M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE NEW YORK - LA CONFÉRENCE HAUSER SUR LE DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE : INTERVENTIONS ET CONTRAINTES HUMANITAIRES - NEW YORK (ÉTATS-UNIS)
2000/5 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA FACULTÉ DE DROIT DE L'UNIVERSITÉ DE NEW YORK
LA CONFÉRENCE HAUSER SUR LE DROIT INTERNATIONAL
HUMANITAIRE : INTERVENTIONS ET CONTRAINTES
HUMANITAIRES
NEW YORK, New York
Le 10 février 2000
(14 h 15 HNE)
Je suis enchanté de me trouver en votre compagnie cet après-midi en qualité de conférencier Hauser sur le
droit international humanitaire. C'est pour moi un grand honneur que d'avoir été présenté par vous, professeur
Meron, et je suis très heureux de partager la tribune avec vous.
Professeur Meron, votre capacité de susciter des idées et de stimuler le débat dans ce domaine a été on ne
peut plus précieuse. Votre projet relatif aux normes fondamentales d'humanité, par exemple, porte sur un des
principaux défis qui se posent à nous en ce nouveau siècle. J'aimerais aborder cette question cet après-midi, à
savoir la protection internationale des personnes.
Vous connaissez tous le corpus étoffé de droit international humanitaire et de droit international relatif aux
droits de la personne qui a été mis en place au fil des ans. Il a valeur de reconnaissance de la nécessité de
protéger les civils, de code de nos obligations collectives et de fondement d'une action internationale.
À certains moments, les événements nous forcent à réévaluer notre pensée et à revoir nos pratiques. Nous
vivons une de ces périodes.
Mentionnons une première réalité : les conflits armés de l'ère moderne soumettent plus directement les
populations à des risques, sous des formes plus diversifiées, et en plus grand nombre, que jamais auparavant.
La victimisation des civils ne constitue plus le dérivé tragique des conflits violents, mais fréquemment le
principal objectif et, plus souvent qu'autrement, le principal résultat de ces conflits.
Parallèlement, on prend beaucoup plus conscience du monde qui nous entoure. La prise de conscience
stimule la conscience. Irrévocablement, la mondialisation fait des souffrances des êtres humains pris
individuellement un sujet de préoccupation à l'échelle mondiale. Dans notre monde où nous sommes en
communication les uns avec les autres, notre propre sécurité est de plus en plus indissociable de celle de nos
voisins, dans notre pays et à l'étranger. La présente conférence témoigne éloquemment de cette nouvelle
réalité.
On constate aussi un changement saisissant des intervenants et des instruments au chapitre des affaires
mondiales. La société civile et les organisations non gouvernementales jouent un rôle de plus en plus
important. Internet et l'accélération des communications rehaussent la capacité des gens à se brancher
directement, à participer aux affaires du monde et à mobiliser un appui en faveur des moins favorisés.
Enfin, et c'est peut-être là le plus important, nous observons une volonté plus vigoureuse de prendre la parole
et des mesures en faveur des civils, indépendamment de qui ils sont et de l'endroit où ils se trouvent. Ce
faisant, nous remettons en question la version la plus absolutiste du concept de non-ingérence.
Dans ce nouveau contexte mondial, les personnes, et non seulement l'État, sont un sujet de relations
internationales. La sécurité et les droits fondamentaux des personnes, et non simplement l'absence de conflits
militaires inter-étatiques, sont des éléments primordiaux de la stabilité et de la paix mondiales.
Cet accent sur la protection des populations est au coeur du programme d'action du Canada en matière de
sécurité humaine. Il s'agit d'une approche de la politique étrangère visant à assigner le premier rang aux
populations, en élaborant de nouveaux concepts, en adaptant les pratiques diplomatiques et en actualisant les
institutions sur lesquelles le système international repose.
La sécurité humaine recouvre l'intégralité du champ des relations internationales, de la prévention des conflits
aux interventions humanitaires en passant par les mesures palliatives après un conflit. Depuis la fin de la
Deuxième Guerre mondiale, le principe de la protection internationale des droits de la personne s'est
progressivement affirmé au détriment des interprétations les plus rigides de la souveraineté des États.
Cela ne veut pas dire que l'État est périmé. Bien au contraire. D'une part, la promotion internationale de la
sécurité humaine n'affaiblit pas la souveraineté; elle la revigore plutôt, en renforçant les institutions et les
comportements démocratiques, tolérants et ouverts. D'autre part, l'État demeure le plus puissant instrument de
l'action collective.
Les personnes qui ont souffert du colonialisme ou d'autres formes d'ingérence extérieure dans leur pays
peuvent fort bien accueillir ces propos avec scepticisme. Toutefois, la prévention des violations, la fin des
atrocités, l'action face aux conséquences de la guerre, c'est aussi leur problématique; elle correspond aux
réalités qu'elles vivent et, de toute évidence, a des incidences sur la stabilité du monde qui les entoure.
D'aucuns font valoir que les politiques axées sur la sécurité humaine détournent des fonds de la priorité plus
fondamentale que constitue le développement. Loin de s'exclure mutuellement, la sécurité humaine et le
développement humain sont deux côtés de la même médaille. Il est difficile de faire progresser son PIB
lorsqu'on consacre une si grande part de ses ressources à réparer les dommages de la guerre et à redresser
des vies brisées.
D'autres personnes qui défendent l'interprétation la plus stricte du principe de la souveraineté ont
incontestablement des motivations plus douteuses. Manifestement, la souveraineté a de moins en moins le
caractère d'un écran derrière lequel on peut commettre des violations à grande échelle. Cette nouvelle a
certainement de quoi perturber ceux qui sont portés à violer la sécurité de leurs propres citoyens. Et comme il
est curieux que les plus ardents défenseurs de l'autorité de l'État soient justement ceux qui n'éprouvent guère
d'états d'âme lorsqu'il s'agit de la céder à des institutions économiques mondiales quand leurs intérêts
économiques sont en jeu.
Le paradigme des politiques internationales évolue nettement dans le sens d'une prise en compte plus directe
des droits de la personne. La pratique se modifie dans la même direction. Effectivement, comme c'est souvent
le cas, la pratique jette les bases de la théorie. La protection des populations est le concept qui a servi
d'inspiration à la Convention sur l'interdiction des mines antipersonnel, mouvement vigoureusement soutenu
par les Canadiens et qui porte fruit à l'échelle mondiale.
La protection des personnes sert d'impulsion à l'action énergique qu'a menée le Canada en vue de la création
de la Cour criminelle internationale, de s'attaquer à la prolifération et à l'abus des armes légères, et d'aider les
enfants touchés par la guerre. Le Canada a été le chef de file dans la conception du Protocole récemment
convenu relatif au recrutement et au déploiement des enfants- soldats.
Ce ne sont pas là des événements distincts, sans lien les uns avec les autres : ils s'inscrivent au contraire dans
une démarche plus large visant à façonner un monde où on défend la sécurité des gens.
La protection des personnes suppose également que nous actualisions nos institutions internationales. Le
Canada le fait en intégrant la dimension humaine dans les travaux du G-8, de l'OEA [Organisation des États
américains], de l'OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe], du Commonwealth et de la
Francophonie, de même que dans ceux des Nations Unies.
Le Conseil de sécurité de l'ONU n'a pas toujours réagi avec détermination aux défis posés par les nouvelles
menaces pesant sur la sécurité humaine. Le Canada, agissant de concert avec d'autres membres du Conseil,
s'efforce de changer cette situation pendant son actuel mandat de membre du Conseil. Il obtient certains
succès.
Grâce aux efforts du Canada, entre autres, la protection des civils dans les conflits armés est maintenant
fermement inscrite à l'ordre du jour du Conseil. À la demande du Canada, le Secrétaire général a préparé un
rapport contenant des recommandations sur les mesures concrètes à prendre.
Nous continuerons de promouvoir la sécurité humaine au Conseil. À cette fin, nous entendons promouvoir une
approche davantage ciblée sur des sanctions, nous employer à réaffirmer le rôle directeur du Conseil en ce qui
concerne le maintien de la paix et continuer d'établir des liens plus étroits et plus ouverts entre le Conseil et
d'autres parties. Dernier élément, mais non le moindre, nous continuerons de faire des progrès en ce qui
concerne les interventions humanitaires.
Je tiens à être très clair à ce sujet. Je ne parle pas de violations mineures des droits de la personne. Il existe
d'autres moyens de censurer ces formes de mauvaise administration gouvernementale. Je parle des
interventions internationales visant à prévenir ou à faire cesser des souffrances massives. Les interventions
humanitaires ne s'imposent que dans des cas graves -- génocides, crimes contre l'humanité et violations
massives et systématiques des droits de la personne et du droit humanitaire.
Or, dans ces cas, le bilan de la communauté internationale n'est pas reluisant. Songez à l'héritage de Pol Pot
et d'Idi Amin. Reprenez les conclusions des enquêtes indépendantes effectuées à propos du Rwanda et de
Srebrenica. Elles équivalent à un catalogue d'échecs et d'inaction de la part du monde devant d'énormes
souffrances.
À n'en pas douter, l'action préventive et non coercitive est idéale : médiation, renforcement de la confiance,
promotion de la bonne administration gouvernementale, mise en place d'institutions démocratiques,
déploiement préventif ou sanctions. On devrait toujours essayer ces méthodes. D'ailleurs, nous devrions
accorder une importance prioritaire au renforcement des capacités, à l'accroissement des ressources et à une
action plus hâtive dans ces domaines afin d'éviter que des mesures plus rigoureuses ne deviennent
nécessaires.
Cela dit, il demeure vrai que ces méthodes ne sont pas toujours applicables et qu'elles ne sont pas toujours
efficaces. Lorsqu'elles ne donnent pas les résultats attendus, l'intervention humanitaire devient une possibilité.
C'est là une des décisions les plus difficiles que les dirigeants ont à prendre. Elle est chargée de complications.
Elle met en cause les conceptions établies au sujet de l'ordre international.
Cependant, quelle est la validité de la primauté du droit international si on ne peut l'appliquer? Une discussion
approfondie des interventions humanitaires est donc à la fois inévitable et indispensable parce que nous
serons incontestablement confrontés à l'avenir à de nouvelles tragédies sur le plan humanitaire et parce qu'en
l'absence de clarté, nous serons certainement aux prises avec les mêmes questions, la même paralysie, le
même manque de préparation, et avec les mêmes résultats tragiques.
L'absence d'une action au Rwanda et à Srebrenica ont soulevé la question. L'action de l'OTAN au Kosovo a
déclenché le débat. En septembre dernier, dans une déclaration faite devant l'Assemblée générale, le
Secrétaire général de l'ONU, M. Kofi Annan, a relevé le défi; il a exposé les arguments et clairement défini les
enjeux. Il s'agit maintenant d'un débat auquel le Conseil de sécurité des Nations Unies et, d'ailleurs, la
communauté internationale doivent participer.
Ce faisant, il faut aborder trois questions : le renforcement des normes et des pratiques relatives à la protection
des civils; la mobilisation de la volonté politique pour agir lorsqu'il le faut; et enfin, le renforcement des
capacités militaires et civiles, afin que l'intervention soit fructueuse.
Une intervention humanitaire peut se fonder sur la Charte des Nations Unies, sur l'évolution du droit
international humanitaire et des droits de la personne, et, ce qui est peut-être l'élément le plus important, sur
les pratiques du Conseil de sécurité.
Les premiers articles de la Charte de l'ONU renvoient non seulement au maintien de la paix et de la sécurité
internationales, mais aussi à la réaffirmation de la « foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la
dignité et la valeur de la personne humaine ». C'est là un puissant symbole de l'obligation de la communauté
internationale de protéger les gens; il sert de fondement à l'action internationale en ce sens.
Le droit international relatif aux questions humanitaires et aux droits de la personne, plus précisément les
Conventions de Genève et la Convention sur le génocide, soutiennent la Charte en ce qui concerne les
réactions internationales aux crimes contre l'humanité et aux crimes de guerre. L'Article 1 de la Convention sur
le génocide, par exemple, confirme que le génocide constitue un crime aux termes du droit international, crime
que les parties contractantes s'engagent à prévenir et à châtier.
La création des Tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda de même que l'adoption
des statuts de la Cour criminelle internationale renforcent encore davantage le consensus international
croissant selon lequel les personnes responsables de violations massives et systématiques des droits de la
personne à l'intérieur des frontières d'un État ne sont pas à l'abri du droit international et ne peuvent pas
échapper à des sanctions internationales.
Enfin, le Conseil de sécurité de l'ONU a autorisé des interventions armées à des fins humanitaires dans un
certain nombre de cas : en Iraq, en Somalie, au Rwanda, en Bosnie et au Timor-Oriental. Certes, les
circonstances varient d'un cas à l'autre. Les mandats sont assortis de nuances. On peut certainement se poser
des questions quant aux résultats de ces interventions. Toutefois, il ne fait guère de doute que, prises
collectivement, ces décisions du Conseil reconnaissent que le génocide et d'autres crimes contre l'humanité ne
sauraient demeurer à l'abri de contestations.
Pourtant, que doivent faire les gouvernements lorsque le Conseil est divisé, lorsqu'il se commet des crimes
terribles derrière le voile de la souveraineté d'un État qui viole les préceptes? La première question qui se pose
porte sur le point de savoir si la nature du délit justifie une intervention extérieure. À nos yeux, ce cas ne peut
se présenter que lorsque des actes manifestes de violence sont commis délibérément contre des innocents.
Nous avons à l'esprit un critère très rigoureux. Une fois qu'on a jugé que la violence, réelle ou brandie à titre de
menace, satisfait à ce critère, il faut soupeser plusieurs considérations :
• L'urgence. Est-il trop tard pour recourir à d'autres instruments de règlement pacifique des différends? On ne
devrait lancer une intervention humanitaire que lorsqu'il est clair que tous les efforts raisonnables et non
coercitifs visant à prévenir ou à régler un conflit ont été tentés et ont échoué. La menace ou la réalité de
souffrances et de pertes massives de vies constitue le facteur déterminant la nécessité d'une intervention.
• La prévention. Existe-t-il un danger qu'un conflit intra-étatique, si on ne s'en occupe pas, se propage et
menace la sécurité régionale ou internationale? Le fait de ne pas intervenir peut avoir des effets
déstabilisateurs sur la sécurité régionale. L'inaction au Rwanda, par exemple, a contribué à la propagation des
atrocités et des conflits dans toute l'Afrique centrale.
• La cohérence. Tous les civils ont intrinsèquement droit à la même protection. Dans la pratique, toutefois, ce
principe soulève des questions à propos de la volonté et de la capacité internationales d'agir dans chaque cas.
Devrions-nous intervenir, par exemple, si nous estimons que nous ne pouvons améliorer la situation sur le
terrain ou s'il est clair qu'une décision en ce sens ne ferait que provoquer la propagation du conflit? La
cohérence, de toute évidence, constitue notre objectif. Cela dit, à ceux qui critiquent les interventions
humanitaires en faisant valoir qu'on n'y recourt pas avec cohérence, je poserais la question suivante : si la
communauté internationale ne peut intervenir partout, cela signifie-t-il qu'elle ne doit intervenir nulle part?
Le renforcement des normes exige également la mobilisation de la volonté d'agir.
C'est au Conseil de sécurité qu'incombe la responsabilité primordiale du maintien de la paix et de la sécurité
internationales. Il constitue le lieu où l'action relative à ces questions devrait trouver ses fondements, le premier
endroit vers lequel les populations du monde se tournent en quête de leadership lorsque leur sécurité est
menacée. C'est ce que font mes compatriotes, ce qui explique le vigoureux engagement du Canada à assurer
l'efficacité du Conseil.
C'est pourquoi le Conseil doit maintenant se montrer résolument à la hauteur du défi des interventions
humanitaires. Pourtant, même lorsqu'il autorise des interventions pour des motifs humanitaires, certains de ses
membres se sont montrés opposés à l'application constante d'une définition plus large du mandat relatif à la
paix et à la sécurité défini dans la Charte, en réaction aux conflits d'aujourd'hui.
Le Secrétaire général Annan a mis en relief le dilemme qui en résulte dans son observation à propos du
Rwanda : [traduction libre] « Imaginez un instant que, pendant ces jours et ces heures sombres qui ont conduit
au génocide, il y aurait eu une coalition d'États prêts et disposés à agir pour défendre la population tutsie, mais
que le Conseil aurait refusé de donner le feu vert, ou aurait tardé à le faire. Une coalition de ce type aurait-elle
dû, alors, demeurer passive pendant que l'horreur se produisait? »
Dans des cas de commission délibérée et systématique d'atrocités à grande échelle contre des populations
innocentes, si le Conseil est paralysé, avons-nous toujours l'obligation d'agir? Indubitablement, la réponse est
affirmative.
Des parallèles avec la campagne contre les mines antipersonnel me viennent à l'esprit. Les souffrances
infligées par cette arme étaient énormes. Le besoin, la demande et l'impératif de réagir étaient clairs. Pourtant,
l'institution chargée d'agir était incapable de le faire. Nous avons choisi une voie de rechange, qui a bénéficié
d'un énorme soutien et qui a donné des résultats, une voie qui a été ramenée sous la houlette des Nations
Unies et qui, en dernière analyse, a renforcé le système international.
Le poids cumulatif des droits de la personne reconnus internationalement et du droit humanitaire international,
la tendance mondiale allant à l'encontre de l'impunité et en faveur de l'obligation de rendre des comptes qui a
débouché sur la création de la Cour criminelle internationale, les précédents établis par le Conseil lui-même :
tous ces éléments justifient une intervention en cas de crise humanitaire grave et d'incapacité du Conseil de
s'acquitter de ses responsabilités. Incontestablement, les interventions dans ces circonstances doivent être
exceptionnelles, liées aussi étroitement que possible au Conseil de sécurité -- avant, pendant et après le
conflit. Mais elles doivent représenter une possibilité.
Cette façon de voir suscite des préoccupations dans certains milieux. Un élément clé pour apaiser ces
préoccupations et mobiliser la volonté d'agir réside dans un cadre plus clair à l'intérieur duquel une intervention
peut se faire, un cadre qui instaure un contexte suffisamment permissif pour faire cesser les violations
massives et systématiques des droits de la personne, mais assorti de sauvegardes garantissant qu'il ne sera
pas utilisé à mauvais escient par des États poursuivant des objectifs correspondant à leurs objectifs égoïstes. À
cette fin, il faut faire état de cinq considérations importantes :
• La corroboration. La gravité de la crise est-elle corroborée par une tierce partie crédible? La confirmation
indépendante de l'imminence d'une crise humanitaire devrait être une condition préalable, de manière à ce que
la communauté internationale ne se laisse pas entraîner au service des objectifs politiques d'un ou de plusieurs
pays.
• La faisabilité. L'intervention humanitaire peut-elle générer des résultats positifs pour les victimes? On devrait
engager une intervention lorsqu'il est clair que, bénéficiant de ressources suffisantes, d'un mandat clair et d'un
large soutien, elle est susceptible de mettre fin à des souffrances aiguës et largement répandues.
• L'échelle. Le degré du recours à la force est-il approprié dans les circonstances? Nous devrions cibler les
responsables de la violence et les infrastructures dont ils sont tributaires, tout en nous assurant que nous
tenons dûment compte des civils et de l'environnement.
• Le soutien. L'intervention a-t-elle un caractère multilatéral et bénéficie-t-elle d'un large soutien? Les
interventions unilatérales, par exemple, soulèvent des questions d'abus de pouvoir ou de poursuite de ses
intérêts propres de la part de la partie qui intervient.
• La durabilité. L'intervention s'inscrit-elle dans le cadre d'une stratégie à plus long terme visant à consolider et
à soutenir la paix? Une intervention humanitaire ne devrait pas nécessairement être considérée comme étant
une activité complète en soi ou comme un cataplasme.
La mobilisation de la volonté politique est étroitement liée à la disponibilité de capacités militaires et civiles
suffisantes. À un moment où les demandes de troupes aux fins de protection des civils s'accroissent tout
comme les conflits eux-mêmes, les gouvernements doivent formuler des plans et mobiliser les ressources
nécessaires à l'exécution de nouvelles missions.
La capacité de l'ONU elle-même de gérer des missions complexes est soumise à de fortes pressions. Une
approche coordonnée et intégrée aux échelles nationale et internationale s'impose afin de garantir que nous
sommes bien préparés. Le repérage et la mobilisation rapides des ressources militaires et civiles voulues sont
fondamentaux pour assurer le succès de la décision d'intervenir pour des motifs humanitaires.
Comme l'a montré le cas du Kosovo, ce ne sont pas les discours de condamnation envers le président serbe
Milosevic qui ont mis fin à ses actions; c'est plutôt notre volonté d'engager des interventions énergiques
bénéficiant d'un vaste soutien international. Pourtant, en ce moment, des interventions humanitaires de ce type
sont menées de manière ponctuelle -- sous la direction de l'OTAN, de l'ECOMOG [Groupe de contrôle de la
Communuté économique des États de l'Afrique de l'Ouest] ou de coalitions d'États disposés à agir, comme
dans le cas de l'INTERFET, au Timor-Oriental.
Il faut inverser cette tendance vers une approche volontaire d'une action d'exécution, quelles qu'en soient les
raisons. Elle impose un fardeau indu aux parties capables de payer. Fait plus important, elle érode le principe
de la participation universelle à la sécurité collective qui est consigné dans la Charte.
Nous devons également garder présent à l'esprit le fait qu'une intervention humanitaire vise à assurer la
protection physique immédiate des gens; il s'agit là d'une étape fondamentale, mais elle ne représente que le
premier élément d'une démarche de consolidation de la stabilité et de la sécurité à longue échéance. Renforcer
les capacités pour réussir, cela signifie non seulement le dégagement des ressources collectives adéquates
pour la réalisation d'une intervention humanitaire, mais aussi l'attribution des ressources, de l'attention et de la
priorité collectives, et suffisantes, aux activités de consolidation de la paix qui suivent.
Dans le nouveau contexte mondial qui est le nôtre, la protection internationale des personnes revêt maintenant
davantage d'importance. Voilà le motif qui inspire le programme d'action du Canada dans le domaine de la
sécurité humaine. C'est notre façon de faire en sorte que la protection des gens devienne une priorité capitale
à l'échelle internationale.
Les violations massives et systématiques des droits de la personne représentent -- c'est un fait
tragique -- une caractéristique durable de ce nouveau monde. Il ne faut donc pas se surprendre de ce que le
sujet de la réaction de la communauté internationale, y compris des interventions humanitaires, gagne en
importance.
Les débats au sujet des interventions humanitaires suscitent forcément de nombreuses controverses. Si nous
disposions de garanties nous donnant à penser que les populations ne seront plus assujetties aux plus
extrêmes violations du droit humanitaire et des droits de la personne; de garanties que l'imposition délibérée de
souffrances à une échelle massive pourrait être éliminée; de perspectives selon lesquelles les atrocités du
passé ne se répéteront pas à l'avenir, peut-être pourrions-nous nous passer de ces interventions. C'est
toutefois peu probable.
Il serait sans aucun doute plus facile d'éluder la question. Cela ferait taire les critiques. Cela apaiserait les
avocats. Cela satisferait les ministères des Finances. Cependant, il y a des gens qui, de manière tout à fait
évidente, ne s'en porteraient pas mieux et qui, en dernière analyse, seraient le plus directement concernés : les
populations assujetties à des violations massives et systématiques. C'est pourquoi il nous faut aborder la
question des interventions humanitaires. Le plus tôt sera le mieux.
Je vous remercie.