqué des dispositions particulières de diverses lois provinciales en matière de « parité salariale » mais elle a à peine invoqué la Loi canadienne sur les droits de la personne. Elle n'a également pas traité des articles 12 et 13 de l'Ordonnance de 1986 sur la parité salariale bien qu'elle eût critiqué la Commission et l'Alliance pour s'être conformées à ces articles de l'ordonnance.
[520] La méthode de la Commission et de l'Alliance, laquelle consistait à calculer un pointage moyen Hay pour chaque niveau CR et à calculer un écart de rénumération fondé sur cette valeur moyenne, comportait, selon Mme Winter, de graves lacunes. Cette méthode a toutefois été utilisée ailleurs, notamment dans la décision du tribunal dans la cause Conseil du Trésor.
[521] Mme Winter a également prétendu que chaque poste CR à prédominance féminine devait être évalué. Elle n'a pas modifié son opinion lorsque, en contre-interrogatoire, on lui a fait remarquer que le tribunal dans la cause du Conseil du Trésor avait approuvé un échantillonnage de la population CR.
[522] Mme Winter a critiqué la composition du groupe de comparaison à prédominance masculine, lequel comprenait des sous-groupes PO-INT et PO-EXT. Elle a notamment invoqué la Loi sur l'équité salariale de l'Ontario et son exigence quant à la recherche d'un groupe de comparaison au sein du groupe plaignant166. Elle a également renvoyé à d'autres compétences provinciales qui exigent la négociation de groupes de comparaison. En contre-interrogatoire, elle a admis que ces prescriptions provinciales n'existent pas dans la loi fédérale.
[523] En résumé, l'Alliance a prétendu que le Tribunal devait tirer une inférence négative du rapport de Mme Winter parce qu'elle n'avait pas traité de la pertinence des décisions de tribunaux fédéraux, de la Loi ainsi que de son ordonnance, lesquelles n'étayent pas sa version de la « parité salariale ». Ses opinions étaient presque uniquement fondées sur des parties de lois provinciales167.
[524] Mme Winter est retournée pour présenter la pièce justificative R-278, un rapport qui était censé traiter des répercussions des nouveaux renseignements sur les postes CR. Sa conclusion dans ce rapport était une réitération de son opinion que les données sur l'emploi utilisées par l'ensemble des évaluateurs étaient incomplètes. Dans son argument, l'Alliance a prétendu que Mme Winter avait simplement utilisé ce nouveau rapport comme prétexte pour revoir ses critiques antérieures alors qu'elle continuait d'agir comme porte-parole pour l'intimée.
b) Témoignage de M. Willis
[525] Les observations de l'Alliance portent en grande partie sur trois éléments ayant trait à M. Willis ainsi qu'à son témoignage. Ces observations sont les suivantes :
1. sa connaissance de la méthode d'évaluation des emplois Hay;
2. sa crédibilité;
3. ses critiques, telles qu'exprimées dans son rapport, quant au processus de l'Équipe professionnelle, quant aux renseignements sur l'emploi utilisés dans le cadre du processus, quant à l'approche de l'Équipe envers Hay (Pièce R-455).
[526] Bien qu'il fut qualifié d'expert en évaluation des emplois et en « parité salariale » par le Tribunal, M. Willis n'a pas été qualifié d'expert quant à la méthode d'évaluation des emplois Hay. Il ne possédait que trois années d'expérience directe quant à l'application de cette méthode, expérience qu'il avait acquise alors qu'il travaillait chez Hay entre 1968 et 1971. Il a conservé des liens avec un certain nombre d'installations Hay après son départ.
[527] L'Alliance a mis en doute la crédibilité de M. Willis. Son argument reposait sur une déclaration faite par le président du Tribunal (lequel a démissionné) lors d'une comparution antérieure de M. Willis. Le président avait, à cette occasion, exprimé des réserves quant à l'opinion d'expert de M. Willis, compte tenu que celui-ci n'avait pas examiné les évaluations pertinentes et les documents à l'appui avant de donner son opinion.
[528] L'Alliance a prétendu que le rapport de M. Willis avait été préparé de façon similaire, c'est-à-dire sans le fondement approprié pour que l'on puisse le qualifier d'opinion d'expert. M. Willis a admis, lorsqu'il a été contre-interrogé sur son rapport, pièce R-455, qu'il n'avait pas lu l'ensemble des documents qui lui avaient été envoyés par l'intimée. On lui avait toutefois demandé de préparer une opinion d'expert sur ces documents. Malgré cet aveu, son rapport ainsi que son témoignage concernant ce rapport, ne mentionnaient pas que ses opinions étaient fondées sur un examen partiel des documents envoyés. Par conséquent, l'Alliance a prétendu que son opinion ne devait pas être acceptée comme étant tout à fait crédible.
[529] L'Alliance a également souligné qu'à un certain nombre d'occasions, M. Willis, en interrogation principale, [Traduction] « a insisté avec véhémence qu'il croyait que les déclarations faites par M. Wolf en témoignage sous serment étaient fausses ». De tels exposés d'opinion, selon l'Alliance, [Traduction] « soulèvent des doutes importants quant à la crédibilité de M. Willis en tant que témoin expert objectif et professionnel168 ».
[530] Le fait de ne pas avoir voulu faire la moindre petite concession quant au contre-interrogatoire de l'avocat a également été mentionné comme exemple de témoin expert qui fait preuve d'intransigeance et qui défend sa position. En d'autres mots, les opinions d'expert de M. Willis devraient être rejetées en tant qu'opinions d'une personne qui ne possédait pas l'attitude indépendante, professionnelle, demandé de la part d'un témoin expert crédible.
[531] L'Alliance a également contesté les opinions de M. Willis en raison de son manque d'expérience quant à un processus de « parité salariale » qui se déroulait dans une atmosphère de litige plutôt que dans une atmosphère de coopération patronale-syndicale. Selon son témoignage, c'est dans ce dernier type de travail que M. Willis possédait de l'expérience en matière de « parité salariale », c'est-à-dire un travail dans lequel il avait agit à titre de négociateur disposant de l'appui entier de la direction de l'employeur quant à la réalisation des études sur l'évaluation des emplois et quant à la collecte de renseignements sur l'emploi à partir desquels ces évaluations seraient faites. Selon l'Alliance, soit qu'il était incapable, soit qu'il refusait de comprendre la nature et le contexte de la plainte déposée devant le Tribunal. En effet, M. Willis a fait une concession durant le contre-interrogatoire. Il a mentionné que le processus qu'il avait préconisé dans son rapport et durant son témoignage en interrogatoire principal, serait impossible, sauf pour le choix du plan d'évaluation, sans l'entière coopération de l'employeur.
[532] S'appuyant sur cette concession, l'Alliance a prétendu que l'acceptation du rapport et du témoignage de M. Willis équivaudrait à placer la norme nécessaire à une présentation réussie d'une preuve prima facie par un plaignant dans une plainte en matière de « parité salariale » déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne à un niveau si élevé qu'un refus par l'employeur de coopérer se solderait toujours par un avortement de la plainte.
c) Témoignage de M. Wallace
[533] Les observations de l'Alliance portaient en grande partie sur trois éléments qui avaient trait à M. Wallace ainsi qu'à son témoignage. Ces observations portaient sur les éléments suivants :
1. sa connaissance de l'évaluation des emplois Hay;
2. sa crédibilité;
3. son rapport (Pièce R-615).
[534] Bien qu'il fut qualifié d'expert en évaluation des emplois par le Tribunal, M. Wallace n'a pas été qualifié d'expert en évaluation des emplois Hay. Il possédait toutefois une expérience considérable avec l'utilisation de la méthode Hay comme client travaillant sous la direction d'un expert-conseil de Hay. Il n'a jamais travaillé pour Hay à quelque titre que ce soit, il n'a jamais non plus été qualifié d'expert quant à la méthode Hay devant le Tribunal ou devant tout autre tribunal ou toute autre cour de justice.
[535] Selon l'Alliance, la crédibilité de M. Wallace a été mise en doute lorsqu'il a critiqué la compréhension de l'emploi qu'avaient M. Wolf et ses collègues, alors qu'ils n'avaient examiné qu'une fraction des documents lus, analysés et évalués par l'Équipe professionnelle. M. Wallace a admis qu'on ne lui avait pas fourni et qu'il n'avait pas cherché à obtenir certains documents originaux sur l'emploi dont disposait l'Équipe professionnelle. En fait, M. Wallace a concédé, en contre-interrogatoire, que l'Équipe professionnelle possédait une meilleure connaissance que lui des emplois visés.
[536] L'Alliance a également prétendu que M. Wallace avait eu tendance à souligner les aspects négatifs et à ignorer les aspects positifs des rapports de l'Équipe professionnelle et du témoignage de M. Wolf.
[537] Le rapport de M. Wallace doit, selon les prétentions de l'Alliance, être interprété dans son contexte. Ce contexte est qu'il n'avait pas eu accès à bon nombre des documents sur lesquels l'Équipe professionnelle s'était appuyée pour faire ses évaluations.
[538] Son rapport est une critique de la méthodologie, du processus et des renseignements sur l'emploi que l'Équipe professionnelle a utilisés dans le cadre de ses évaluations. Il souligne que les évaluations des emplois, notamment aux fins de « parité salariale », doivent être faites selon la norme utilisée dans l'industrie. C'est la méthode habituelle de M. Wallace. Cela fait tout simplement ressortir sa familiarité avec les études appuyées par l'employeur ainsi que son manque de familiarité avec un processus qui se déroule dans un contexte litigieux.
[539] L'Alliance a prétendu que [Traduction] « la critique la plus importante que M. Wallace a adressée à l'égard du plan Hay figurait dans ses explications figurant à l'annexe « A » de son rapport, lesquelles explications montraient une faible corrélation entre les points Hay et les sommes d'argent payées aux CR ». M. Wallace a admis, en contre-interrogatoire, qu'il n'avait pas examiné si cet écart de rénumération pour les femmes qui font un travail qui semblait de valeur égale à celui des hommes a pu être occasionnée par un problème de « parité salariale »169.
[540] Selon l'Alliance, les critiques de M. Wallace à l'égard du processus suivi par l'Équipe professionnelle, en comparaison du processus qu'il avait proposé, révèlent une différence essentielle dans l'approche. L'Équipe professionnelle a entrepris son processus de 2000 en présumant que ses évaluations antérieures étaient « justes » et qu'elle ne les modifierait que si les nouveaux documents venaient modifier sa compréhension antérieure de chaque poste. Le processus d'évaluation des emplois proposé par M. Wallace était un processus d'appel, interne, et non litigieux. Il ne s'agit pas du processus exigé par les faits de l'espèce.
[541] En résumé l'Alliance a prétendu ce qui suit quant au témoignage de M. Wallace :
- Le rapport de M. Wallace ainsi que son témoignage doivent être interprétés et appréciés en fonction du fait reconnu qu'il n'a pas eu accès à bon nombre des documents lus, analysés et évalués par l'Équipe professionnelle;
- M. Wallace n'a pas tenu compte de la différence fondamentale entre la plainte déposée devant le Tribunal, une plainte qui était litigieuse presque depuis le début, et le processus d'évaluation des emplois en matière de « parité salariale » géré par l'employeur avec lequel il était familier;
- M. Wallace a reconnu que l'Équipe professionnelle possédait une meilleure connaissance des emplois et des postes évalués que lui au moment où il avait préparé son rapport et présenté son témoignage.
(viii) La position de la Commission quant aux témoins experts de Postes Canada - Mme Winter, M. Willis et M. Wallace
[542] Premièrement, la Commission a souligné qu'aucun des trois experts présentés par Postes Canada n'avait vraiment travaillé avec l'une ou l'autre des données sur l'emploi qu'ils avaient jugées inacceptables. Deuxièmement, leurs opinions étaient toutes fondées sur des renseignements incomplets. Soit que les documents qui leur avaient été fournis par Postes Canada étaient incomplets, soit que les témoins n'avaient pas lu tous les documents qui leur avaient été présentés comme fondement du rapport de l'expert demandé.
[543] Seule l'Équipe professionnelle avait examiné l'ensemble des renseignements sur l'emploi, notamment ceux mentionnés par Postes Canada dans sa défense. La Commission a prétendu que les deux lacunes soulignées suffisent pour que le Tribunal écarte le témoignage des trois experts présentés par Postes Canada pour faire rapport sur le processus d'évaluation, la méthode d'évaluation choisie et les renseignements sur l'emploi utilisés.
[544] La Commission a réitéré la prétention que le rapport de Mme Winter était fondé à tort sur la norme de la « décision correcte » plutôt que sur la norme du caractère raisonnable pour critiquer la collecte des données sur l'emploi et les renseignements sur l'emploi utilisés par l'Équipe professionnelle durant son processus d'évaluation. Dans son rapport, Mme Winter avait souligné que le tribunal ontarien qui avait entendu la cause en matière de « parité salariale » dans la plainte impliquant un hôpital de Haldimand-Norfolk avait conclu dans sa décision que la norme à appliquer était celle de la décision correcte. Mme Winter avait mentionné ce qui suit dans son témoignage de vive voix :
Q. [...] donne à penser que la norme de la décision correcte a été appliquée par le tribunal ontarien qui a entendu la cause Haldimand-Norfolk en matière de « parité salariale ». À présent, [...] Je conclus que vous adoptez cette norme ou que vous avez adopté cette norme dans votre rapport?
R. De la décision correcte, oui170.
[545] En effet, Mme Winter a poursuivi en affirmant qu'elle ne savait pas ce que l'on voulait dire par « décision raisonnable ».
[546] La Commission a prétendu que ce recours à la norme de la décision correcte comme fondement de l'opinion d'expert présentée dans son rapport et dans son témoignage devant le Tribunal devrait être la raison pour laquelle le Tribunal devrait ne pas tenir compte de son témoignage. Ce recours à la norme de la décision correcte est tout simplement, selon la Commission, une illustration de la tendance de Mme Winter à définir de manière rigide les principes de la « parité salariale ». Sa rigidité a été soulignée, de façon négative, par la Cour de l'Ontario (Division générale) dans la cause Service Employees International Union, dans laquelle la Cour a préféré le témoignage d'expert de Mme Pat Armstrong à celui de Mme Winter171.
[547] La Commission a prétendu que des principes rigides sont incompatibles avec la norme de la décision raisonnable. En effet, la Commission prétend que Mme Winter elle-même n'a pas appliqué la norme plus exigeante de la décision correcte aux renseignements sur l'emploi disponibles dans le cadre de l'étude manitobaine en matière de « parité salariale » dont elle était conjointement responsable lorsqu'elle travaillait chez Hay. En fait, elle a mentionné dans son témoignage qu'il avait été nécessaire, dans ce cas, de [Traduction] « travailler avec » les renseignements sur l'emploi du Manitoba. Cette attitude est analogue au témoignage de M. Wolf que l'Équipe professionnelle a dû [Traduction] « travailler avec » les données sur l'emploi dont elle disposait.
[548] L'aveu de Mme Winter de l'utilisation d'une approche moins rigide aux renseignements sur l'emploi durant son travail dans le cadre de l'étude manitobaine sur la « parité salariale » contraste vivement avec sa critique incessante de la plus grande partie, voire de la totalité, des documents sur l'emploi en l'espèce et avec sa condamnation de l'approche adoptée par l'Équipe professionnelle envers les documents sur l'emploi. Par conséquent, la Commission a prétendu que Mme Winter manque de crédibilité comme expert donnant son opinion concernant les renseignements sur l'emploi sur lesquels l'Équipe professionnelle a fondé son processus d'évaluation.
[549] La Commission a prétendu que l'on devrait également accorder moins de poids à l'opinion d'expert de M. Willis quant aux renseignements sur l'emploi, la méthode et le processus d'évaluation, qu'à l'opinion d'expert de M. Wolf. Elle fonde cette observation sur la mention qu'elle a faite au tribunal que M. Willis n'avait pas fait preuve de clarté, qu'il avait même été ambigu et évasif, quant à savoir combien de temps il avait pris pour examiner les documents sur l'emploi qui lui avaient été présentés par Postes Canada pour qu'il s'en serve comme fondement de son opinion d'expert.
[550] De plus, l'expérience de M. Willis quant aux processus d'évaluation en matière de « parité salariale » était en grande partie fondée sur des études conjointes dans lesquelles les données sur l'emploi avaient été produites avec l'assentiment de l'ensemble des parties intéressées. Bien qu'il fut qualifié de témoin expert dans la cause du Conseil du Trésor en raison du fait qu'il avait été animateur dans l'étude dans laquelle on avait utilisé son « plan Willis » comme fondement du processus, cette plainte avait principalement trait à la question de la fiabilité de la méthode choisie pour le traitement de l'étude en matière de « parité salariale » du Comité mixte syndical-patronal et du processus d'évaluation.
[551] Selon la Commission, l'opinion critique de M. Wallace quant aux renseignements sur l'emploi devrait être en grande partie ignorée parce qu'il n'a pas examiné la plupart des documents sur l'emploi et que Postes Canada ne lui a pas demandé non plus de les examiner. Son examen s'est en grande partie limité à un examen de l'étude faite par l'Équipe professionnelle, en 2000, des éléments de preuve additionnels fournis par les nombreux témoins de la défense de Postes Canada. De plus, on lui a fourni des parties de données figurant dans les transcriptions du contre-interrogatoire de M. Wolf. Par conséquent, la Commission prétend que l'opinion de M. Wallace quant aux renseignements sur l'emploi n'est que [Traduction] « l'opinion personnelle de Postes Canada » et que ses opinions ne sont pas indépendantes de celles de son client.
H. L'analyse du Tribunal quant à la fiabilité de la méthodologie utilisée par l'Équipe professionnelle
(i) Introduction
[552] Les lois sur les droits de la personne demandent que l'on porte une attention constante à l'interprétation fondée sur l'objet visé par la loi en cause. Dans une récente décision de la Cour d'appel fédérale concernant l'interprétation du mot « établissement », le juge Evans a souligné cette nécessité en affirmant ce qui suit :
Toute analyse d'une question relative aux droits de la personne conférés par une loi doit être conduite d'une manière qui respecte les objets du régime législatif et les grands objectifs des dispositions particulières contestées. La quête du sens d'un texte législatif sur les

droits de la personne, y compris d'un texte réglementaire, doit débuter par l'objectif essentiel du texte en question et doit s'articuler constamment autour de cet objectif172.
[553] Tel que suggéré au paragraphe [412] le Tribunal accepte que la norme du « caractère raisonnable » est celle qui devrait s'appliquer lorsque l'on évalue, dans le cadre d'une plainte en matière de « parité salariale » déposée en vertu de l'article 11 de la Loi, comme celle dont le Tribunal est saisi, la fiabilité du système d'évaluation des emplois choisi, du processus suivi et des renseignements sur les emplois utilisés.
[554]  Le Tribunal rejette les arguments de Postes Canada qu'il est nécessaire d'adopter, dans le cadre d'un processus de « parité salariale », la norme rigide de la « décision correcte ». Le Tribunal conclut plutôt que la norme du « caractère raisonnable » acceptée par le tribunal dans la décision Conseil du Trésor favorise davantage l'interprétation des lois sur les droits de la personne, notamment de l'article 11 de la Loi. Dans la cause en l'espèce, la plupart des experts, notamment ceux de Postes Canada, ont décrit dans leur témoignage le concept d'évaluation des emplois comme étant un concept qui relève « plus de l'art que de la science ». Par conséquent, toute norme qui n'épouse pas ce concept devrait être rejetée.
[555] Chacun des éléments nécessaires à la vérification de la fiabilité raisonnable doit être examiné. En d'autres mots, le système d'évaluation des emplois choisi devrait être raisonnablement fiable, le processus et la méthode utilisés lors de l'évaluation des emplois et (ou) postes pertinents devraient être raisonnablement fiables et les renseignements sur l'emploi ainsi que leurs sources devraient être raisonnablement fiables. Les conclusions du Tribunal devraient être fondées sur la norme de la prépondérance des probabilités, laquelle est appliquée en matière civile.
[556] À cet égard, le Tribunal a déjà souligné l'importance de l'examen systématique des témoignages fournis par un certain nombre de témoins experts. Les composantes du modèle systématique employé par le Tribunal ont été mentionnées au paragraphe [419].
[557] Les premières composantes du modèle ont déjà été étudiées. Le Tribunal a pris acte de la partie qui a appelé chaque témoin expert, de l'expertise de chacun des experts, de son mandat ainsi que des conclusions qu'il a tirées. Les témoins experts étaient les personnes suivantes : M. Wolf, Mme Winter, M. Willis, M. Wallace, M. Bellhouse et M. Kervin.
[558] Alors que les premières composantes du modèle systématique font l'objet d'une attention supplémentaire dans la présente analyse, elles sont examinées, le cas échéant, dans le contexte des autres composantes du modèle. En d'autres mots, le Tribunal formulera des observations sur l'étendue des connaissances, l'expérience et la réputation de chacun des experts dans son champ d'expertise et de quelle manière chacun d'eux s'est acquitté de son mandat et a présenté ses conclusions au Tribunal.
(ii) Le système d'évaluation des emplois choisi
[559] C'est la méthode de la comparaison des facteurs du plan Hay que l'Équipe professionnelle a choisi comme système d'évaluation des emplois. Postes Canada, en se fondant sur l'opinion de chacun des trois témoins experts, a prétendu que la décision de l'Équipe professionnelle d'utiliser ce modèle de Hay était sujette à caution. En effet, Postes Canada a prétendu que l'utilisation du plan Hay lui-même ne convenait pas à un processus par lequel on évaluerait, à des fins de « parité salariale », des emplois divers relevant du secteur des emplois de bureau et du secteur de l'exploitation de la société.
[560] Bien que M. Willis, un témoin expert de Postes Canada, eût reconnu que le plan Hay, notamment dans son mode barèmes d'évaluation, est un instrument d'évaluation des emplois acceptable, à condition que les évaluateurs aient reçu la formation adéquate, il a exprimé l'opinion que l'Équipe professionnelle « s'était mal servie » du plan Hay en ayant recours à son mode de comparaison des facteurs. M. Wallace, un autre témoin expert de Postes Canada, a également prétendu que la méthode des barèmes d'évaluation Hay était un instrument d'évaluation acceptable mais que, selon lui, elle ne convenait pas à des emplois de bureau et à des emplois qui avaient trait à la production et (ou) à l'exploitation. M. Wallace a de plus estimé que la méthode de comparaison des facteurs était dépassée depuis longtemps. Un autre témoin expert de Postes Canada, Mme Winter, a condamné le plan Hay d'une manière générale parce que, selon elle, il ne convenait pas à l'évaluation du travail de bureau, ni du travail de type « cols bleus ».
[561] Malgré les opinions de M. Willis et de M. Wallace concernant la nature généralement acceptable du plan Hay en tant qu'instrument d'évaluation des emplois, Postes Canada, dans ses observations, a critiqué son utilisation quant à l'évaluation du travail de bureau ainsi que du travail de « cols bleus ». L'avocat de la société a notamment prétendu que le plan Hay sous-pondère le facteur conditions de travail, ce qui mène à une sous-évaluation d'éléments qui sont importants quant aux postes d'employés de bureau et quant aux postes de type « cols bleus ».
[562] L'opinion de M. Willis a été caractérisée par l'observation qu'il a faite que l'utilisation de la méthode de la comparaison des facteurs du plan Hay peut être acceptable lorsqu'elle est appliquée à un groupe occupationnel unique. Dans une affaire de « parité salariale » comportant un grand nombre d'emplois à prédominance masculine et d'emplois à prédominance féminine, il croyait que la méthode de « pointage » du plan Hay était plus opportune. En effet, M. Wolf, en contre-interrogatoire, avait convenu que, malgré que la méthode de la comparaison des facteurs du plan Hay puisse être utilisée et est utilisée en rapport avec des emplois différents, elle est plus facile à appliquer et fonctionne peut-être mieux lorsqu'il est question d'emplois de nature similaire173.
[563] M. Wolf a mentionné que l'Équipe professionnelle était d'avis que le plan Hay pouvait très bien convenir aux emplois d'employés de bureau ainsi qu'aux emplois de « cols bleus », notamment avec le facteur renforcé des conditions de travail. Cela serait particulièrement vrai dans le cas où elle serait appliquée par des évaluateurs familiers avec les méthodes Hay. La Commission, lors de ses évaluations de 1991, était également d'avis que le plan Hay Plan était en mesure de mesurer les emplois de « cols bleus » ainsi que les emplois d'employés de bureau.
[564] En l'espèce, l'Équipe professionnelle qui a évalué l'échantillon des postes CR et les emplois PO « génériques » était composée de deux membres qui avaient déjà travaillé chez Hay et qui possédaient de nombreuses années d'expérience en matière de travail avec Hay pour le compte d'autres clients. Le Tribunal estime que M. Wolf était le seul témoin expert qui étaient assez qualifié, quant aux exigences de la présente plainte, pour évaluer d'une manière générale la validité et la fiabilité du plan Hay, notamment de sa méthode de la comparaison des facteurs. Bien qu'il n'eût pas comparu comme témoin expert, M. Ingster, le premier membre de l'Équipe professionnelle à avoir été approché par l'Alliance, a confirmé, dans des lettres présentées à titre de pièces justificatives dans le cadre de la présente plainte, que le plan Hay pouvait très bien être utilisé quant aux documents présentés à l'Équipe pour évaluation.
[565] Le Tribunal souligne la déclaration faite par l'Équipe professionnelle dans son rapport, lequel a été déposé comme pièce PSAC-29, selon laquelle son mandat consistait [Traduction] « à appliquer la méthode Hay quant à la nature du travail, et ce, conformément aux "meilleures pratiques" des experts-conseils de niveau supérieur de Hay, lesquels sont considérés comme étant des experts quant à l'utilisation du processus des barèmes d'évaluation ». La demande a été présentée à M. Ingster lorsque l'Alliance l'a approché pour lui demander de participer au processus d'évaluation. L'opinion d'expert, exprimée par M. Wolf dans son témoignage de vive voix concernant le rapport de l'Équipe professionnelle, a renforcé la conclusion de l'Équipe que le mandat avait été accompli avec diligence.
[566] Alors que les trois témoins experts présentés par Postes Canada possédaient tous une certaine expérience quant à l'utilisation du plan Hay, le Tribunal conclut que seul M. Wolf avait prouvé qu'il possédait une connaissance historique approfondie quant à l'évolution, dans ses différentes configurations, de la version originale et de l'utilisation du plan Hay au cours de ses nombreuses années d'application. Il a témoigné qu'il avait travaillé pendant trente ans dans le monde de l'évaluation des emplois et qu'il s'était servi de la méthode Hay pendant environ vingt de ces trente années. Comme il a déjà été souligné dans la présente décision, il a estimé qu'il avait évalué plus de 10 000 emplois grâce à l'utilisation du processus Hay, notamment des emplois d'employés de bureau et des emplois de comptabilité de paye et, au début de sa carrière, des emplois de « cols bleus ». De plus, chez Hay, il a travaillé comme « corrélographe » ou « gardien de la flamme » quant au maintien de l'intégrité du système Hay.
[567] De plus, l'Équipe comprenait M. Ingster, lequel avait été approché en premier par l'Alliance et lequel avait obtenu le mandat initial de l'Alliance. M. Ingster a passé le début de sa carrière chez Hay et a par la suite travaillé en affiliation indépendante avec Hay tout en travaillant avec un large éventail de clients.
[568] Par conséquent, le Tribunal accorde un poids significatif à la capacité de M. Wolf ainsi qu'à celle de son collègue, M. Ingster, à choisir, dans les circonstances inhabituelles de l'espèce, la configuration du plan Hay qu'il convient le mieux d'utiliser pour évaluer les emplois/postes visés.
[569] Par contre, le Tribunal estime que c'est d'une manière rigide et inflexible que Mme Winter a donné son opinion d'expert par lequel elle a rejeté le plan Hay. On a eu l'impression qu'elle a agit comme un témoin qui adopte la position de son client plutôt que comme un expert indépendant qui tente d'aider le Tribunal à comprendre des concepts difficiles qui débordent de son domaine d'expertise.
[570] Bien que M. Willis, dans son témoignage, n'eût pas appuyé la méthode de la comparaison des facteurs, il n'a pas rejeté le plan Hay en tant que tel quant à l'évaluation des emplois dans un contexte de « parité salariale ». Il en fut de même pour M. Wallace. Il a déclaré, à la page 2 de son rapport, que la méthode des barèmes d'évaluation Hay était [Traduction] « [...] un excellent outil d'évaluation des emplois [...] », mais il a estimé qu'elle était pas indiquée lorsqu'il était question [Traduction] « [...] d'emplois de bureau et d'emplois liés à la production et (ou) à l'exploitation »174.
[571] Par conséquent, le Tribunal estime que, selon la prépondérance des probabilités, le plan Hay, qu'il soit utilisé selon sa configuration de la méthode de comparaison des facteurs ou selon d'autres configurations, est, entre les mains d'évaluateurs compétents, comme c'était le cas des membres de l'Équipe professionnelle, une méthode d'évaluation des emplois acceptable dans son ensemble qui permettra de traiter les questions soulevées dans la présente plainte en matière de « parité salariale » d'une manière raisonnablement fiable.
(iii) Le processus
[572] Le Tribunal doit répondre à la question suivante :
[Traduction]
Selon toute vraisemblance, le processus suivi par l'Équipe professionnelle lorsqu'elle a fait ses évaluations des postes/emplois du groupe plaignant et de ceux du groupe de comparaison, était-il raisonnablement fiable?
[573] Comme il a déjà été souligné dans la présente décision, l'Équipe professionnelle, laquelle a été embauchée par l'Alliance, a fait ses évaluations en tant qu'entité qui rend conjointement ses décisions à l'unanimité ou par consensus. Selon l'ensemble des témoignages d'expert présentés devant le Tribunal, cette manière de procéder concorde avec ce que recommandent la majorité des experts dans le domaine. Elle concorde également avec le propre modèle de la Commission. L'Équipe était composée d'un petit nombre de membres et sa composition était très différente de ce à quoi on pourrait normalement s'attendre. Généralement, l'organisme impliqué dans le processus de « parité salariale » est doté d'un comité d'évaluation interne. Il se peut qu'il ait recours à des conseillers ou à une aide externe. En l'espèce, toutefois, la situation qui a amené la création de l'Équipe professionnelle était loin d'être normale.
[574] L'existence de l'Équipe professionnelle était quelque chose de particulier dans le domaine des évaluations d'emplois en matière de « parité salariale ». Le processus par lequel les évaluations de l'Équipe professionnelle ont été faites était également particulier car il n'y avait aucune participation directe de la part de l'employeur ou des employés dans le comité d'évaluation. De toute évidence, il ne s'agissait pas de l'approche normale à l'égard d'une évaluation en matière de « parité salariale ». Toutefois, compte tenu du cadre litigieux, ce processus a été choisi pour évaluer les postes du groupe plaignant et les 10 emplois PO « génériques » au moyen d'[Traduction] « une application rigoureuse de la méthode des barèmes d'évaluation Hay [...]175 ».
[575] Postes Canada a prétendu que ni M. Wolf, ni M. Ingster n'étaient familiers avec le service postal canadien. En effet, M. Wolf a admis en contre-interrogatoire qu'il n'avait jamais mis les pieds dans une installation de Postes Canada. Bien que le troisième membre de l'Équipe, Judith Davidson-Palmer, eût travaillé à Postes Canada à titre d'employé cadre, elle était peu familière avec le plan Hay.
[576] En plus de ses préoccupations concernant la composition de l'Équipe professionnelle, Postes Canada a prétendu qu'il y avait une pénurie de documents écrits sur la manière exacte selon laquelle l'Équipe avait effectué son travail. La « piste de vérification », laquelle constitue habituellement une partie essentielle de tout processus d'évaluation, était au mieux faible, ce qui a eu pour effet qu'il n'y avait que très peu de documents à l'appui des conclusions de l'Équipe.
[577] Les trois témoins de Postes Canada qui étaient familiers avec les processus d'évaluation des emplois ont dénigré le travail de l'Équipe professionnelle. Mme Winter a souligné que les membres de l'Équipe n'étaient pas assez familiers avec le travail de bureau ainsi qu'avec le travail de « cols bleus » et qu'elle croyait qu'ils avaient effectué une « récapitulation » peu rigoureuse des résultats de l'évaluation. Elle a reproché à l'Équipe de ne pas avoir créé un ensemble d'évaluations repères représentatives et cohérentes dès le début du processus d'évaluation. De plus, Mme Winter était d'avis que l'ensemble du processus a peut-être été faussé par le classement initial des postes fait par l'Équipe en fonction des niveaux de classification et des pointages d'évaluation attribués par la Commission.
[578] M. Willis a exprimé l'opinion que l'Équipe avait manqué de discipline lors de ses délibérations. Par exemple, il a estimé que l'étape de la « récapitulation » aurait dû être mieux structurée. De plus, il s'est opposé à l'utilisation de la technique de la « boîte noire » que M. Wolf a utilisée dans le cadre du processus d'évaluation, une technique tirée de la formation en génie de ce dernier. M. Willis a également critiqué l'utilisation par l'Équipe de la méthode Hay standard américaine de description des emplois.
[579] M. Wallace a souligné que les deux membres de l'Équipe, bien qu'ils fussent des experts reconnus, n'étaient pas assez familiers avec les opérations postales. Il a également tenu des propos défavorables sur ce qu'il a considéré comme étant le manque de discipline et de rigueur de l'Équipe dans le cadre du processus d'évaluation, notamment en ce qui avait trait aux lacunes de la « piste de vérification ».
[580] Le Tribunal souligne que l'Équipe professionnelle s'était attaquée à sa tâche d'une manière plutôt inhabituelle. Elle a littéralement dû, dans un délai relativement court, passer en revue des milliers de pages de documents et de pièces justificatives compilées par d'autres. La preuve montre que les membres de l'Équipe n'ont pas été capables d'adhérer à la discipline et à la rigueur précise à laquelle on est normalement en droit de s'attendre dans le cadre d'un processus mixte syndical-patronal où le comité d'évaluation est composé de membres du personnel administratif ainsi que d'autres employés. La difficulté posée par l'évaluation dans un tel cadre a toutefois grandement été atténuée par les compétences particulières des trois membres du comité. Deux des membres possédaient de nombreuses années d'expérience quant à l'utilisation du plan Hay et d'autres systèmes dans le cadre d'évaluation des emplois. Le troisième membre de l'Équipe professionnelle avait travaillé à Postes Canada dans le domaine de la gestion et du développement organisationnel. En travaillant ensemble, ils croyaient qu'ils étaient capables de réaliser la tâche qui leur avait été confiée. Leur rapport ainsi que le témoignage de vive voix de M. Wolf donnaient à penser que l'Équipe estimait que le processus au moyen duquel elle avait effectué ses évaluations, bien que non conventionnel, avait été entrepris avec une rigueur et une diligence raisonnable.
[581] Le Tribunal accepte cette opinion et estime que le processus, entrepris dans le contexte d'une situation litigieuse unique selon une méthode dépendante de la compétence et de l'expérience de la petite Équipe professionnelle, était raisonnablement fiable. Inévitablement, il ne s'agissait pas du meilleur processus dont on aurait pu se servir si les parties avaient travaillé de la manière habituelle, c'est-à-dire en collaboration. Toutefois, selon le Tribunal, il s'agissait d'un processus raisonnablement fiable compte tenu des circonstances dans lesquelles il a été réalisé.
[582] Cette acceptation par le Tribunal de l'opinion de l'Équipe professionnelle et, notamment, de celle de M. Wolf que le processus d'évaluation de l'Équipe était raisonnablement fiable, repose sur sa conclusion que le témoignage d'expert de M. Wolf était plus crédible que celui présenté par les experts de Postes Canada, c'est-à-dire Mme Winter, M. Willis et M. Wallace. M. Wolf a été présent lors du processus d'évaluation des emplois et a participé comme membre de l'Équipe. Son témoignage a été factuel et digne d'un expert.
[583] En accordant plus de poids au témoignage de M. Wolf, le Tribunal a déjà reconnu que le processus suivi par l'Équipe professionnelle n'était pas le meilleur.
[584] Le poids, s'il en est, que le Tribunal a accordé au témoignage d'expert présenté par Postes Canada, n'a toutefois pas été suffisant pour désavouer l'opinion de M. Wolf que l'Équipe professionnelle avait participé à un processus d'évaluation raisonnablement fiable.
[585] Mme Winter, une femme d'affaires qui a réussi par ses propres moyens, présidente de sa propre société d'experts-conseils, a travaillé avec succès pendant de nombreuses années chez Hay Canada où elle a obtenu le titre de vice-présidente directrice et d'associée. Témoin parfois ergoteur, ses opinions dans son témoignage de vive voix et dans ses rapports tendaient à être rigides et à exiger de l'absolu en matière de mesure de fiabilité.
[586] M. Willis a commencé sa carrière en évaluation des emplois chez Hay aux États-Unis et a fondé sa propre société d'experts-conseils en 1971. Après avoir mis au point son propre plan d'évaluation des emplois en 1974, il a effectué de nombreuses études d'évaluation des emplois aux États-Unis et au Canada. Il a donné des conseils au Comité mixte ayant précédé la cause du Conseil du Trésor. Ce Comité a utilisé le plan Willis dans le cadre de ses évaluations d'emplois.
[587] M. Willis a mentionné dans son témoignage qu'il était habitué à travailler dans un cadre non litigieux et dans un cadre de coopération. Bien que son rapport n'en fit pas état, son témoignage de vive voix a confirmé qu'il n'avait pas lu l'ensemble des documents détaillés que Postes Canada lui avait envoyés. Les réponses qu'il a données en contre-interrogatoire étaient plutôt évasives quant au temps qu'il avait consacré au travail que Postes Canada lui avait confié. Bien que, de toute évidence, il était un expert conseil accompli, maintenant à la retraite, qui a dirigé sa propre société pendant environ 25 ans, les manières qu'il a affichées devant le Tribunal ont été brusques à certains moments.
[588] M. Wallace a commencé sa longue carrière en évaluation des emplois en participant à l'introduction du système Hay à la Banque de Montréal dans les années 70. Il a ensuite géré le processus Hay chez Shell Canada et l'a intégré au processus Hay mondial pour le compte de la société mère, Royal Dutch Shell. Il est vice-président directeur d'une société d'experts-conseils depuis la fin de 1996.
[589] Le mandat de M. Wallace n'avait pour objet que l'examen du processus entrepris par l'Équipe professionnelle en 2000 quant à l'incidence qu'avaient eu les éléments de preuve additionnels fournis ultérieurement par un certain nombre de témoins de Postes Canada sur ses évaluations de 1993/1994.
[590] M. Wallace s'est présenté devant le Tribunal comme une personne qui avait appris beaucoup de choses sur le tas quant à l'évaluation des emplois et quant à la conception de la rémunération. Son opinion, critique à l'égard du processus de l'Équipe professionnelle, reposait sur les normes de l'industrie avec lesquelles il était familier et qui étaient, selon lui, des normes plutôt strictes. Il n'a manifesté aucun respect à l'égard de la nécessité d'accorder une interprétation large et libérale aux lois sur les droits de la personne.
[591] Le Tribunal, bien qu'il n'accorde aucun poids, pour les motifs susmentionnés, au témoignage de Mme Winter quant au processus d'évaluation utilisé par l'Équipe professionnelle, ne rejète pas entièrement les témoignages de M. Willis et de M. Wallace. Au contraire, un certain nombre des critiques qu'ils ont formulées traitaient d'éléments que l'on préférerait, dans des circonstances normales, ne pas voir dans un processus d'évaluation des emplois. Il s'agit donc d'établir le degré d'importance qui doit leur être accordé.
[592] Par conséquent, après avoir examiné le témoignage des experts, le Tribunal a accordé moins de poids aux témoignages des témoins de Postes Canada qu'aux témoignages de M. Wolf et de l'Équipe professionnelle.
[593] En ce faisant, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus d'évaluation que l'Équipe professionnelle a utilisé dans le cadre de son travail était raisonnablement fiable.
VI. La fiabilité des sources de renseignements sur les emplois et les renseignements obtenus utilisés par l' Équipe professionnelle
A. Contexte
[594] Les trois parties ont convenu de l'importance vitale quant à l'utilisation de renseignements et de données fiables dans le cadre de plans d'évaluation d'emplois, quels que soient ces plans. Les trois experts en évaluation des emplois de Postes Canada ont insisté sur la nécessité de travailler avec des renseignements et des données fiables, bien que l'opinion de Mme Winter favorisait une norme plus élevée que celle de la fiabilité raisonnable comme l'a confirmé l'échange suivant qu'elle a eu en contre-interrogatoire avec l'avocat de l'Alliance :
[Traduction]
Q. Alors, êtes-vous en train de dire, ou plutôt de déclarer, que, afin d'évaluer les emplois avec précision, on doit connaître ceux-ci à 100 p. 100?
R. Oui176.
[595] M. Wolf et M. Willis ont témoigné que, selon eux, il est de première importance que l'on possède d'abord une bonne compréhension des emplois que l'on évalue (la qualité des renseignements sur les emplois est également de première importance). En second lieu, on doit posséder une bonne compréhension du processus à suivre :
[Traduction]
M. Wolf : de toute manière, pour être un expert-conseil Hay, le temps que l'on doit consacrer au processus d'évaluation des emplois est moins important que la compréhension que l'on possède de ces emplois. La règle en matière d'évaluation des emplois est la même qu'en informatique : à données inexactes, résultats erronés. Si on ne possède pas une bonne compréhension de l'emploi on ne peut pas l'évaluer correctement, peu importe jusqu'à quel point on possède une bonne compréhension de la technologie du processus177.
M. Willis : après la qualité des renseignements, je dirais que c'est le processus qui vient au deuxième rang au chapitre de l'importance178.
[596] Comme il a déjà été souligné au paragraphe [413], la norme généralement admise dans l'industrie de l'évaluation des emplois, laquelle norme était connue par l'ensemble des témoins experts, consiste à obtenir, dans la mesure du possible, des renseignements sur les emplois qui sont précis, cohérents et complets. Compte tenu de la décision du Tribunal d'appliquer en l'espèce la norme de fiabilité du « caractère raisonnable » (paragraphes [412] et [553]), une précision raisonnable, une cohérence raisonnable et une intégralité raisonnable sont donc exigées.
[597] Par conséquent, des renseignements et des données sur les emplois raisonnablement fiables sont un élément essentiel de l'évaluation des emplois en tant que concept, compte tenu de sa dépendance intrinsèque à un jugement humain subjectif. Les décisions des évaluateurs qui utilisent des renseignements sur les emplois raisonnablement précis, cohérents et complets devraient, naturellement, et en fait, logiquement, produirent des résultats plus réalistes et plus acceptables que les décisions des évaluateurs qui utilisent des renseignements douteux ou erronés.
[598] Bien que le Tribunal a déjà relevé, dans le moindre détail, les sources et la nature des renseignements sur les emplois utilisés en l'espèce, il a décidé de réexaminer ces sources et les renseignements sur les emplois de façon simplifiée en deux étapes. Le Tribunal a catalogué les renseignements sur les emplois et leurs sources de la manière suivante pour en faciliter le renvoi :
LES FAITS I : Il s'agit des sources de renseignements factuels sur les emplois, des renseignements et des données sur les emplois qui ont été obtenus à partir de ces sources, lesquelles sources existaient avant la date à laquelle l'Équipe professionnelle a entrepris son travail pour le compte de l'Alliance.
LES FAITS II : Il s'agit des données et des éléments de preuve supplémentaires pertinents auxquels l'Équipe professionnelle a eu accès après qu'elle eut commencé son travail.
B. LES FAITS I
(i) Contenu
[599] Sous forme récapitulative, les FAITS I comprennent ce qui suit :
- le Questionnaire/Feuille de données sur l'emploi qui a été rempli en 1986 par des employés échantillonnés; il a été conçu par un cadre supérieur de la Commission, sans aide professionnelle, pour fonctionner avec le plan d'évaluation des emplois System One, lequel n'était pas encore tout à fait au point. Bien qu'il visât à servir de source de première importance de renseignements à jour quant aux postes CR et PO, il n'a en fait été utilisé par la Commission que pour les postes CR;
- le Guide d'entrevue a également été conçu par le personnel de la Commission et a été fondé sur System One. Il a été conçu afin d'être rempli par les intervieweurs de la Commission comme suivi du Questionnaire/Feuille de données sur l'emploi. Il n'a été utilisé que pour les employés CR; les entrevues ont été complétées en décembre 1986;
- les descriptions d'emploi et les organigrammes qui étaient censés être joints au Questionnaire/Feuille de données sur l'emploi par l'employé titulaire qui remplit ce formulaire. La plupart des descriptions de poste CR étaient « non officielles », notamment de nombreuses descriptions de postes repères CR; de nombreux organigrammes CR étaient périmés;
- on a tenté sans succès de créer des échantillons de postes PO avec de nouvelles listes d'employés PO datant de 1989. À la place d'échantillons, 10 particularités « génériques » d'emploi PO ont été dressées en 1990/1991 par la Commission. Le personnel cadre de Postes Canada a fourni les renseignements et les documents qui ont servi de fondement, notamment les descriptions d'emploi « non officielles » et les profils d'emploi qui décrivaient les responsabilités de chaque emploi. Ces particularités d'emploi ont été élaborées d'une manière très différente de celle qui a été utilisée quant aux particularités des postes CR, lesquelles ont été élaborées au moyen de ce que la Commission a appelé un échantillon aléatoire d'employés CR occupant de véritables postes;
- Les 10 emplois « génériques » représentaient un amalgame de fonctions pour les 10 types d'emplois les plus répandus au sein du groupe PO. Ils ne représentaient pas de véritables emplois ou postes et n'étaient pas cautionnés par le syndicat. Le sous-groupe de supervision PO, lequel constituait un élément du groupe de comparaison dans la plainte initiale, n'a pas été représenté dans les caractéristiques des 10 emplois PO « génériques », contrairement à l'échantillon CR qui comprenait un certain nombre de représentants de supervision de niveau CR-5.
[600] Il s'agit-là des sources clés et de la nature des renseignements sur les emplois obtenus à partir de ces sources durant la période 1986 à 1991 qui a précédé la période de l'Équipe professionnelle.
[601] Liés à ces sources ainsi qu'aux renseignements sur les emplois obtenus à partir de ces sources, il convient de souligner, dans le contexte des FAITS I, quatre faits qui ont déjà été traités ailleurs dans la présente décision car ils ont une incidence potentielle sur la nature des renseignements sur les emplois obtenus à partir de ces sources.
[602] Le premier de ces faits est l'incertitude qui entoure les divers calculs non professionnels de la taille de l'échantillon CR. L'échantillon CR original a été élaboré en 1986 par un agent de la Commission. En 1987, la Commission n'a pas suivi les conseils de Statistique Canada quant à la taille de l'échantillon CR. L'échantillon CR a ensuite été réduit en 1991 par le personnel de la Commission.
[603] Le deuxième fait est que la Feuille de données sur l'emploi et le Guide d'entrevue ont tous les deux été conçus en fonction du système d'évaluation inachevé System One, lequel n'a été approuvé ni par l'Alliance, ni par Postes Canada.
[604] Le troisième fait est que les données sur les emplois ont été recueillies à des moments différents. Les données quant aux postes CR ont été recueillies en 1986. La majeure partie des données quant aux emplois PO « génériques » a été recueillie en 1990/1991.
[605] Le quatrième fait est l'incompatibilité apparente existant entre les renseignements sur les emplois recueillis quant aux postes CR détenus par des titulaires de poste, et les « particularités » d'emploi compilées par la Commission quant aux emplois PO « génériques » non détenus par des titulaires de poste.
[606] Le Tribunal souligne qu'aucune des parties ne contestent que l'ensemble des FAITS I se sont produits bien avant que l'Équipe professionnelle n'eût été approchée par l'Alliance ou qu'elle n'eût commencé son travail.


(ii) Les observations des parties et des témoins experts
[607] En se concentrant exclusivement sur les éléments de FAITS I, quels ont été les principaux arguments présentés par les parties et les témoins experts dans leurs arguments respectifs quant à ces éléments?
[608] Il y a pratiquement eu unanimité entre M. Wolf et deux des témoins experts de Postes Canada quant au Questionnaire/Feuille de données sur l'emploi de 1986. C'est M. Wolf qui a qualifié ce document d'« abominable » tout en ajoutant que « [...] la personne qui l'a conçu devrait être arrêtée et fusillée » (paragraphe [445]). M. Willis et Mme Winter l'ont rejeté, M. Willis l'a qualifié d'« [...] absolument insuffisant si l'on voulait faire une évaluation en matière de « parité salariale » (paragraphe [497]). Postes Canada, l'a également critiqué au motif qu'il relevait de l'autoévaluation et que l'opinion répandue dans le monde de l'évaluation des emplois était qu'il était inacceptable.
[609] Malgré sa condamnation de la conception de la Feuille de données sur l'emploi, M. Wolf a témoigné que lui-même et ses deux collègues l'utilisaient encore parfois en ne tenant pas compte des aspects auto-évaluatifs des réponses et en se concentrant sur les « renseignements relatifs à la description des emplois » qui se trouve dans le document rempli. En réponse à une question de l'avocat de l'Alliance, M. Wolf a répondu ce qui suit :
[Traduction]
Nous devions malheureusement, si l'on veut, travailler à contre-courant avec ces documents, mais il y avait des renseignements là-dedans. Nous devions être sélectifs dans leur utilisation afin de s'assurer que nous ne tenions pas compte de la partie non pertinente179 ».
[610] M. Willis et Mme Winter ont également critiqué le Guide d'entrevue de 1986 car ils croyaient qu'il comportait un bon nombre des lacunes figurant dans la Feuille de données sur l'emploi tout en soulignant que le Guide était également fondé sur le plan d'évaluation System One, lequel était toujours en cours d'élaboration. M. Wolf lui-même a témoigné que le Guide d'entrevue n'ajoutait rien d'important à la compréhension que possédait l'Équipe professionnelle quant aux fonctions des titulaires de poste CR.
[611] M. Wolf a reconnu qu'environ 50 des descriptions de poste CR n'étaient pas signées et (ou) non datées, que d'autres étaient souvent périmées ou « non officielles » et parfois même manquantes. Un certain nombre des descriptions ne comprenaient pas de renseignements sur les conditions de travail. De même, des organigrammes à l'appui n'étaient pas toujours disponibles ou n'étaient pas toujours à jour.
[612] Deux des témoins experts de Postes Canada ont relevé des lacunes importantes dans les descriptions d'emploi, principalement sur le plan de l'âge, de la précision ainsi que du statut officiel. Les trois témoins ont souligné l'importance que les personnes responsables des évaluations soient tout à fait satisfaites des descriptions d'emploi.
[613] M. Wolf a admis que, en raison du caractère généralement inacceptable de la Feuille de données sur l'emploi, laquelle était censée être le document source de première importance aux fins d'évaluation des emplois, l'Équipe professionnelle a été obligée de se fier sur les descriptions de poste disponibles comme document de première importance quant aux évaluations CR. M. Wolf a témoigné que lui-même et ses collègues avaient accepté telles quelles les descriptions de poste, du moment qu'elles étaient présentées dans le format accepté par Postes Canada.
[614] M. Wolf a précisé ce que l'on voulait dire par traiter les descriptions de poste comme document de première importance, par rapport à la Feuille de données sur l'emploi et au Guide d'entrevue, dans l'échange suivant qu'il a eu en contre-interrogatoire avec l'avocat de Postes Canada :
[Traduction]
[...] lorsque nous disons document de première importance, ce que nous voulons dire c'est que lorsqu'il y a un certain doute quant à la cohérence des documents, à quel document doit-on se reporter, la réponse est que nous devons nous reporter à la description de poste comme document officiel de Postes Canada. Donc, lorsque nous disons qu'il s'agit du document de première importance, c'est à celui-là que nous devons nous reporter180.
[615] Dans les cas où il n'y avait aucune description de poste - et cela s'est produit dans un assez grand nombre de cas (paragraphe [448]) - M. Wolf a convenu qu'un tel report ne serait de toute évidence pas possible.
[616] M. Willis, tout en reconnaissant que les particularités des emplois PO avaient davantage fourni de renseignements factuels sur l'emploi que les documents CR, a fait la mise en garde que ces premiers documents étaient fondés sur des donnés sur l'emploi fournies par la direction et non pas sur des données fournis par les employés, ce qui aurait été plus approprié. De plus, il a souligné que, contrairement à la pratique reconnue, les données sur l'emploi pour chacun des groupes d'employés CR et PO avaient été recueillies au moyen de processus tout à fait différents, et ce, à deux époques différentes.
[617] Mme Winter a formulé la critique que les particularités des emplois PO ne reflétaient pas les véritables postes et qu'elles étaient incomplètes car elles ne comprenaient pas le travail en rotation des PO-4.
[618] En examinant le premier des quatre faits mentionnés - l'incertitude quant à l'échantillonnage CR dont il est fait mention au paragraphe [602] - il est nécessaire de recourir aux témoignages des deux témoins experts, M. Bellhouse et M. Kervin.
[619] Il existe une différence d'opinion appréciable entre ces deux témoins experts. Comme il a déjà été souligné, M. Bellhouse a prétendu que la conception de l'échantillonnage original de 1986, de la Commission, à partir duquel s'est faite la sélection des titulaires de poste CR pour le sondage, était erronée. Il a également prétendu que l'échantillonnage d'employés fait par la Commission plutôt que l'échantillonnage de postes a mené à de la partialité dans l'échantillon, laquelle partialité a été aggravée par le niveau de non-réponse au sondage à l'égard duquel aucune mesure corrective n'a été apportée.
[620] En particulier, dans les circonstances de l'espèce où M. Bellhouse a cru comprendre que les niveaux de classification CR étaient composés d'intervalles chevauchants de points Hay, il a estimé qu'un recensement complet de chacun des postes CR consituait la voie à suivre. Lorsqu'il a été interrogé par l'avocat de l'Alliance quant à savoir si les intervalles chevauchants de points Hay et la rémunération fondée sur ces intervalles était une question de rémunération plutôt qu'une question de statistique, M. Bellhouse a répondu que, compte tenu de l'existence d'un tel chevauchement, il recommandait de faire un recensement.
[621] Durant son réinterrogatoire par l'avocat de Postes Canada, M. Bellhouse a toutefois convenu qu'un recensement complet pouvait être évité si l'on recherchait une valeur moyenne par titre de poste CR plutôt que par poste. On redéfinirait la collectivité CR par l'ensemble de ses titres de poste et, en présumant de beaucoup d'homogénéité, on prendrait un échantillon approprié dans chaque titre de poste181.
[622] Le Tribunal souligne que dans un témoignage antérieur relatif à l'omission de la Commission de mettre en application une recommandation d'augmentation de l'échantillon CR faite par Statistique Canada en 1987, Statistique Canada a fait des commentaires sur la conception d'un échantillon aléatoire acceptable plutôt que de faire un recensement.
[623] Quant aux 10 emplois PO « génériques », M. Bellhouse ne les a pas considérés comme un échantillon aléatoire. Il a estimé qu'ils étaient tout au plus un « échantillon choisi à dessein » comportant la possibilité d'une partialité importante parce qu'il s'agissait d'une sélection de titres de poste particuliers (paragraphes [454] à [459]).
[624] L'opinion de M. Kervin était que M. Bellhouse avait trop insisté sur l'aspect analytique de l'analyse statistique et sur la nécessité d'une fiabilité quantitative scientifique. Le point de M. Kervin était que M. Bellhouse avait omis de reconnaître les questions sociologiques, qualitatives et systémiques soulevées dans une affaire de « parité salariale ». M. Kervin a de plus mentionné que l'échantillon représentatif d'employés CR qui a servi de base à la collecte de données pour le groupe plaignant était plus qu'adéquat. Il était d'accord avec M. Bellhouse pour affirmer que les 10 emplois PO « génériques » constituaient un « échantillon choisi à dessein » (paragraphes [466] à [468]).
[625] Le Tribunal est conscient des profils différents de ces deux experts. L'un a donné son témoignage d'opinion en fonction de son expertise comme statisticien professionnel, l'autre, en fonction de son expertise comme sociologue professionnel. M. Bellhouse, un professeur de statistiques, a été qualifié d'expert en statistiques, spécialisé en sondage aux fins d'échantillonnage. M. Kervin, un professeur de sociologie, a été qualifié d'expert en collecte et en analyse de données. Comme il a déjà été souligné, les deux experts possèdent une vaste expérience de travail avec des clients qui paient pour leurs services ainsi qu'avec des étudiants, dans leurs champs d'expertise respectifs. Selon la preuve présentée pour qualifier chacun d'eux d'expert, les deux jouissent d'une bonne réputation dans leurs domaines.
[626] À ce stade-ci, la question est celle de la fiabilité raisonnable de la méthode d'échantillonnage et de la taille de l'échantillon employé pour la population CR. La plus grande partie du témoignage d'expert concernant la réalisation d'une étude sur la « parité salariale » dans des circonstances normales a souligné qu'il était nécessaire de demander des avis d'expert auprès de professionnels. En l'espèce, l'expertise dans la conception et la mise en uvre d'une technologie d'échantillonnage d'enquête statistique était nécessaire, mais elle n'a pas été sollicitée pour l'échantillon de 1986.


[627] M. Kervin a été qualifié d'expert en collecte et en analyse de données. Il ne se considérait pas comme un statisticien professionnel. En réponse à une question posée par l'avocat de la Commission, il a affirmé ce qui suit :
[Traduction]
Je ne suis pas un statisticien. Je ne produis pas de nouvelles statistiques. Je n'examine pas les propriétés des statistiques. Je les utilise plutôt [...]182
[628] En revanche, M. Bellhouse s'est décrit comme étant un « statisticien en échantillonnage »183.
[629] M. Willis a témoigné que le processus de sélection de l'échantillon CR ne rencontrait pas les exigences rigoureuses en matière d'échantillonnage dans une affaire de « parité salariale ». Bien qu'il n'eût pas mentionné qu'un recensement était nécessaire, son opinion semblait être plus proche de celui de M. Bellhouse que de celui de M. Kervin.
[630] Par conséquent, le Tribunal est saisi de deux opinions contradictoires quant à l'échantillon aléatoire CR. Idéalement, on aimerait réexaminer la méthode d'échantillonnage employée. Mais, le Tribunal a souligné que l'échantillon original de titulaires de poste était important, représentant près de 10 p. 100 de la population CR totale. L'Équipe professionnelle a choisi délibérément d'évaluer les postes de l'échantillon original au complet et de ne pas se limiter à l'échantillon ultérieurement réduit de la Commission. De plus, on a fourni aucun élément de preuve factuel solide démontrant que l'échantillon total n'était pas représentatif de la collectivité CR totale.
[631] Le deuxième fait relaté (paragraphe [603]) concerne le fait que la Feuille de données sur l'emploi et le Guide d'entrevue ont tous les deux été conçus en fonction du plan d'évaluation des emplois System One dont l'élaboration était inachevée. L'Équipe professionnelle a employé le plan de comparaison des facteurs Hay lorsqu'elle a effectué ses évaluations des emplois. L'utilisation d'un plan donné pour concevoir l'instrumentation - même s'il n'est utilisé qu'en partie - et l'utilisation d'un autre plan pour effectuer les évaluations des emplois, est considérée dans l'industrie, en règle générale, comme étant une pratique inacceptable.
[632] Certes, le livret de la Commission intitulé Mise en uvre de la parité salariale dans la sphère de compétence fédérale publié en 1992 énonce très clairement qu'« [...] il est essentiel d'utiliser un seul et même plan pour évaluer tous les postes » (paragraphe [358]), ce qui, à tout le moins, sous-entend, sinon affirme explicitement, qu'un seul plan d'évaluation devrait régir l'ensemble des aspects d'une entreprise d'évaluation d'emplois particulière, notamment l'aspect de la collecte de documents de renseignements sur les emplois.
[633] Le troisième fait (paragraphe [604]) a trait à la collecte de données sur les emplois effectuées à des époques différentes. Les données sur les postes CR ont été recueillies en 1986 alors que les données sur les emplois PO « génériques » ont été principalement recueillies en 1990/1991. M. Willis a fait des commentaires sur l'opportunité de recueillir des renseignements sur les emplois pour l'ensemble des emplois qui font l'objet d'une comparaison dans des délais raisonnablement rapprochés.
[634] Le quatrième fait (paragraphe [605]) concerne l'incongruité existant entre les renseignements sur les emplois recueillis auprès des employés titulaires de poste CR et les « particularités » de l'emploi compilées par la Commission pour les emplois PO « génériques » non détenus par des titulaires de poste. Deux des experts de Postes Canada ont contesté cette approche.
(iii) La crédibilité des témoignages des témoins experts
[635] Quelle fut la position de chacune des parties concernant les documents de référence qui composent ce que le Tribunal a appelé les FAITS I?
[636] Postes Canada a affirmé, en effet, que les renseignements mentionnés dans les FAITS I ne peuvent pas servir pour faire des évaluations d'emploi fiables.
[637] L'Alliance a contesté la crédibilité de l'ensemble des trois témoins experts de Postes Canada - Mme Winter, essentiellement parce qu'elle ne satisfaisait pas à la norme de l'indépendance du témoin expert et parce qu'elle était trop catégorique ou qu'elle avait exagéré en présentant ses opinions; M. Willis pour ne pas avoir lu l'ensemble des documents que Postes Canada lui avait envoyés et également parce qu'il était incapable ou refusait de comprendre le contexte litigieux de la plainte; et M. Wallace parce qu'il n'avait pas eu accès à une grande partie des documents visés dans l'affaire et sa tendance à souligner les aspects négatifs et à ignorer les aspects positifs.
[638] La Commission a écarté le témoignage de Mme Winter essentiellement parce qu'elle a invoqué la norme de la décision correcte comme fondement de ses opinions d'expert. La crédibilité de M. Willis a été mise en doute par la Commission au motif qu'il n'a pas été clair, voire même ambigu et évasif quant au temps qu'il avait pris pour examiner les documents sur l'emploi que Postes Canada lui avait envoyés. La Commission a prétendu que l'opinion critique de M. Wallace quant aux renseignements sur les emplois devrait être en grande partie écartée parce qu'il n'a pas examiné et qu'on ne lui a pas demandé d'examiner la plus grande partie des documents sur les emplois.
[639] En autant que les trois témoins experts de Postes Canada sont concernés, le Tribunal conclut que les témoignages de M. Willis et de M. Wallace ne devraient pas être totalement rejetés. Certains aspects de leurs témoignages méritent qu'on leur accorde un certain poids. Dans la cas de Mme Winter dans lequel sa norme absolue de la décision correcte à presque tous les égards exigeant un jugement quant à la fiabilité, a rendu, de l'avis du Tribunal, ses opinions inacceptables
[640] M. Willis, toutefois, était un témoin qui possédait un grand nombre d'années d'expérience dans l'industrie de l'évaluation des emplois. Il a peut-être été quelque peu évasif, voire même acerbe à l'occasion, lorsque, par exemple, en réponse à une question posée par l'avocat de Postes Canada, il a répondu :
[Traduction]
[...] les trois consultants de la CCDP et de l'AFPC ont dû travailler avec des données inadéquates. Je crois qu'elles étaient à ce point inadéquates, qu'aucun d'entre eux n'a pu - sans apport additionnel, sans renseignements additionnels, je ne vois pas comment l'un d'eux aurait pu faire un bon travail.
Selon mon analyse globale, je ne peux pas reculer d'un pas : c'est bon pour la poubelle [...]184
[641] L'attitude de M. Willis ne devrait pas annuler totalement son expertise. Le fait qu'il ait travaillé à l'Initiative conjointe syndicale-patronale, puis qu'il ait servi par la suite de témoin expert dans la cause Conseil du Trésor, illustrent la connaissance intime de son domaine ainsi que son expérience et sa réputation dans ce même domaine.
[642] Le Tribunal est conscient de la grande quantité de documents soumis dans la présente cause. Il y a eu plus de 400 volumes de transcriptions et environ mille pièces justificatives. Bien que tous ces documents ne furent pas tous envoyés à M. Willis, celui-ci en a reçu un bon nombre à examiner. Un témoin expert du calibre et de réputation continentale comme M. Willis aurait repéré des lacunes manifestes dans un certain nombre de documents figurant dans les FAITS I, comme ceux concernant la méthode d'échantillonnage CR, la conception de la Feuille de données sur l'emploi et du Guide d'entrevue, et ce, même sans avoir lu l'ensemble des documents.
[643] M. Wallace possédait également une vaste expérience dans le domaine de l'évaluation des emplois. Bien que, en l'espèce, son mandat portait sur un aspect et une période de temps plus limités, comportant beaucoup moins de documents que le mandat de M. Willis, ses connaissances et l'intensité qu'il mettait à appliquer les objectifs et les principes de l'évaluation des emplois, notamment dans le secteur privé, et dans des cas de « parité salariale », étaient impressionnants.
C. LES FAITS II
(i) Le contenu et son effet
[644] Les FAITS II constituent les renseignements, données et témoignages additionnels pertinents, autres que ceux de FAITS I, auxquels l'Équipe professionnelle a eu accès en entreprenant ses évaluations de postes CR et des emplois PO en 1993/1994 (complétées en 2000).
[645] Un de ces éléments additionnels que l'Alliance a fourni à l'Équipe était les documents Hay que la Commission avait initialement reçus de l'organisation Hay, notamment les barèmes d'évaluation et une gamme d'échantillons de définitions de facteurs d'évaluation Hay. M. Ingster a informé l'Alliance, dans la correspondance qu'il a eue avec elle, que les documents Hay n'avaient pas été conçus pour être utilisés par la Commission. Il s'agissait plutôt de documents de présentation de base Hay.
[646] L'Équipe professionnelle a également eu accès en 1993 aux énoncés de justification de la Commission dans lesquels étaient consignés ses classements et ses motifs à l'appui, pour les évaluations des emplois qu'elle avait faites en 1991 de l'échantillon réduit de 93 titulaires de poste CR. Les évaluations CR faites par la Commission en 1991 étaient fondées sur le plan Hay XYZ. L'Équipe s'est également appuyée sur ses propres évaluations de l'échantillon original de 93 postes pour fournir des postes repères quant à sa deuxième phase de 97 postes CR qu'elle a entreprise en 1994. Les notes prises par les membres de l'Équipe professionnelle durant leurs entrevues téléphoniques avec les titulaires de poste CR menées en mai 1993 et en septembre 1994, ont constitué des documents supplémentaires sur les postes CR dont disposait l'Équipe.
[647] Quant à la collectivité PO, l'Équipe professionnelle a eu accès aux dimensions comportementales pour chaque emploi que la Commission avait obtenus de Postes Canada ainsi qu'aux énoncés de justification de la Commission mentionnant ses classements d'évaluation de poste de 1991, avec motifs à l'appui, des 10 emplois PO « génériques » fondés sur le plan Hay XYZ. M. Ingster avait toutefois informé l'Alliance, dans la lettre qu'il lui avait envoyée le 21 juillet 1993, que les dimensions comportementales et les profils d'emploi n'avaient pas été fournis quant à 4 des 10 emplois PO « génériques ».
[648] La Commission a également fourni un document qu'elle avait préparé et qui comprenait des descriptions des caractéristiques de connaissances et de qualifications, de résolution de problèmes, de responsabilité et conditions de travail des 10 emplois PO « génériques ». Enfin, l'Équipe a également renvoyé à une gamme de manuels d'utilisation de Postes Canada, de guides postaux et de documents à l'appui.
[649] Après les évaluations effectuées en 1993/1994 par l'Équipe professionnelle de postes CR et d'emplois PO, on a trouvé, en 1997, de nouveaux documents CR qui comprenaient de nombreuses descriptions, pas toutes cependant, de postes manquants. Toutefois, M. Wolf, au nom de l'Équipe, a conclu que ces documents supplémentaires n'étaient pas assez importants pour que l'on réévalue les évaluations antérieures faites par l'Équipe.
[650] En l'an 2000, l'Équipe professionnelle a entrepris un examen de l'incidence possible, sur les évaluations des emplois qu'elle a faites en 1993/1994, de nombreux éléments de preuve qui ont été soumis au Tribunal, durant la période de 1995 à 2000, par un certain nombre de témoins de Postes Canada.
[651] Ces nombreux éléments de preuve consistaient en environ 4 000 pages de documents écrits, notamment des transcriptions d'un grand nombre de journées de témoignage en interrogatoire principal et en contre-interrogatoire concernant la nature du travail, surtout pour les 10 emplois PO « génériques ». Un nombre considérable de pièces justificatives ont également été présentées, tels des manuels de Postes Canada, des guides ainsi que du matériel didactique. De nombreuses autres pièces justificatives ont été soumises par l'Alliance et par la Commission.
[652] M. Wolf a examiné cette volumineuse documentation et a retiré des documents qu'il estimait non pertinents à l'évaluation des emplois. Le reste a ensuite été acheminé à l'Équipe professionnelle dans son ensemble. L'avocat de Postes Canada s'est demandé si le rejet des documents avant que ceux-ci n'aient été consultés par ses deux collègues constituait une pratique acceptable.
[653] M. Wolf a mentionné dans son témoignage que lui et ses deux collègues avaient conclu que, d'après ces nouveaux documents, chacun des 10 emplois PO « génériques » décrivait peu, sinon aucun, des nombreux titulaires de ces emplois. Un certain nombre, s'il en était, exécutaient l'ensemble des tâches décrites. En réponse, et en toute justice pour l'ensemble des titulaires d'emplois, M. Wolf et ses deux collègues ont choisi de réévaluer les 10 emplois PO « génériques » en se fondant sur l'hypothèse que l'ensemble des titulaires d'emplois exécutaient l'ensemble des tâches respectives visées.
[654] L'Équipe professionnelle a conclu que les nouveaux éléments de preuve n'avaient eu aucune incidence sur leurs évaluations des postes CR mais avaient eu une certaine incidence sur leurs évaluations des emplois PO « génériques ». Par exemple, M. Wolf a témoigné ce qui suit :
[Traduction]
[...] l'étendue des tâches dans l'un ou l'autre des emplois PO était beaucoup plus vaste que nous l'avions d'abord réalisé. Les 10 emplois représentent beaucoup plus que cela en réalité185.
[655] M. Wolf a signalé que plusieurs modifications dans les pointages des évaluations ont découlé de la réévaluation des 10 emplois PO « génériques ». Cinq des emplois PO « génériques » n'ont subi aucune modification quant à leurs pointages et trois emplois ont subi des modifications mineures de trois points ou moins. Deux emplois « génériques » ont subi des modifications significatives quant à leur pointage. L'emploi « générique » de commis au comptoir a vu son pointage augmenter alors que l'emploi « générique » de messager suppléant du service du courrier a vu son pointage diminuer.
[656] Par conséquent, les FAITS II ont fourni à l'Équipe professionnelle un bon nombre de renseignements sur les emplois, de données et de renseignements généraux qui se sont ajoutés à ceux fournis par les FAITS I. La question suivante se pose donc : à quel point les renseignements sur les emplois et les renseignements généraux supplémentaires des FAITS II ont-ils été utiles?
[657] Chose certaine, ils ont ajouté à la vision globale de l'Équipe professionnelle quant à la nature et quant au travail des groupes d'employés visés par la plainte. Alors qu'une bonne partie des nouveaux documents ne portaient uniquement que sur le groupe d'employés des opérations postales (PO), il y avait des documents additionnels qui portaient sur la collectivité CR.
[658] Par exemple, les notes d'entrevues téléphoniques des employés CR de l'Équipe professionnelle ont fourni de nouvelles informations qui ont permis de mettre en lumière le facteur des conditions de travail des postes CR visés.
[659] Comme il a déjà été souligné, M. Wolf a confirmé que l'examen fait par l'Équipe professionnelle en 1997 des nouveaux documents CR n'avait pas apporté suffisamment de nouveaux renseignements pour que l'Équipe revoit ses évaluations antérieures. Par ailleurs, l'examen par l'Équipe des nouveaux éléments de preuve provenant des témoins de Postes Canada quant à la période de 1995 à 2000 a entraîné des modifications importantes quant aux pointages de deux des 10 emplois PO « génériques ».
[660] Tout compte fait, le Tribunal conclut que les éléments de preuve étayent l'opinion que bien qu'une bonne partie des nouveaux renseignements sur les emplois ainsi que des nouveaux renseignements généraux qui composaient les FAITS II n'aient pas apporté une dimension nouvelle importante à la base principale des renseignements sur les emplois de FAITS I, ils ont contribué à augmenter et à fortifier la compréhension de l'Équipe professionnelle des emplois et des postes à évaluer.
D. Les Faits I et les Faits II en comparaison avec la norme de fiabilité admise dans l'industrie de l'évaluation des emplois
[661] Dans quelle mesure les renseignements et les données sur les emplois de FAITS I et II, ont-ils satisfait à la norme généralement admise dans l'industrie de l'évaluation des emplois, tel qu'il a été décrit au paragraphe [596]? En d'autres mots, à quel point les renseignements/données sur les emplois utilisés par l'Équipe professionnelle (FAITS I et II) lorsqu'elle a effectué ses évaluations des emplois en 1993/1994 (complétées en 2000) étaient-ils raisonnablement précis, raisonnablement cohérents et raisonnablement complets?
[662] Les lacunes, déjà bien documentées ci-dessus, figurant dans les descriptions des emplois, que l'Équipe professionnelle en est venue à considérer comme étant ses documents de première source quant aux postes CR sont, peut-être, l'une des meilleures illustrations d'un manque général de précision, de cohérence et d'intégralité. M. Wolf, lui-même, a reconnu l'existence des nombreuses lacunes, notamment des descriptions de poste CR périmées, incomplètes, non officielles, voire même manquantes.
[663] Postes Canada a été appuyée par M. Willis et par Mme Winter lorsqu'elle a fait des commentaires sur le manque de précision, de cohérence et d'intégralité dans un bon nombre des descriptions de poste CR et lorsqu'elle a souligné que, d'une façon générale, celle-ci ne comprenaient pas de renseignements sur les conditions de travail. M. Wallace a également déclaré dans son rapport que [Traduction] « [...] les documents n'étaient pas complets et manquaient de cohérence »186.
[664] Même la Commission a fait la mise en garde suivante quant à l'utilisation des descriptions d'emploi dans son livret sur la mise en uvre de la parité salariale:
[...] les descriptions de tâches ne doivent pas être utilisées ou traitées comme source exclusive ou même principale de données, puisqu'elles reproduisent souvent les stéréotypes et qu'elles ne reflètent pas toujours fidèlement le travail exécuté (paragraphe [358]).
[665] Une incohérence s'est également produite dans l'utilisation du Guide d'entrevue quant aux titulaires de poste CR. Un certain nombre de modifications dans sa conception initiale, proposées par un représentant de l'Alliance, ont été acceptées par la Commission après que l'on eut déjà commencé les entrevues, ce qui a entraîné la présence dans le système de deux versions du Guide.
[666] Des questions d'incohérence et de manque d'exhaustivité ont également été soulevées lors des témoignages quant à l'échantillon CR, lequel comprenait les superviseurs de niveau CR 5, alors que le sous-groupe des superviseurs PO avait été retiré des emplois PO « génériques » par la Commission. De même, on a fait part d'un manque de cohérence quant à la différence appréciable qui existait quant aux dates de collecte des renseignements - 1986 pour les postes CR et 1990/1991 pour les emplois PO « génériques ». M. Willis, par exemple, a mentionné que l'ensemble des données en cause dans l'évaluation des emplois devraient, idéalement, être recueillies durant la même période et aussi près que possible de la date d'exécution des évaluations des emplois. Il a estimé que cela était important en raison du fait que les emplois avaient tendance à changer avec le temps.
[667] L'Alliance et la Commission n'ont pas vraiment traité directement de la norme de l'industrie qui exige l'atteinte d'une précision, d'une cohérence et d'une exhaustivité raisonnable des renseignements sur les emplois utilisés lors de la réalisation des évaluations. Les deux parties ont eu tendance à discréditer les témoignages, à cet égard, de M. Willis et de M. Wallace au motif que ceux-ci n'avaient pas lu l'ensemble des documents pertinents et n'avaient pas effectué eux-mêmes les évaluations des postes CR et des emplois PO. Ils ont alors prétendu que les opinions de M. Willis et de M. Wallace étaient fondées sur des renseignements incomplets et devraient être rejetées. Comme seuls M. Wolf et ses deux collègues avaient examiné l'ensemble des documents sur les emplois et avaient effectivement effectué des évaluations d'emplois, la Commission et l'Alliance ont demandé avec insistance que les opinions de M. Wolf soient acceptées.
[668] Fait intéressant, M. Wolf a reconnu ouvertement l'existence d'exemples d'imprécisions, d'incohérences et d'un manque d'intégralité dans les renseignements sur les emplois, ce qui a déjà été mentionné plus haut.
E. Analyse du Tribunal :
(i) Un défi de taille
[669] En entreprenant cette dernière analyse des renseignements sur les emplois utilisés en l'espèce, le Tribunal doit se rappeler les deux facteurs suivants dont il a déjà été question dans la présente décision.
[670] M. Wolf et M. Willis ont confirmé que, lorsque l'on effectue des évaluations d'emploi, la qualité des renseignements sur les emplois et la compréhension que l'on a des emplois sont des éléments primordiaux et sont plus importants que le plan d'évaluation ou le processus visé.
[671] L'Alliance et la Commission ont choisi de se fier uniquement aux évaluations effectuées par l'Équipe professionnelle en 1993/1994 (complétées en 2000) pour établir le bien-fondé de la plainte. En effet, l'Alliance et la Commission ont demandé que les évaluations des emplois faites par la Commission en 1987 ainsi qu'en 1991 soient écartées au profit de celles effectuées par l'Équipe professionnelle. On ne peut toutefois pas écarter le fait qu'une partie des documents de référence utilisés par l'Équipe pour effectuer ses évaluations était, essentiellement, les renseignements que la Commission avait utilisés dans ses évaluations antérieures, c'est-à-dire les FAITS I.
[672] L'appréciation par le Tribunal et le poids à donner aux témoignages présentés par chacune des parties et par les témoins experts quant à la question de la fiabilité des renseignements sur les emplois s'est révélée un défi de taille.
[673] Il ne fait guère de doute que les renseignements sur les emplois (FAITS I et II) employés par l'Équipe professionnelle lorsqu'elle a effectué ses évaluations des emplois n'ont pas satisfait à la norme à laquelle on est normalement en droit de s'attendre dans le cadre d'une étude conjointe employeur-employé en matière de « parité salariale ». Mais, compte tenu des circonstances quelque peu pénibles et prolongées de la présente instance dont le Tribunal est saisi, les renseignements sur les emplois étaient-ils « suffisants », selon la prépondérance des probabilités, pour produire des pointages raisonnablement fiables quant aux emplois/postes qui, à leur tour, pouvaient être utilisés pour établir s'il y avait oui ou non un écart de rénumération?
[674] M. Wolf, en tant que porte-parole de l'Équipe professionnelle, a reconnu que lui-même et ses deux collègues avaient trouvé de nombreuses lacunes dans les données sur les emplois disponibles. Il a également affirmé que leur compréhension des emplois était « [...] adéquate mais pas nécessairement idéale [...] » (paragraphe [484]).
[675] Par « adéquate », le Tribunal a donné à penser, au paragraphe [486], que l'on pourrait considérer le mot « suffisante » comme synonyme acceptable.
[676] Le Tribunal voit peu d'intérêt à tenter de trouver un coupable quant aux renseignements sur les emplois imparfaits mais souligne que l'avocat de l'Alliance, à la fin de sa plaidoirie, a déclaré ce qui suit :
[Traduction]
Si nous ne possédons pas une image idéale du travail de PO, je vous dis que cela est dû en grande partie aux décisions prises par Postes Canada187.
[677] En même temps, le Tribunal souligne que l'article 43 de la Loi accorde à la Commission certains pouvoirs quant à l'obtention des documents pertinents de la part d'un intimé lorsqu'elle mène son enquête sur la plainte. Par conséquent, le Tribunal accepte que la Commission, et peut-être même le plaignant, pourraient aussi être tenus en partie responsables pour la condition des renseignements sur les emplois disponibles en l'espèce.
[678] Un autre aspect qui, selon le Tribunal, mérite d'être mentionné, et sur lequel l'Équipe professionnelle n'a eu aucune participation directe, est l'échantillon CR. Alors que les positions contradictoires des témoins experts, M. Bellhouse et M. Kervin, ont été mentionnées plus haut, il est utile de souligner la plaidoirie finale suivante présentée par l'avocat de l'Alliance qui ajoute une autre dimension à cette question :
[Traduction]
Je soulignerai un facteur dont vous pouvez toutefois tenir compte, et c'est lorsque l'on examine les données, l'une des choses qui m'a frappé, le caractère représentatif des données, on retourne à la cause fondamentale des présumés problèmes quant à l'échantillon CR et le problème provient du fait que Postes Canada a donné à la Commission une liste des employés périmée. C'est l'origine de la nécessité de la recherche d'autres employés.
Je ne vous dirai pas que la Commission n'a pas commis de faute, et il en va de même pour Postes Canada. Il serait certainement inéquitable pour Postes Canada de se présenter maintenant devant le Tribunal et d'affirmer que l'on ne peut pas se fier sur les données alors qu'elle était responsable de fournir des renseignements à la Commission188.
[679] Pour répondre à la question de savoir si oui ou non les renseignements sur les emplois étaient raisonnablement fiables, le Tribunal a trouvé l'extrait suivant utile :
Traduction]
Par contre, en droit anglo-canadien, [...] les tribunaux ont statué de façon constante que dans les cas où la partie demanderesse établit qu'une perte a probablement été subie, la difficulté d'en déterminer le montant ne peut jamais permettre à l'auteur du préjudice de se soustraire au paiement de dommages-intérêts. Si ce montant est difficile à estimer, le tribunal doit simplement faire de son mieux à partir des éléments dont il dispose ; évidemment, si la partie demanderesse n'a pas produit une preuve dont on aurait pu s'attendre qu'elle soit produite si la demande était bien fondée, son omission sera interprétée en sa défaveur.
Dans Ratcliffe c. Evans, le juge Bower a affirmé ce qui suit :
[Traduction]
On doit insister sur le plus de certitude et le plus de particularité possible lorsque l'on plaide l'existence d'un préjudice, comme il est raisonnable, compte tenu des circonstances et de la nature des gestes eux-mêmes par lesquels le préjudice est causé. Insister sur moins équivaudrait à assouplir de vieux principes clairs. Insister sur plus équivaudrait à de la pédanterie inutile189.
[680] Bien que l'extrait susmentionné ait trait au droit de la responsabilité civile délictuelle, le Tribunal estime qu'il porte sur une approche qui est peut-être semblable à ce que le Tribunal estime être le spectre de la fiabilité raisonnable. Le Tribunal a déjà accepté (paragraphe [596]) que la norme du caractère raisonnable devrait s'appliquer lorsqu'il s'agit d'établir la fiabilité du système d'évaluation des emplois choisi, du processus suivi et des renseignements sur les emplois utilisés. La norme absolue de la décision correcte a été rejetée, comme d'ailleurs le témoignage de Mme Winter, et ce, pour les mêmes motifs.
[681] L'ouvrage du professeur Waddams, susmentionné, auquel, fait intéressant, la Commission et l'Alliance ont renvoyé dans le contexte de leurs observations quant à la réparation, parle de la nécessité pour un tribunal, lorsqu'il fixe des dommages-intérêts de [Traduction] « faire de son mieux avec les documents disponibles », parce que la difficulté d'en fixer le montant « ne peut jamais permettre à l'auteur du préjudice de se soustraire au paiement de dommages-intérêts ». La citation se poursuit en renvoyant à la décision Ratcliffe c. Evans dans laquelle il est mentionné qu'insister sur plus qu'une certitude raisonnable lorsque l'on plaide l'existence d'un préjudice « équivaudrait à de la pédanterie inutile » et insister sur moins « équivaudrait à assouplir de vieux principes clairs »190.
[682] En d'autres mots, l'absolutisme devrait probablement être évité aux deux extrémités du spectre. Une norme pure à 100 p. 100 de correctitude est inacceptable à l'extrémité supérieure du spectre, tout comme une norme à l'extrémité inférieure qui rejette tout simplement comme n'ayant aucune valeur. Cette conception d'un spectre est certainement pertinente quant à la décision du Tribunal concernant la fiabilité raisonnable des documents utilisés dans le cadre de la réalisation des évaluations dont il est question dans la présente plainte.
[683] Compte tenu des circonstances de la présente cause et de la nature réparatrice des lois sur les droits de la personne, laquelle nature appelle une interprétation large, libérale et à caractère final, le Tribunal conclut qu'une approche large et libérale comparable, qui fait appel à l'analogie du spectre, convient à une décision relative à la fiabilité raisonnable de renseignements sur les emplois. Bien que, il se peut que les renseignements sur les emplois ne rencontrent pas le degré de fiabilité qui est normalement exigé dans une situation de « parité salariale », « sont-ils adéquats », comme le prétend M. Wolf, pour la présente situation? Subsidiairement, les renseignements sur les emplois utilisés par l'Équipe professionnelle, avec leurs diverses lacunes, doivent-ils être rejetés comme n'ayant aucune valeur et sans aucun fondement, comme le veut l'opinion de M. Willis?
[684] Le Tribunal croit que c'est dans le contexte du processus complet d'évaluation des emplois, c'est-à-dire le plan d'évaluation choisi et, surtout les évaluateurs impliqués, que l'on peut le mieux répondre à ces questions.
[685] Compte tenu de la très grande expérience en matière d'évaluation des emplois de M. Wolf et de M. Ingster de l'Équipe professionnelle, notamment de leur grande expérience de l'application, pendant de nombreuses années, du système Hay à une vaste gamme d'emplois comportant divers renseignements sur les emplois, le Tribunal estime que leurs opinions concernant la fiabilité des renseignements sur les emplois disponibles étaient particulièrement convaincants.
[686] De plus, M. Wolf n'a pas hésité à relever des lacunes dans des instruments comme la Feuille de données sur l'emploi et comme certaines descriptions d'emploi. Il a également démontré qu'il était capable de s'adapter à la situation qui lui est soumise comme le démontrent ses remarques concernant le fait qu'il faut faire preuve de « sélectivité » lorsque l'on utilise les données comprises dans la Feuille de données sur l'emploi (paragraphe [609]). De toute évidence, il savait comment éviter les aspects les plus offensants de ce document. Lui et ses deux collègues étaient donc, très conscients des imperfections, notamment de certaines incohérences et même d'un manque d'intégralité, dans les renseignements sur les emplois, mais ont tout de même conclu que les documents étaient « adéquats » quant au travail effectué par l'Équipe professionnelle.
[687] L'Équipe professionnelle a également été avantagée par l'augmentation de la base de données de FAITS I au moyen des documents de FAITS II. Les nouveaux renseignements sur les conditions de travail obtenus au moyen des entrevues téléphoniques effectuées auprès des membres de l'échantillon CR qui ont été contactés constitue un exemple. La réévaluation, en l'an 2000, des 10 emplois PO « génériques » fondée sur de nombreux éléments de preuve obtenus de la part d'un certain nombre de témoins de Postes Canada, laquelle réévaluation a résulté en deux révisions importantes du pointage des emplois, constitue un autre exemple.
[688] En répondant à une question posée par l'avocat de l'Alliance concernant son « degré d'aisance » avec les évaluations globales effectuées par l'Équipe professionnelle, M. Wolf a répondu ce qui suit, insinuant que les renseignements sur les emplois étaient à tout le moins adéquats :
[Traduction]
J'estime que ces évaluations sont des représentations valables des emplois particuliers en cause. Je n'aurais pas évalué l'emploi si j'avais estimé que nous ne pouvions pas l'évaluer d'une manière valable et appropriée. Nous avons écarté les quatre emplois parce que nous estimions que nous ne pouvions pas évaluer ces emplois avec précision191.
[689] Le Tribunal doit avouer que naviguer au travers des renseignements sur les emplois par les détroits de la « fiabilité raisonnable » n'a pas été un exercice de tout repos. Cependant, en évaluant la preuve présentée par l'ensemble des parties et les témoins experts, et en vertu des circonstances uniques de l'espèce dans le domaine des motifs de distinction illicite des lois sur les droits de la personne, le Tribunal conclut que les renseignements sur les emplois qui étaient entre les mains de l'Équipe professionnelle, étaient, selon toute vraisemblance, « raisonnablement fiables » ou « adéquats » comme l'Équipe les a décrits, et ce, malgré certaines imperfections.
(ii) Les définitions et les sous-fourchettes d'acceptabilité
[690] Reconnaissant l'importance de cette conclusion, le Tribunal désire consigner comment il a décidé de traiter ce qu'il considère être l'un des aspects les plus complexes de la présente cause. Pour l'aider à analyser les nombreux aspects des renseignements sur les emplois disponibles et à vérifier la « fiabilité raisonnable » de ces renseignements, le Tribunal a estimé qu'il était nécessaire de réexaminer les définitions avec lesquelles il a travaillé.
[691] D'abord, l'expression utilisée par M. Wolf lorsqu'il a décrit la compréhension du travail de l'Équipe professionnelle comme étant « [...] adéquate mais pas nécessairement idéale [...] ». Au paragraphe [485], le Tribunal a extrait les définitions du mot « adéquat » figurant dans les dictionnaires Webster et Oxford. Les deux dictionnaires comprenaient notamment le mot « suffisant » parmi leurs définitions du mot « adéquat ». À leur tour, les deux dictionnaires ont défini le mot « suffisant » comme « adéquat » ou « assez ». Le mot « idéal » est défini dans le dictionnaire Webster comme [Traduction] « une norme de perfection ou d'excellence » et dans le dictionnaire Oxford comme « conçu comme parfait dans son genre ».
[692] Comment ces définitions se comparent-elles à la signification de « raisonnablement fiable »? Webster définit le mot « raisonnable » comme [Traduction] « ne dépassant pas les limites prescrites par la raison, non exagéré, modéré ». Oxford définit le mot « raisonnable » comme [Traduction] « n'allant pas au-delà de la limite prescrite par la raison, non extravagant, non exagéré, modéré ». Webster définit « fiable » comme [Traduction] « constamment digne de confiance en réputation, jugements, rendements ou résultats ». Oxford définit « fiable » comme [Traduction] « en quoi on peut faire confiance, digne de confiance, sans danger, sûr ».
[693] Des renseignements sur les emplois « raisonnablement fiables » peuvent donc être interprétés comme étant des renseignements sur les emplois qui sont constamment relativement fiables ou dans lesquelles on peut avoir une confiance modérée. Les mots « adéquat » et « suffisant » sont interchangeables. Alors que certaines personnes estiment que les mots « constamment, relativement fiable » ou « confiance modérée » sont plus exigeants en ce qui concerne le niveau de qualité que les mots « adéquat » ou « suffisant », le Tribunal a conclu que, dans la situation en l'espèce, ils étaient, dans l'ensemble, équivalents.
[694] Par conséquent, le Tribunal a considéré l'expression « raisonnablement fiable » et les mots « adéquat » et « suffisant » comme étant interchangeables aux fins de l'établissement de l'état de la fiabilité des renseignements sur les emplois disponibles en l'espèce. De toute évidence, le mot « idéal » fixe une norme de la décision correcte qui se situe au-delà de la norme de la « fiabilité raisonnable ».
[695] Ayant précisé la terminologie régissant la norme de fiabilité, le Tribunal a conclu que, selon toute vraisemblance, il n'y a pas un seul point précis qui représente la « fiabilité raisonnable » ou la fiabilité  « adéquate ». Au contraire, selon toute vraisemblance, une fourchette d'acceptabilité représente ce qu'on entend par fiabilité « raisonnable » ou « adéquate ». Un certain nombre d'éléments candidats peuvent mieux cadrer que d'autres à l'intérieur de cette fourchette, mais tous ceux qui passent le test d'entrée sont considérés comme étant raisonnablement, adéquatement ou suffisamment fiables.
[696] Bien que le Tribunal eût conclu qu'il est difficile, et probablement imprudent, de tenter d'être précis quantitativement quant à la largeur de la fourchette d'acceptabilité, il a conclu qu'il est utile, au point de vue administratif, de penser en fonction de trois sous-fourchettes possibles. La première sous-fourchette représente les percentiles supérieurs de la fourchette, la deuxième sous-fourchette représente le percentile mitoyen et la troisième sous-fourchette représente les percentiles inférieurs. Le Tribunal a appelé ceux-ci, respectivement, « fiabilité raisonnable supérieure », « fiabilité raisonnable médiane » et « fiabilité raisonnable inférieure ».
[697] En effectuant son étude de l'énorme quantité de documents et de témoignages de la présente cause qui dure depuis beaucoup d'années, le Tribunal en est venu à penser que l'équité envers l'ensemble des parties dans une cause de « parité salariale » serait probablement atteinte lorsque la qualité des renseignements sur les emplois visés cadraient bien à l'intérieur de la sous-fourchette « fiabilité raisonnable supérieure ». Plus le niveau de la sous-fourchette au sein de la fourchette de la « fiabilité raisonnable » est élevé, plus la qualité est élevée et plus les pointages éventuels attribués aux emplois et aux postes visés sont précis - du moins en théorie.
[698] Par conséquent, bien que les trois sous-fourchettes satisfassent au critère de la « fiabilité raisonnable », la sous-fourchette supérieure satisfait davantage au critère et devrait, selon le Tribunal, être le premier choix dans une situation relative à la « parité salariale ».
[699] À ce moment-ci, le Tribunal s'est demandé, dans quelle sous-fourchette placerait-il les renseignements sur les emplois que l'Équipe professionnelle a utilisés en l'espèce? Compte tenu du nombre de réserves et d'imperfections dans les renseignements sur les emplois disponibles déjà constatées dans l'examen qui précède, le Tribunal a conclu que les renseignements ne pouvaient être aisément considérés comme appartenant à la « sous-fourchette supérieure de la fiabilité raisonnable ». Le Tribunal n'était pas non plus disposé à accepter que les renseignements sur les emplois cadraient bien dans la « sous-fourchette médiane de la fiabilité raisonnable ». Le Tribunal a toutefois convenu que la place qui convenait le mieux aux renseignements sur les emplois était la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable ».
[700] En conséquence, le Tribunal a conclu que, comme il a été précisé au paragraphe [689], selon toute vraisemblance, les renseignements sur les emplois utilisés par l'Équipe professionnelle lorsqu'elle a effectué ses évaluations des postes/emplois CR et PO pertinents en l'espèce, étaient raisonnablement fiables, bien que situés au niveau de la « sous-fourchette inférieure de la fiabilité raisonnable ».
VII. L'ÉCART DE RÉMUNÉRATION ET MÉTHODE DE RAJUSTEMENT DES SALAIRES
A. Contexte
[701] Ayant conclu, selon toute vraisemblance, que la méthode Hay « ordinaire », laquelle est utilisée dans le cadre de la méthode traditionnelle de comparaison des facteurs, que le processus suivi ainsi que les renseignements sur l'emploi utilisés par l'Équipe professionnelle lorsqu'elle a effectué ses évaluations des postes/emplois CR et PO étaient raisonnablement fiables, les prochaines questions que l'on doit maintenant aborder sont les suivantes :
Dans quelle mesure les valeurs des évaluations des emplois attribuées par l'Équipe professionnelle aux postes CR et aux emplois PO concernés étaient-elles fiables?
A-t-on fait la preuve de l'existence d'un « écart de rémunération » entre les groupes à prédominance féminine et les groupes à prédominance masculine exécutant des fonctions équivalentes?
[702] Le Tribunal a déjà établi que les trois membres de l'Équipe professionnelle, dont il a souligné les compétences au paragraphe [382], étaient crédibles. M. Wolf a notamment été qualifié d'expert du processus Hay en matière d'évaluation des emplois et du processus Hay en matière de rémunération.
[703] Par conséquent, le Tribunal conclut que, selon toute vraisemblance, le processus Hay ainsi que les renseignements sur les emplois raisonnablement fiables susmentionnés, entre les mains d'évaluateurs compétents, comme l'étaient les membres de l'Équipe professionnelle, permettraient l'attribution de valeurs d'évaluation des emplois raisonnablement fiables aux travaux exécutés par les employés CR et par les employés PO.

[704] Dans son rapport final, l'Équipe professionnelle a conclu ce qui suit quant à la méthode d'évaluation Hay :
[Traduction]
Ayant conclu qu'une partie importante des postes CR sont d'une valeur égale ou plus grande que celle des emplois PO, la prochaine étape logique était l'identification de la nature de l'écart de rémunération, le cas échéant, entre les emplois PO à prédominance masculine et les emplois CR à prédominance féminine192.
[705] En comparant les valeurs des évaluations des postes CR et des emplois PO avec les taux de rémunération horaire des postes CR et des emplois PO, l'Équipe professionnelle a déclaré dans son rapport (Pièce AFPC-30) qu'elle avait fait ces comparaisons pour chacune des trois années suivantes : 1983, l'année où la plainte a été déposée; 1989, l'année que la Commission a utilisée pour son analyse de rémunération, et, 1995, l'année où le rapport de l'Équipe professionnelle a été déposé. Les taux de rémunération horaires ont été fournis par l'Alliance et ont été présumés justes. Le taux le plus élevé a été utilisé dans tous les cas.
[706] Comme méthode de rajustement des salaires, l'Équipe professionnelle a utilisé la méthode niveau/courbe dans laquelle une courbe de la rémunération des personnes de sexe masculin a été dressée et à laquelle on a comparé les taux de rémunération des personnes de sexe féminin. L'Équipe a utilisé cette méthode niveau/courbe parce qu'il s'agit d'une comparaison indirecte fréquemment utilisée dans les causes de « parité salariale » dans lesquelles de grands organismes sont impliqués par opposition à une méthode directe de comparaison emploi par emploi. La courbe de rémunération des personnes de sexe masculin représente un « modèle » des emplois à prédominance masculine. Elle est tracée sur un graphique à partir des pointages totaux des évaluations des emplois figurant sur un axe du graphique et des salaires figurant sur l'autre axe. Une fois que cela est fait, le point d'intersection entre les pointages des évaluations et les salaires pour les emplois à prédominance féminine, représentés graphiquement de la même manière, est comparé à la courbe des emplois à prédominance masculine à des points d'intersection précis.
[707] L'Équipe professionnelle a conçu huit courbes de rémunération différentes des personnes de sexe masculin qu'elle a appelées méthodes A à H inclusivement. Elle a notamment conçu une courbe pour chacun des emplois PO-INT (méthode A) et pour chacun des emplois PO-EXT (méthode B) ainsi qu'une moyenne des emplois PO-INT et des emplois EXT (méthode E) pour chacune des trois années choisies. Une comparaison emploi par emploi ou un « appariement de postes » comme l'Équipe l'a appelée (méthode H) a également été faite.
[708] Les analyses faites par l'Équipe professionnelle des rémunérations des emplois PO à prédominance masculine et des postes CR à prédominance féminine ont révélé l'existence d'un écart de rémunération, peu importe la méthode niveau/courbe utilisée. Un résultat semblable a été obtenu avec la méthode de l'« appariement des postes ». Ces conclusions valaient pour chacune des années 1983, 1989, et 1995.
[709] L'Équipe professionnelle a conclu ce qui suit : [Traduction] « toutes ces méthodes révèlent l'existence d'un écart important entre les salaires versés aux CR et ceux versés aux PO qui exécutent un travail de valeur égale »193. Bien que les différentes méthodes aient donné des résultats différents quant à l'importance des écarts de rémunération, l'Équipe professionnelle a qualifié ces différences de [Traduction] « relativement mineures ».
[710] D'un point de vue de rémunération, l'opinion d'expert de l'Équipe professionnelle était que la meilleure mesure de l'écart de rémunération entre les emplois/postes PO et CR était donnée par la courbe de rémunération PO-INT (méthode A) ou par la méthode de l'« appariement de postes » (méthode H). L'Équipe croyait qu'il en était ainsi parce que les emplois INT étaient ce qui se rapprochait le plus des postes CR compte tenu de la nature des fonctions.

B. Les observations des parties
(i) L'Alliance
[711] L'Alliance a prétendu que lorsque l'existence d'un écart de rémunération est constaté, il est nécessaire de décider quelle méthode est la plus appropriée pour éliminer cet écart entre les CR et les PO. Elle a de plus prétendu que la méthode la plus efficace pour éliminer l'écart est la « méthode de rajustement des salaires ».
[712] Sur les huit courbes de rémunération des personnes de sexe masculin tracées par l'Équipe professionnelle, la méthode favorisée par l'Alliance était celle du rajustement à la moyenne des courbes de rémunération INT et EXT - la méthode E - parce que l'Alliance estimait qu'elle représentait mieux les pratiques salariales des groupes de comparaison à prédominance masculine. Comme nous l'avons déjà souligné, l'Équipe professionnelle favorisait la courbe de rémunération INT (méthode A) bien qu'elle ait accepté que la méthode E était aussi valable.
[713] Le témoin de l'Alliance, M. Terrence Ranger, dont le témoignage a été entendu en novembre 1995, a appuyé la position de l'Alliance. L'Alliance n'a pas demandé au Tribunal de qualifier M. Ranger de témoin expert.
[714] Au moment où il a rendu son témoignage, M. Ranger a déclaré qu'il était à l'emploi de l'Alliance comme chef de section de la recherche à la Division de la négociation collective. Cette section comprenait six agents de recherche qui ont siégé sur des équipes de négociation et qui ont fourni du soutien d'arrière-plan pour les revendications. Ces agents ont effectué une analyse de rémunération dans le domaine de la rémunération directe ainsi que dans le domaine des bénéfices marginaux comme les régimes de pension, les régimes d'assurance-dentaire et les régimes d'assurance-maladie. M. Ranger a initialement été embauché par l'Alliance en 1976 comme agent principal de recherche. Il a confirmé qu'il avait été appelé comme témoin devant le tribunal qui a entendu la cause du Conseil du Trésor194. Dans cette cause, on lui avait demandé de calculer les sommes exigées pour éliminer l'écart de rémunération dont l'existence avait été établie par l'un des conseillers en statistiques qui avait joué un rôle dans cette cause.
[715] M. Ranger a témoigné qu'il avait examiné les rapports de M. Lee195 et de l'Équipe professionnelle196 et qu'il avait comme objectif d'évaluer, pour chaque année de la plainte, le coût des paiements qui seraient nécessaires pour éliminer les écarts de rémunération qui avaient été constatées par l'Équipe professionnelle dans ses huit différentes méthodes. Comme les calculs de l'Équipe se limitaient aux années 1983, 1989 et 1995, M. Ranger a mentionné qu'il avait produit des courbes de rémunération fondées sur la méthode de l'Équipe pour chacune des années 1981 à 1995. L'année de départ 1981 est l'année où Postes Canada est devenue une société d'État. M. Ranger a utilisé ce qu'il a appelé des taux de rémunération directe « annuels équivalents » pour chaque période de 12 mois et a exclu les « rémunérations indirectes » de ses calculs, conformément aux conclusions de M. Lee.
[716] En effet, M. Ranger a témoigné qu'il avait reproduit ce que l'Équipe professionnelle avait fait en utilisant la même méthode mais en y ajoutant le nombre d'employés. S'il avait bien compris, il s'agissait des chiffres de Postes Canada, lesquels avaient été obtenus par l'Alliance ou tirés directement de l'exposé conjoint des faits. Pour les années 1981 à 1985, il a présumé que le nombre d'employés étaient le même que pour 1986. M. Ranger a ensuite multiplié l'écart de rémunération constatée par l'Équipe professionnelle dans chacune des huit méthodes, par le nombre d'heures de travail par année et par le nombre d'employés concernés.
[717] La conclusion de M. Ranger était que la méthode E de l'Équipe professionnelle - la moyenne des courbes de rémunération des personnes de sexe masculin INT et EXT - produisait la meilleure représentation de la population du groupe de comparaison et, par conséquent, la mesure corrective la plus adéquate en l'espèce. Il a reconnu que les coûts du paiement seraient moindres en vertu de la méthode E qu'en vertu de la méthode A favorisée par l'Équipe professionnelle.
[718] M. Ranger a souligné que les données sur la population des employés qu'il a utilisées devraient être considérées comme des « estimations » car ces données ont été prises à des points précis dans le temps et il a été présumé qu'elles se rapportaient à des employés à temps plein pour la période entière de 12 mois. En réalité, il se peut qu'un certain nombre d'employés à temps plein n'occupaient pas un poste donné pendant chacun des 12 mois de l'année et on croit qu'un certain nombre d'entre eux étaient des employés à temps partiel. Par conséquent, selon M. Ranger, cela aurait une incidence sur son estimation des coûts.
[719] M. Ranger a ensuite témoigné que le montant du paiement total possible aux employés CR quant à l'écart de rémunération, lequel montant, selon ses calculs, serait légèrement plus élevé que 124 million de dollars (à l'exclusion des « rémunérations indirectes »), devrait être considéré comme « une estimation » et peut-être même comme [Traduction] « [...] une estimation jugée élevée ».
[720] M. Ranger a également témoigné ce qui suit :
[Traduction]
Je ne veux pas laisser entendre que le coût du règlement sera de 124 millions de dollars; il s'agit d'une certaine approximation du coût total de la présente plainte, mais je ne crois pas que personne ici pourrait en arriver à ce montant. Je crois que ce qui devrait être circonscrits sont les montants horaires qui sont exigés, puis chaque employé recevra le montant qui lui est dû en fonction de ces montants horaires et du temps qu'il a travaillé durant la période. En fait, personne ne connaîtra le coût final que lorsque tout ceci aura été fait197.
[721] Lorsqu'il a été contre-interrogé par l'avocat de Postes Canada, M. Ranger a convenu que tout rajustement en cas de « parité salariale » serait une « rémunération à tous égards ». Il a expliqué que cela signifiait que le rajustement comprendrait également toute remise prescrite par la loi que Postes Canada pourrait devoir faire en raison du rajustement de base. Il a donné des exemples comme les obligations de l'employeur touchant des éléments comme la pension de retraite, l'assurance-emploi, et la taxe en matière de santé. Bien que ces éléments augmenteraient les coûts de Postes Canada, ils n'ont pas été quantifiés par M. Ranger.
[722] L'Alliance appuie vigoureusement le concept de la « rémunération à tous égards » et a prétendu que les montants payables aux CR pour éliminer l'écart de rémunération doivent être classés dans cette catégorie. Des rajustements appropriés devraient être faits afin de refléter le coût de ces remises prescrites par la loi.
[723] Après avoir été interrogé davantage par l'avocat de Postes Canada, M. Ranger a confirmé que, aux fins de ses calculs de l'écart de rémunération, il avait utilisé le taux de rémunération maximum figurant dans le barème des taux de rémunération prévus quant à un poste ou à un emploi donné. Bien que des postes ou des emplois avec des points d'évaluation précis sont rémunérés selon des tranches de salaire précises et que les titulaires de ces postes peuvent gagner des salaires différents dans une tranche donnée, et ce, en fonction du temps qu'ils ont occupé ce poste ou cet emploi, aux fins de sa quantification du coût de l'élimination de l'écart de rémunération, M. Ranger a présumé que chaque emploi ou chaque poste était rémunéré selon le niveau le plus élevé permis.
[724] L'Alliance a également prétendu que le principe de l'« inclusion » devrait être mis en application au moment du rajustement des salaires visant à éliminer l'écart de rémunération. La prétention était que, à la date de la décision finale du Tribunal, un rajustement serait apporté aux taux de rémunération de base prévus dans la convention collective des CR de telle sorte que, pour un travail de valeur égale, les salaires des CR seraient les mêmes que les salaires des PO. Le rajustement serait inclus dans le taux de rémunération de base des CR.
[725] Comme solution de rechange à l'adhésion de M. Ranger à la méthode de rajustement des salaires préconisée par l'Équipe professionnelle, l'Alliance a prétendu que la méthode fondée sur l'emploi de M. Kervin serait acceptable en l'espèce. L'Alliance a estimé que la méthode de M. Kervin produisait des écarts de rémunération très semblables à celles relevées par l'Équipe professionnelle et par M. Ranger.
[726] En conclusion, l'Alliance a affirmé que l'établissement du coût final réel de l'élimination des écarts de rémunération demandera plus de travail. Par exemple, un examen des dossiers des employés détenus par Postes Canada sera nécessaire. De plus, les modifications faites en juin 2000 par l'Équipe professionnelle quant à certaines évaluations d'emploi PO, lesquelles modifications découlaient des témoignages présentés par les témoins de Postes Canada, auront une incidence sur les calculs de l'écart de rémunération. Ces modifications figurent dans le rapport AFPC-180 de l'Équipe professionnelle.
(ii) La Commission
[727] La Commission a affirmé qu'il est justifié d'accorder un montant pour perte de salaire afin de régler la question de l'écart de rémunération, entre les groupes d'employés CR et les groupes d'employés PO, l'existence duquel écart a été établie en l'espèce. La Commission a également affirmé que la méthode de rajustement des salaires la plus appropriée à utiliser dans le calcul de cette indemnité particulière est la méthode niveau/courbe dans laquelle on se sert d'une courbe de rémunération combinée des personnes de sexe masculin comme dans la méthode E de l'Équipe professionnelle.
[728] La Commission a souligné que la majorité des causes de « parité  salariale » qui sont de nature systémique font intervenir des groupes professionnels qui ne se prêtent pas toujours à des comparaisons directes de la valeur du travail exécutée. En l'espèce, étant donné que les emplois des sous-groupes PO-INT et PO-EXT ne comportent pas de comparateurs directs pour les postes CR, la Commission a prétendu que, conformément à l'article 15 de l'ordonnance de 1986, une comparaison indirecte entre le travail des personnes de sexe féminin et le travail des personnes de sexe masculin doit être faite. Selon la Commission, cette comparaison indirecte comporte l'élaboration d'une courbe de rémunération des personnes de sexe masculin à l'aide de l'analyse de la régression.
[729] La Commission a également affirmé qu'une telle comparaison indirecte, réalisée grâce à la méthode de rajustement des salaires niveau/courbe, serait compatible avec ce que M. Wolf, M. Kervin et M. Ranger ont recommandé. Elle serait également compatible avec la méthode choisie dans la cause Conseil du Trésor198.
[730] Selon la Commission, la courbe de rémunération des personnes de sexe masculin, devrait combiner l'ensemble des données disponibles sur les personnes de sexe masculin. La meilleure façon d'y arriver est d'utiliser la méthode E, laquelle fait partie des choix de l'Équipe professionnelle. Ce choix correspondrait aux choix faits par M. Kervin et par M. Ranger et est conforme à l'article 14 de l'ordonnance de 1986. Cet article mentionne que lorsqu'une comparaison est faite entre le groupe professionnel qui a déposé une plainte alléguant une disparité salariale et d'autres groupes professionnels, ces autres groupes sont considérés comme un seul groupe.
[731] La Commission a affirmé que la méthode de rajustement des salaires la plus appropriée quant à la valeur des emplois des personnes de sexe féminin était la méthode fondée sur un niveau plutôt que la méthode fondée sur une courbe de salaire des personnes de sexe féminin, d'où l'appellation niveau/courbe. M. Wolf et M. Ranger ont fondé leur niveau des personnes de sexe féminin sur la moyenne des résultats des évaluations des postes existant au sein de chacun des niveaux CR.
[732] La Commission a affirmé que, bien que ni elle, ni l'Alliance, n'étaient capables de décider quels postes comprenaient les emplois compris dans l'échantillon CR, Postes Canada, en mai 1999, a présenté, par le biais de son témoin M. Brian Wilson, un rapport sur le regroupement en emplois des postes CR évalués199. M. Wilson, un retraité de Postes Canada depuis 1995, a passé plus de 30 ans au service de la compagnie. Il a d'abord travaillé comme facteur, puis il a progressivement gravi les échelons pour devenir superviseur et gestionnaire aux relations de travail et aux ressources humaines.
[733] La Commission a affirmé que M. Mark Killingsworth, un autre témoin de Postes Canada, a ensuite établi les valeurs moyennes de ces emplois en utilisant les postes CR évalués avec leur prédominance de tel ou tel sexe qui figuraient dans les documents de M. Wilson. La Commission a affirmé que c'est grâce aux déterminations de M. Killingsworth que M. Kervin, le témoin de l'Alliance, a été capable de fournir son avis d'expert quant à la manière de calculer les rajustements de « parité salariale » niveau/courbe.
[734] M. Killingsworth a été qualifié par le Tribunal de témoin expert en économique du travail, notamment en économétrie. Il a obtenu un baccalauréat ès arts en économique « avec grande distinction » à l'université du Michigan en 1967. Il a ensuite étudié à l'université d'Oxford grâce à une bourse de la fondation Rhodes. Il y a obtenu un baccalauréat en économique en 1969 et un doctorat en économique en 1977. Au moment de sa première comparution devant le Tribunal en mai 1999, il était professeur d'économique à l'université Rutgers (New Jersey), un poste qu'il occupe depuis 1988. Il a également travaillé comme économiste chargé de recherches au National Bureau of Economic Research, poste qu'il a occupé depuis 1984. Il est l'auteur d'un certain nombre de publications sur la valeur comparable (le terme américain pour « parité salariale ») et a effectué de nombreuses recherches dans ce domaine ainsi que dans des domaines connexes.
[735] La Commission a favorisé l'analyse du M. Kervin étant donné qu'elle comportait l'utilisation des emplois CR plutôt que l'utilisation des postes CR. La Commission a affirmé que de nombreux experts ont convenu que ce sont les « emplois » qui constituent l'unité d'analyse privilégiée dans le cadre des études en matière de « parité salariale ». Un « emploi » est un ensemble de tâches généralement exécutées par de nombreux employés occupant des « postes ».
[736] Que la méthode des « emplois » ou des « postes » ait été utilisée pour calculer le niveau des personnes de sexe féminin, la Commission a prétendu qu'il était préférable d'utiliser en l'espèce la méthode niveau/courbe. Elle présume toutefois que chaque niveau est fondé sur un échantillon représentatif d'emplois à prédominance féminine. La Commission a rappelé au Tribunal que l'opinion d'expert de M. Kervin était que l'échantillon CR était suffisamment représentatif.
[737] Dans ses prétentions la Commission a souligné l'utilisation du plan Hay dans lequel les postes CR échantillonnés de façon aléatoire ont été évalués en conformité avec les quatre facteurs que sont les qualifications, les efforts, les responsabilités nécessaires pour l'exécution du travail, compte tenu des conditions de travail, lesquels facteurs figurent au paragraphe 11(2) de la Loi. Il en a résulté la tranche de valeurs des emplois pour chacun des niveaux CR.
[738] La Commission a conclu que la méthode de M. Kervin ainsi que celle de M. Ranger, lesquelles comportaient toutes les deux une courbe composite de la rémunération des personnes de sexe masculin, étaient les plus appropriées. Par conséquent, la Commission a soumis, pour les années 1981 à 2002, deux ensembles de calculs de rajustements exigés quant à chaque niveau CR pour atteindre un salaire égal pour un travail de valeur égale.
[739] Le premier calcul a été fondé sur la méthode de M. Kervin dans laquelle celui-ci a utilisé les valeurs des évaluations des emplois de l'Équipe professionnelle et avec laquelle il a relevé l'existence d'un écart de rémunération pour l'année 1995. À partir de cette année de référence, la Commission a extrapolé les écarts de rémunérations pour chacune des autres années. Le deuxième calcul était celui de M. Ranger dont la détermination de l'écart de rémunération par niveau de CR par année était fondée sur la méthode employée par l'Équipe professionnelle.
[740] La Commission a mentionné que les taux de rémunération utilisés dans ses calculs de rajustement de salaire étaient fondés sur les taux figurant dans les conventions collectives pertinentes. Plus particulièrement, les taux de rémunération pour les années 1981 à 1994 ont été ceux mentionnés dans le rapport de M. Ranger. Les taux de rémunération pour 1995 ont été extraits des rapports de l'Équipe professionnelle. Les taux de rémunération pour les années 1996 à 2002 ont été directement extraits des conventions collectives par la Commission, étant donné que ni l'Équipe professionnelle, ni M. Kervin n'ont fourni aucun calcul quant aux années postérieures à 1995.
[741] La Commission a mentionné que bien que les calculs de M. Kervin ainsi que ceux de M. Ranger produisaient des estimations satisfaisantes de l'écart de rémunération pour une année donnée, elle préférait les estimations de rajustement de salaire de M. Kervin. Les motifs pour cette préférence comprenaient l'utilisation par M. Kervin de la valeur moyenne de l'emploi dans chaque niveau CR par opposition à la valeur moyenne du poste utilisée par l'équipe de M. Wolf. La Commission a également estimé que les calculs de M. Kervin étaient plus précis et plus récents que ceux de M. Ranger.
[742] La Commission a reconnu que les deux ensembles de calculs ne représentaient que des estimations de l'écart de rémunération et que la détermination des paiements réels pour les employés CR doit, inéluctablement, faire l'objet d'un examen des dossiers des employés avec la participation pertinente de l'employeur.
[743] Bien que la Commission ait prétendu que les tribunaux ne déterminent pas les paiements individuels totaux, le Tribunal, s'il estime que la détermination des valeurs des emplois évalués est raisonnablement fiable, doit décider quelle méthode de rajustement de salaire est appropriée, compte tenu des circonstances de l'espèce.
[744] La Commission a affirmé qu'elle approuvait le principe de l'« inclusion » de l'Alliance selon lequel un rajustement d'arrérages serait inclus dans les taux de rémunération de base prévus dans la convention collective des CR200.
[745] La Commission a également approuvé le concept de « rémunération à tous égards » et a affirmé ce qui suit :
[Traduction]
[...] il est essentiel que les rajustements d'une « parité salariale » comprennent non seulement des rajustements au salaire de base, mais également des rajustements à tous égards, c'est-à-dire, des rajustements aux régimes de retraite, aux heures supplémentaires, aux congés de maladie, aux rémunérations d'intérim et aux prestations d'invalidité de longue durée201.
[746] La Commission a toutefois accepté le témoignage d'expert de M. Lee dans lequel celui-ci a conclu que, selon les contrats actuels des employés à temps plein, il n'y avait pas de différence importante entre les bénéfices marginaux des CR et ceux des PO. M. Lee a examiné les « différences historiques » pour les 12 années antérieures et a conclu qu'elles ne pouvaient pas être calculées de façon fiable sans que l'on dispose d'un dossier complet sur l'expérience des employés, et ce, pour chaque bénéfice marginal. Quant aux quelques différences qui existaient, M. Lee a estimé qu'elles étaient peu importantes et que, dans la majorité des cas, elles ne se traduisaient pas par une différence de salaire importante aux fins de « parité salariale ». Par conséquent, M. Lee a émis l'opinion qu'il n'y avait pas de différence globale dans les bénéfices marginaux qui devraient être inclus dans le calcul des rajustements de salaire qui seraient effectués en faveur des CR ou en faveur des PO.
[747] La Commission a également affirmé que le fait que des emplois du sous-groupe PO-SUP aient été exclus du groupe professionnel PO lors de l'étape de l'enquête et lors du processus ultérieur de « parité salariale », n'avait aucune influence sur la fiabilité raisonnable de la méthode de rajustement des salaires.
[748] La Commission a enjoint le Tribunal de demeurer saisi de l'affaire après avoir soumis sa décision et d'aider les parties au besoin, et ce, au cas où on rencontrerait des difficultés à une date ultérieure dans la détermination des détails des paiements individuels.
(iii) Postes Canada
[749] Postes Canada a fait valoir que la question de la réparation, notamment la question de la méthode de rajustement des salaires, n'a pas à être soulevée si le Tribunal devait trancher en faveur de Postes Canada et rejeter la plainte pour l'un ou plusieurs des motifs qu'elle a déjà invoqués. Toutefois, Postes Canada a choisi de répondre aux observations de l'Alliance et à celles de la Commission touchant les composantes de la réparation.
[750] Postes Canada a fait valoir que l'importance d'un montant de réparation et de son incidence sur l'ensemble des parties exige un degré élevé de confiance dans la méthode utilisée quant à la détermination des rajustements de salaire. À cet égard, Postes Canada a estimé que les calculs de rajustement de salaire de l'Alliance étaient [Traduction] « exagérés en tout point ». Postes Canada a estimé que, selon la méthode de M. Ranger, le montant total serait d'environ 2,4 milliards de dollars et d'environ 443 millions de dollars selon la méthode de M. Kervin.
[751] Postes Canada a souligné que les observations de l'Alliance et les calculs de M. Ranger étaient fondés sur l'analyse de rajustement des salaires de l'Équipe professionnelle, laquelle comprenait l'élaboration d'une courbe de régression pour les emplois à prédominance masculine en insérant manuellement, à vue, à l'aide d'une règle, une courbe à travers les points de données PO. La courbe de rémunération a ensuite été étendue par extrapolation au delà de la portée des données PO, ce qui, selon Postes Canada, est une technique qui n'a pas été considérée acceptable par la Division de l'équité salariale de Travail Canada.
[752] Postes Canada a prétendu que l'analyse de rajustement des salaires de l'Équipe professionnelle comportait quatre lacunes importantes et que celles-ci la rendaient inadéquate en l'espèce comme base de calcul des rajustements de salaire appropriés.
[753] La première lacune, selon Postes Canada, était l'insertion manuelle des courbes de rémunération des personnes de sexe masculin. M. Wolf a témoigné que bien qu'il existe une différence d'opinion parmi les statisticiens quant au nombre minimum d'observations exigé pour qu'une analyse de régression soit valable, la plupart estiment qu'un nombre d'observations inférieur à 25 ou 30 est discutable. M. Wolf et ses deux collègues disposaient de cinq observations PO-INT et de cinq observations PO-EXT, lesquelles provenaient des titres d'emploi « génériques ». L'Équipe professionnelle a toutefois tracé à la main des courbes de régression à partir de ce nombre limité d'observations.
[754] La deuxième lacune était que l'Équipe professionnelle avait exclu l'une des cinq observations lorsqu'elle avait tracé sa courbe de régression PO-EXT car elle avait estimé que cette observation était anormale étant donné que l'emploi concerné faisait l'objet d'une rémunération beaucoup plus généreuse que les autres emplois. Postes Canada a prétendu qu'il a pu y avoir une raison plus plausible pour son exclusion. Selon Postes Canada, si elle avait été incluse, elle aurait pu démontrer qu'il n'y avait aucune relation entre les salaires et les valeurs des emplois.
[755] La troisième lacune était l'extrapolation par l'Équipe professionnelle des courbes de rémunération PO-INT et PO-EXT laquelle, selon Postes Canada, démontrait que la majorité des pointages Hay obtenu pour les CR 2, 3, 4, et 5 tombait en dehors de la fourchette des pointages PO. Ce n'est que par l'extrapolation qu'il a été possible de faire cette comparaison étant donné qu'il n'y avait pas d'emplois PO de valeur égale aux nombreux emplois CR, lesquels ont une valeur inférieure. Par conséquent, Postes Canada était d'opinion que, à en juger par les données recueillies par la Commission, il n'était tout simplement pas possible de faire un rajustement de salaire pour ces emplois CR, lesquels sont de valeur inférieure.
[756] La quatrième lacune avait trait au fait que l'Équipe professionnelle avait choisi des modèles de rajustement des salaires que Postes Canada avait estimé injustifiés. Ayant élaboré sept courbes de rémunération niveau/courbe et une solution basée sur l'appariement de postes par points pour seulement trois des années concernées, Postes Canada a affirmé que M. Wolf, sans élaborer, et ses deux collègues avaient recommandé la solution la plus dispendieuse pour chacune des trois années. L'Alliance et la Commission préféraient la solution moins dispendieuse de la moyenne composite PO-INT et PO-EXT.
[757] Quant à l'analyse de M. Ranger, Postes Canada a affirmé que, étant donné qu'elle était fondée sur le travail de l'Équipe professionnelle, les lacunes figurant dans le raisonnement et dans l'analyse de celle-ci ont été reproduites dans le travail de M. Ranger. De plus, Postes Canada a mis en doute la méthode de M. Ranger quant à l'élaboration des courbes de rémunération pour les emplois PO pour les années non couvertes par l'Équipe professionnelle, notamment en raison du fait que celui-ci a fondé ses courbes de rémunération sur seulement deux points d'observation.
[758] Postes Canada a prétendu que, en raison des lacunes fondamentales que comportait l'analyse de l'Équipe professionnelle, lesquelles lacunes ont été aggravées par la méthode douteuse de M. Ranger, l'analyse et les calculs de M. Ranger doivent être rejetés du revers de la main.
[759] Postes Canada a prétendu que la méthode de rajustement des salaires de M. Kervin comportait également de graves lacunes et elle a énuméré comme suit les quatre étapes fondamentales de cette méthode :
ÉTAPE 1. Une courbe de rémunération des personnes de sexe masculin a été tracée à l'aide d'une analyse de régression des emplois à prédominance masculine PO-INT et PO-EXT.
2. Une valeur moyenne des pointages d'évaluation a été établie pour les emplois compris dans chacun des quatre niveaux CR à prédominance féminine.
3. Les étapes 1 et 2 ont été utilisées pour obtenir une « prédiction de la rémunération pour les personnes de sexe masculin » pour chaque niveau CR.
4. La différence entre le salaire horaire moyen pour chaque niveau CR et la « rémunération prévue pour les personnes de sexe masculin » pour le niveau CR en question a été déterminée et elle représentait le montant de rajustement de salaire à être apporté au niveau CR.
[760] Postes Canada a affirmé que l'étape 1 comportait six lacunes, lesquelles allaient du fait que la courbe de rémunération des personnes de sexe masculin comprenait l'un des dix emplois PO qui n'était pas à prédominance masculine et qui était composé de 33 à 55 p. 100 de personnes de sexe féminin (le PO-4), au fait que M. Kervin avait tracé ses courbes de rémunération et avait calculé les rajustements de salaire pour l'ensemble des années en dollars de 1995 uniquement.
[761] À l'étape 2, Postes Canada a démontré qu'en présumant que tous les postes au sein d'un même niveau CR, que ce soit CR 2, 3, 4 ou 5, avaient la même « valeur de l'emploi » (la valeur de l'emploi moyenne au sein de ce niveau), un certain nombre d'anomalies difficiles, voire même absurdes, ont été créées par le chevauchement important des valeurs des emplois entre les niveaux CR. Postes Canada a prétendu qu'un recensement plutôt qu'un échantillonnage pourrait, en effet, être nécessaire à l'étape des rajustements afin de garantir un rajustement équitable des salaires.
[762] Postes Canada a critiqué l'étape 3 de la méthode de M. Kervin au motif qu'elle traitait l'ensemble des titulaires d'emploi  PO comme s'ils étaient des personnes de sexe masculin et l'ensembles des emplois PO comme s'ils étaient des emplois à prédominance masculine, même si dans les observations de Postes Canada aucune de ces hypothèses n'étaient vraies.
[763] Enfin, Postes Canada a affirmé que l'étape 4 aurait pour conséquence que l'ensemble des postes compris dans un niveau CR donné recevraient le même rajustement de salaire sans égard à leur véritable valeur de l'emploi ou à leur véritable pourcentage en personnes de sexe féminin. Par exemple, si un emploi particulier au niveau CR 2 n'était pas à prédominance féminine, cet emploi obtiendrait le même rajustement de salaire qu'un emploi CR 2 qui était à prédominance féminine. Postes Canada a affirmé que seulement 69,1 p. 100 des titulaires de poste CR-2 étaient des personnes de sexe féminin et que, par conséquent, ils étaient « un peu » et non pas « surtout » composés de personnes de sexe féminin (l'année de référence n'a pas été mentionnée). Toutefois, parmi tous les niveaux CR, c'est aux emplois CR-2 que la méthode de M. Kervin accorderait le rajustement de salaire le plus élevé.
[764] Postes Canada a également affirmé que, en vertu du modèle de M. Kervin, trois des quatre niveaux CR recevraient un rajustement de salaire qui dépasserait largement ce que M. Killingsworth avait calculé dans son « Modèle 1 » comme étant la différence de rémunération maximum qui peut être attribuée au sexe. Selon Postes Canada, cela est anormale car M. Kervin, lorsqu'il a présenté son témoignage, a approuvé et accepté totalement le « Modèle 1 » de M. Killingsworth ».
[765] En conclusion, Postes Canada a affirmé qu'un montant alloué pour écart de rémunération fondé sur la méthode de M. Kervin comporterait de graves lacunes et devrait être rejeté par le Tribunal.
[766] Postes Canada a proposé une méthode alternative de rajustement des salaires qui, selon elle, ne comporterait pas les lacunes figurant dans les propositions de M. Ranger et de M. Kervin et elle permettrait d'atteindre l'objectif visé par l'article 11 de la Loi. Les principes fondamentaux de la proposition de rajustement des salaires de Postes Canada sont les suivants :
PRINCIPE 1. Comme l'objet visé par l'article 11 est l'élimination des écarts de rémunération fondées sur le sexe, les salaires ne seraient augmentés que pour les emplois au sein d'un niveau CR qui sont à forte prédominance féminine.
2. Comme l'article 11 n'exige des rajustements de salaire que dans la mesure où il y a rémunération inégale pour un travail de valeur égale, des rajustements devraient être apportés au niveau de l'emploi où la valeur de l'emploi est raisonnablement précise.
3. Les rajustements de salaire ne devraient corriger que les différences de salaire attribuables à la composition de l'emploi en personnes de tel ou tel sexe et ne devraient qu'éliminer l'écart de rémunération entre les emplois à prédominance féminine et les emplois occupés par des personnes de sexe masculin.
4. Des rajustements de salaire ne devraient être apportés qu'en tant qu'« arrérages » visant à compenser pour la discrimination passée. L'Alliance et Postes Canada ont convenu dans leur convention collective actuelle que les taux de rémunération respectent l'article 11 de la Loi.
[767] Dans le but d'appliquer ces principes, Postes Canada a élaboré une procédure détaillée que nous ne décrirons pas ici. Qu'il suffise de dire que cette procédure comportait l'utilisation des Modèles 1 et 7 de M. Killingsworth pour chacune des années comprises entre 1981 et 2001 et l'utilisation des taux réels de rémunération des PO et des CR, lesquels comprenaient les bénéfices marginaux et l'indemnité de « repas payé  » de 6,7 p. 100 pour les années au cours desquelles elle était en vigueur. Elle prévoyait également la détermination du pourcentage en personnes de sexe féminin dans chacun des emplois à prédominance féminine202.
[768] Postes Canada a affirmé que si le Tribunal ordonnait en l'espèce un rajustement de salaire, elle devrait ordonner aux parties d'utiliser cette méthode pour le calcul des montants pertinents, tout en reconnaissant que l'accord de l'ensemble des parties serait exigé quant à la meilleure façon d'appliquer cette méthode.
[769] Deux autres questions ont été traitées par Postes Canada. La première avait trait à ce qui a été qualifié de « repas payé », lequel bénéfice, selon Postes Canada était compris ou présumé dans les calculs de M. Wolf, de M. Kervin et de M. Ranger. Cette majoration de 6,7 p. 100 du taux de rémunération des PO devrait, selon Postes Canada, être retirée. Postes Canada a prétendu que les témoignages de Messieurs Edward Fournier et Harold Dunstan, deux de ses témoins, avaient démontré que ce bénéfice marginal avait été obtenu par la négociation collective et avait été accordé en vue d'améliorer la productivité. Connu sous le nom de « rémunération au rendement », Postes Canada a fait valoir que ce bénéfice était manifestement lié à la productivité et non pas au sexe. Par conséquent, selon Postes Canada, parce que le paragraphe 16(a) de l'ordonnance de 1986 mentionne qu'une différence de salaires entre les employés de sexe masculin et les employés de sexe féminin qui exécutent un travail de valeur égale est justifiée par des évaluations du rendement différentes, cette différence particulière ne peut pas faire partie d'un écart de rémunération.
[770] La deuxième question avait trait à l'incidence sur Postes Canada de la négociation collective et de la situation qui a prévalu en matière de relations de travail pendant de nombreuses années à la suite de la proclamation, en octobre 1981, de la Loi sur la Société canadienne des postes. Lorsque Postes Canada est devenue une société d'État, les unités de négociation qui existaient alors ainsi que les représentants de l'ancien ministère des postes, sont demeurées les mêmes jusqu'en 1985, et ce, afin de permettre une transition stable. Cela, ainsi que l'introduction en 1982 de la loi fédérale du « 6 et 5 p. 100 » sur le contrôle des coûts, ont empêché Postes Canada de commencer à réformer très tôt le processus de négociation collective.
[771] Par conséquent, Postes Canada a affirmé, que, en l'espèce, [Traduction] « on ne peut pas, en toute bonne foi, affirmer qu'elle avait établi ou maintenu des disparités salariales avant 1985 au plus tôt203 ».
[772] Postes Canada est allée plus loin dans cet argument en renvoyant au fait que le Conseil canadien des relations industrielles n'a rendu qu'en 1988 sa décision quant à la structure appropriée des unités de négociation à Postes Canada et son effet ne s'est pas fait sentir avant la ronde de négociation suivante qui a été tenue de 1989 à 1992. Postes Canada a, par conséquent, déclaré ce qui suit :
[Traduction]
Encore une fois, on ne peut pas raisonnablement affirmer que Postes Canada a contrevenu à l'article 11 car elle n'avait pas vraiment le pouvoir de participer à l'établissement ou au maintien des salaires avant cette période de temps204.
(iv) Les observations de l'Alliance en réplique
[773] En répondant aux critiques de Postes Canada concernant l'insertion manuelle de la courbe de rémunération des hommes, l'Alliance a rétorqué que bien que [Traduction] « les résultats soient peut-être un peu moins précis » que ceux de l'analyse de régression, la technique utilisée par l'Équipe professionnelle a été utilisée avec succès par M. Willis dans son étude de l'État de Washington. L'Alliance a également compris que les résultats obtenus par l'Équipe professionnelle étaient très proches de ceux de M. Kervin.
[774] L'Alliance a prétendu que les interrogations de Postes Canada quant au travail effectué par M. Ranger lorsqu'il a tracé des courbes de rémunération PO pour chaque année de la plainte n'avaient [Traduction] « aucun fondement ». Les calculs de M. Ranger ont été faits à partir de principes mathématiques fondamentaux et reproduisaient précisément la méthode de l'Équipe professionnelle.
[775] L'Alliance a réitéré que lorsque les analyses de l'Équipe professionnelle et de M. Ranger ont été effectuées, il n'était possible que de comparer les postes CR aux emplois PO. Le travail de M. Wilson et de M. Killingsworth a permis à M. Kervin de regrouper les postes CR en emplois CR, ce qui lui a permis de faire son analyse sur ce fondement. Malgré cette différence, l'Alliance a prétendu que les résultats obtenus par M. Kervin étaient [Traduction] « très semblables » à ceux obtenus par l'Équipe professionnelle et M. Ranger, et, subsidiairement, l'Alliance a adopté la méthode de M. Kervin.
[776] L'Alliance a fait mention du fait qu'une augmentation de salaire de près de 20 p. 100 avait été accordée par Postes Canada aux employés CR en 1995/1996 et que cette augmentation réduirait l'écart de rémunération pour les années postérieures à 1995.
[777] Quant à l'autre méthode de rajustement des salaires envisagée par Postes Canada, l'Alliance a souligné que cette méthode n'a jamais expressément été présentée durant l'audience et que ses coûts demeurent inconnus. L'Alliance a mentionné qu'elle avait souscrit aux prétentions de la Commission quant aux problèmes intrinsèques reliés à une telle méthode.
[778] L'Alliance a émis des doutes quant à l'utilisation par Postes Canada de l'alinéa 16a) de l'ordonnance de 1986 pour justifier l'exclusion de la valeur du « repas payé » du calcul des salaires des PO en renvoyant à l'article 17 de l'ordonnance de 1986. L'article 17 exige que le facteur raisonnable invoqué soit appliqué de façon uniforme à tous les employés de sexe masculin et à tous les employés de sexe féminin concernés. Selon l'Alliance, Postes Canada n'a pas réussi à prouver que le groupe de comparaison à prédominance masculine et le groupe des plaignants à prédominance féminine bénéficiaient tous les deux de la rémunération au rendement parce que la preuve dont le Tribunal est saisi indique qu'il n'existe pas de rémunération au rendement pour les CR.
[779] La réponse de l'Alliance aux défenses invoquées par Postes Canada comme quoi elle ne devrait pas être tenue responsable, en vertu de l'article 11, d'avoir pratiqué la discrimination salariale pendant un certain nombre d'années, dans les années 1980, a été la suivante : [Traduction] « Ces défenses sont sans fondement ». Bien que Postes Canada ait toujours prétendu qu'il n'y avait pas de discrimination salariale, l'Alliance a affirmé que Postes Canada avait d'abord maintenu, puis avait établi de façon indépendante l'existence de discrimination salariale entre les employés de sexe masculin et les employés de sexe féminin exécutant un travail de valeur égale, une infraction visée à l'article 11. L'Alliance a également prétendu que Postes Canada aurait pu corriger la situation en effectuant des rajustements volontaires en cas de disparité salariale, en dehors des conventions collectives, et ce, sans affecter les taux de rémunérations de base, comme le gouvernement du Canada l'a fait lors de l'étude du Comité mixte. Postes Canada a choisi de ne pas le faire.
[780] L'Alliance a donc affirmé que la période de temps précise pendant laquelle Postes Canada a prétendu qu'elle n'avait pas le pouvoir d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale ne devrait pas être exclue du champ d'application de la présente plainte.
(v) Les observations de la Commission en réplique
[781] La Commission a reconnu qu'elle avait formulé sa position sur la méthode de rajustement des salaires après qu'une bonne partie de la preuve eut été présentée. Ce n'est qu'après avoir entendu le témoignage de M. Wilson concernant le regroupement des postes CR en emplois CR, et après avoir entendu le témoignage d'expert de M. Kervin, que la Commission s'est sentie à l'aise de prendre une position ferme quant au choix de la méthode de niveau/courbe.
[782] La Commission a prétendu que Postes Canada avait mal interprété la méthode de rajustement des salaires qu'elle et l'Alliance avaient utilisée en prétendant que les deux méthodes traitaient la moyenne de chaque niveau CR comme un « emploi ». La Commission a répondu en déclarant que sa méthode de rajustement des salaires ne traite pas chaque niveau comme un emploi mais fait la moyenne des valeurs des emplois par niveau CR parce que l'ensemble des CR dans un niveau donné sont traités de la même façon aux fins de la rémunération.
[783] Les calculs de Postes Canada, fondés sur la méthode de M. Ranger, quant à une possible indemnité totale d'environ 2,4 milliards de dollars et ses calculs, fondés sur le modèle de M. Kervin, quant à une indemnité d'environ 443 millions de dollars, ont été mis en doute par la Commission. Selon, la Commission, aucune preuve à l'appui démontrant comment ces chiffres ont été obtenus, ni aucune preuve permettant de reproduire ces calculs, n'a été fournie.
[784] En réponse à ce que la Commission a estimé comme étant des calculs exagérément gonflés par Postes Canada, la Commission a prétendu qu'elle avait effectué ses propres calculs en se fondant sur la méthode de M. Kervin. La Commission a fait remarquer que ses calculs n'étaient que des estimations car les montants précis dépendraient d'un certain nombre de facteurs au sujet desquels on ne possède pas de renseignements à l'heure actuelle. Voici des exemples de ces facteurs : le nombre précis d'employés à Postes Canada pendant chacune des années visées dans la présente cause, leur nombre d'années de service ainsi que les montants auxquels chacun a droit en vertu de la « rémunération à tous égards ».
[785] En se fondant sur le nombre déclaré de personnes dans la population CR et en supposant une année de 1956,6 heures, la Commission a estimé que les coûts possibles de la rectification de l'écart de rémunération chez les CR seraient de l'ordre suivant :
(1) Si on utilise le taux d'intérêt figurant dans la Loi sur les tribunaux judiciaires :
composé semestriellement environ 527,5 M$
intérêt simple annuel environ 357,4 M$
(2) Si on utilise le taux d'intérêt des obligations d'épargne du Canada :
composé semestriellement environ 375,2 M$
intérêt simple annuel environ 301,1 M$
[786] La Commission a précisé qu'elle avait fait ce qu'elle avait estimé être un certain nombre d'hypothèses et de choix raisonnables pour en arriver à ces estimations, et ce, afin de donner au Tribunal une vue plus réaliste des coûts potentiels que ce qui avait été avancé jusqu'alors.
[787] La Commission a prétendu que la meilleure façon de rejeter les attaques de Postes Canada contre la méthode de rajustement des salaires de M. Kervin est de traiter plusieurs questions importantes de la manière suivante.
[788] La première question était celle de l'interprétation erronée faite par Postes Canada de l'article 11 et de sa mauvaise compréhension ou de son refus d'acceptation de l'article 13 de l'ordonnance de 1986. Selon la Commission, il semblerait que Postes Canada s'opposait tout simplement à la manière selon laquelle l'article 13 de l'ordonnance de 1986 établit la prédominance de tel ou tel sexe et préférait l'utilisation d'une autre méthode ou l'utilisation d'un autre pourcentage limite. La Commission croyait que la jurisprudence étayait sa méthode d'application de l'article 13 de l'ordonnance de 1986.
[789] La deuxième question était celle de l'utilisation de la courbe de régression linéaire. La Commission croyait que Postes Canada avait à plusieurs reprises mal compris l'objet visé par l'analyse de régression utilisée dans les méthodes de rajustement de salaire. Elle ne vise pas, comme l'a argumenté Postes Canada, à « expliquer » la rémunération, mais plutôt à faire une synthèse des salaires des groupes à prédominance masculine ainsi que des salaires des groupes à prédominance féminine, de telle sorte que des comparaisons puissent être faites « en moyenne » en rapport avec une nouvelle mesure de valeur des emplois obtenue à l'aide d'un plan d'évaluation des emplois neutre.
[790] La troisième question était celle de l'utilisation de l'extrapolation. Contrairement à ce que Postes Canada a affirmé, la Commission a prétendu que M. Kervin n'a pas remis en question l'utilisation de l'extrapolation. Il n'a pas non plus déclaré qu'il y avait trop peu d'emplois pour que l'on puisse calculer une courbe de régression quant aux emplois PO à prédominance masculine. Ce que M. Kervin a affirmé, c'était qu'il serait plus difficile d'extrapoler si la courbe n'était pas linéaire. Toutefois, en l'espèce, la courbe de rémunération des PO était linéaire.
[791] La quatrième question était celle de la critique de Postes Canada de la méthode de rajustement des salaires niveau/courbe, laquelle, selon la Commission permettait d'obtenir l'« équité en moyenne » au sein de la structure de classification existante des CR. La Commission a souligné que l'un des objets visés par la méthode niveau/courbe, comme pour tout modèle de courbe de régression, consiste à permettre des rajustements de salaire lorsqu'il n'est pas possible de faire des comparaisons directes emploi par emploi.
[792] La cinquième question avait trait à une mauvaise interprétation de la valeur significative du Modèle 1 de M. Killingsworth en ce qui a trait au calcul des rajustements au titre de la « parité salariale ». En affirmant que la méthode niveau/courbe peut produire des résultats « absurdes », lorsqu'elle est comparée au Modèle 1 de M. Killingsworth, la Commission a prétendu que Postes Canada n'avait pas réalisé que le Modèle 1 était fondamentalement différent d'un modèle niveau/courbe et qu'il mesurait une variable différente. La Commission a prétendu que, bien que M. Kervin ait reconnu que le Modèle 1 pouvait montrer l'existence d'un problème de « parité salariale », elle a estimé qu'il n'était pas convenable quant à la détermination de rajustements précis au titre de la « partié salariale ».
[793] Quant à l'autre méthode de rajustement des salaires proposée par Postes Canada, la Commission l'a qualifiée de « nouvelle méthode », mais elle a prétendu que, lorsque Postes Canada l'avait présentée, Postes Canada n'avait pas tenu compte de l'article 11 de la Loi, de l'ordonnance de 1986 ainsi que de la jurisprudence, ou les avait mal interprétées. Il a semblé à la Commission qu'il s'agissait d'une tentative d'éviter l'application de la Loi et que cette méthode mènerait à un résultat qui ne favoriserait pas l'objet visé par l'article 11 parce qu'elle ne règlerait pas la question de la discrimination salariale systémique fondée sur le sexe découlant de la ségrégation professionnelle, ni la question de la sous-évaluation du travail des femmes.
[794] La Commission a contesté la déclaration de Postes Canada que la méthode qu'elle proposait avait été utilisée dans le passé et que, notamment, elle avait été « largement acceptée ». La Commission a prétendu que la source citée par Postes Canada ne prouvait pas le bien-fondé de cette proposition. Selon la Commission, la méthode proposée par Postes Canada n'a jamais été utilisée, que ce soit au niveau fédéral ou dans un autre ressort au Canada, et n'a été étayée par aucune politique fédérale de « parité salariale » pour un travail de valeur égale.
[795] La Commission a de plus prétendu qu'étant donné que la proposition de Postes Canada repose sur l'utilisation du « pourcentage en personnes de sexe féminin » plutôt que sur le concept de la « prédominance du sexe », elle va à l'encontre de ce que les témoins experts, Mme Armstrong et M. Kervin, ont préconisé - s'attaquer au problème de la ségrégation professionnelle et de la sous-évaluation du travail exécuté par les femmes, et ce, en vertu de l'article 11 de la Loi.
[796] Enfin, la Commission a souligné qu'elle n'a pas eu la possibilité de tenter de reproduire la méthode de rajustement proposée par Postes Canada et qu'aucun témoin expert ou autre type de témoin n'a été appelée pour en discuter.
[797] En somme, la Commission a affirmé que le Tribunal devrait adopter une approche très prudente à l'égard de la méthode de rajustement des salaires proposée par Postes Canada et qu'il devrait la rejeter.
C. L'analyse du Tribunal
(i) Préliminaire
[798] Le Tribunal a déjà conclu que, selon toute vraisemblance, l'utilisation par l'Équipe professionnelle compétente du plan Hay, du processus ainsi que des renseignements sur l'emploi, lesquels sont raisonnablement fiables, aurait comme résultat que des valeurs d'évaluation des emplois raisonnablement fiables seraient attribuées au travail exécuté par les employés CR et par les employés PO (paragraphe [703]). En déterminant la valeur du travail exécuté par ces employés, l'Équipe professionnelle a appliqué le dosage de qualifications, d'effort et de responsabilité nécessaires pour leur exécution, compte tenu des conditions de travail, conformément aux exigences du paragraphe 11(2) de la Loi.
[799] En comparant les valeurs des évaluations des postes CR et des emplois PO obtenues, l'Équipe professionnelle a conclu qu'une partie importante des postes CR étaient d'une valeur égale ou supérieure à celle des emplois PO. La prochaine étape consistait à déterminer s'il existait un écart de rémunération entre les emplois PO à prédominance masculine et les postes CR à prédominance féminine après avoir comparé les valeurs des évaluations et les taux de rémunération horaires des CR et des PO. L'Équipe professionnelle a conclu qu'il existait un écart de rémunération entre les CR et les PO qui exécutaient un travail de valeur égale.
[800] L'établissement de l'existence d'un écart de rémunération dans ce contexte est une étape cruciale étant donné que c'est l'écart de rémunération qui témoigne de la pratique discriminatoire interdite par l'article 11 de la Loi. Il a été mentionné à plusieurs reprises dans la présente décision que l'objet essentiel visé par l'article 11 est l'élimination de la discrimination systémique - pour établir la « parité salariale » entre les employés de sexe masculin et les employés de sexe féminin qui exécutent un travail de valeur égale dans le même établissement. C'est donc, en démontrant l'existence d'une différence de rémunération entre les employés à prédominance masculine et les employés à prédominance féminine que l'existence de la discrimination systémique est prouvée en vertu de l'article 11, selon la prépondérance des probabilités, pourvu que l'employeur n'ait pas démontré que la différence est attribuable à l'un des facteurs raisonnables prévus à l'article 16 de l'ordonnance de 1986, et pourvu également que la méthode utilisée pour déterminer l'écart de rémunération satisfasse aux exigences de la Loi.
[801] Le Tribunal accepte que la preuve de l'Équipe professionnelle, qu'il s'agisse du témoignage de vive voix de M. Wolf ou qu'il s'agisse des rapports présentés par l'Équipe au Tribunal, suffit, selon la prépondérance des probabilités, à démontrer l'existence d'un écart de rémunération lorsque, à Postes Canada, le travail exécuté par le groupe des CR à prédominance féminine est comparé au travail de valeur égale exécuté par le groupe des PO à prédominance masculine. La juge L'Heureux-Dubé a écrit ce qui suit dans la décision SEPQA  quant à la difficulté de comparer un travail de valeur égale :
La première difficulté réside dans la notion d'égalité. L'interdiction dont est l'objet la discrimination salariale s'inscrit dans un régime législatif plus large visant à éliminer tout acte discriminatoire et à promouvoir l'égalité dans l'emploi. C'est dans ce cadre élargi que l'article 11 s'attaque au problème de la sous-évaluation du travail exécuté par des femmes. Puisque cet objectif va au-delà de l'interdiction évidente de payer un salaire inférieur pour des fonctions strictement identiques, la notion d'égalité contenue à l'article 11 ne devrait pas recevoir une interprétation formaliste ou restrictive205.
[802] De plus, le Tribunal accepte que Postes Canada n'a pas démontré que, dans ses politiques en matière de gestion du personnel ou en matière de rémunération, on retrouvait un des facteurs raisonnables prévus à l'article 16 de l'ordonnance de 1986, lequel facteur pourrait expliquer que la cause de l'écart de rémunération est autre que la discrimination systémique fondée sur le sexe.
[803] Ayant accepté, dans la présente plainte en matière de « parité salariale », qu'il y a eu écart de rémunération et qu'il existe une preuve, selon la prépondérance des probabilités, qu'il y a eu discrimination systémique, la prochaine étape consiste à choisir la méthode de rajustement des salaires la plus appropriée quant au calcul d'une indemnité pour perte de salaires et quant à l'élimination de l'écart. Compte tenu des nombreuses circonstances en l'espèce, dans quelle mesure les propositions de rajustement des salaires présentées en l'espèce sont-elles appropriées et y en a-t-il une ou plusieurs que le Tribunal estime acceptable?

[804] Si on veut choisir la méthode de rajustement des salaires la plus appropriée, il est utile de se rappeler les propos suivants tenus par le juge Evans dans la décision Conseil du Trésor, quant au rôle de la Commission et du tribunal dans un tel choix :
L'article 11 fournit uniquement un cadre législatif large dans lequel les problèmes de discrimination salariale entre les hommes et les femmes doivent être abordés à la lumière de la situation particulière de l'emploi, de la déposition des témoins experts et des objectifs sous-jacents de la Loi. À mon avis, interpréter l'article comme prescrivant implicitement, de la manière précise proposée par l'avocate du procureur général, les caractéristiques des méthodes de comparaison permises, serait incompatible avec l'objectif sous-jacent de l'article 11 et avec le dossier législatif. Il faut inévitablement laisser la Commission et le tribunal se prononcer au cas par cas sur de nombreux points avec l'aide d'experts206. [Non souligné dans l'original]
[805] D'après la preuve dont il disposait et d'après les propos tenus par le juge Evans dans la décision Conseil du Trésor, le Tribunal a conclu que le critère qu'il convient le mieux d'appliquer quant au caractère approprié des méthodes de rajustement des salaires envisagées est le critère suivant :
1. Les méthodes sont-elles compatibles avec l'objet de la Loi, son ordonnance ainsi que ses dispositions réparatrices?
2. Quel témoignage d'expert a été entendu et quelle jurisprudence à l'appui a été citée quant à chacune des méthodes de rajustement des salaires?
3. Quelle expérience la Commission possédait-elle quant à ces méthodes ou quant à des méthodes similaires?
4. Les méthodes sont-elles suffisamment compatibles avec la manière selon laquelle le travail et les salaires sont structurés par l'employeur, de telle sorte que si une réparation était recommandée, elle pourrait être exécutée sans trop de difficultés?
[806] Le Tribunal a relevé trois méthodes de rajustement des salaires qui, selon lui, méritent d'être évaluées. Ces méthodes sont les suivantes :
1. La Proposition de l'Équipe professionnelle/Ranger dans la version composite du PO INT - PO EXT, appelée la méthode E : cette version était fondée sur la méthode de l'Équipe professionnelle, reproduite ultérieurement par M. Ranger, lequel a également effectué des calculs sur des périodes de 12 mois; appuyée par l'Alliance, acceptée par la Commission, jugée inacceptable par Postes Canada.
2. La proposition de la Commission/Kervin dans une version composite PO : dans cette version, on se servait des documents de base de l'Équipe professionnelle et de la méthode de M. Kervin dans laquelle celui-ci a regroupé des postes CR en emplois CR, et ce, grâce aux travaux de M. Wilson et de M. Killingsworth. Calculée par M. Kervin pour 1995, toutes les autres années extrapolées par la Commission. Solution privilégiée par la Commission, acceptable pour l'Alliance, inacceptable pour Postes Canada.
3. La proposition de rechange de Postes Canada : proposée par Postes Canada afin d'éviter ce qu'elle jugeait être des lacunes dans les deux autres propositions. Présentée dans les conclusions finales de Postes Canada. Acceptable pour Postes Canada, inacceptable pour l'Alliance et pour la Commission.
(ii) Examen des propositions de méthode de rajustement des salaires
[807] Postes Canada a prétendu que sa proposition favoriserait l'atteinte de l'objectif visé par l'article 11 de la Loi en n'accordant aucune indemnité lorsqu'il n'y a aucun écart de rémunération ou lorsque l'écart de rémunération n'est pas fondée sur le sexe. Les salaires ne seraient augmentés que pour les emplois dans un niveau CR qui sont à forte prédominance féminine. Des rajustements devraient être apportés au niveau de l'emploi lorsque la valeur de l'emploi est raisonnablement précise.
[808] Toutefois, la Commission a prétendu que Postes Canada, en élaborant sa proposition, n'a pas tenu compte de l'article 11 de la Loi, de l'ordonnance de 1986 ainsi que de la jurisprudence, ou les avait mal interprétées, en ne traitant pas, dans la sous-évaluation du travail des femmes, de la discrimination salariale systémique fondée sur le sexe découlant de la ségrégation professionnelle.
[809] Malheureusement, aucun témoignage d'expert ou aucun autre élément de preuve n'a été présenté par Postes Canada pour défendre sa position. Il y a toutefois eu un témoignage de la part du témoin expert de l'Alliance, M. Kervin, qui a prétendu que le Modèle 1 de M. Killingsworth, lequel constituait un élément de la proposition de Postes Canada, ne permettait pas de déterminer avec précision les rajustements des salaires. En effet, parce que la méthode de M. Killingsworth ne tenait pas compte des exigences de la Loi et de l'ordonnance quant à la prédominance de tel ou tel sexe, ses Modèles, selon M. Kervin, ne seraient pas appropriés quant à la plainte en matière de « partité salariale » dont le Tribunal est saisi.
[810] La Commission a contesté la déclaration de Postes Canada que la méthode qu'elle avait proposée avait été utilisée dans le passé et qu'elle avait obtenu beaucoup d'appui. D'après ce qu'en sait la Commission, elle n'a jamais été utilisée, que ce soit au niveau fédéral ou dans un autre ressort au Canada, ni favorisée en vertu de la politique fédérale de l'équité salariale pour un travail de valeur égale.
[811] Le Tribunal souligne que la proposition de Postes Canada ne comprenait aucune estimation des coûts de son incidence possible en tant que méthode de rajustement des salaires. Il a également été souligné que la Commission n'avait pas eu la possibilité de reproduire la méthode de cette solution de rechange.
[812] Par conséquent, le Tribunal a éprouvé beaucoup de difficultés à apprécier cette méthode par rapport aux deux autres propositions, outre le fait de tenter de mettre en contexte les nombreuses critiques présentées par la Commission et appuyées par l'Alliance. Alors qu'un ou deux aspects de la proposition de Postes Canada ont déclenché l'intérêt d'enquête de la part du Tribunal, il a conclu qu'il serait très injuste, non seulement pour Postes Canada, la partie qui a initié la proposition, mais également pour les deux autres parties, de tenter de prendre une décision quant au caractère approprié d'une affaire fort complexe, en se fiant sur le peu d'éléments de preuve factuels disponibles et sur l'absence presque totale de témoignages d'expert.
[813] Dans ces circonstances, le Tribunal est contraint d'exclure la proposition de Postes Canada de tout examen ultérieur.
[814] L'Alliance et la Commission ont fait valoir que les deux autres propositions, malgré les critiques de Postes Canada à leur égard, étaient conformes à l'objet de la Loi, lequel, en conformité avec la décision rendue par le juge Laforest en 1987 dans la cause Robichaud, a un caractère réparateur207.
[815] Le Tribunal reconnaît également l'importance d'aborder la question des mesures correctives systémiques lorsque l'on a affaire à de la discrimination systémique. Les mesures correctives devraient corriger les effets passés, présents et futurs de la discrimination. Comme le juge Dickson, alors juge en chef de la Cour suprême du Canada, l'a affirmé en 1987 : « les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets [...] [et] la Loi [canadienne sur les droits de la personne] [n'a pas pour objet de punir la faute,] mais bien de prévenir la discrimination208 ». Après une longue discussion sur la discrimination systémique et sur les méthodes nécessaires pour la combattre, le Juge en chef a conclu qu'« il est essentiel de s'attaquer aux anciens régimes discriminatoires et de les détruire afin d'empêcher à l'avenir la résurgence de cette même discrimination209 ».
[816] En 1996, le juge Hugessen a souligné que « la présomption voulant que la discrimination systémique ait produit les mêmes effets par le passé que ceux produit actuellement s'affaiblit progressivement, à mesure qu'on remonte dans le passé210 ».
[817] Le Tribunal accepte l'argument de la Commission que bien que la méthode de rajustement des salaires puisse être une affaire assez technique, son véritable objet est la concrétisation de l'égalité en vertu de l'article 11 de la Loi et elle ne devrait donc pas faire l'objet d'une interprétation restrictive ou trop technique. En complément de l'objet d'égalité, il y a le pouvoir discrétionnaire non normatif de réparation du Tribunal prévu au paragraphe 53(2) de la Loi. La portée du pouvoir de réparation du Tribunal est donc non seulement discrétionnaire mais elle est également étendue dans l'ensemble des circonstances concernées.
[818] En l'espèce, le Tribunal accepte le témoignage de M. Durber, un des premiers témoins experts de la Commission, qui a traité du concept de l'« équité en moyenne » comme facteur déterminant lorsque l'on traite du concept de « parité salariale ». Il a fait valoir le point pertinent que l'on ne fait pas des comparaisons directes entre chaque emploi individuellement lorsque l'on recherche l'égalité salariale dans des organismes importants où un grand nombre d'employés sont concernés, on fait plutôt des comparaisons entre des groupes d'employés, lesquelles comparaisons permettent de réaliser l' « équité en moyenne ».
[819] Afin de mettre en contexte les propos tenus par M. Durber quant à l'« équité en moyenne », il est utile de se reporter au témoignage qu'il a donné en mai 1993. Lors de son témoignage en chef, alors qu'il expliquait pourquoi il n'était pas possible de faire une comparaison directe entre les emplois, M. Durber a souligné que [Traduction] « le calcul de la moyenne veut dire qu'il y a des emplois dont la valeur est plus élevée que la moyenne et des emplois dont la valeur est moins élevée que la moyenne211 ».
[820] De plus, M. Durber a conclu qu'il y avait des raisons pour lesquelles il n'était pas pratique, ni souhaitable, en l'espèce, de faire des comparaisons directes individuelles entre les emplois :
[Traduction]
L'équité en moyenne n'aboutira à un système qui est équitable en moyenne que dans le cas où l'on conçoit une réparation et que l'on ne peut probablement pas se permettre de concevoir une réparation pour l'ensemble des personnes parce que l'on a affaire à un problème systémique dans le cadre duquel on tente de voir si des structures entières devraient être ajustées pour des motifs raisonnables212. [Non souligné dans l'original]
[821] En effet, le livret de la Commission intitulée Mise en uvre de l'équité salariale au sein de la fonction publique fédérale, auquel il a déjà été fait renvoi dans la présente décision, a décrit la « méthode de la courbe des salaires », laquelle présente les valeurs des emplois et les salaires des employés dans les emplois à prédominance masculine sur une courbe du salaire moyen. Le Tribunal accepte que la méthode niveau/courbe est appropriée pour un cas de « parité salariale » comme celui en l'espèce et souligne que les deux propositions faisant l'objet d'un examen étayaient la méthode de la courbe composite niveau/courbe PO des salaires des personnes de sexe masculin.
[822] Le Tribunal sait que la cause du Conseil du Trésor, à laquelle la Commission a participé activement, comportait de nombreux témoignages de la part de témoins experts appelés à donner leurs opinions concernant la sélection d'une méthode de rajustement des salaires acceptable213. Le tribunal dans cette cause a privilégié une méthode de niveau/segment après avoir entendu au moins quatre témoins possédant une grande expertise sur le sujet visé.
[823] Le Tribunal accepte que les deux propositions reconnaissent que le mécanisme de redressement des salaires devrait être conçu de manière à pouvoir être mis en uvre dans l'organisme au niveau duquel la disparité salariale existe. En l'espèce, c'est une question d'ajustement des taux de rémunération pour les différents niveaux de classification CR parce que l'article 11 vise à remédier à la discrimination au sein du système existant de classification des emplois de Postes Canada. Cela permettra aux employés des groupes à prédominance masculine et aux employés des groupes à prédominance féminine qui exécutent un travail de valeur égale dans le même établissement de recevoir une rémunération égale.
[824] Les deux propositions reposaient, naturellement, sur certains éléments d'évaluation fondamentaux produits par l'Équipe professionnelle, les renseignements sur les emplois qui ont été classés par le Tribunal comme étant d'une « fiabilité raisonnable inférieure ». De plus, il y a toujours eu la question de savoir dans quelle mesure l'échantillon CR était vraiment représentatif, compte tenu des différentes opinions émises par M. Kervin et M. Bellhouse. M. Kervin a estimé que l'échantillon était suffisamment représentatif pour fournir une représentation adéquate à chaque niveau CR pour qu'il soit utilisé dans sa méthode.
[825] Quant à la question du « repas payé », la preuve dont le Tribunal a été saisi était que les taux de rémunération des PO utilisés dans les calculs de l'Équipe professionnelle ainsi que dans les calculs de M. Kervin et de M. Ranger, reflétaient la valeur additionnelle de 6,7 p. 100214. Un ajout semblable aux taux de rémunération des CR n'a pas été appliqué car le « repas payé » ne s'applique pas aux employés CR. De plus, le Tribunal estime qu'aucun élément de preuve n'a été présenté pour étayer l'argument de Postes Canada que la valeur du « repas payé » devrait être exclue de l'application du paragraphe 16(a) de l'ordonnance de 1986 comme disposition de « rémunération au rendement », laquelle exigerait une application uniforme aux employés PO et CR en vertu de l'article 17 de l'ordonnance de 1986.
[826] Il semble toutefois y avoir une certaine disparité entre ce que Postes Canada a demandé dans sa proposition de rechange et ce qu'elle a présenté concernant la proposition Équipe professionnelle/Ranger et la proposition Kervin/Commission pour ce qui est de la question du « repas payé ». Selon la preuve, une allocation de « repas payé » a été incluse dans la proposition de Postes Canada pour les employés PO quant aux années pour lesquelles elle était en vigueur, mais a été remise en question par Postes Canada lorsqu'elle a été incluse dans les deux autres propositions215.
[827] M. Ranger, M. Kervin et la Commission ont tous signalé que leurs calculs respectifs n'avaient produit que des estimations. Du travail supplémentaire devra être fait afin d'obtenir le coût final des rajustements individuels par employé CR après que l'on aura eu accès aux dossiers des employés avec l'accord de Postes Canada.
[828] M. Ranger a notamment mentionné ses meilleures estimations des données sur la population des employés, lesquelles ont été recueillies à un moment donné et pour lesquelles il a été présumé que les employés étaient tous des employés à temps plein. Il a également mentionné qu'il avait utilisé les taux de rémunération maximum d'un bout à l'autre de ses calculs.
(iii) Résumé
[829] La détermination de la méthode de rajustement des salaires la plus appropriée quant à l'application du principe de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale édicté par le législateur à l'article 11 de la Loi et aux articles 13 et 14 de l'ordonnance de 1986 n'a pas été une tâche facile. Dans l'analyse qui précède, le Tribunal a examiné les choix de méthode présentés par les parties au moyen des quatre critères d'éligibilité mentionnés au paragraphe [805] - c'est-à-dire, compatibilité avec l'objet et les dispositions réparatrices de la Loi et de son ordonnance; renvoi à des opinions d'expert et à la jurisprudence à l'appui; renvoi à l'expérience de la Commission; compatibilité avec la manière selon laquelle le travail et les salaires sont structurés par l'employeur.
[830] Le Tribunal a retenu trois choix de méthode de rajustement des salaires qu'il a acceptés d'examiner. Il a examiné les trois méthodes en fonction des quatre critères d'éligibilité.
[831] Compte tenu de la complexité du sujet, le Tribunal a conclu que l'aide d'experts familiers avec la « parité salariale » et la méthode de rajustement des salaires étaient particulièrement importantes quant à son examen de chacun des choix, non seulement sur le plan de la compréhension de la nature de chacune des méthodes de rajustement des salaires, mais également sur le plan de la mise en contexte de chacune des méthodes tout en interprétant l'objet et les principes de la Loi et de son ordonnance.
[832] Malgré l'intérêt qu'avait le Tribunal à étudier davantage l'autre proposition de Postes Canada, on a conclu qu'elle reposait sur très peu d'éléments de preuve factuels et qu'elle n'avait fait l'objet d'aucun témoignage d'expert. Dans ces circonstances, le Tribunal a conclu que ce choix n'était pas viable en l'espèce.
[833] Le Tribunal a conclu que chacun des deux choix restants - la proposition de l'Équipe professionnelle/Ranger et la proposition Kervin/Commission satisfont, selon la prépondérance des probabilités, aux quatre critères et peuvent donc être considérées comme étant des méthodes de rajustement des salaires appropriées en l'espèce.
[834] Le Tribunal, n'accepte toutefois pas comme étant définitives les valeurs monétaires fournies par les parties et par les témoins quant à chacune des deux propositions. La Commission et l'Alliance, ainsi que les experts et les autres témoins sollicités, ont fait remarquer que leurs calculs respectifs ne sont que des estimations qui nécessitent du travail supplémentaire si on veut obtenir le coût final des rajustements des salaires de chaque employé CR.
[835] L'accès aux dossiers de chaque employé avec l'accord de Postes Canada sera nécessaire. De plus, un certain nombre de variables peuvent nécessiter un examen détaillé. Cet examen peut comprendre les populations d'employés réelles avec les employés à temps plein et les employés à temps partiel, les divers taux de rémunération utilisés et leurs sources et les droits conférés à chaque employé quant à la « rémunération à tous égards ».
[836] Comme les deux propositions satisfont aux quatre critères d'éligibilité, et, si on ne tient pas compte des coûts de chacune, chacune des deux propositions peut être considérée comme étant une méthode de rajustement des salaires appropriée en l'espèce, sous réserve du travail additionnel auquel on a fait allusion au paragraphe précédent.
[837] Laquelle des deux propositions est préférable? La Commission a demandé que le Tribunal accepte la proposition Kervin/Commission car ce sont les « emplois » qui ont été utilisés comme fondement de ses conclusions. La proposition comprenait également des renseignements plus à jour.
[838] M. Kervin a traité longuement qu'il était nécessaire, dans les causes de « parité salariale », que la notion de discrimination systémique soit le fondement des décisions qui sont prises. Il a mentionné que, dans le contexte de la « parité salariale », une allégation de discrimination systémique appelait un examen minutieux des « emplois » au sein de l'organisme concerné.
[839] Ces propos reflètent beaucoup ceux de Mme Pat Armstrong, laquelle a initié le Tribunal au concept de « parité salariale ». Elle, également, a souligné la nécessité de se concentrer sur les « emplois » plutôt que sur les personnes, de considérer le concept de la « parité salariale » comme étant une évolution naturelle de l'histoire de la philosophie du monde des affaires.
[840] Comme M. Kervin l'a fait remarquer :
[Traduction]
La parité salariale a pour objet la discrimination systémique. Elle a pour objet les décisions discriminatoires qui ne sont pas prises sur une base individuelle, mais qui font plutôt partie intrinsèque de l'approche d'un organisme quant aux emplois et quant à leur rémunération. Cela explique en partie pourquoi elle va au-delà du concept de la rémunération égale pour un travail de valeur égale, lequel concept fait appel à la discrimination non systémique; en d'autres mots, la discrimination visait une personne précise : « Je n'aime pas votre tête, alors je vais voir à ce que vous ne receviez pas la même rémunération ».
En l'espèce, on parle de décisions qui sont prises quant à des emplois, quant à leur nature, et, la chose importante - et l'une des raisons pour lesquelles je crois que l'accent est mis sur les emplois plutôt que sur les postes, est que l'on désire que ces décisions concernent la nature du travail.
Si la parité salariale traite des décisions concernant la nature du travail et de la valeur de cette nature pour les organismes, alors on peut voir que la décision a lieu lorsque l'on pense à l'emploi.
S'il n'y a pas d'emplois, alors elle aura lieu au niveau du poste. Mais là, il faut s'assurer que les caractéristiques du titulaire - taille, couleur des yeux, race, calvitie, etc. - ne sont pas prises en compte dans le processus de décision. Il s'agit de comportements discriminatoires d'un genre différent.
En matière de parité salariale, il est question d'emplois de valeur égale. L'emploi lui-même, compte tenu de ce qu'il vaut pour l'organisme devrait être rémunéré équitablement en fonction de cette valeur pour l'organisme216.
[841] Par conséquent, M. Kervin a pigé dans le travail de M. Wilson et de M. Killingsworth et le regroupement que ceux-ci ont fait des postes CR pour créer des « emplois » avec les caractéristiques des postes évalués par l'Équipe professionnelle. Ils ont converti les 194 postes CR en un certain nombre d'emplois en regroupant les renseignements sur l'ensemble des postes en « un certain nombre d'emplois ». M. Kervin a décrit ce travail comme [Traduction] « un regroupement des évaluations des postes en évaluations des emplois ». (Pièce HR-93A)
[842] Avec ces emplois, selon M. Kervin, on peut établir une comparaison entre les emplois PO et les emplois CR, grâce à une technique niveau/courbe, et on peut déterminer comment éliminer l'écart de rémunération à partir de cette comparaison.
[843] La courbe de rémunération des personnes de sexe masculin est créée, selon M. Kervin, en observant les données sur la rémunération ainsi que les points Hay pour les emplois PO à prédominance masculine. Ensuite, la « moyenne » ou la valeur « moyenne » pour chaque niveau CR peut être calculée en utilisant les renseignements quant aux « emplois » CR. Il faut maintenant se demander « quelle serait la rémunération au niveau CR si les emplois dans cette catégorie étaient rémunérés en fonction de la courbe de rémunération des personnes de sexe masculin »? Cette nouvelle rémunération « des personnes de sexe féminin » est la rémunération nécessaire pour éliminer l'écart.
[844] Cet accent sur les « emplois » est important pour le concept de « parité salariale ». En s'appuyant sur la capacité d'aborder sous un angle positif le concept de l'élimination de l'écart de rémunération, par l'utilisation des renseignements sur les « emplois » respectifs concernés, le Tribunal préfère la proposition Kervin/Commission.
[845] L'exclusion de paiements exigés par la Loi (« rémunération à tous égards ») des calculs dans les deux propositions est le sujet de la prochaine partie de la présente décision, laquelle est intitulée « Les formes de rémunération indirecte ».
VIII. Les formes de rémunération indirecte
A. Contexte
[846] Les dispositions de la Loi qui sont pertinentes à la présente section de la décision se trouvent aux paragraphes 11(1) et 11(7) de la Loi et elles ont déjà été mentionnées plus haut. Par souci de commodité, ces dispositions sont reproduites ci-dessous :
Disparité salariale discriminatoire
11(1) Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale entre les hommes et les femmes qui exécutent, dans le même établissement, des fonctions équivalentes. [Non souligné dans l'original]
Définition de « salaire »
11(7)Pour l'application du présent article « salaire » s'entend de toute forme de rémunération payable à un individu en contrepartie de son travail et, notamment
a) des traitements, commissions, indemnités de vacances ou de licenciement et des primes;
b) de la juste valeur des prestations en repas, loyers, logement et hébergement;
c) des rétributions en nature;
d) des cotisations de l'employeur aux caisses ou régimes de pension, aux régimes d'assurance contre l'invalidité prolongée et aux régimes d'assurance-maladie de toute nature;
edes autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur. [Non souligné dans l'original]
[847] Par souci de clarté, le Tribunal souligne que deux expressions ont été employées de façon interchangeable dans la preuve et dans le témoignage pour traiter du sujet qui nous occupe. La première expression est formes de rémunération indirecte, le titre de la présente section de la décision. L'autre expression est rémunération à tous égards.
[848] Les formes de rémunération indirecte, parfois appelés dans la preuve « avantages spéciaux », « rémunération indirecte », « salaires indirects » ou même « salaires non pécuniaires » ou « rémunération non pécuniaire » est l'expression qui a été utilisée le plus souvent pour décrire l'ensemble des formes de rémunération qui sont énumérées au paragraphe 11 (7) de la Loi, autres que le salaire de base.
[849] L'expression rémunération à tous égards semble avoir surtout été utilisée dans le contexte de la réparation. Par exemple, interrogé par l'avocat de Postes Canada quant à savoir si Postes Canada devrait faire des remises exigées par la loi en rapport avec des rajustements de salaire occasionnés par un écart de rémunération, et ce, quant à des éléments comme l'assurance-emploi, la taxe en matière de santé, les pensions, M. Ranger a répondu ce qui suit :
R. Je crois certainement que les rajustements de « parité salariale » quant aux nouveaux taux sont des rémunérations à tous égards.
Q. Donc cela comprendrait, selon vous, de faire des remises exigées par la loi en vertu de toute loi pertinente?
R. Oui217.
[850] Un autre exemple est l'utilisation qui est faite de l'expression suivante par la Commission à la page 187 (Chapitre 13) de ses observations :
[Traduction]
Par conséquent, une rémunération à tous égards tiendra compte de la réalité que tout rajustement de taux de rémunération aura une incidence sur tout avantage qui est lié au salaire de base.
[851] En fait, le Tribunal examine la question de la « rémunération indirecte » à deux niveaux. Le premier niveau est l'incidence des éléments qui ne font pas partie du salaire de base et qui sont énumérés au paragraphe 11(7), lequel porte sur la définition de « salaire ». Le deuxième niveau est l'inclusion dans tout rajustement d'écart de rémunération, non seulement des rajustements au salaire de base ou salaire direct, mais également des rajustements aux éléments qui ne font pas partie de ce salaire de base, le cas échéant.
[852] Vraisemblablement, cela ne constitue un problème que si les coûts des éléments qui ne font pas partie du salaire de base n'ont pas été établis, et que, par conséquent, ceux-ci n'ont pas été inclus dans la définition de « salaire » de l'employeur. Si leurs coûts ont été établis et inclus dans le « salaire », leur valeur se reflétera dans les rajustements de salaire résultants. L'employeur devra évidemment déduire du rajustement du salaire brut des employés des éléments comme l'impôt sur le revenu pertinent et les contributions cumulées au régime de pension cumulées. L'employeur aura toutefois une charge additionnelle compte tenu qu'il devra faire des remises sur tout rajustement de salaire, lesquelles pourraient être exigées en vertu des obligations non salariales fondées sur la loi auxquelles contribuent conjointement l'employé et l'employeur, comme les contributions au régime de pension.
[853] Il est important de souligner qu'en concluant qu'il existait un « écart de rémunération » tel que décrit à la section précédente de la présente décision, l'Équipe professionnelle a fondé son analyse sur la « rémunération directe » de base des postes CR et des emplois PO, laquelle ne comprenait pas les avantages spéciaux. La Commission, lorsqu'elle a fait ses évaluations des emplois lors de l'étape de l'enquête sur la plainte, n'a pas expressément établi les coûts des rémunérations indirectes.
[854] Les parties ont toutefois toutes reconnu que les rémunérations indirectes, au sens du paragraphe 11(7) de la Loi, doivent être prises en compte dans le cadre d'une plainte en matière de « parité salariale ». En effet, en 1995, l'Alliance a embauché un expert, M. Don Lee, pour traiter de la question des coûts de ces éléments quant à la période de 12 ans située entre 1983 et 1995. Son rapport fait l'objet d'un examen plus loin dans la présente section de la décision.
B. Les observations des parties
(i) La position de la Commission
[855] La phrase suivante figurait au paragraphe 58 du rapport d'enquête final de la Commission, daté du 24 janvier 1992 :
[Traduction]
En définitive, à la lumière des éléments de preuve présentés, il semble y avoir un écart de rémunération quant à la rémunération non pécuniaire.
[856] M. Paul Durber, lorsqu'il a présenté sa preuve principale en juin 1993, s'est fait demander par l'avocat de la Commission de donner des précisions quant à cette déclaration figurant dans le rapport d'enquête final. Il a répondu ce qui suit :
[Traduction]
On se souviendra que, d'après certains éléments de preuve antérieurs, l'article 11 exige, évidemment, que l'on examine non seulement les salaires mais également l'ensemble des formes de rémunération. C'est-à-dire que l'on doit examiner ce que l'on a appelé en l'espèce les salaires non pécuniaires, la rémunération indirecte218.

[857] Lorsque l'avocat de la Commission lui a demandé quel serait l'effet de cette rémunération indirecte sur le présumé écart de rénumération, M. Durber a répondu ce qui suit :
[Traduction]
En définitive, il semble qu'elle amplifie quelque peu l'écart. Il est difficile d'évaluer dans quelle mesure. Nous savons que la rémunération non pécuniaire compte pour la partie la moins importante de la rémunération totale - c'est-à-dire peut-être 30 p. 100 - et nous savons que la plus grande partie de ce 30 p. 100 dépend du salaire de base [...]
Donc, nous ne disposons pas de tous les éléments de preuve. Nous savons que la présente enquête est incomplète sur ce point. Nous n'avons pas été capables d'obtenir les renseignements et nous avons tiré une conclusion très générale qu'il existe peut-être un écart de rémunération additionnel. Nous ne croyons pas que la rémunération indirecte ou rémunération non pécuniaire réduira l'écart [...]219
[858] Dans ses observations écrites finales, le seul renvoi que la Commission semble avoir fait à la rémunération indirecte est un renvoi indirect, dans le contexte de la méthode de rajustement des salaires, lorsqu'elle a déclaré ce qui suit :
[Traduction]
[...] il est essentiel que les rajustements de « parité salariale » comprennent non seulement des rajustements au salaire de base, mais également des rajustements à tous égard, c'est-à-dire aux régimes de pension, aux heures supplémentaires, aux congés de maladie, aux rémunérations d'intérim et aux prestations d'invalidité de longue durée.
[...] La rémunération à tous égards garantira que l'ensemble des rajustements nécessaires seront faits quant à tous les avantages et quant à toutes les primes liés à la rémunération. Par conséquent, les employés qui y ont droit devraient être dédommagés quant à tout avantage financier qui a un lien avec le taux du salaire de base220.

(ii) La position de l'Alliance
[859] L'Alliance a appelé M. Don Lee à témoigner devant le Tribunal en octobre 1995. Il a été qualifié par le Tribunal d'expert en analyse contractuelle et en évaluation de rémunération indirecte.
[860] M. Lee a obtenu un baccalauréat ès arts en 1968 à l'université de Waterloo et une maîtrise en sciences politiques à l'université Queens. Il a par la suite étudié au London School of Economics grâce à une bourse du Conseil des Arts du Canada et il y a obtenu un doctorat en études politiques en 1980. Il a commencé sa carrière comme actuaire adjoint chez un compétiteur de Hay où il s'occupait des calculs associés aux évaluations de régime de retraite, un travail qui était compatible avec ses études antérieures de premier cycle en mathématiques. Par la suite, il a travaillé comme directeur adjoint à la recherche et à la législation au Congrès du travail du Canada où il s'est occupé de l'élaboration d'une politique de prestations de régime de retraite et a donné des conseils techniques aux syndicats en matière de négociation de régimes de retraite et d'autres avantages comme l'assurance-maladie des retraités. Durant la période 1977-1978, il a été embauché à contrat par la Fédération du travail de l'Ontario pour coordonner la participation de celle-ci à la Commission royale de l'Ontario sur les régimes de retraite. M. Lee travaille comme consultant indépendant depuis 1979. Sa société, Union Pension Services Ltd., se concentre sur deux aspects principaux des régimes de retraite et des avantages connexes : premièrement, elle fournit du soutien technique aux syndicats à la table de négociation et, deuxièmement, elle offre des cours ainsi que de la formation aux membres du syndicat. La clientèle de M. Lee était composée de syndicats oeuvrant au sein de nombreuses entreprises canadiennes bien connues ainsi que de nombreux syndicats du secteur public de l'Ontario.
[861] M. Lee a déclaré qu'il avait été embauché à contrat par l'Alliance en juin 1995 pour comparer les formes de rémunération indirecte du groupe CR avec celles des sous-groupes PO EXT et PO INT, pour la période de temps pertinente à la plainte, c'est-à-dire entre août 1983 et l'été 1995. Il a mentionné qu'il avait examiné divers régimes d'avantages spéciaux du gouvernement fédéral ainsi que des rapports de certains experts-conseils sur la rémunération indirecte. Il a également examiné 14 conventions collectives relatives aux employés CR et PO concernés, lesquelles étaient en vigueur pour cette période de temps. Le rapport de M. Lee a été déposé comme pièce PSAC-55.
[862] M. Lee a mentionné que l'Alliance lui avait demandé d'exclure de son étude les avantages prévus à l'alinéa 15(1)f) de la Loi. Il s'agit d'avantages qui sont accordés et qui ne sont pas réputés être des actes discriminatoires. L'alinéa 15(1)f) est ainsi libellé :
15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :
f) le fait pour un employeur, une organisation patronale ou une organisation syndicale d'accorder à une employée un congé ou des avantages spéciaux liés à sa grossesse ou à son accouchement, ou d'accorder à ses employés un congé ou des avantages spéciaux leur permettant de prendre soin de leurs enfants.
[863] En comparant les éléments de rémunération indirecte dont bénéficiaient chaque groupe CR et chaque groupe PO, M. Lee a déterminé les différences qui existaient entre les deux groupes, puis il a calculé la valeur de ces différences en fonction de la rémunération directe équivalente. Dans le but d'assurer un cadre cohérent, il a classé environ 51 éléments de rémunération indirecte en 9 catégories générales de rémunération.
[864] M. Lee a déclaré que, lorsqu'il avait entrepris son étude pour l'Alliance, il avait accepté le principe (qu'il croyait avoir également été endossé par la Commission) qu'une détermination de l'égalité de la rémunération indirecte devrait être simple et facilement réalisable par les employeurs et compréhensible pour les employés. Par conséquent, reconnaissant la difficulté d'être précis lorsque l'on évalue certaines composantes de la rémunération indirecte, il a estimé que les différences représentant moins de 0,1 p. 100 des salaires n'étaient pas importantes. M. Lee n'a pas inclu les différences individuelles de cet ordre dans ses calculs de comparaison.
[865] M. Lee a mentionné qu'il avait limité son analyse aux formes de rémunération indirecte comprises dans les conventions collectives alors en vigueur. Il a donc travaillé avec les conventions collectives applicables aux employés à temps plein CR et PO qui étaient en vigueur à l'été 1995.
[866] M. Lee a confirmé, lors de son témoignage, que son rapport ne comprenait pas, dans sa liste d'éléments de rémunération indirecte, la fourniture d'uniformes et de vêtements de protection aux employés PO, laquelle avantageait clairement ce groupe. Il ne comprenait pas non plus d'élément relatif à la sécurité d'emploi/changement technologique.
[867] M. Lee a toutefois entrepris un examen général de ce qu'il a appelé les « différences historiques » découlant des conventions collectives qui étaient en vigueur entre 1983 et 1994. Son examen général a révélé que plusieurs des « différences historiques » étaient peu importantes. De nombreuses autres différences étaient temporaires et ont ultérieurement été éliminées au cours du processus normal de la négociation collective. Il a toutefois décidé qu'il n'était pas possible de calculer les valeurs équivalentes en rémunération directe pour ces différences sans détenir un dossier complet de l'expérience des employés quant à chacune des formes de rémunération indirecte, et ce, pour la période de douze ans.
[868] Le dernier paragraphe de la page 21 du rapport de M. Lee est ainsi libellé :
[Traduction]
Et enfin, partout où un jugement entre directement dans le calcul, j'ai tenté de surévaluer la valeur des différences favorisant le groupe CR et de sous-évaluer la valeur des différences favorisant le groupe PO.
[869] M. Lee a illustré la signification de ce point en donnant un exemple dans lequel il ne savait pas s'il devait classer un élément de rémunération indirecte CR comme étant équivalent ou supérieur au même élément de rémunération indirecte PO. Lorsqu'il a dût prendre une décision, il a tenté de classer l'élément de rémunération indirecte CR s'appliquant au groupe plaignant comme étant plus généreux que l'élément de rémunération indirecte PO s'appliquant au groupe de comparaison.
[870] Si sa décision devait être contestée, il a affirmé qu'il pourrait affirmer qu'il avait peut-être péché en sous-estimant la valeur de l'avantage précis qui favorisait le groupe CR. Il a poursuivi en affirmant ce qui suit : [Traduction] « il s'agit d'une sorte de principe actuariel général : dans le doute, formulez une présomption qui favorise le contraire de votre conclusion221 ».
[871] M. Lee a conclu, à partir de son étude, que, selon les conventions collectives en vigueur en 1995 relatives aux employés à temps plein CR et PO concernés, il n'y avait essentiellement aucune différence entre les deux groupes d'employés quant à la rémunération indirecte.
[872] Il a notamment mentionné ce qui suit :
[Traduction]
Le point essentiel je crois est que la grande majorité des formes de rémunération indirecte sont actuellement les mêmes ou équivalentes et la mesure dans laquelle elles sont les mêmes ou équivalentes représente quelque chose comme 34 p. 100 de la rémunération222.
[873] Il a de plus conclu qu'il n'y avait aucun motif raisonnable de calculer les différences de rémunération indirecte entre les deux groupes d'employés pour la période de 1983 à 1994 étant donné que les différences qui ont été relevées étaient relativement peu importantes et souvent temporaire. De plus, un calcul fiable de la valeur des différences exigerait une étude intensive de l'expérience des employés pour chacune des mesures compensatrices, et ce, pour la période de douze ans.
[874] Par conséquent, M. Lee a conclu qu'il n'y avait aucune différence de rémunération indirecte entre les employés à temps plein CR et les employés à temps plein PO qui devrait être prise en compte pour établir s'il y avait une « disparité salariale » en vertu du paragraphe 11(1) de la Loi.

(iii) La position de Postes Canada
[875] Postes Canada a appelé M. Robert Bass à témoigner en avril 2000, et celui-ci a été qualifié par le Tribunal d'expert en établissement de coûts de rémunération.
[876] M. Bass a obtenu en 1974 un baccalauréat avec honneurs ès sciences avec spécialisation en mathématiques et en informatique de l'université de Waterloo, dans le cadre de son programme Alternance travail-études. Il a commencé sa carrière au Conseil scolaire de Toronto où sa principale responsabilité consistait à appuyer l'équipe de négociation collective des enseignants du Conseil, notamment en rapport avec des questions complexe d'établissement de coûts. En 1977, il est devenu directeur, Recherche et Renseignements, pour l'Association des hôpitaux de l'Ontario où il a créé un département de recherche pleinement fonctionnel dont le rôle consistait à fournir du soutien en recherche et données aux équipes de négociation des hôpitaux membres. M. Bass a créé un modèle informatisé de coûts d'indemnisation totale pour l'Association, lequel permettait de suivre de près les salaires et les autres formes de rémunération dans les conventions collectives des hôpitaux. Au début des années 80, M. Bass a créé sa propre société d'expert-conseil, mieux connu sous le nom de Bass Associates Ltd., laquelle fournit une gamme complète de services de soutien en matière de relations de travail aux parties patronales dans le secteur public en Ontario, en Alberta et en C.-B. Ses clients comprenaient une large gamme de fournisseurs dans des domaines de service comme l'éducation, la santé, les services de police et les maisons d'accueil pour personnes âgées. M. Bass est spécialisé dans la fourniture aux employeurs d'analyses de coûts et de bases de données, lesquelles sont particulièrement importantes pour la partie patronale dans le cadre du processus de négociation collective. Depuis l'adoption par l'Ontario en 1987 de la Loi sur l'équité salariale, M. Bass et ses associés ont de plus en plus élaboré avec des clients, des plans de « parité salariale » non fondés sur le sexe, souvent à l'échelle provinciale, lesquels exigent la participation des employeurs et des syndicats. Inévitablement, ces plans demandent une appréciation précise de la valeur totale des programmes de rémunération (rémunération directe et avantages spéciaux) à des fins de comparaison dans le contexte du processus de négociation collective.
[877] M. Bass a mentionné dans son témoignage qu'il n'est pas inhabituel que « l'établissement des coûts » soit une question majeure lorsque l'on traite de la question de la rémunération directe et de la rémunération indirecte dans le cadre de négociations de conventions collectives. Il a témoigné qu'il est important pour l'employeur et pour le syndicat ainsi que pour les employés concernés de connaître le coût des demandes particulières qui se présentent dans le cours des négociations. Il est extrêmement important pour l'employeur d'obtenir ces renseignements, car c'est l'employeur qui doit voir à ce que l'entreprise soit capable d'assumer l'ensemble des coûts négociés.
[878] Selon M. Bass, lorsque l'on a affaire à des situations de convention collective, il est souvent nécessaire que les parties aux négociations élaborent un modèle d'établissement des coûts de la rémunération totale quant à la rémunération directe et pour la rémunération indirecte. Ce modèle doit traiter de la question du coût de la rémunération directe et de la rémunération indirecte existante pour une année de référence, puis établir précisément le coût des avantages majorés ou diminués pour les années qui font l'objet de la négociation.
[879] Selon M. Bass, cette exigence quant à la précision peut entraîner l'utilisation de techniques d'extraction de données, l'identification d'hypothèses, et la modélisation par simulation informatique pour recueillir et analyser l'usage fait par l'employé pertinent et autres renseignements pour chaque avantage. La modélisation du taux de changement anticipé et le coût de ce changement pour l'employeur sont d'une importance cruciale dans ces évaluations.
[880] M. Bass a confirmé que le mandat qu'il s'est vu confier par Postes Canada consistait à examiner et à critiquer le rapport de M. Lee et [Traduction] « [...] à examiner ses méthodes, ses hypothèses, sa méthodologie et faire part de ses observations223 ». Le rapport de M. Bass a été déposée comme pièce R-547.
[881] Dans sa critique, M. Bass en a trouvé à redire contre le rapport de M. Lee pour plusieurs motifs.
[882] Premièrement, M. Bass a mentionné que M. Lee avait commis une erreur méthodologique en fondant son analyse sur les formes de rémunération indirecte qui existaient en 1995. M. Bass a déclaré qu'il aurait plutôt utilisé l'année 1983 comme année de référence parce qu'il aurait recherché les différences dans les avantages spéciaux à partir du moment où la plainte a été déposée.
[883] Deuxièmement, M. Bass n'a pas souscrit à la décision de M. Lee de rejeter les différences individuelles en avantages spéciaux de moins de 0,1 p. 100 au motif que la somme d'un grand nombre de petits nombres peut égaler un grand nombre. M. Bass aurait inclus ces différences dans son analyse.
[884] Troisièmement, M. Bass n'a pas souscrit à l'exclusion de la sécurité d'emploi par M. Lee de son analyse et a renvoyé à la réponse de M. Lee quant à la question de la sécurité d'emploi comme étant un avantage auquel il [Traduction] « [...] [n'avait] pas été capable de rattacher aucune valeur équivalente en rémunération [...]224 ». M. Bass a affirmé que, selon son expérience, la sécurité d'emploi était l'un des principaux points dans les négociations collectives. Il a ajouté qu'elle avait tellement d'importance dans les négociations collectives qu'elle devenait souvent le fondement de compromis dans le processus de négociation. En l'espèce, M. Bass a mentionné que la présence d'éléments généreux de sécurité d'emploi dans les conventions collectives de Postes Canada signifiait qu'il était important d'établir le coût de la sécurité d'emploi. Il croyait qu'on pouvait en établir le coût et il a mentionné de nombreuses étapes fondamentales pour y arriver.
[885] Quatrièmement, M. Bass a contesté l'exclusion des avantages spéciaux énumérés à l'alinéa 15(1)f) de la Loi. Bien que M. Bass ait reconnu que M. Lee suivait les directives que l'Alliance lui avait données lorsqu'il n'a pas tenu compte de ces avantages spéciaux, il a mentionné que l'on aurait dû établir le coût des éléments exclus. Il a fondé cette opinion, encore une fois, sur le fait que ces éléments sont souvent des questions cruciales dans les négociations collectives et, à ce titre, ils mériteraient d'être évalués. Cette opinion a été quelque peu nuancée lorsque M. Bass a mentionné qu'il établirait, à tout le moins, le coût des avantages qui excèdent les normes d'emploi minimales. Il a mentionné que des avantages spéciaux comme le congé de paternité et le congé pour raisons familiales sont des exemples d'avantages spéciaux qui ne sont pas suffisamment répandus pour être considérés comme faisant partie des normes d'emploi minimales.
[886] M. Bass a conclu que chacune des quatre lacunes décrites ci-dessus, pourraient, individuellement, déformer la valeur des formes de rémunération indirecte applicables aux groupes d'employés touchés par la présente cause. Il a estimé que l'ensemble des quatre lacunes que l'on retrouvait dans l'analyse de M. Lee étaient des « lacunes fatales », rendant ainsi peu fiables les résultats du travail de ce dernier.
(iv) L'analyse du Tribunal
[887] Les parties ne contestent pas l'objet du paragraphe 11(7) de la Loi. Il définit la signification du mot « salaire » et comprend à cet égard les formes de rémunération indirecte, lesquelles sont expressément mentionnées comme étant payables en sus de la rémunération payable à un employé en contrepartie de son travail. L'ensemble des parties reconnaissent également que l'alinéa 11(7)e) exige que « [les] autres avantages reçus directement ou indirectement de l'employeur » soient compris dans la définition de « salaire ».
[888] Par ailleurs, les parties ne contestent probablement pas l'application d'une réparation de « rémunération à tous égards », si on en exige une. Alors que Postes Canada ne semble pas avoir utilisé l'expression « rémunération à tous égards » dans ses observations, celle-ci a été utilisée, comme il a déjà été mentionné, par le témoin de l'Alliance, M. Ranger, en réponse à une question posée par l'avocat de Postes Canada.

[889] La Cour d'appel fédérale, dans la décision qu'elle a rendue le 18 mars 2004 dans la « cause des sociétés aériennes », a renforcé ce qu'elle a appelé la définition « très large » du mot « salaire »225.
[890] La Commission, dans le cadre de son enquête, a tiré la conclusion très générale que l'écart de rémunération existant entre le groupe plaignant CR et le groupe de comparaison PO était probablement augmenté lorsque l'on tenait compte des avantages spéciaux ou de la rémunération indirecte. Bien qu'elle n'ait présenté aucune preuve directe de cela, elle ne croyait pas que la rémunération indirecte réduirait l'écart de rémunération existant entre le groupe de comparaison et le groupe plaignant quant à la rémunération directe.
[891] La position de l'Alliance était qu'il n'y avait aucune différence entre la valeur de la rémunération indirecte du groupe des employés CR et celle du groupe des employés PO. Cette position a été soulignée dans le rapport de M. Lee, lequel a été fondé sur les conventions collectives des employés à temps plein CR et PO qui étaient en vigueur en 1995. Un examen des « différences historiques » entre 1983 et 1994 a mené à la conclusion de M. Lee qu'il n'y avait que des différences relativement mineures et souvent temporaires dans la valeur de la rémunération indirecte des deux groupes quant à cette période.
[892] Postes Canada a présenté sa position que le rapport de M. Lee était erroné et que, par conséquent, selon le témoignage de son témoin, M. Bass, il était sujet à caution. Son témoignage était une critique du rapport Lee et n'offrait aucune appréciation des valeurs ou aucune comparaison des valeurs des éléments de la rémunération indirecte des groupes d'employés. Il a plutôt mentionné au Tribunal que les lacunes relevées auraient pu mener à une déviation ou à une distorsion dans les résultats obtenus par M. Lee dans son travail.
[893] Comme toujours, le Tribunal doit tenir compte de la fiabilité dans le contexte des circonstances de l'espèce de la plainte et il utilisera la norme du caractère raisonnable, laquelle est fondée sur la norme civile de la prépondérance des probabilités.
[894] Comme il a déjà été souligné, ayant été accepté comme expert en analyse contractuelle et en évaluation de rémunération indirecte, M. Lee avait comme mandat d'établir et de comparer la valeur des éléments de la rémunération indirecte des groupes d'employés CR et PO.
[895] M. Lee a souligné que, entre le dépôt de la plainte et 1995, année où il a remis son rapport, 13 conventions collectives ont impliqué Postes Canada, l'Alliance et les syndicats représentant les PO. Le groupe PO a d'abord été représenté par l'UFC, laquelle a par la suite fusionné avec le STTP. Quatre conventions parmi les 13 ont impliqué Postes Canada et l'UFC.
[896] Le principal domaine d'examen de M. Lee était la convention collective en vigeur (1995) du groupe plaignant ainsi que celle du groupe de comparaison. Bien qu'il fut au courant des conventions antérieures, il n'y avait parfois dans certaines de celles-ci aucun renseignement quant à certains avantages spéciaux pour certaines années et parfois il y avait absence totale de renseignements concernant les avantages spéciaux. Pour ces avantages, lesquels il pouvait comparer avec les années antérieures, il a souligné que les différences au fil des ans étaient mineures et étaient souvent temporaires.
[897] Pour la période de 1995, M. Lee a examiné 51 clauses de convention collective touchant les CR et les PO. Il a exclu huit clauses au complet et deux en partie, et ce, en vertu de l'alinéa 15(1)f) de la Loi, comme l'avait demandé l'Alliance. Sur les 41 clauses restantes, il en a classé 24 comme accordant à chaque groupe le même avantage spécial ou un avantage équivalent. Huit autres clauses avaient comporté des différences dans des conventions antérieures mais étaient actuellement les mêmes ou l'équivalent.
[898] Huit clauses favorisaient soit les CR, soit les PO. Six favorisaient le groupe PO et deux, le groupe CR. M. Lee avait reçu comme instruction de la part de l'Alliance que, en cas de doute, il devrait choisir la solution qui réduirait tout écart de rémunération. Il a tenté de faire cela, comme il l'a souligné (paragraphes [868] à [870]) en utilisant le principe de pratique actuarielle suivant [...] [Traduction] « qui favorise le contraire de votre conclusion ».
[899] Compte tenu de sa comparaison des conventions collectives et de ses calculs des valeurs des avantages individuels, M. Lee a conclu qu'il n'y avait aucune différence importante entre la rémunération indirecte des deux groupes, à l'exception de la fourniture d'uniformes et de vêtements de protection pour le groupe PO, laquelle founiture, selon ses estimations, [Traduction] « peut équivaloir jusqu'à 2,08 p. 100 du salaire ».
[900] Comme il a déjà été souligné, l'expert de Postes Canada en matière d'établissement de coût de rémunération, M. Bass, a été mandaté pour critiquer le travail de M. Lee. On ne lui a pas demandé d'apprécier et de comparer la valeur des éléments de la rémunération indirecte des deux groupes d'employés.
[901] M. Bass a critiqué le rapport de M. Lee pour plusieurs raisons et a conclu que chacune des lacunes relevées aurait pu changer la conclusion de M. Lee en déformant la valeur des formes de rémunération indirecte.
[902] M. Bass a mentionné que le choix de l'année est critique lorsque l'on fait une analyse comparative de la rémunération indirecte, car l'année choisie servira de référence lors de négociations collectives ultérieures et de conventions éventuelles. En l'espèce, il a souligné que l'année où la plainte a été déposée aurait constitué un meilleur choix. M. Bass aurait aimé être capable de voir clairement les changements dans les coûts de la rémunération indirecte au fur et à mesure que les années se sont écoulées entre 1983 et 1995, et, de ce fait, prendre note de ce que M. Lee a appelé des différences mineures ou transitoires afin d'en arriver à une conclusion définitive.
[903] M. Bass a admis qu'il avait compris que les renseignements quant à certains avantages spéciaux n'étaient pas facilement accessibles ou n'étaient tout simplement pas disponibles, et ce, quant à l'ensemble des années visées. Dans d'autres cas, on ne disposait pas de moyens automatiques, ce qui a exigé l'utilisation de moyens manuels d'extraction de données, lesquels étaient plus dispendieux. Il a déclaré que, bien que sa méthode dépendît de l'obtention de données exactes, il n'était pas rare de rencontrer des situations où les employeurs estimaient qu'ils ne pouvaient pas fournir de données convenables. Dans de telles circonstances, il croyait que l'on devait explorer plus à fond, et peut-être faire affaire avec les représentants de l'employeur qui sont proches du fonctionnement. Compte tenu des volumineux registres remplis à la main, M. Bass a déclaré qu'il pourrait être disposé à travailler avec un échantillon de taille raisonnable, pourvu qu'il ait l'assurance de recevoir des données représentatives.
[904] Le Tribunal est d'avis que la première critique formulée par M. Bass à l'égard du travail de M. Lee en rapport avec le fait qu'il ait choisi l'année 1995 comme année de référence, plutôt que l'année 1983, est bien fondée en tant qu'énoncé théorique de l'année la plus convenable pour commencer l'analyse des différences entre les groupes quant à la rémunération indirecte. Dans les circonstances, toutefois, cette opinion ne peut pas se voir accorder suffisamment de poids pour supplanter le travail effectué sur les données disponibles de 1995. Il manquait un certain nombre de renseignements. D'autres renseignements n'étaient pas facilement accessibles. M. Lee, un témoin appelé à témoigner par l'Alliance à l'audience du Tribunal, ne pouvait tout simplement pas demander à un représentant de l'intimée, Postes Canada, de lui fournir des renseignements. Même s'il avait pu le faire, la preuve ultérieure a démontré que certains de ces renseignements n'étaient pas disponibles.
[905] La deuxième critique de M. Bass avait trait à la décision de M. Lee de rejeter les différences de moins de 0,1 p. 100 dans la valeur des avantages spéciaux. Bien que le Tribunal comprenne le point de M. Bass quant au coût total possible d'une série d'avantages d'une différence de moins de 0,1 p. 100, il n'a donné aucune preuve concrète pour illustrer quelle incidence cela pourrait avoir sur la définition de salaire.
[906] Par conséquent, le Tribunal n'accorde pas beaucoup de poids à cette deuxième prétendue lacune dans le rapport de M. Lee.
[907] M. Lee et M. Bass ne se sont pas entendus quant à la capacité d'évaluer un avantage comme la « sécurité d'emploi », la troisième source d'inquiétude de M. Bass. Bien que M. Lee ait classé la sécurité d'emploi comme faisant partie des avantages spéciaux des employés compris dans la rémunération indirecte, il a conclu qu'il n'y avait pas de moyen raisonnable d'associer une valeur équivalente en salaire à un tel avantage, car il dépend d'un usage futur qui ne peut pas être prédit de façon précise.
[908] M. Bass n'est pas de cet avis. Il a estimé que l'établissement du coût de la sécurité d'emploi était particulièrement important dans des industries, comme les opérations postales, où le changement technologique est chose courante. Il a toutefois souligné que l'établissement du coût d'un tel avantage exigerait l'accès aux données pertinentes sur les employés comme le nombre d'employés qui risquent véritablement ou potentiellement d'être déclarés excédentaires, le facteur temps en cause ainsi que d'autres facteurs connexes.
[909] Alors que les deux témoins experts ont reconnu que la sécurité d'emploi est un avantage spécial, il est évident, dans les circonstances de l'espèce, que M. Lee n'avait pas accès aux renseignements nécessaires pour entreprendre l'établissement du coût, si approximatif soit-il, de sa valeur. Le moment choisi pour faire son étude, c'est-à-dire le milieu de la présente audience, n'était pas non plus propice.
[910] Compte tenu de la nature nébuleuse de l'établissement du coût de la sécurité d'emploi et de la crédibilité des deux témoins dans leur champ d'expertise respectif, le Tribunal accepte que la sécurité d'emploi est probablement l'un des avantages spéciaux qui est susceptible d'être de valeur équivalente dans le cas de presque tous les employés CR et PO. De plus, la preuve indique que ceci pourrait être particulièrement le cas dans une industrie où le changement technologique est courant, comme un organisme moderne de cueillette, de traitement et de livraison du courrier.
[911] Enfin, M. Bass a mentionné qu'une comparaison détaillée de la valeur de la rémunération indirecte des CR et des PO nécessiterait l'évaluation des diverses éléments exclues par M. Lee. Ces éléments concernent les congés principaux, payés et non payés, de maternité, de paternité et d'adoption, de même que les congés pour raisons familiales ou les congés parentaux.
[912] Ces éléments découlent de l'alinéa 15(1)f) de la Loi et représentent des avantages qui sont déclarés non discriminatoires par la Loi. Pour cette raison, M. Lee a témoigné que l'Alliance lui avait demandé de les exclurent de son analyse.
[913] M. Bass a déclaré qu'il aurait établi le coût des avantages de l'alinéa 15(1)f) - ou du moins, de ceux qui dépassaient les normes d'emploi minimales. Il a affirmé qu'il n'était habituellement pas considéré comme une réussite, dans les cercles de négociation collective, de se contenter de négocier qu'en fonction des normes minimales de l'emploi. Il serait toutefois une réussite de négocier et de réussir à obtenir des avantages qui dépassent ces normes et, il serait, par conséquent, vital de connaître les coûts de ces avantages.
[914] Dans les circonstances du rapport de M. Lee, M. Bass a admis qu'une telle évaluation des coûts est impossible à réaliser sans la disponibilité de données relatives à l'utilisation pour chacun des avantages, ce que M. Lee n'avait pas. Par conséquent, l'acceptation par M. Lee de ses instructions d'exclure les avantages touchés par l'alinéa 15(1)f) de la Loi était compréhensible compte tenu de la nature de la plainte, du libellé clair du paragraphe et de la non-disponibilité des données nécessaires.
[915] De même, sans la capacité de faire une évaluation des coûts, le commentaire de M. Bass que la plus grande partie des dispositions de l'alinéa 15(1)f) semblait favoriser le groupe CR n'était que pure supposition226.
[916] M. Lee, ci-dessus, ne faisait pas non plus une supposition concernant des avantages qu'il était incapable d'évaluer ou qu'il croyait faire partie de la pratique administrative de Postes Canada. Il a formulé ce qui suit quant aux avantages comme le congé payé pour le développement de la carrière et le congé payé pour examen dont ont bénéficié les employés CR pendant de nombreuses années avant 1995, année où le groupe PO les a négociés pour son groupe :
[Traduction]
[...] J'ai du mal à imaginer que Postes Canada, avant la conclusion de leur contrat le plus récent, n'accordait pas de congés aux PO pour des examens importants.
Je soupçonne que dans le cas de certaines de ces différences, il y avait des pratiques de gestion administrative [...] qui étaient en place, peut-être depuis des années, mais qui n'avaient jamais été écrites dans le contrat [...]227
[917] Aucune des suppositions de l'expert n'a été étayée par la preuve entendue par le Tribunal.
[918] Toutefois, le rapport de M. Lee présente l'image de la valeur de la rémunération indirecte dont bénéficiait le groupe plaignant et le groupe de comparaison comme étant, selon toute vraisemblance, de valeur équivalente, et liée, dans un modèle de négociation, à la valeur des salaires versés aux deux groupes.
[919] La critique formulé par M. Bass n'a pas persuadé le Tribunal que le rapport de M. Lee devrait être rejeté. En effet, il a souligné qu'il est nécessaire que l'on dispose de données et de documents afin que l'on puisse faire du travail plus précis. Dans les circonstances de la présente plainte, la capacité d'être plus précis a été grandement réduite en raison du manque de données convenables nécessaires pour cette précision. Ce manque de précision est toutefois loin d'avoir comme conséquence que la preuve présentée dans le rapport de M. Lee ne puisse pas être acceptée comme prouvant, selon la prépondérance des probabilités, que, selon toute vraisemblance, la rémunération indirecte du groupe plaignant et celle du groupe de comparaison étaient généralement équivalentes.
[920] Il reste une autre question à examiner, laquelle a trait à la déclaration que Postes Canada a fait à la page 264 du chapitre 11 de ses observations écrites, c'est-à-dire :
[Traduction]
Toute analyse d'écart de rémunération en vertu de l'article 11 est incomplète et imprécise sans une analyse de l'ensemble des formes de rémunération indirecte. Une analyse complète est non seulement nécessaire; c'est un élément exigé par l'article 11 et, par conséquent, un élément essentiel d'une preuve prima facie.
[921] La question résultante que le Tribunal doit trancher est la suivante : une analyse raisonnablement fiable a-t-elle été entreprise par la plaignante quant aux composantes indirectes de la rémunération afin de répondre aux exigences de l'article 11 de la Loi?
[922] Premièrement, le Tribunal accepte, à partir de la preuve, que la manière selon laquelle l'examen des composantes indirectes a été fait en l'espèce est loin de ce à quoi on aurait pu s'attendre quant à une étude conjointe employeur-employé sur la « parité salariale ». Elle n'est pas près de ce que l'on pourrait considérer comme étant une pratique normale ou acceptée. Ni la Commission, ni l'Alliance n'ont traité de l'affaire lors de l'étape de l'enquête. Il a ensuite été laissé à l'Alliance, durant le processus d'audience de la plainte, le soin d'embaucher M. Lee, un expert en analyse contractuel et en évaluation de rémunération indirecte pour entreprendre une étude détaillée. Cette étude comportait, comme il a déjà été souligné, l'examen de nombreuses conventions collectives et de nombreux régimes d'avantages spéciaux qui existaient durant la période visée par la plainte. Ces conventions et ces régimes ont impliqué Postes Canada et les deux syndicats représentant le groupe plaignant CR et le groupe de comparaison PO.
[923] Tel qu'elle apparaît dans son rapport PSAC-55, la conclusion de M. Lee, contestée du point de vue de la méthode utilisée par M. Bass, était que les dispositions contractuelles en vigueur quant à la majorité des formes de rémunération indirecte étaient [Traduction] « exactement les mêmes ou étaient équivalentes d'une manière générale ». Lorsqu'il y avait des différences, M. Lee a estimé qu'elles étaient mineures et que, dans la majorité des cas [Traduction] « elles n'avaient aucune valeur équivalente en salaire qui pouvait être considérée comme importante aux fins de la « parité salariale ». Il a poursuivi en concluant qu'[Traduction] « il n'existe aucune différence dans la rémunération indirecte qui devrait être incluse dans le calcul des rajustements » qui peuvent devoir être faits quant au groupe plaignant CR.
[924] Le travail de M. Lee, malgré les critiques de M. Bass, lesquelles ont été examinées plus tôt dans la présente section de la décision, constitue-t-il une réponse raisonnablement fiable à la nécessité d'examiner l'élément de rémunération indirecte en vertu de l'article 11 de la Loi?
[925] Durant l'étape de l'enquête sur la plainte, aucun établissement des coûts des avantages spéciaux n'a été fait par la plaignante ou par la Commission, malgré le fait que la Loi exige un recensement des éléments qui font partie de la définition de « salaire » (paragraphe 11(7)).
[926] M. Lee a été embauché par la plaignante bien après le début de l'audience, et, en conséquence de son embauche tardive, celui-ci n'a pas eu la possibilité de vérifier les données relatives aux avantages ou d'établir leurs coûts. Il a fait du mieux qu'il a pu, compte tenu de la situation à laquelle il était confronté.
[927] Compte tenu de ces circonstances, le Tribunal s'est inspiré de la méthode du spectre qui a été utilisée plus tôt pour traiter de la fiabilité raisonnable des renseignements sur l'emploi utilisés par l'Équipe professionnelle dans ses évaluations des emplois (paragraphe [696]). Le Tribunal a conclu qu'il ne pouvait pas qualifier le rapport de M. Lee ainsi que ses résultats comme étant « d'une fiabilité raisonnable supérieure » ou « d'une fiabilité raisonnable moyenne ». Le Tribunal conclut toutefois que sa méthode et les résultats étaient « d'une fiabilité raisonnable inférieure ».
[928] Le fait que l'analyse a été faite à un mauvais moment, par un seul témoin expert, et a démontré que les valeurs équivalentes en salaire des éléments de la rémunération indirecte pour le groupe plaignant CR et pour le groupe de comparaison PO, s'équilibraient sensiblement, ne signifie pas, selon le Tribunal, que le paragraphe 11(7) n'a pas été respecté. Il ne signifie pas non plus que l'analyse de l'écart de rémunération était incomplète ou forcément inexacte.
[929] Par conséquent, le Tribunal conclut que l'Alliance, par l'entremise du témoignage de M. Lee, a satisfait aux exigences de la Loi en examinant les éléments de rémunération indirecte figurant au paragraphe 11(7) de la Loi, lesquels sont compris dans la définition de « salaire ».
[930] Le Tribunal conclut également que l'Alliance a satisfait à l'exigence de la preuve prima facie en vertu de l'article 11 de la Loi en prouvant, d'après le témoignage de M. Lee et, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y avait essentiellement, entre le groupe des employés CR et le groupe des employés PO, aucune différence quant à la rémunération indirecte dont on devrait tenir compte pour décider s'il y avait « disparité salariale » en vertu du paragraphe 11(1).
IX. Les réparations
A. Contexte
[931] Les dispositions suivantes de la Loi traitent de la compétence du Tribunal d'accorder des réparations :
Plainte jugée fondée
53(2) À l'issue de l'instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire :
[...]
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres biens, services, installations ou moyens d'hébergement, et des dépenses entraînées par l'acte;
e) d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.
Indemnité spéciale
53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré.
Intérêts
53(4) Sous réserve des règles visées à l'article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l'indemnité au taux et pour la période qu'il estime justifiés.
[932] Manifestement, le Tribunal s'est vu conférer de vastes pouvoirs de réparation par l'article 53 de la Loi pour remédier aux conséquences de la discrimination lorsqu'une plainte en matière de droits de la personne en vertu de la Loi a été jugée fondée.
[933] Comme la Commission l'a souligné dans ses observations, ces pouvoirs de réparation devraient permettre à la victime d'un traitement ou d'une pratique discriminatoire d'« obtenir une réparation intégrale ». La Commission a cité la déclaration suivante faite par le juge Marceau dans la décision Morgan alors qu'il traitait de l'évaluation en droit de la responsabilité délictuelle ou en droit de la personne des dommages-intérêts recouvrables par une victime :
Dans les deux cas, le principe est le même : la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit. Tout autre but entraînerait un enrichissement sans cause et un appauvrissement injustifié parallèle228.
[934] La meilleure façon d'interpréter l'expression « obtenir une réparation intégrale » est comme signifiant que la partie lésée doit être remise dans la position où elle aurait été si le tort ne s'était pas produit.
[935] Il est également pertinent de mentionner, comme la Commission l'a fait dans ses observations, l'examen fait par le juge Hugessen de l'alinéa 53(2)c) de la Loi alors que lui et ses collègues étaient saisis d'une cause de « parité salariale » :
Selon moi, cette disposition confère simplement et explicitement le pouvoir d'ordonner le paiement à une victime des pertes de salaire qu'elle a subies en raison d'un acte discriminatoire. Pareille ordonnance est nécessairement axée sur le passé et résulte de la réponse donnée à la question suivante : « Quelle est la rémunération dont cette victime a été privée en conséquence de l'acte discriminatoire? » Aucun élément de cette disposition ne justifie l'opinion selon laquelle cette réparation doit être obtenue « à tout le moins de façon minimale », ou qu'elle ne doit pas remonter au-delà de « la date du dépôt de [la] plainte ». Une plainte pour cause de discrimination renvoie nécessairement à des pratiques antérieures à la plainte même; on peut difficilement se plaindre d'un acte discriminatoire qui ne serait pas encore survenu. Certes, la discrimination peut se poursuivre, de sorte que le Tribunal accordera également réparation pour le futur, mais ce fait ne doit pas occulter la nécessité évidente de réparer le préjudice passé229.
[936] Dans cette même décision MDN susmentionnée, le juge Hugessen a fait la déclaration suivante qu'il a étayée en citant un extrait pertinent tiré de l'ouvrage de S.M. Waddam, lequel a déjà été mentionné au paragraphe [679] :
À mon avis, il est bien établi que la Cour, sachant que la partie demanderesse a subi des dommages, ne peut refuser d'accorder réparation uniquement parce que le montant précis des dommages est difficile ou impossible à établir. Le juge doit faire de son mieux à l'aide des éléments dont il dispose230.
[937] Il y a un autre facteur contextuel important dont il faut tenir compte. Celui-ci a trait à l'incidence possible, sur une adjudication de dommages-intérêts, de toute incertitude quant à la nature, l'étendue et la valeur des pertes encourues. Le juge Marceau a traité de cette question. Il a affirmé ce qui suit :
Il me semble qu'il ne faut pas confondre la preuve d'une perte véritable et de son lien avec l'acte discriminatoire avec la preuve de l'ampleur de la perte. Pour démontrer l'existence du préjudice donnant droit à l'indemnité, il n'était pas nécessaire de démontrer que, n'eût été l'acte discriminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. De plus, aux fins d'établir le préjudice, point n'est besoin de démontrer la probabilité de celui-ci. À mon avis, la preuve d'une possibilité, pourvu qu'elle soit sérieuse, suffit à démontrer l'existence du préjudice. Par contre, pour connaître l'ampleur du préjudice et les dommages-intérêts qu'il entraîne, il m'apparaît impossible de rejeter des éléments de preuve démontrant que, de toute manière, le poste aurait pu être refusé. La présence de cet élément d'incertitude empêcherait le tribunal d'accorder les dommages-intérêts qu'il accorderait en l'absence de celui-ci. L'indemnité fixée par le tribunal serait réduite en fonction du degré d'incertitude231. [Non souligné dans l'original]
[938] Deux décisions récentes qui illustrent le principe énoncé par le juge Marceau ont été portées à l'attention du Tribunal. L'une de ces décisions est Chopra c. Ministère de la Santé et du Bien-être social, dans laquelle le plaignant demandait à être indemnisé pour une perte de salaire découlant du fait qu'il n'avait pas obtenu une affectation intérimaire et qu'il ne s'était pas qualifié comme candidat éligible dans un concours relatif à un poste de niveau plus élevé au sein de son ministère232. Le Tribunal a accordé au plaignant des dommages-intérêts beaucoup moins importants en raison du degré relativement élevé d'incertitude quant à sa possibilité de réussite lors du concours final. Cette décision fait actuellement l'objet d'une demande de contrôle judiciaire en Cour fédérale.
[939] La deuxième décision est Singh c. Statistique Canada, dans laquelle le Tribunal a conclu que le plaignant avait fait l'objet de discrimination en raison de son âge parce que son nom n'avait pas été inscrit sur une liste d'éligibilité relative à des postes particuliers à Statistique Canada233. Toutefois, des dommages-intérêts ont été accordés au plaignant en tenant compte qu'on lui accorderait un poste et un traitement inférieur de deux échelons au poste et au traitement demandés par lui et la CCDP au motif qu'« il n'[était] pas du tout certain que la progression de M. Singh aurait suivi » le chemin que celui-ci anticipait234. La décision a été confirmée par la Cour fédérale235.
[940] Alors que la présence de l'incertitude lorsqu'il est question d'établir l'importance des dommages-intérêts ne devrait pas, ne doit pas en fait, empêcher le Tribunal d'accorder des dommages-intérêts, cette incertitude peut, néanmoins, entraîner une réduction, très significative dans certaines circonstances, de la valeur du montant des dommages-intérêts.
[941] Compte tenu de la classification faite par le Tribunal des renseignements sur l'emploi utilisés dans le cadre de l'évaluation des postes CR et des emplois PO comme étant d'« une fiabilité raisonnable inférieure » (paragraphe [699]), le Tribunal conclut qu'il existe un degré important d'incertitude. Cette incertitude découle de la classification la plus basse dans la « fourchette d'acceptabilité », laquelle l'emporte sur une évaluation des dommages occasionnés par une perte de salaire pour un montant auquel on pourrait s'attendre si les renseignements sur l'emploi avaient été classés comme étant d'une « fiabilité raisonnable supérieure » - le niveau le plus souhaitable pour une cause en matière de « parité salariale ».
[942] Un autre élément semblable d'incertitude découle de la classification, par le Tribunal, des formes de rémunération indirecte comme étant de « fiabilité raisonnable inférieure » (paragraphe [927]).
[943] Si ont tient compte de ces éléments d'incertitude qui ont une incidence sur l'aspect très important de l'appréciation de l'ampleur de l'écart de rémunération, le Tribunal croît que, selon toute vraisemblance, si les renseignements sur l'emploi et les formes de rémunération indirecte avaient été d'une « fiabilité raisonnable supérieure », l'écart de rémunération aurait été plus conforme à la réalité. En d'autres mots, plus les renseignements sur l'emploi et les formes de rémunération indirecte sont fiables, plus la détermination de l'écart de rémunération est précise. Cette détermination est cruciale quant à l'importance des dommages-intérêts qui seront adjugés.
[944] Reconnaissant ces éléments d'incertitude dans l'état des renseignements sur l'emploi et dans les documents sur les formes de rémunération indirecte, le Tribunal conclut qu'il ne peut pas accepter, en totalité, l'écart de rémunération établie par l'Alliance et endossée par la Commission.
B. Les composantes de la réparation
(i) L'adjudication au titre de la perte de salaire
[945] En somme, le Tribunal favorise la méthode niveau/courbe proposée par M. Kervin et la Commission pour établir l'étendue de l'écart de rémunération à éliminer (paragraphe [844]). M. Kervin et la Commission ont toutefois déclaré que leurs calculs de l'écart de rémunération n'étaient que des estimations. Le coût final des rajustements individuels pour chaque employé CR exigera un examen des dossiers des employés en collaboration avec Postes Canada.
[946] Comme il a été mentionné précédemment, le Tribunal conclut que la question des renseignements sur l'emploi et la question de la rémunération indirecte ont créé une incertitude dans la détermination de l'écart de rémunération. Cette incertitude, à son tour, demande pour une réduction de l'adjudication pour perte de salaire.
[947] À la différence des autres articles de la Loi, l'article 11 n'apporte pas de distinction nette entre la preuve de responsabilité et la preuve de préjudice. Il ne propose pas non plus une méthode claire pour mesurer le préjudice découlant d'une conclusion de discrimination. Il est donc nécessaire que le Tribunal traite de la distinction entre la preuve de responsabilité et la preuve de préjudice ainsi que des moyens de mesure du préjudice possible.
[948] Suite à l'analyse spectrale qui a été effectuée quant à ces deux éléments de l'incertitude, le Tribunal conclut qu'un écart de rémunération fondé sur une preuve de « fiabilité raisonnable supérieure » devrait, logiquement, donner lieu à une adjudication à 100 p. 100 de la perte de salaire, une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable moyenne » à une adjudication de 75 p. 100, et une conclusion fondée sur une « fiabilité raisonnable inférieure » à une adjudication de 50 p. 100 ou moins.
[949] Par conséquent, le Tribunal conclut que la proposition définitive d'adjudication au titre de la perte de salaire pour chaque employé CR admissible, peu importe la méthode utilisée, devrait être réduite de 50 p. 100 en conformité avec l'état de « fiabilité raisonnable inférieure » des renseignements sur l'emploi pertinents et des formes de rémunération indirecte.
(ii) Les arrérages - La période d'indemnisation
[950] La Commission a demandé que l'adjudication au titre de la perte de salaire soit rétroactive au 16 octobre 1981, la date de la constitution de Postes Canada en société d'État. La Commission a renvoyé aux propos suivants tenus par le juge Hugessen dans la décision MDN, dans laquelle on a reconnu la capacité d'un tribunal à s'écarter de la limite d'un an avant le dépôt de la plainte fixée par la pratique de la Commission :
Dans des circonstances ordinaires, la limite d'un an avant le dépôt de la plainte, fixée par la pratique de la Commission me semble établir un juste équilibre entre les intérêts opposés en jeu. Comme tout délai de prescription, ce délai est en quelque sorte arbitraire et j'en tempérerais le caractère arbitraire en statuant que le Tribunal peut le modifier s'il estime que les faits commandent qu'il soit prolongé ou écourté dans une instance donnée236.
[951] L'Alliance a également renvoyé à la décision MDN, précitée, et elle a fait valoir que la date de prise d'effet pour les calculs des pertes de salaire devrait être le 16 octobre 1981. Selon l'Alliance, il serait injuste pour les victimes de discrimination systémique d'agir autrement.
[952] Postes Canada a fait valoir que l'Alliance n'avait pas réussi à établir une preuve prima facie que tout écart de rémunération dont Postes Canada pourrait être tenue responsable en vertu de l'article 11 existait avant le dépôt de la plainte. Postes Canada a également souligné que le Tribunal, dans la décision Conseil du Trésor (Phase II)237 dans laquelle l'intimé a reconnu sa responsabilité en vertu de l'article 11, n'a adjugé aucun arrérage pour une quelconque période de temps avant le dépôt de la plainte. On a ordonné que le rajustement des salaires prenne effet à compter de la date du début de l'étude du Comité mixte - c'est-à-dire environ 3 mois et demi après le dépôt de la plainte. Selon Postes Canada, les faits en l'espèce ne favorisent pas le versement de paiements rétroactifs.
[953] Le juge Hugessen dans la décision MDN, précitée, a mentionné que la portée de l'alinéa 53(2)c) de la Loi « est nécessairement axée sur le passé » lorsqu'il a ordonné le paiement des pertes de salaire occasionnées par une pratique discriminatoire238.
[954] La plainte a été déposée le 24 août 1983 mais, durant 1984 et 1985, elle n'a fait l'objet d'aucune enquête active de la part de la Commission. L'Alliance et Postes Canada étaient occupées à autre chose à ce moment-là, notamment à l'élaboration du plan d'évaluation des emplois System One. La Commission a réactivé son enquête en octobre 1985.
[955] Le Tribunal estime que, compte tenu de la nature systémique de la discrimination en vertu de l'article 11, on devrait reconnaître une certaine période de rétroactivité. En même temps, la Cour d'appel fédérale, dans la décision Morgan, précitée, a affirmé que l'on doit faire preuve de bon sens lorsque l'on crée une période d'indemnisation et que l'on doit imposer une certaine limite à la responsabilité de l'auteur du préjudice.
[956] Compte tenu qu'aucun élément de preuve n'a été présenté pour souligner l'argument que la présente plainte devrait être traitée de façon différente, le Tribunal conclut que l'adhésion à la pratique fréquente de la Commission de limiter cette période à un an avant le dépôt de la plainte constituerait un équilibre raisonnable en toutes circonstances. Par conséquent, le Tribunal conclut que le 24 août 1982 constitue la date de début appropriée de la période d'indemnisation.
[957] Quant à la période de temps qui devrait être couverte par les arrérages de salaire, il est souligné que l'avocat de l'Alliance a prévenu le Tribunal, en juin 2003, que l'Alliance et Postes Canada avaient conclu un protocole d'entente, en date du 6 juin 2002, en vertu de la convention collective alors en vigueur, lequel protocole prévoyait l'introduction d'un nouveau plan d'évaluation des emplois. Le nouveau plan a remplacé les normes de classification existantes du Conseil du Trésor et a créé six niveaux administratifs, A1 à A6, dans lesquels des anciens CR allaient être reclassés, s'il y avait lieu. La date de mise en uvre du nouveau plan a été fixée au 3 août 2002 et la date d'entrée en vigueur des nouveaux taux de rémunération a été fixée rétroactivement au 3 juin 2002.
[958] L'avocat de l'Alliance a déclaré que la plage résultante des taux de rémunération des CR découlant du nouveau plan était, d'une manière générale, beaucoup plus élevée que la plage des taux de rémunération des PO INT et des PO EXT en vertu de la convention du STTP expirant en janvier 2003. Qu'est-ce que tout cela signifiait?
[959] Ce que cela signifiait pour l'avocat de l'Alliance, du point de vue de l'incidence sur la présente plainte, a été formulé comme suit :
[Traduction]
« [...] cela indique la ligne de démarcation de la limite extérieure de la présente plainte en matière de parité salariale239 ».
« [...] vraisemblablement, cela représente la où la plainte prend fin, la limite extérieure, le paramètre extérieur de la plainte240 ».
[960] La position de l'avocat de l'Alliance est renforcée par le fait que le protocole d'entente du 6 juin 2002 était le résultat direct d'un protocole d'entente (annexe D) de la convention collective Postes Canada/Alliance alors en vigueur et qui expirait le 31 octobre 2004. Dans ce protocole d'entente était conscrit l'agrément de Postes Canada et de l'Alliance (et du Syndicat des employés des postes et des communications) que le nouveau plan d'évaluation des emplois envisagé serait [Traduction] « exempt de discrimination basée sur le sexe et devrait répondent aux exigences de l'article 11 de la Loi canadienne sur les droits de la personne ».
[961] Par conséquent, le Tribunal conclut que la période d'arrérage de salaire sera la période comprise entre le 24 août 1982 et le 2 juin 2002, après quoi il ne devrait plus y avoir d'écart de rémunération entre le groupe plaignant CR et le groupe de comparaison PO. De plus, le Tribunal conclut que, avec les nouveaux taux de rémunération des anciens CR prenant effet le 3 juin 2002, on n'aura pas à faire une « inclusion » dans les taux de rémunération de base par niveau à cette date, étant donné que les nouveaux niveaux administratifs A1 à A6, à la même date, étaient compatibles avec l'article 11.
(iii) Les intérêts
[962] Le paragraphe 53(4) de la Loi prévoit que le Tribunal peut accorder des intérêts au taux et pour la période qu'il estime justifiés, dans toute ordonnance de paiement d'une indemnité rendue en vertu de l'article 53. Une telle ordonnance est soumise aux règles établies en vertu du paragraphe 48.9(2) de la Loi, lequel est ainsi libellé :
Règles de pratique
48.9(2) Le président du tribunal peut établir des règles de pratique régissant, notamment
i) l'adjudication des intérêts.
[963] La Commission a mentionné que dans le passé il y a eu un débat quant à savoir si le Tribunal canadien des droits de la personne avait compétence pour adjuger des intérêts car il n'y avait aucune disposition dans la Loi quant à de telles adjudications. Une telle disposition a été ajoutée dans les modifications apportées en 1988 à l'article 48.9 et au paragraphe 53(4) de la Loi.
[964] Les trois parties ont renvoyé au paragraphe 9(12) des Règles de procédure provisoires du Tribunal canadien des droits de la personne (datée du 8 janvier 2000), lequel est ainsi libellé :
Intérêts
9(12) À moins d'instructions contraires de la part du membre instructeur, tous les intérêts accordés conformément au paragraphe 53(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne doivent
a) être calculés à taux simple sur une base annuelle en utilisant le taux applicable aux obligations d'épargne du Canada, et
b) commencer à courir à la date où l'acte discriminatoire s'est produit.
[965] La Commission a prétendu que les intérêts sont composés de deux éléments, notamment, d'une indemnisation quant à la perte de rendement des sommes non versées ainsi que d'une indemnisation quant à la perte de leur valeur. Elle a également fait remarquer que le paragraphe 9(12) des Règles est une disposition provisoire et non une disposition définitive et qu'il permet au Tribunal d'adjuger des intérêts autrement que ce qui y est énoncé.
[966] Selon la Commission, les circonstances de l'espèce et le fait que les employés touchés attendent un rajustement de salaire depuis plus de 20 ans justifiaient une adjudication plus généreuse que ce qui est permis par le paragraphe 9(12). La Commission a demandé une adjudication d'intérêts composés au taux prévu dans la Loi sur tribunaux judiciaires, ce qui constituerait une indemnisation plus complète241.
[967] La prétention de l'Alliance était que le Tribunal devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'adjuger des intérêts à un taux plus élevé et qu'il devrait favoriser l'adjudication d'intérêts composés, calculés semestriellement, au taux prévu dans la Loi sur les tribunaux judiciaires.
[968] L'Alliance et la Commission ont estimé que leurs positions respectives sur la question de l'intérêt composé étaient étayées par l'ouvrage de Waddams, précité, dans lequel on a conclu que l'adjudication d'intérêts composés, en tant que principe, pourrait être justifiée sous réserve de certaines conditions.
[969] La position de Postes Canada était qu'il ne conviendrait pas d'adjuger des intérêts composés sans démontrer, comme il a été mentionné dans la décision Morgan, précitée, l'existence d'un besoin ou d'une circonstance spécial quant à l'indemnisation de la perte réelle subie. Selon Postes Canada, ni la Commission, ni l'Alliance n'a présenté une preuve pour étayer une adjudication exceptionnelle d'intérêts composés ou une adjudication d'un taux plus élevé que celui des obligations d'épargne du Canada.
[970] Malgré la longue durée de la présente cause, laquelle durée a occasionné un jugement tardif quant à la cause des employés plaignants, le Tribunal conclut que la preuve dont il a été saisi n'a révélé l'existence d'aucun besoin ou d'aucune circonstance spécial justifiant l'adjudication d'intérêts composés.
[971] Par conséquent, le Tribunal conclut que des intérêts simples devraient être payables lors de l'adjudication définitive au titre de la perte de salaire, avec réduction de 50 p. 100. Ces intérêts devraient être fixés selon le taux des obligations d'épargne du Canada et commenceront à courir à compter de la date du début de la période de rétroactivité, c'est-à-dire le 24 août 1982. Les intérêts devraient être sur une base annuelle en utilisant le taux des obligations d'épargne du Canada en vigueur le 1er septembre de chaque année visée.
(iv) Les intérêts après jugement
[972] Comme il est probable qu'il y aura des retards entre la date de la décision finale du Tribunal et la date de paiement des adjudications aux employés qui y ont droit, la Commission et l'Alliance ont fait valoir que des intérêts après jugement devraient être versés en conformité avec les dispositions de la Loi sur les tribunaux judiciaires.
[973] Le Tribunal souscrit à cette opinion, sujet à la condition que tout intérêt après jugement doit être calculé, à partir de la date de l'Ordonnance du Tribunal, sur l'adjudication de la perte de salaire déterminée, réduit de 50 p. cent.
(v) Indemnité spéciale
[974] L'Alliance a prétendu que la preuve étayait une conclusion par le Tribunal que Postes Canada a délibérément posé des actes discriminatoires et que le paiement d'une indemnité spéciale devrait être ordonné en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi.
[975] L'Alliance a prétendu que sans que ce soit de leur faute, les employés touchés ont attendu pendant environ 20 ans pour que leur plainte soit réglée. L'Alliance a également prétendu que les efforts antérieurs qu'elle a faits en vue de négocier une solution à la table de négociation ont été rejetés par l'employeur.
[976] L'Alliance était également d'opinion que Postes Canada avait consciemment évité de s'assurer que les fonctions exécutées par le groupe CR à prédominance féminine étaient de valeur égale à celles exécutées par le groupe PO à prédominance masculine. Au contraire, Postes Canada a choisi de ne faire valoir que des critiques et des arguments de nature technique et juridique conçus dans le but de se soustraire à ses obligations prévues à l'article 11.
[977] Un autre argument présenté par l'Alliance est l'incidence importante que la violation de l'article 11 par l'intimée a eu, principalement, sur les petits salariés du groupe CR. La privation du revenu constituant l'écart de rémunération peut raisonnablement être considérée, dans des cas particuliers, comme ayant mené à « de nombreuses occasions perdues » et le Tribunal devrait en tenir compte dans son ordonnance remédiatrice.
[978] Enfin, l'Alliance a prétendu que la déception et la frustration occasionnées par le temps qu'il a fallu pour obtenir réparation devraient être indemnisées par des dommages-intérêts pour préjudice moral.
[979] Tout en reconnaissant qu'aucune indemnisation pécuniaire ne peut pas vraiment effacer les répercussions qu'ont eu tant d'années de rémunération insuffisante, l'Alliance a prétendu que chacun des employés du groupe CR devrait recevoir une indemnisation en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi et que le montant de ladite indemnisation devrait être fixé par le Tribunal. L'Alliance a proposé que l'adjudication soit répartie au prorata en fonction du nombre d'années complètes travaillées par chacun des employés éligibles.
[980] L'Alliance a également prétendu que des intérêts à taux simple calculés en conformité avec la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario devraient être versés quant à l'indemnité spéciale.
[981] La Commission a souligné que, en vertu de l'alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la Loi, le Tribunal a le pouvoir d'accorder une indemnité pour préjudice moral ainsi qu'une indemnité spéciale. La Commission a toutefois mentionné que dans les circonstances de l'espèce, elle n'avait pris aucune position quant à la prétention de l'Alliance.
[982] Postes Canada a fait valoir qu'il ne convenait pas d'adjuger une indemnité spéciale en l'espèce et prétendu que l'Alliance n'a présenté au Tribunal aucune preuve de la nature de celle qui est exigée pour étayer une telle demande.
[983] Postes Canada a également prétendu que le droit concernant les indemnités spéciales est clair et que le tribunal l'a bien énoncé dans la décision Conseil du Trésor (Phase II). Voici ce que le tribunal a affirmé dans cette décision :
Nous estimons que l'ordonnance de payer une indemnité en vertu de l'alinéa 53(3)b) de la Loi exige de faire la preuve des effets de la pratique discriminatoire sur les individus concernés. Une indemnité pour préjudice morale est une indemnité personnelle qui est habituellement consentie dans le contexte d'une discrimination directe. Lors des audiences, un tribunal se prononcera sur l'adjudication d'une indemnité après avoir entendu le témoignage d'individus, témoignage portant sur les effets qu'a eus sur lui ou sur elle la discrimination (voir R. v. Cranston (1997), T.D. 1/97 (C.H.R.T.)). Ainsi, le Tribunal est en mesure d'observer le comportement du plaignant lors de son témoignage et d'en tirer des conclusions, à savoir, dans les circonstances, s'il est justifié ou non d'accorder une indemnité pour préjudice moral. À notre avis, l'impact des délais qui a suscité des déceptions, des frustrations, peut-être même de la tristesse ou de la colère, même s'il s'agit de réactions légitimes, n'est pas à la hauteur de la norme concernant le préjudice moral et la perte de dignité que l'alinéa 53(3)b) s'emploie à réparer.
En l'espèce, la pratique discriminatoire tire son origine des attitudes et de l'histoire de la société, éléments qu'ont en commun les hommes et les femmes. Les attitudes à l'égard de la femme au travail évoluent grâce aux efforts de sensibilisation et d'éducation, et aux lois. Il s'agit d'un problème systémique, inhérent au régime de rémunération de l'employeur. En se rendant à la demande de la Commission et de l'Alliance, le Tribunal consentirait en masse des indemnités pour préjudice moral, ce qu'il estime n'est pas l'objet visé par l'alinéa 53(3)b) de la Loi.
Nous ne doutons pas que certains plaignants ont ressenti un sentiment de perte, et que certains ont ressenti un sentiment de perte plus fort que d'autres. Nous convenons aussi qu'il n'est pas pratique que les individus concernés par cette affaire viennent témoigner devant le Tribunal quant aux effets qu'ils ont subis en raison de la pratique discriminatoire. Cependant, ces facteurs ne nous incitent pas à consentir en masse des indemnités en vertu de l'alinéa 53(3)b)242.
[984] Le Tribunal souligne que dans l'extrait susmentionné de l'affaire Conseil du Trésor (Phase II), le tribunal examinait l'alinéa 53(3)b) de la version de la Loi qui a précédé la version amendée de 1998. Cet alinéa était ainsi libellé :
53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas :
a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;
b) que la victime a souffert un préjudice moral.
[985] Le tribunal dans la décision Conseil du Trésor, traitait donc de l'argument de la Commission que, en conséquence de la pratique discriminatoire, les victimes ont souffert un préjudice moral (ancien alinéa 53(3)b)). Le tribunal en question ne traitait pas, dans ce contexte, de la question de savoir si une personne avait commis un acte discriminatoire de façon délibéré ou inconsidéré (ancien alinéa 53(3)a)).
[986] Par contre, en l'espèce, l'Alliance a prétendu que Postes Canada a commis un acte discriminatoire de façon délibérée en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi actuelle. Il n'a fait aucune mention directe du « préjudice moral » mentionné à l'alinéa 53(2)e) de la Loi actuelle.
[987] L'utilisation par Postes Canada de la décision Conseil du Trésor (Phase II) pour étayer son rejet de la prétention de l'Alliance était donc, selon le Tribunal, quelque peu mal fondée, car la décision du Conseil du Trésor portait clairement sur la souffrance des victimes en rapport avec le « préjudice moral » et non pas sur une personne qui a commis un acte discriminatoire de façon « délibéré ou inconsidéré ».
[988] Toutefois, en toute équité pour Postes Canada, l'Alliance semble avoir examiné les aspects de l'alinéa 53(2)e) ainsi que ceux du paragraphe 53(3), quoiqu'elle a limité sa demande écrite au paragraphe 53(3)243. Par exemple, tout en alléguant que Postes Canada a commis un acte discriminatoire de façon délibéré, elle a également prétendu que ses victimes ont vécu de grandes déceptions et de grandes frustrations et ont pu subir une blessure morale qui s'apparente au préjudice moral dont il est fait mention à l'alinéa 53(2)e).
[989] Compte tenu que l'Alliance a limité ses observations aux dispositions du paragraphe 53(3), le Tribunal concentre sa décision, sans la limiter, sur la dimension curative de l'article 53 de la Loi. Alors que l'Alliance a prétendu que Postes Canada a contribué aux longs délais expérimentés dans le cadre de la plainte et a prolongé le processus par ses critiques et ses arguments de nature technique et juridique, le Tribunal estime que l'on n'a pas fourni une preuve détaillée suffisante pour que le Tribunal soit amené à conclure que Postes Canada a commis un acte discriminatoire de façon délibéré ou inconsidéré.
[990] L'acte discriminatoire visé est, après tout, un acte de discrimination systémique qui, comme concept, a souvent été jugée involontaire. De même, la Loi est une loi qui vise des mesures correctives plutôt qu'une loi qui vise à blâmer et à punir.
[991] Compte tenu de la preuve présentée, le Tribunal ne conclut pas que Postes Canada a vraisemblablement pratiqué la discrimination systémique, de façon délibéré ou inconsidéré. Le Tribunal ne conclut pas non plus qu'une preuve suffisante a été fournie pour documenter la mesure dans laquelle les victimes de discrimination systémique, individuellement ou collectivement, ont pu subir un préjudice moral, aussi difficile que cela puisse être de le démontrer lorsque l'on a affaire à un grand nombre d'employés.
[992] Par conséquent, le Tribunal conclut qu'aucune adjudication n'est justifiée en vertu du paragraphe 53(3) ou en vertu de l'alinéa 53(2)e) de la Loi.
(vi) Les frais juridiques
[993] Selon l'Alliance, les frais juridiques, notamment les honoraires et les débours associés à l'adjudication de la plainte, laquelle a comporté plus de 400 jours d'audience [Traduction] « sont énormes ». Afin de garantir une indemnisation complète des victimes, l'Alliance a estimé qu'il était essentiel que les frais juridiques soient pris en compte. Selon l'Alliance, il est arrivé dans le passé que l'avocat du plaignant ait apporté une dimension importante à la présentation du dossier du plaignant, comme l'Alliance l'a fait en l'espèce.
[994] L'Alliance a prétendu qu'il est admis que l'alinéa 53(2)c) de la Loi accorde au Tribunal le pouvoir d'adjuger des frais juridiques ainsi qu'une indemnité pour les autres dépenses engagées par la victime en conséquence de l'acte discriminatoire. L'avocat de l'Alliance a renvoyé à la décision rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans Grover c. Conseil national de recherches du Canada [1992], D.C.D.P. n° 12 (QL). Dans cette décision le tribunal a ordonné à l'intimé de payer les frais juridiques du plaignant selon le tarif de la Cour fédérale.
[995] L'Alliance a également renvoyé à la décision rendue par la Cour fédérale dans Canada (Procureur général) c. Thwaites [1994], A.C.F. n° 364 (C.F.) (QL) et à la décision rendue par le tribunal dans Nkwazi c. Canada (Service correctionnel) [2001] D.C.D.P. n° 43 (QL). Selon l'Alliance, ces deux décisions étaient favorables à l'inclusion de frais juridiques raisonnables dans l'indemnité accordée à un plaignant qui a gain de cause.
[996] Par conséquent l'Alliance a demandé que le Tribunal ordonne l'adjudication de ses frais juridiques. Elle propose que ces frais soient calculés selon une base indemnitaire conséquente en conformité avec le tarif prévu dans la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario ainsi que dans les Règles de procédure civile.
[997] La Commission a prétendu que bien que dans le passé il y a pu y avoir un certain nombre d'incohérences dans les adjudications de frais juridiques, la jurisprudence récente confirme la compétence des tribunaux dans ce domaine. La Commission a notamment renvoyé à Nkwazi, précitée, ainsi qu'à Premakumar c. Air Canada, et s'est inspirée du passage suivant tiré ce cette dernière décision :
Je suis d'avis que l'atteinte des objectifs visant l'indemnisation des victimes formulés dans la Loi canadienne sur les droits de la personne est davantage bien servie en veillant à ce que les plaignants ayant gain de cause puissent obtenir le remboursement des frais juridiques raisonnables entraînés dans le cadre de l'instruction d'une plainte concernant une atteinte aux droits de la personne244.
[998] Compte tenu que la plainte a été débattue pendant 20 ans et que les frais juridiques et les débours liés à ce litige complexe auquel ont participé de nombreux témoins experts et de nombreux témoins profanes ont été « énormes », la Commission s'est montrée favorable à une adjudication du plein montant des frais juridiques en faveur du groupe plaignant. La Commission a reconnu le [Traduction] « rôle très actif » joué par l'Alliance dans la présente, [Traduction] « notamment dans le paiement de dépens importants occasionnés par le processus d'évaluation des emplois non fondé sur le sexe entrepris par M. Wolf et ses collègues »245.
[999] La Commission a conclu que ces facteurs militaient en faveur d'une adjudication à l'Alliance du plein montant des frais juridiques.
[1000] Postes Canada a prétendu que la présente cause ne se prêtait pas à une adjudication de frais juridiques. Alors que les procédures ont été longues et complexes, Postes Canada a renvoyé à la décision rendue par le tribunal dans la décision Conseil du Trésor (Phase II) dans laquelle une adjudication de frais juridiques a été jugée inopportune.


[1001] De façon ambiguë, Postes Canada dans ses observations de la fin, a demandé que le Tribunal rende la décision suivante :
[Traduction]
En vertu d'une interprétation large et libérale du paragraphe 53(1) de la Loi, que la Société canadienne des postes soit remboursée par la CCDP et/ou l'AFPC quant à des frais juridiques raisonnables246.
[1002] Le Tribunal fait remarquer que la présente cause fut non seulement longue et complexe mais fut également plutôt tortueuse. Des allégations ont été faites concernant le rôle possible qu'aurait joué Postes Canada dans cette tortuosité, mais on peut également prétendre que la Commission n'était pas complètement libre de toute responsabilité que, elle a pu également contribuer à cette tortuosité par la manière selon laquelle elle a géré l'étape de l'enquête de la plainte. On peut également prétendre que même l'Alliance a contribué à cette tortuosité en ne voyant pas, lors de l'étape de formation de la plainte, à ce que les formes de rémunération indirecte à laquelle renvoie le paragraphe 11(7) de la Loi soient inclus dans les calculs de rémunération.
[1003] Toutefois, tel qu'il a déjà été mentionné dans la présente décision, la Loi ne vise pas à blâmer et ce n'est pas non plus ce que le Tribunal a cherché à faire. Une fois rendue dans l'arène adjudicative du tribunal, chaque partie a choisi d'agir selon ses droits respectifs et a choisi et affiné ses stratégies en fonction de la plainte. Chaque partie a embauché son propre conseiller juridique et lui a donné les directives appropriées.
[1004] Compte tenu du caractère involontaire de la présumée discrimination systémique en l'espèce et après avoir examiné attentivement l'ensemble des arguments et des éléments de preuve présentés, le Tribunal conclut que chaque partie devrait assumer ses propres frais juridiques, y compris les débours connexes.

(vii) Rétention de compétence
[1005] L'Alliance et la Commission ont demandé que le Tribunal se déclare compétent, pour traiter des questions qui, selon elles, pourraient être soulevées lors de l'exécution de la décision du Tribunal. Elles ont demandé que ce soit en fonction de leurs besoins que le Tribunal se déclare compétent.
[1006] Dans le but d'aider l'ensemble des parties, selon les circonstances, le Tribunal accède à cette demande.
X. RESPONSABILITÉ CONJOINTE SYNDICAT-EMPLOYEUR QUANT À LA DISCRIMINATION SALARIALE
A. Les observations de Postes Canada
[1007] Postes Canada a prétendu que, si le Tribunal devait conclure que la plainte est fondée, l'Alliance, en tant que syndicat représentant le groupe plaignant, et Postes Canada, en tant qu'employeur, devraient être tenues conjointement responsables de la pratique discriminatoire.
[1008] Le fondement de cette prétention de Postes Canada était son argument voulant que, en tant que principe, un syndicat et un employeur partagent la responsabilité quant à toute disposition, notamment une disposition discriminatoire, qui est négociée dans le cadre d'une convention collective.
[1009] À l'appui de cette position, Postes Canada s'est fondée sur les décisions Central Okanagan School District No 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 790, et Canada Safeway Ltd. c. Saskatchewan [1997] S.J. No.502 (Sask. C.A.).
B. La position de l'Alliance
[1010] L'Alliance a prétendu que le libellé du paragraphe 11(1) de la Loi interdit clairement l'imposition d'une responsabilité à quiconque autre que l'employeur.
[1011] De plus, l'Alliance a prétendu que la décision Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier et al. a force de précédent quant à l'interprétation du paragraphe 11(1)247.
[1012] L'Alliance a demandé avec insistance au Tribunal de conclure que les causes citées par Postes Canada pourraient faire l'objet d'une distinction.
C. La position de la Commission
[1013] Les prétentions de la Commission ont souligné celles de l'Alliance.
D. L'analyse du Tribunal
[1014] La décision rendue par la Cour d'appel dans Bell Canada, laquelle a été citée par l'Alliance comme décision de principe quant à ses prétentions concernant l'interprétation du paragraphe 11(1) de la Loi, comprend des affirmations catégoriques voulant que l'article 11 de la Loi tient uniquement l'employeur responsable de pratiquer la disparité salariale relativement au travail de valeur égale. Par exemple, au paragraphe 56 de cette décision, la Cour a souligné ce qui suit :
Pour des motifs qui lui sont propres, le législateur a choisi, à l'article 11, de tenir uniquement l'employeur responsable des disparités salariales relativement au travail de valeur égale. Conclure à la responsabilité à part égale des syndicats, soit implicitement en vertu de l'article 11, soit indirectement au moyen de dispositions comme l'article 10, pour avoir participé à la fixation de salaires différents relativement à un travail de valeur égale irait carrément à l'encontre du texte clair de la Loi et de l'intention évidente du législateur. À première vue, un syndicat peut paraître servir ses propres intérêts et agir contrairement à l'éthique lorsqu'il utilise le mécanisme de plainte prévu par l'article 11 pour forcer, à toutes fins utiles, la révision de la convention collective qu'il a tout juste négociée, mais, en l'absence de mauvaise foi--le juge des requêtes n'a pas tiré une conclusion particulière de mauvaise foi en l'espèce -- la loi ne l'interdit pas. La Cour applique la Loi telle qu'elle est, et non telle qu'elle aurait pu être248.
[1015] Cette décision a été rendue par l'une des cours ayant un pouvoir de contrôle sur le Tribunal. Elle comprenait la discussion susmentionnée de la même disposition qui est en litige dans la présente plainte. Par conséquent, le Tribunal est-il tenu de suivre cette décision?
[1016] La Cour a commencé son exposé dans Bell Canada en stipulant qu'elle ne se prononçait pas sur une interprétation définitive de l'article 11 de la Loi. Elle a déclaré ce qui suit :
Le juge des requêtes a commis une erreur en omettant totalement de tenir compte des articles 43, 44 et 49 de la Loi et en partant de la prémisse que « la principale question en litige en l'espèce porte sur l'interprétation de l'article 11 » (paragraphe 8 de ses motifs [à la page 85]). Il ne s'agissait pas du tout de la question à trancher à cette étape. La décision contestée est la demande de formation d'un tribunal des droits de la personne. Il incombera à ce tribunal d'examiner le bien-fondé des plaintes, et le tribunal ne sera lié d'aucune façon par l'interprétation que l'enquêteur a donnée à l'article 11 et que la Commission a vraisemblablement adoptée. Ceux qui s'attendaient à ce qu'en l'espèce, la Cour se prononce sur des questions relatives à l'interprétation et à l'application de l'article 11 sans avoir eu l'avantage de disposer de la décision d'un tribunal à cet égard seront déçus; tout ce que le juge des requêtes a dit doit être considéré comme des remarques incidentes, et je n'émets aucun commentaire à leur sujet249.
[1017] Comme l'indiquent les propos de la Cour d'appel, la décision Bell Canada, laquelle fut invoquée par l'Alliance et la Commission dans leurs observations, avait fondamentalement trait à la légalité de la décision de la Commission de demander la formation d'un tribunal des droits de la personne en vertu de l'article 49 de la Loi.
[1018] Par conséquent, le Tribunal a conclu que la question de la responsabilité conjointe syndicat-employé en vertu de l'article 11 de la Loi demeure entière pour ce qui est de sa décision.
[1019] Le paragraphe 11(1) de la Loi mentionne clairement sur qui repose la responsabilité. La disposition de la Loi est ainsi libellée :
Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale [...] [Non souligné dans l'original]
[1020] Ce libellé peut être comparé à celui des autres dispositions de la Loi, comme l'article 10, lequel traite explicitement des associations d'employés de même que les employeurs, et comme l'article 7, lequel ne comprend aucun facteur limitatif.
[1021] Si on se fonde à une interprétation claire et directe du paragraphe 11(1), l'argument qu'un syndicat puisse encourir une responsabilité en vertu du présent article doit être rejeté. Le renvoi par Postes Canada aux décisions Renaud et Safeway n'a été d'aucune utilité en l'espèce, car ces décisions avaient toutes deux trait à des dispositions législatives qui traitaient de la responsabilité du syndicat et elles peuvent être distinguées pour ce motif. La cause en l'espèce ne traite pas de cela. En fait, l'article de la Loi est très clair dans son libellé qui mentionne que constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur d'instaurer ou de pratiquer la disparité salariale. Il n'y est fait mention d'aucun autre organisme et le libellé ne manque pas de clarté.
[1022] Par conséquent, le Tribunal ne peut pas accepter la prétention de Postes Canada quant à la question de la « responsabilité conjointe ».

XI. LES ORDONNANCES DU TRIBUNAL
[1023] Compte tenu de l'ensemble des constatations et des conclusions du Tribunal qui précèdent, notamment la conclusion de violation de l'article 11 de la Loi, le Tribunal ordonne que :
(1) l'intimée verse à chacun de ses commis aux écritures et aux règlements éligibles une indemnité pour perte de salaire dans le cadre de l'élimination de l'écart de rémunération qui existe entre les employés du groupe plaignant et les employés du groupe de comparaison représentés dans la présente plainte.
(2) l'écart de rémunération entre le groupe plaignant et le groupe de comparaison soit déterminé et calculé au moyen d'une technique niveau/courbe qui suit de préférence le modèle de rajustement des salaires qui est appelé « la proposition de la Commission/ Kervin ».
(3) l'intimée fournisse au besoin l'accès aux dossiers de chacun des employés afin que l'on puisse faire le calcul final de l'écart de rémunération.
(4) l'indemnité finale envisagée pour perte de salaire (« rémunération à tous égards ») quant à chacun des employés CR éligibles, peu importe la méthode qui aura été employée, soit réduite de 50 p. 100.
(5) la période d'indemnisation valide au titre des arrérages soit la période comprise entre le 24 août 1982 et le 2 juin 2002.
(6) des intérêts simples soient calculés sur une base annuelle sur le montant de l'indemnité envisagée pour perte de salaire, moins 50 p. 100, et soient versés à chacun des employés CR éligibles pour chaque année, ou fraction d'année, de la période d'indemnisation au titre des arrérages.
(7) des intérêts simples soient calculés en utilisant le taux des obligations d'épargne du Canada en vigueur le 1er septembre de chaque année visée.
(8) entre la date de la présente décision et la date du paiement final de 50 p. 100 des arrérages au titre de l'indemnité pour perte de salaires, des intérêts simples après jugement soient versés à chaque employé CR éligible au taux applicable après la décision prescrit par la Loi sur les tribunaux judiciaires de l'Ontario ou autre loi provinciale comparable.
(9) l'intimée soit tenue d'effectuer, au besoin, les remises exigées par la loi qui peuvent résulter des présentes Ordonnances du Tribunal quant aux formes de rémunération indirecte.
(10) la demande d'indemnité spéciale présentée par la plaignante en vertu de l'alinéa 53(2)e) ou du paragraphe 53(3) de la Loi soit rejetée par les présentes.
(11) les demandes de frais juridiques soient rejetées par les présentes.
(12) la prétention de l'intimée que, elle-même et l'Alliance, soient tenues conjointement responsables de toute discrimination salariale prouvée soit rejetée par les présentes.
(13) le Tribunal se déclare compétent « au besoin » pour traiter des questions qui pourraient être soulevées lors de l'exécution de sa décision.

Elizabeth Leighton

Gerald T. Rayner
OTTAWA (Ontario)
le 7 octobre 2005
1L.R.C. 1985, ch. H-6.
2L.R.C. 1985, c. P-35.
3L.R.C 1985, c. C-10
4Ibid., art. 5(2)
5L.R.C 1985, c. L-2
6Rés. AG 217(III), Doc. NU A/810 (1948) 71.
7Convention concernant l'égalité de rémunération entre la main d'oeuvre masculine et la main d'oeuvre féminine pour un travail de valeur égale, 29 juin 1951, O.I.T. C100.
819 décembre 1966, 993 R.T.N.U.3 (entrée en vigueur : 3 janvier 1976, accession du Canada 19 mai 1976).
919 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171 (entrée en vigueur : 23 mars 1976, accession du Canada 19 mai 1976).
10Ibid.
11Supra note 8.
12Canada, Rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme, Ottawa, Commission royale d'enquête sur le statut de la femme, 1970.
1318 décembre 1979, 1249 R.T.N.U. 13 (entrée en vigueur : 3 septembre 1981, accession du Canada 10 décembre 1981).
14À la p. 918.
15Canada (P.G.) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554 à la p. 612.
16À la p. 156.
172e éd., Toronto, Butterworths, 1983.
183e éd., Toronto, Butterworths, 1994.
19Supra note 17 à la p. 87.
20Supra note 18 à la p. 131.
21Ibid. à la p. 288.
22Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 au par. 22.
23`More than 1,000 new Calls to the Bar' Ontario Lawyers Gazette (Fall/Winter 2002)
24Parlement, comité permanent de la Justice et des questions juridiques, procès-verbaux et témoignages, fascicule n° 11 (17 mai 1977)
25Supra note 12.
26L.R.C.1985, c. H-6, art.27 (2).
27D.O.R.S./ 1986-1082.
28Canada (Procureur général) c.Alliance de la Fonction publique du Canada, [1999] A.C.F. n° 1531 au par. 152 (C.F.).
29Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536 à la p. 558.
30Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [1998] A.C.F. n× 313 (C.F.).
31Canadian Telephone Employees Association v. Bell Canada (14 June 1997), Interim Ruling, T454/0991 at 19 (C.M.R.T).
32Supra note 30 au par. 154.
33Public Service Alliance of Canada v. Canada Post Corporation (21 October 1998), Interim Ruling, T299/1392 at 24 (C.M.R.T.).
34Ibid. à la p. 23.
35Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. 1998, c. 9.
36Association canadienne des employés de téléphone c. Bell Canada (26 avril 1999), décision sur requête, T503/2098 (T.C.D.P.).
37Bell Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2000] A.C.F. n° 1747 (C.F.).
38Bell Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [2001] A.C.F. n° 776 (C.A.F.).
39Bell Canada c. Association canadienne des employés de téléphone, [2003] 1 R.C.S. 884.
40Ibid. au par. 47.
41Ibid. au par. 50.
42Supra note 39.
43Ibid. au par. 47.
44Ibid.
45Ordonnances sur l'égalité de rémunération, T.R./ 78-155 (1978), mod. Par T.R./82-2 (1982).
46Observations de Postes Canada, transcription, vol.409 à la p. 45968.
47Ibid. à la p. 45981
48Ibid. aux pp. 45981 à 45983.
49[1977] 1 R.C.S. 271.
50Observations en réplique de la Commission à la p. 16.
51Ibid. à la p. 17.
52Ibid. à la p. 18.
53[2001] A.J. N°. 1535 (Alta.Q.B.), tel que cité dans les observations en réplique de la Commission à la p. 26.
54Ibid.
55Supra note 7; Supra note 12.
56Supra note 49; Supra note 18.
57Supra note 18.
58Ibid. aux pp. 514-515.
59Ibid. à la p. 517.
60Ibid.
61Observations de la Commission aux par. 15-16; Transcription, vol. 415 à la p. 46841.
62Supra note 39 au par. 47.
63Supra note 53 au par. 21.
64Ibid. au par. 22.
65Supra note 18 à la p. 537.
66Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des transports), [1992] 1 R.C.S. 3.
67Observations de Postes Canada, transcription, vol. 409 aux pp. 46026-46027.
68Transcription, vol. 414 aux pp. 46730-46731.
69Supra note 17 à la p. 87; voir aussi supra note 18 aux pp. 131 et 288.
70Observations de Postes Canada, transcription, vol. 408 à la p. 45844.
71Observations de Postes Canada, transcription, vol. 408 à la p. 45873.
72Supra note 28.
73Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1996] A.C.F. n° 842 (C.A.F.).
74Supra note 17 à la p. 87.
75Supra note 18 à la p. 131.
76L.R.C. 1985, c. I-21, art. 12.
77Supra note 73 au par. 2.
78[1987] 1 R.C.S. 1114.
79Ibid. aux par. 34 et 40.
80[1991] D.C.D.P. n° 4 (T.C.D.P.) (QL).
81Supra note 28 au par. 141.
82Ibid. au par. 150.
83Ibid. au par. 151.
84Transcription, vol. 396 à la p. 44388.
85Supra note 28 au par. 152.
86Exposé conjoint des faits, annexes J et L.
87Ibid.
88Exposé conjoint des faits, annexe L; transcription, vol. 315 aux pp. 36800-36801.
89Pièce HR-1, onglet 3 à la p. 24.
90Ibid. à la p. 11.
91Transcription, vol. 20 à la p. 2626.
92Pièce HR-2, onglet 2.
93Transcription, vol. 20 à la p. 2754.
94Transcription, vol. 38 à la p. 5288.
95Transcription, vol. 57 aux pp. 7674-7675.
96 Transcription, vol. 3 aux pp. 327-328.
97 Ibid. à la p. 331.
98 Ibid. à la p. 333.
99Syndicat canadien de la fonction publique (Division du transport aérien) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [1998] D.C.D.P. n° 8 (T.C.D.P.) (QL).
100Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2001] A.C.F. n° 1258.
101Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2004] A.C.F. n° 483.
102Ibid. au par. 20.
103Ibid. au par. 52.
104Ibid. au par. 32.
105Ibid. au par. 92.
106Ibid. au par. 25.
107Ibid. au par. 49.
108Ibid. au par. 46.
109Transcription, vol. 49 à la p. 6652.
110Transcription, vol. 213 à la p. 27026.
111Transcription, vol. 214 à la p. 27076.
112Transcription, vol. 214 à la p. 27113.
113Transcription, vol. 216 à la p. 27236.
114Transcription, vol. 280 à la p. 33124.
115Transcription, vol. 295 à la p. 34933.
116Transcription, vol. 298 à la p. 35204.
117Transcription, vol. 296 à la p. 35062.
118Transcription, vol. 299 à la p. 35253.
119Transcription, vol. 318 à la p. 37037.
120Pièce HR-1, onglet 22
121Pièce AFPC-29 à la p. 1.
122Pièce AFPC-29, annexe A.
123Ibid.
124Pièce AFPC-180, constatations et conclusions.
125Transcription, vol. 368 à la p. 41399; vol. 369 à la p. 41430.
126Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] D.C.D.P. n° 2 au par. 187 (T.C.D.P.) (QL).
127Supra note 28 au par. 79.
128Supra note 73 au par. 33.
129Trojan Technologies, Inc. c. Suntec Environmental Inc.,[2004] A.C.F. n° 636.
130Merck & Co. c. Apotex Inc., [2004] A.C.F. n° 684 (C.F.).
131Pièce HR-1, onglet 22.
132Pièce HR-31, onglet 6 à la p. 201.
133Transcription, vol. 126 à la p. 17241.
134Transcription, vol. 35 à la p. 4803.
135Transcription, vol. 372 à la p. 41789.
136Transcription, vol. 127 à la p. 17350.
137Pièce HR-1, onglet 22.
138Pièce R-225 à la p. 3.
139Transcription, vol. 136 à la p. 18643.
140Supra note 138.
141Transcription, vol. 172 à la p. 22797.
142Ibid. à la p. 22803
143Pièce HR-93 A.
144Ibid.
145Transcription, vol. 144 à la p. 19837.
146Transcription, vol. 127 à la p. 17345.
147Ibid. à la p. 17374.
148Pièce R-235 à la p. 66; pièce R-249 à la p. 18.
149Pièce R-235 à la p. 77; Pièce R-249 à la p. 32.
150Pièce R-249 à la p. 80.
151 Pièce R-455 à la p. 22.
152Transcription, vol. 105 à la p. 14524.
153Supra note 151 aux pp. 12-14 et 16.
154Ibid. à la p. 33.
155 Ibid.
156 Transcription, vol. 130 à la p. 17711.
157Pièce R-615 à la p. 1.
158Ibid.
159Ibid. à la p. 3.
160Ibid. à la p. 23.
161Ibid. à la p. 25.
162Supra note 126.
163Ontario Nurses Association v. Regional Municipality of Haldimond-Norfolk (1991), 2 P.E.R. 105 (Pay Equity Hearings Tribunal).
164Pièce R-235 à la p. 77.
165Pièce R-249 au chapitre 6.
166L.R.O. 1990, c. p. 7.
167Ibid.
168Observations de l'Alliance à la p. 113.
169Ibid. à la p. 167.
170Transcription, vol. 210 à la p. 26679.
171Service Employees International Union, Local 204 v. Ontario (Attorney General), [1997] O.J. N°. 3563.
172Canada (Commission des droits de la personne) c. Lignes aériennes Canadien International Ltée, [2004] A.C.F. n° 483 au par. 51.
173Transcription, vol. 136 à la p. 18700.
174Pièce R-615.
175Pièce AFPC-29.
176Transcription, vol. 194 à la p. 25029.
177Transcription, vol. 125 à la p. 17031.
178Transcription, vol. 163 à la p. 21992.
179Transcription, vol. 127 aux pp. 17350-17351.
180Transcription, vol. 134 à la p. 18298.
181Transcription, vol. 174 à la p. 22908.
182Transcription, vol. 376 à la p. 42167.
183Transcription, vol. 173 à la p. 22830.
184Transcription, vol. 314 à la p. 36739.
185Transcription, vol. 345 à la p. 39204.
186Pièce R-615.
187Transcription, vol. 404 à la p. 45223.
188Ibid. à la p. 45335.
189S.M. Waddams, The Law of Damages, feuilles mobiles, Toronto, Canada Law Books Inc., 2004 aux pp. 13-1 et 13-2.
190Ibid.
191Transcription, vol. 127 à la p. 17373.
192Pièce AFPC-29.
193Pièce AFPC-30.
194Supra note 126.
195Pièce AFPC-55.
196Pièces AFPC-29 et AFPC-30.
197Transcription, vol. 151 aux pp. 20794-20795.
198Supra note 126.
199Pièces R-433 et R-436.
200Voir paragraphe [724] ci-dessus.
201Observations de la Commission, chap. 13 au par. 532.
202Observations de Postes Canada, chap. 14 à la p. 395.
203Ibid. au par. 89.
204Ibid. au par. 95.
205Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 au par. 87.
206Supra note 28 au par. 116.
207Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84.
208Supra note 78 aux par. 24 et 25.
209Ibid. au par. 44.
210Supra note 73 au par. 49.
211Transcription, vol. 26 à la p. 3564.
212Ibid. à la p. 3565.
213Supra note 126.
214Voir paragraphes [769] et [778] ci-dessus.
215Voir paragraphes [767] et [769].
216Transcription, vol. 382 aux pp. 42856-42857.
217Transcription, vol. 151 à la p. 20835.
218Transcription, vol. 37 à la p. 5120.
219Ibid. aux pp. 5121-5122
220Observations de la Commission aux pp. 187-188.
221Transcription, vol. 148 à la p. 20440.
222Transcription, vol. 150 aux pp. 20600-20601.
223Transcription, vol. 337 à la p. 38705.
224Transcription, vol. 148 à la p. 20433.
225Supra note 101 au par. 87.
226Transcription, vol. 337 à la p. 38727.
227Transcription, vol. 148 à la p. 20435.
228Canada (Procureur général) c. Morgan, [1991] A.C.F. n° 1105 au par. 19 (C.A.F.).
229Supra note 73 au par. 20.
230Ibid. au par. 44.
231Supra note 228 au par. 15.
232[2004] D.C.D.P. n° 16 (T.C.D.P.) (QL).
233[1998] D.C.D.P. n° 7 (T.C.D.P.) (QL).
234Ibid. au par. 286.
235[2000] A.C.F. n° 417.
236Supra note 73 au par. 49.
237Alliance de la Fonction publique du Canada c. Canada (Conseil du Trésor), [1998] D.C.D.P. n° 6 (T.C.D.P.) (QL).
238Supra note 73 au par. 20.
239Transcription, vol. 414 à la p. 46825.
240Ibid. à la p. 46829.
241L.R.O. 1990, c. C-43.
242Supra note 237 aux par. 496-498.
243Observations de l'Alliance, chap. 17 à la p. 551.
244[2002] D.C.D.P. n° 17 au par. 11 (T.C.D.P.) (QL).
245Observations de la Commission, ch. 13 à la p. 570.
246Observations de Postes Canada, ch. 15 à la p. 427.
247[1998] A.C.F. No. 1609 (A.C.F).
248Ibid.
249Ibid. au par. 37.


                          
                                                                                      PARTIES AU DOSSIER


DOSSIER DU TRIBUNAL :


TT299/1392
INTITULÉ DE LA CAUSE :
Alliance de la Fonction publique du Canada
c. Société canadienne des postes
DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :
les 21 septembre 1992 au 27 aout 2003
(415 jours)

Ottawa (Ontario)
DATE DE LA DÉCISION
DU TRIBUNAL :
le 7 octobre 2005
ONT COMPARU :

James Cameron
Pour la plaignante
Peter Engelmann
Fiona Campbell
Fiona Keith
Rosemary Morgan (1993-1994)
Pour la Commission canadienne des droits de la personne
Russell G. Juriansz, (1992-mars 1998)
Roy L. Heenan, (1998-2005)
E. Joy Noonan, (1998-2005)
Anne Irwin, (1993-2003)
Guy Dufort, (1998-2003)
Rob Grant, (2002-2003)
Zygmunt Machelak, (1992) et (1998)
Neelam Jolly, (1997-1998)
Stephen Bird, (1998)
Nitya Iyer, (2003)
Pour l'intimée