MANLEY - INSTITUT CANADIEN DES ÉTUDES STRATÉGIQUES, TORONTO (ONTARIO)
2001/18 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE L'HONORABLE JOHN MANLEY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'INSTITUT CANADIEN DES ÉTUDES STRATÉGIQUES
TORONTO (Ontario)
Le 12 avril 2001
(9 h 30 HAE)
Je suis heureux d'avoir aujourd'hui l'occasion de prendre la parole devant l'Institut canadien des études
stratégiques pour parler des défis et des perspectives que représente pour le Canada le nouveau
gouvernement américain.
L'arrivée d'un nouveau président à la Maison blanche constitue toujours un défi pour le gouvernement
canadien parce que nos relations avec les États-Unis revêtent une importance qui va au-delà des concepts
ordinaires d'intérêts nationaux et internationaux. C'est une importance qu'il ne faut jamais sous-estimer, quels
que soient la question, le secteur ou la région en cause.
Indépendamment du vainqueur des élections de novembre 2000, le Canada aurait eu affaire à un nouveau
gouvernement et à de nouveaux ministres pour la première fois depuis que notre gouvernement a pris le
pouvoir en 1993. Définir notre programme et bâtir nos relations avec la nouvelle équipe de Washington sont
instantanément devenus des priorités inévitables pour le gouvernement et les dirigeants du Canada. Les
intérêts des Canadiens en dépendent.
Le nouveau gouvernement américain
Le président Bush a réuni une équipe extrêmement compétente. Beaucoup de ses membres B comme le vice-président Dick Cheney, le secrétaire d'État Colin Powell et le représentant au Commerce Robert Zoellick --
sont très conscients de l'importance des relations canado-américaines et ont une grande expérience des
secteurs public et privé. Comme l'a noté un commentateur, chacun d'entre eux a eu d'importantes
responsabilités à un moment ou à un autre, que ce soit à la tête d'une grande société, dans un ministère ou
dans le gouvernement d'un État.
Le nouvel ambassadeur désigné des États-Unis, M. Paul Cellucci, dont le Sénat américain a confirmé la
nomination la semaine dernière, représente bien cette réalité. M. Cellucci est un proche ami du président Bush
et a travaillé plus de 30 ans au service du gouvernement. Il connaît bien le Canada et a joué un rôle actif et
bienveillant dans des domaines tels que la libéralisation du commerce et la simplification des formalités
douanières. J'attends personnellement avec grand intérêt l'arrivée de M. Cellucci à Ottawa et j'espère pouvoir
établir avec lui des relations productives et cordiales.
Il n'y a pas de doute que le premier ministre, mes collègues du Cabinet et moi-même avons accordé une
grande importance à l'établissement rapide de contacts avec le président Bush et son équipe. La rencontre au
sommet Chrétien-Bush du 5 février, à laquelle le secrétaire d'État Powell et moi-même avons assisté, a joué un
rôle fondamental pour le Canada. Non pas, comme les médias l'ont affirmé, parce que nous avons « coiffé »
Mexico sur le poteau, mais parce qu'il est vital pour les intérêts canadiens, comme pour les intérêts des États-Unis et bien sûr aussi, ceux de nos partenaires dans l'hémisphère et dans le monde, que les dirigeants des
deux pays qui ont les relations bilatérales les plus importantes au monde travaillent ensemble aussi étroitement
et aussi efficacement que possible.
À cette rencontre et au cours des nombreuses réunions qui ont déjà eu lieu entre des ministres canadiens et
leurs nouveaux homologues américains, le gouvernement Bush s'est montré très réceptif à l'égard du point de
vue canadien et a manifesté l'intention de collaborer étroitement dans un vaste éventail de domaines clés.
Cela n'est pas surprenant. Après tout, même si certains des joueurs et certains aspects des relations sont
nouveaux, le Canada et les États-Unis ont des intérêts de longue date. C'est un chemin qui va dans les deux
sens. Les États-Unis sont importants pour tous les pays -- ils constituent les banquiers du monde, le principal
marché de la planète et la seule superpuissance qui reste --, mais aucun autre pays n'est aussi important pour
eux que le Canada. C'est là une vérité qu'on néglige parfois des deux côtés de la frontière.
Il ne faudrait pas perdre de vue à quel point ces relations sont particulières, omniprésentes, complexes et
interdépendantes. Nous avons les relations commerciales les plus étendues de la planète et nos économies
sont étroitement interreliées. Un ralentissement de l'économie américaine est ressenti plus profondément et
plus directement au Canada que presque n'importe où ailleurs au monde, ce qui nous impose d'ailleurs
d'observer une discipline stricte dans la gestion de nos propres affaires économiques.
Nous avons la frontière la plus longue et la plus fréquentée du monde. Notre prospérité économique mutuelle
dépend de la simplification des formalités douanières dans un environnement sûr qui favorise aussi bien la
sécurité publique qu'un commerce florissant. Nous partageons également une infrastructure essentielle,
l'autoroute de l'information, qui est à la fois une force économique et un point vulnérable sur le plan de la
sécurité.
Nous sommes des partenaires sans pareils en ce qui a trait à la sécurité et à la défense de l'Amérique du Nord
et du monde.
Nous partageons la responsabilité d'un même écosystème. Notre coopération pour la conservation et la
protection de l'environnement est fructueuse, étant enracinée dans des mécanismes de longue date, comme la
Commission mixte internationale.
L'un des principaux facteurs qui unit nos deux pays, peut-être moins tangible que ceux que je viens de
mentionner, réside dans des valeurs communes auxquelles nous sommes tous deux extrêmement attachés.
C'est une vision du monde fondée sur l'importance primordiale de la démocratie, de l'économie de marchés et
des droits de la personne, le tout dans le respect de la primauté du droit.
Le poids de nos intérêts communs nous impose de régler les irritants occasionnels de façon à ne pas nuire à
l'intégrité de nos relations dans l'ensemble.
Nous en sommes encore aux premiers stades de nos rapports avec le gouvernement Bush. Les intervenants et
le programme se définissent petit à petit. Nous serions probablement en mesure d'avoir un meilleur entretien
sur nos relations avec la nouvelle équipe américaine dans six mois plus ou moins. Je voudrais cependant vous
donner un aperçu rapide de l'évolution de la situation, telle que nous la voyons aujourd'hui, avec ses priorités
et les plus importants points de tension qui se manifesteront à court terme.
Orientations futures
J'aimerais aborder principalement les six questions suivantes : la coopération économique, les questions
frontalières, l'énergie, l'environnement, la politique étrangère et la défense.
Partenariat économique
Comme je l'ai mentionné, le Canada et les États-Unis ont un partenariat économique sans pareil. Je dis « sans
pareil » parce qu'il n'existe pas de rapports bilatéraux semblables ailleurs dans le monde.
En l'an 2000, les échanges bilatéraux de biens et de services ont totalisé 700 milliards de dollars canadiens, ce
qui représente 1,9 milliard de dollars canadiens par jour. La partie ontarienne de ces échanges est à elle seule
plus importante que n'importe quels autres échanges bilatéraux dans le monde. Et, à un échelon inférieur, le
commerce transfrontalier dans le seul secteur de l'automobile est plus important que n'importe quelles autres
relations commerciales bilatérales de la planète.
Le commerce des biens et des services avec les États-Unis représente 38 % du produit intérieur brut du
Canada, et a contribué, l'année dernière, à la création de près de 320 000 nouveaux emplois dans notre pays.
Les États-Unis ont été la principale source d'investissements au Canada : les placements américains, d'une
valeur de 186 milliards de dollars canadiens, représentaient 64 % de notre investissement étranger direct [IED].
En contrepartie, le Canada était la source d'importants investissements directs dans l'économie américaine :
plus de 154 milliards de dollars canadiens à la fin de 2000.
Ce partenariat engendre de la prospérité des deux côtés de la frontière.
Le Canada est le plus grand marché des produits alimentaires américains, dont il consomme plus que les 15
États réunis de l'Union européenne. Ensemble, nous sommes les chefs de file de la révolution technologique
qui a transformé l'économie mondiale, et les liens entre nos centres d'innovation, comme Ottawa et San José,
augmentent constamment. Les téléavertisseurs BlackBerry sont un exemple frappant de l'infiltration réussie
des technologies canadiennes de l'information aux États-Unis. Comme vous le savez sans doute, ces
dispositifs ont beaucoup servi à transmettre de l'information -- et de la désinformation aussi -- dans les
dernières heures de confusion des élections présidentielles américaines de novembre dernier.
Toutefois, compte tenu de l'énorme volume de notre commerce bilatéral, les différends sont inévitables.
Bien sûr, le problème le plus immédiat est celui du bois d'œuvre résineux. L'entente sur le bois d'œuvre qui a
expiré le 31 mars 2001 nous a donné un répit de cinq ans dans ce différend de longue date. Comme l'a noté
mon collègue Pierre Pettigrew, ministre du Commerce international, l'objectif du Canada est de viser le libre-échange dans ce secteur dans les plus brefs délais. Le Canada a proposé la nomination d'envoyés de haut
niveau pour essayer de trouver une solution juste et rapide à l'impasse actuelle.
Il existe également une série de différends dans le domaine du commerce des produits agricoles, qu'il s'agisse
du blé, des produits laitiers ou d'autres denrées. Toutefois, nos relations se définissent non en fonction des
différends eux-mêmes, mais d'après la façon dont nous essayons de les régler : par le dialogue, la consultation
et les compromis.
Il y a aussi les innombrables aspects positifs sur lesquels nous pouvons travailler avec le gouvernement Bush
dans les domaines du commerce et de la coopération économique. Nous avons souvent besoin de nous
rappeler que près de 95 % de notre commerce est sans histoire.
À titre de nation commerçante, le Canada est profondément attaché à la libéralisation du commerce comme
moyen d'assurer la croissance de l'économie, de créer de la prospérité et d'ouvrir des débouchés, non
seulement pour les Canadiens, mais aussi pour les habitants de l'hémisphère et du monde entier. Le président
Bush appuie également la libéralisation du commerce et a parlé en faveur du libre-échange hémisphérique.
La Zone de libre-échange des Amériques [ZLEA] n'est ni le seul ni le principal thème du Sommet des
Amériques qui aura lieu la semaine prochaine à Québec. La démocratie et ses rapports avec la prospérité et le
développement du potentiel humain seront au centre des délibérations du Sommet, mais la ZLEA a aussi son
importance. Une fois établie en 2005, elle constituera la zone de libre-échange la plus étendue au monde, avec
un sixième de la population de la planète ou 800 millions d'habitants. Cette zone produit déjà plus d'un tiers de
l'activité économique mondiale, avec un PIB combiné de 17 billions de dollars. Le président Bush a annoncé
qu'il chercherait à obtenir du Congrès l'approbation de pouvoirs particuliers de promotion du commerce,
auparavant connus sous le nom de « procédure accélérée », qui seront essentiels pour accomplir des progrès
sur ce front.
Je pourrais consacrer tout un discours et même toute une journée à l'ALENA Qu'il me suffise de dire que le
Canada, le Mexique et les États-Unis examinent sérieusement des moyens de revitaliser l'Accord. Nos
ministres du Commerce se sont rencontrés en marge de la réunion ministérielle de la ZLEA, qui a eu lieu à
Buenos Aires la semaine dernière, pour étudier la possibilité d'étendre encore plus le libre-échange nord-américain, en envisageant par exemple le resserrement des dispositions du chapitre 11 concernant les
rapports investisseur-État et la simplification des formalités touchant les voyages d'affaires.
Questions frontalières
La croissance du commerce et des investissements met inévitablement en évidence l'importance d'une gestion
efficace des frontières. Avec plus de 200 millions de mouvements par année à 130 postes frontaliers, une telle
gestion est essentielle au maintien de la prospérité économique et de la compétitivité du Canada.
Le Canada et les États-Unis portent une attention de plus en plus grande à cette question à mesure que la
complémentarité des deux économies s'intensifie.
Le Partenariat Canada-États-Unis (PCEU) a amené les organismes responsables de la frontière, l'industrie et
les collectivités frontalières à favoriser une vision commune de l'avenir de la frontière canado-américaine. Deux
réunions ont eu lieu en 2000 dans le cadre du PCEU. La prochaine doit se tenir à Détroit-Windsor au cours de
l'automne.
Grâce à ce partenariat, nos deux gouvernements ont proposé un plan de travail axé sur trois principes :
d'abord, la rationalisation et l'harmonisation des politiques frontalières; ensuite, l'expansion de la coopération
pour augmenter l'efficacité des douanes, de l'immigration, de l'action policière et de la protection de
l'environnement à la frontière et au-delà; enfin, la collaboration pour affronter les menaces communes venant
de l'extérieur du Canada et des États-Unis.
Nous continuerons à collaborer dans ce domaine, tant pour faciliter le commerce que pour renforcer la sécurité
à la frontière et au-delà.
Énergie
L'énergie est un troisième aspect clé de nos relations avec le nouveau gouvernement américain.
Les questions énergétiques se placent actuellement en tête du programme politique américain. Les prix élevés
de l'essence et de l'huile de chauffage, s'ajoutant à des pénuries aiguës d'énergie en Californie, ont amené le
gouvernement américain à élaborer une stratégie énergétique globale.
Le vice-président Cheney dirige un groupe de travail chargé d'examiner les besoins en matière d'énergie des
États-Unis. De même, je préside un nouveau groupe du Cabinet qui doit étudier les questions énergétiques au
Canada et, en particulier, les moyens de tirer parti des perspectives qui s'offrent à nous rapidement.
Le Canada est le plus important fournisseur d'énergie des États-Unis. Comme l'a noté le premier ministre à
Calgary la semaine dernière, nous exportons maintenant plus de pétrole et de gaz aux États-Unis que l'Arabie
Saoudite. Nous avons également un énorme potentiel dans nos sables bitumineux et dans nos vastes réserves
de gaz naturel. Notre rôle comme fournisseurs de gaz naturel aura encore plus d'importance pour le marché
américain à l'avenir.
Le Canada et les États-Unis recherchent, de concert avec le Mexique, des moyens d'assurer une meilleure
intégration des marchés énergétiques nord-américains, afin de garantir une offre sans restrictions partout dans
le continent, tout en maintenant une saine gestion de nos ressources naturelles et en préservant l'écologie
nationale et continentale.
Environnement
Les questions environnementales constitueront toujours un élément stratégique de la gestion de nos relations
avec les États-Unis. Au fil des ans, les deux pays ont établi un réseau complexe d'accords conjoints pour la
gestion de l'environnement commun, et notamment de nos ressources communes en air et en eau. Ce réseau
assurera une continuité utile à un moment où les priorités et les approches environnementales marquent peut-être un virage au sud de la frontière.
Deux questions dominent la conjoncture actuelle : la prospection pétrolière dans le Grand Nord et le
changement climatique mondial. Comme l'a dit le premier ministre, le Canada a l'intention de respecter les
engagements qu'il a souscrits à Kyoto en ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le retrait récemment annoncé de Washington du protocole de Kyoto est très décevant. Les États-Unis
produisent près d'un quart des gaz à effet de serre de la planète et doivent donc participer à toute solution à
l'échelle mondiale. Nous poursuivrons nos pourparlers avec le gouvernement Bush et nos partenaires
européens pour sortir de l'impasse qui bloque depuis quelque temps tout progrès sur cette question capitale.
Au sujet de l'ouverture de la Réserve faunique nationale de l'Arctique en Alaska à la prospection pétrolière et
gazière, nous continuons à exprimer fermement et ouvertement notre opposition. Le Canada a exhorté les
États-Unis à garantir une protection permanente de la Réserve et a rappelé à Washington que les traités
signés entre les deux pays nous donnent le droit d'être consultés. Nous continuerons à exprimer nos
préoccupations et celles des peuples autochtones du Nord du Canada à ce sujet chaque fois que nous en
aurons l'occasion.
Coopération dans le domaine de la politique étrangère
J'ai pensé qu'il serait bon de terminer par les sujets qui vous tiennent probablement le plus à cœur : la politique
étrangère et la défense.
Sur la scène internationale, le Canada et les États-Unis sont des alliés et des partenaires très proches dans
une foule d'organisations internationales et sur toutes sortes de questions. Même lorsque nous sommes en
désaccord sur une question ou une approche -- et il nous arrive de l'être --, nos relations hautement
constructives nous incitent constamment à rechercher des solutions.
Au G7 et au G8, nous collaborons étroitement avec les États-Unis pour réduire la pauvreté dans le monde et
favoriser le plus grand partage possible des bienfaits de la mondialisation entre tous les pays. Aux Nations
Unies, nous avons réalisé d'importants progrès en vue de la protection des civils dans des situations de conflits
armés. À l'Organisation des États américains [OEA] et dans le cadre du processus des sommets
interaméricains, nous recherchons ensemble des moyens d'étendre la prospérité et la qualité de vie dont
jouissent nos citoyens à l'ensemble de l'hémisphère occidental.
La semaine prochaine, le Sommet de Québec mettra en évidence les idéaux et les principes énoncés pour la
première fois en 1994, au Sommet de Miami, initiative des États-Unis qui avait rétabli le processus destiné à
maintenir un dialogue essentiel entre les dirigeants démocratiquement élus des Amériques. Nos deux pays
conviennent que les trois thèmes du Sommet -- renforcer la démocratie, créer la prospérité et développer le
potentiel humain -- définissent un programme politique, économique et social cohérent et équilibré qui profitera
à tous les citoyens de l'hémisphère.
Nous considérons également qu'il est prioritaire d'édifier une Amérique du Nord forte et prospère. Le Canada,
les États-Unis et le Mexique doivent commencer à envisager d'une manière stratégique la façon de réagir à
l'évolution de l'Amérique du Nord, à ses perspectives et à ses défis. Nos trois dirigeants, le premier ministre
Chrétien, le président Bush et le président Fox, se rencontreront bientôt pour discuter de la coopération dans la
nouvelle communauté nord-américaine et déterminer comment et dans quels domaines nous profiterons d'une
plus grande intégration, par exemple dans les domaines de l'énergie et de l'infrastructure, tant matérielle que
technologique, tout en préservant notre souveraineté et notre diversité.
Considérant d'une façon globale nos politiques étrangères, je dois admettre que les positions relatives
différentes du Canada et des États-Unis dans le régime international et la disparité des moyens qui s'offrent à
eux pour réaliser le changement leur dictent souvent des approches différentes pour atteindre les mêmes
objectifs. Le Canada est fortement attaché aux mesures multilatérales, tandis que l'intérêt national des États-Unis les incite souvent à adopter une politique étrangère davantage fondée sur l'action unilatérale.
La sécurité humaine, qui est un thème central de la politique étrangère actuelle du Canada, a également
suscité du scepticisme dans certains milieux américains. Le programme de sécurité humaine complète la
notion classique de sécurité nationale en mettant l'accent sur la qualité et la sécurité de la vie humaine, plutôt
que sur les intérêts géopolitiques traditionnels.
Le Canada a exercé des pressions en vue de l'établissement de nouvelles normes internationales concernant
les mines antipersonnel. Les États-Unis, mentionnant différentes responsabilités et obligations internationales,
ont dit qu'ils n'étaient pas prêts à souscrire à la Convention d'Ottawa. Cependant, le gouvernement précédent
avait déclaré qu'il adhérerait à la Convention d'ici 2006 s'il était possible de trouver des moyens de remplacer
les mines antipersonnel. Nous espérons que le président Bush et son Cabinet sauront faire preuve de la
volonté politique nécessaire, en usant des capacités technologiques incomparables de leur pays, pour
devancer cette échéance. Malgré leur prise de position concernant la Convention, les États-Unis comptent
parmi les principaux participants aux efforts de déminage déployés partout dans le monde. Nous savons aussi
que les souffrances des victimes des mines antipersonnel sont loin de laisser le peuple américain indifférent.
Le Canada et les États-Unis ont en outre des points de vue divergents au sujet de la création d'une Cour
criminelle internationale. Pour nous, la CCI est un moyen clé de mettre un terme à l'impunité de ceux qui se
rendent coupables de graves violations du droit humanitaire international. (M. Milosevic en est l'exemple le plus
récent et le plus évident.) Toutefois, les États-Unis ont d'importantes réserves au sujet de la juridiction de la
Cour et de ses incidences sur la souveraineté des États. Nous croyons que l'appui américain renforcerait la
crédibilité et l'efficacité de la Cour. Nous avons donc l'intention de poursuivre notre dialogue avec les États-Unis à ce sujet.
Malgré ces divergences, nos deux pays partagent les valeurs de base sur lesquelles se fonde le programme
canadien de sécurité humaine, des valeurs telles qu'une bonne gestion des affaires publiques et un
développement démocratique, la liberté d'opinion et d'expression et la lutte contre la criminalité transnationale
organisée, le trafic de la drogue et le terrorisme. Ce sont là des questions que nous affrontons déjà ensemble
grâce à notre coopération au sein des Nations Unies, de l'Organisation de coopération et de développement
économiques [OCDE], du G8, de l'OEA et de plusieurs autres organisations.
Sécurité et défense
Uniques et fondamentalement saines, nos relations en matière de défense et de sécurité se fondent sur
l'accord de Défense aérienne du continent nord-américain [NORAD], l'Organisation du Traité de l'Atlantique
Nord [OTAN], les Nations Unies et d'autres mécanismes.
Il n'existe probablement pas ailleurs dans le monde des forces armées plus complémentaires que celles du
Canada et des États-Unis. La Marine canadienne envoie des frégates remplacer des bâtiments américains
dans des groupes aéronavals. Les pilotes canadiens de CF-18 comptaient, après les Américains, parmi les
principaux participants à l'opération Force alliée. Et le blindé léger LAV-III de l'Armée canadienne a été choisi
par l'Armée américaine comme véhicule de choix pour le maintien de la paix.
Ayant eu l'occasion de visiter le siège du NORAD le mois dernier, je dois vous dire à quel point j'ai été
impressionné par les opérations conjointes que j'ai vues et surtout par le niveau de coopération qui règne entre
le personnel militaire du Canada et celui des États-Unis.
Le NORAD a été le fondement de la coopération canado-américaine en matière de défense depuis 1958. Le
Commandement constitue non seulement le cadre de la coopération pour la défense aérospatiale de
l'Amérique du Nord, mais aussi le symbole le plus visible de cette coopération et la pierre angulaire de la
défense commune du Canada et des États-Unis.
En Europe, les deux pays ont collaboré pour réorienter l'OTAN vers de nouvelles fonctions au lendemain de la
guerre froide. La nouvelle Organisation est conçue pour assurer la défense collective, tout en ayant la capacité
d'entreprendre de nouvelles missions destinées à prévenir les conflits et à jouer un rôle dans la gestion des
crises, comme cela a été le cas au Kosovo. Nous travaillons également avec nos alliés européens pour veiller
à ce que la nouvelle politique européenne de sécurité et de défense et l'OTAN jouent des rôles
complémentaires plutôt que concurrents.
L'étude par le gouvernement Bush d'un nouveau système national de défense antimissiles a beaucoup retenu
l'attention et suscité d'importantes préoccupations chez nous, en Europe et ailleurs dans le monde.
Le président Bush a ordonné un examen de la situation du programme et de solutions de remplacement pour
la protection non seulement du territoire américain, mais aussi des alliés des États-Unis. Il a clairement dit qu'il
n'avait pas l'intention de donner le feu vert avant d'avoir tenu des consultations complètes avec le Canada et
d'autres alliés. Il a ajouté qu'il aurait également des consultations avec la Russie et la Chine, qui ont toutes
deux exprimé de graves préoccupations au sujet de la défense antimissiles.
Le Canada partage l'inquiétude des États-Unis et d'autres alliés au sujet des menaces à la sécurité tant
nationale que mondiale engendrées par les conflits internes, les attaques terroristes et la prolifération des
armes de destruction massive. Cela étant dit, nous sommes également préoccupés par les conséquences
possibles du déploiement d'un système de défense antimissiles sur la stabilité stratégique mondiale et par la
possibilité qu'il puisse déclencher une nouvelle course aux armements.
Nous poursuivrons nos pourparlers avec les États-Unis et nos autres alliés pour déterminer les meilleurs
moyens de faire face aux menaces actuelles à la sécurité sans nuire à la stabilité stratégique mondiale et sans
compromettre le régime existant de non-prolifération, de désarmement et de contrôle des armements.
Conclusion
Dans l'ensemble, je crois que l'équipe Bush est bien disposée envers le Canada. Elle est axée principalement
sur la sécurité nationale et économique et considère l'hémisphère et l'Amérique du Nord comme des priorités.
Nos relations avec les États-Unis comportent de très nombreux aspects positifs en matière de coopération
économique, de libéralisation du commerce, de gestion des frontières, de coopération énergétique, de gestion
de l'environnement et de collaboration continue en matière de politique étrangère et de défense.
Les relations canado-américaines vont bien plus loin que d'occasionnelles rencontres entre dirigeants. C'est la
somme de milliers d'interactions quotidiennes entre nos citoyens et notre société civile et de contacts
permanents entre les responsables des différents ordres de gouvernement.
Il y aura toujours entre nous des différences très visibles. Nous aurons souvent des divergences quant aux
approches adoptées sur les plans de la politique étrangère, de l'environnement et du commerce. Il suffit de lire
les journaux pour s'en rendre compte.
Mais il importe de souligner que ce sera toujours une priorité pour le gouvernement du Canada et pour le
gouvernement des États-Unis aussi, je le crois, de gérer soigneusement ces divergences afin de préserver et
de consolider l'intégrité d'une relation bilatérale unique au monde.
Je vous remercie.