M. PETTIGREW - ALLOCUTION DEVANT LE LADY MARGARET HALL : COMPARER L'AVANT-SEATTLE À L'APRÈS-QUÉBEC : REPRENDRE L'INITIATIVE DU COMMERCE - OXFORD, ANGLETERRE
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
AU LADY MARGARET HALL
« COMPARER L'AVANT-SEATTLE À L'APRÈS-QUÉBEC :
REPRENDRE L'INITIATIVE DU COMMERCE »
OXFORD, Angleterre
Le 25 juin 2001
Il me fait plaisir d'être des vôtres aujourd'hui. Je tiens à remercier mon hôte, sir Brian Fall, de m'avoir invité à
vous entretenir aujourd'hui de certaines questions qui revêtent une grande importance à mes yeux.
Bien que je sache que les questions touchant l'Europe sont habituellement au centre de vos intérêts, on m'a
assuré que vous vous intéressez également aux affaires étrangères, notamment celles qui peuvent se
répercuter sur l'Europe ou avoir une certaine importance pour elle.
Permettez-moi cependant de vous rappeler que pendant longtemps le Canada a été pour ainsi dire un membre
officieux de l'Europe. Nous étions un pont vers l'Amérique du Nord et, en particulier, vers les États-Unis. Nous
le sommes toujours, en réalité, bien que d'une manière différente que par le passé. Donc, pendant longtemps,
notre identité canadienne était en quelque sorte « au milieu de l'Atlantique », quelque part entre l'Europe et les
États-Unis. Nous avions une démocratie parlementaire britannique et des programmes sociaux universels, et
nous avions un caractère davantage continental, mais notre marché du travail et son mode de fonctionnement
étaient davantage américains.
Nous avons constaté au début des années 1980 que nous devions aussi nous occuper de nos voisins de
l'océan Pacifique et nous sommes donc devenus un pays du Pacifique également. Nous sommes maintenant
fiers d'appartenir à l'APEC [Coopération économique Asie-pacifique]. Enfin, nous sommes désormais fortement
enracinés dans notre propre continent. Nombreux sont ceux qui estiment que nous n'étions pas vraiment un
pays des Amériques avant 1989, l'année où nous avons signé l'Accord de libre-échange avec les États-Unis.
Nous ne regardions guère au-delà des États-Unis lorsque nous nous tournions vers le sud -- peut-être
songions-nous un peu au Mexique, mais à peine -- et nous ne songions pas du tout au reste des Amériques.
Or, depuis 1989, nous sommes devenus fermement engagés envers notre continent américain, et c'est bien là
que nous sommes chez nous.
J'ai donné un titre à mon allocution de ce matin : « Comparer l'avant-Seattle à l'après-Québec : reprendre
l'initiative du commerce ». Comme vous le savez, les ministres de l'OMC [Organisation mondiale du commerce]
vont se réunir à Doha, au Qatar, en novembre prochain. Je crois qu'il est d'une importance cruciale que nous
reprenions l'initiative perdue.
Nombreux sont ceux en Europe qui pensent que le Canada pourrait devenir tellement absorbé par les
Amériques et tellement préoccupé par le projet de zone de libre-échange des Amériques qu'il pourrait oublier
l'OMC et le système multilatéral. Je puis vous assurer qu'il n'en est rien. Le Canada est fermement engagé
envers le système commercial multilatéral et l'OMC reste la pierre angulaire de sa politique commerciale
internationale. Nous voulons que l'OMC soit efficace et nous voulons lancer un nouveau cycle de négociations
dans les meilleurs délais, si possible à la quatrième Réunion ministérielle de l'OMC cet automne, à Doha.
J'espère qu'en partageant certaines de mes pensées sur les récentes expériences que j'ai vécues avant et
pendant le Sommet des Amériques à Québec, je peux vous donner matière à réflexion au moment où nos
gouvernements respectifs se préparent pour la réunion au Qatar.
Seattle a été un moment décisif -- La rencontre de deux mondes
Bien évidemment, il est presque impossible d'entendre les mots « Conférence ministérielle de l'OMC » sans se
rappeler les scènes de la dernière réunion de Seattle.
À Seattle, deux mondes se sont rencontrés et, pour dire les choses crûment, se sont affrontés. Le premier, le
monde traditionnel, international, des États qui se réunissaient pour négocier entre eux le lancement d'un
nouveau cycle de négociations commerciales. Le deuxième, le monde globalisé, représenté par un large
éventail de groupes, d'entreprises et d'intérêts particuliers.
Donc, on pourrait décrire Seattle comme étant une réunion entre l'ordre international et le désordre mondial --
et je ne dis pas cela dans un sens péjoratif.
Le monde international était représenté surtout par des gouvernements démocratiquement élus qui venaient
négocier des ententes dans le meilleur intérêt de leur population. La plupart étaient donc confrontés au fait que
si leur population n'aimait pas les ententes, elle aurait l'occasion de « congédier » le gouvernement aux
prochaines élections.
Ce monde international évolue depuis 400 ans; c'est l'État-nation traditionnel que nous connaissons depuis le
Traité de Westphalie. Il se compose d'un nombre défini d'acteurs. Il est codifié, ritualisé. Il s'agit d'un monde
plus ou moins prévisible. Tellement prévisible, en réalité, qu'il peut parfois devenir très ennuyeux.
L'autre était le monde « multicentrique » en émergence, le monde réel de la mondialisation, composé d'un
nombre presque infini d'acteurs qui ont une capacité d'action internationale plus ou moins indépendante de
l'État dont ils relèvent techniquement.
Les deux mondes qui se sont rencontrés à Seattle ne s'aiment pas beaucoup. Et, à mon avis, même s'ils
viennent tout juste de se rencontrer, ils devront vivre ensemble pendant le prochain siècle. Nous nous trouvons
dans une ère de changement, d'immense transition, ce qui nous obligera à réinventer la gouvernance. Nous
devons accepter le fait que nous ne pourrons plus gouverner nos pays comme nous avions l'habitude de le
faire à l'ère des États-nations traditionnels.
J'ai beaucoup d'admiration pour la façon dont les Européens sont arrivés, depuis 1951, à faire évoluer leurs
institutions jusqu'à Maastricht et pour tout ce que vous avez fait afin de réinventer les identités, la citoyenneté
et la façon dont vous gouvernez vos sociétés. Mais il y a des forces très radicales maintenant, avec cette ère
de la mondialisation, qui nous forceront tous à réinventer complètement la gouvernance.
Nous devons réinventer la fonction politique, examiner la façon dont nous menons notre vie politique et nous
interroger sur la pertinence de la fonction politique. Devrions-nous la laisser en totalité aux marchés?
Devrions-nous la laisser en totalité aux forces économiques ou devrions-nous tenter de rétablir un équilibre
entre les forces politiques et économiques? Quel est le bon équilibre?
À mon avis, lorsqu'il y a trop de forces politiques, lorsqu'il y a place seulement pour l'autorité politique --
comme nous l'avons vu dans les pays communistes par le passé, le système échoue. Il ne fonctionne pas
parce que lorsque l'État prend trop de place, lorsque l'État prend toutes les décisions, il fait des gaffes.
L'État ne peut pas créer le développement, mais il peut saccager l'environnement -- nous avons vu ce qui s'est
produit en Europe de l'Est et en Union soviétique. De toute évidence, lorsque l'État prend trop de place, là où il
a virtuellement détruit le marché, comme ces pays l'ont fait, c'est terrible. Cela ne fonctionne tout simplement
pas.
D'un autre côté, je considère que lorsque vous ne laissez de la place qu'aux marchés, vous vous rendrez
compte rapidement que le marché peut faire des erreurs et agir autant à courte vue que les États. Cela tient au
fait que les marchés recherchent des bénéfices rapides et veulent des résultats immédiats.
Il faut donc rechercher un équilibre entre l'État et le marché, entre les forces politiques. Il s'agit de trouver un
nouvel équilibre à l'ère de la mondialisation où toutes sortes de technologies et de forces contestent la façon
dont nous pouvons gouverner.
Manifestement, des problèmes et des défis se posent à nous, notamment comprendre exactement ce qu'est la
mondialisation et traiter les préoccupations très souvent légitimes que les forces souvent incohérentes et
contradictoires, que je qualifie de désordre mondial, font ressortir.
C'est sur ce plan que je crois que la Zone de libre-échange des Amériques peut nous enseigner certaines
leçons. Dans la période de 18 mois « de l'avant-Seattle à l'après-Québec », il y a eu des changements de
première importance, des changements radicaux. Nous n'avons pas été à la hauteur à Seattle. Je crois que
nous, les partisans du commerce ou du système fondé sur des règles, avons effectivement perdu l'initiative que
nous détenions depuis 1947, lorsque nous avons créé le GATT [Accord général sur les tarifs douaniers et le
commerce].
Nous, les partisans du commerce, avions eu l'initiative pendant très longtemps et je crois honnêtement que
nous vivons maintenant dans un monde bien meilleur, où la paix est plus répandue. Souvenons-nous que
lorsque vous avez créé le Marché commun européen et les autres institutions européennes, votre objectif
n'était pas d'ordre économique, mais politique. Vous vouliez instaurer la paix et la sécurité sur un continent qui
avait trop souffert de rivalités politiques. Donc, ce n'est pas pour les entreprises que vous l'avez fait. C'était
pour instaurer la paix et la sécurité, pour favoriser un meilleur ordre politique et la stabilité sur le continent.
Donc, lorsque les gens accusent le commerce de n'être là que pour aider les grandes entreprises, nous devons
leur rappeler les vraies raisons pour lesquelles nous avons agi ainsi. Nous avons privilégié le commerce,
d'abord pour des raisons politiques; les avantages économiques sont venus par la suite et ne constituaient pas
l'objectif primordial.
En tout état de cause, je crois qu'à Québec, en avril, nous, les partisans du commerce, avons repris l'initiative
que nous avions perdue aux bénéfices d'autres parties du point de vue de l'opinion publique. Cela est une
bonne nouvelle et non seulement pour les Amériques. Je crois que c'est de bonne augure pour Doha. Mais
comment avons-nous repris l'initiative? Quelles leçons pouvons-nous en tirer?
Un développement extraordinairement favorable est que les 34 pays démocratiquement élus des Amériques se
sont rassemblés, disant tous : « Nous voulons en faire partie ». Cela comprenait des représentants de
certaines des économies les plus fragiles, vulnérables, de la planète, et des dirigeants d'économies en
développement au niveau intermédiaire, comme le Brésil, jusqu'au dirigeant de l'économie la plus vigoureuse
de la planète, les États-Unis.
Ces 34 dirigeants venaient d'horizons idéologiques divers, de gouvernements très conservateurs à socialistes,
et tous -- des petites ou des grandes économies, de droite ou de gauche -- ont exprimé leur intérêt en faveur
du commerce. Aux XIXe et XXe siècles, le monde a assisté aux affrontements traditionnels entre les classes, les
travailleurs contre les capitalistes.
Mais le monde d'aujourd'hui est différent : les idéologies politiques évoluent. Maintenant, même les dirigeants
socialistes reconnaissent les avantages potentiels du commerce et voient le commerce comme faisant partie
de la solution, non comme étant le problème. Ils sont en faveur du commerce parce qu'ils reconnaissent qu'il
mène au développement et que le développement est le moyen le plus efficace de stabiliser les démocraties
fragiles. C'est là le message qu'ils nous ont transmis.
Nous devons expliquer cela à ceux qui nous contestent. Nous devons démontrer à nouveau que lorsque nous
encourageons le commerce, notre objectif n'est pas seulement de procurer des avantages aux grandes
entreprises. C'est la stabilité politique, la démocratie, que nous recherchons en voulant construire un vigoureux
système fondé sur des règles.
C'est là la mission de la Zone de libre-échange des Amériques sur un continent où la démocratie n'a pas été
aussi forte qu'en Europe. C'est là le message que nous soumettrons à la prochaine Réunion ministérielle à
Doha.
La clause démocratique a remporté un grand succès au Sommet de Québec parce que tous les pays ont
accepté le fait que si un pays ne respectait pas la démocratie, si l'ordre constitutionnel était menacé, ce pays
serait exclu des démarches du Sommet et de la zone de libre-échange des Amériques.
Succès de Québec -- Le 3e Sommet des Amériques
Donc, sur la route de Seattle à Doha, Québec, site du 3e Sommet des Amériques, se retrouve maintenant
derrière nous, mais demeure en qualité de jalon important. Les résultats de cette réunion d'avril révèlent à quel
point nous avons progressé en seulement 16 mois.
Les 34 dirigeants démocratiquement élus des Amériques ont émergé unis dans leur engagement envers la
démocratie, l'ouverture du commerce, la mise en commun de la prospérité, la réalisation du potentiel humain et
l'inclusion sociale. Ce faisant, ils ont adopté un ambitieux plan d'action visant notamment les droits de la
personne, la primauté du droit, la participation des ONG, la stabilité financière, le développement durable et
l'égalité entre les sexes.
Les dirigeants ont réaffirmé leur engagement de créer une zone de libre-échange des Amériques d'ici 2005. Ils
ont également entériné un financement important en guise d'appui à leurs objectifs -- plus de 56 milliards de
dollars américains seront acheminés par l'intermédiaire de la Banque interaméricaine de développement et la
Banque mondiale pour renforcer les institutions démocratiques, les infrastructures économiques, l'éducation,
les soins de santé et la connectivité. Cet engagement financier suffit à faire une véritable différence. À ce titre,
c'est un exemple tangible de ce dont nous parlions lorsque nous avons affirmé que le Sommet de Québec ne
portait pas seulement sur le commerce.
L'OMC doit apprendre de Buenos Aires et de Québec
Compte tenu de tout ce qui a été réalisé et de la façon dont les choses ont été menées à bien, on pourrait dire
que Québec représente le début d'une nouvelle ère. Des progrès ont été accomplis sur une large gamme de
questions. Dans le domaine de la libéralisation des échanges commerciaux, à n'en pas douter, mais aussi dans
un certain nombre de domaines complémentaires de la libéralisation du commerce. À mon sens, l'OMC pourrait
bénéficier grandement de cet exemple.
Les conditions permettant d'aller de l'avant avec la ZLEA sont maintenant plus favorables que jamais. Pourquoi
en est-il ainsi? À mon avis, c'est parce que les partisans de la libéralisation des échanges commerciaux ont
repris l'initiative perdue à Seattle. Nous, les partisans, nous sommes regroupés et nous démontrons de plus en
plus, nous n'affirmons pas seulement, les avantages du commerce pour tous nos citoyens.
Nous pouvons tirer du Sommet de Québec -- du projet de zone de libre-échange des Amériques -- trois
leçons précises qui, à mon avis, pourraient également nous aider à reprendre l'initiative dans le processus de
l'OMC.
Leçon 1 : engagement envers la transparence
La première leçon concerne la nécessité d'une plus grande transparence. En réalité, quel exemple plus évident
du nouveau paradigme existe-t-il que les progrès accomplis en matière de transparence à Buenos Aires, dans
la préparation de Québec? Avant Seattle, seulement quelques membres de l'OMC prenaient cette question au
sérieux; maintenant, les 34 pays de la ZLEA acceptent la publication des textes provisoires de négociation.
Ce développement novateur est survenu à notre Réunion ministérielle de Buenos Aires, où mes homologues et
moi-même avons causé une certaine surprise lorsque nous avons annoncé que nous nous entendions pour
publier le projet d'accord sur la ZLEA. J'ai toujours eu confiance que mes collègues ministres du Commerce se
rendraient compte, comme je l'ai fait moi-même, du fait que nous vivons dans un monde très différent de celui
qui existait avant Seattle. Nous vivons dans le monde d'Internet, où tant d'informations sont disponibles
instantanément, en cliquant sur un bouton. Nous vivons dans un monde où les populations sont plus
sceptiques : si elles ne peuvent tenir quelque chose dans leurs mains, non seulement cela n'a aucune valeur,
mais c'est suspect, en réalité.
En rendant les textes de négociation publics, nous allons les démystifier aux yeux de nombreux citoyens. En
leur permettant de consulter les textes, nous éliminons une des revendications du mouvement
anti-mondialisation formulées le plus vigoureusement, soit l'accusation selon laquelle les accords commerciaux
sont enveloppés de secret, conclus à huis clos au nom des sociétés transnationales.
Cette nouvelle ouverture est un symbole d'une ère naissante dans les pourparlers commerciaux et je crois
fermement qu'elle offre de grandes promesses pour l'avenir, même s'il existe encore de nombreux défis sur la
route qui nous attend.
Leçon 2 : accroissement de l'ouverture, de l'inclusion et du dialogue
Une autre leçon que nous avons apprise, c'est d'écouter les protestataires et leurs préoccupations. Dans les
mois qui ont précédé Seattle, le Canada avait pris des mesures pour inclure dans sa délégation un large
échantillon d'organismes.
Ce que nous avons découvert, c'est que les problèmes qui s'étaient posés à nos négociateurs -- comment
saisir les avantages tout en maintenant le contrôle sur des politiques sociales ou économiques clés -- sont des
problèmes qui préoccupent aussi les organisations non gouvernementales. Nous avons également découvert
que ce qui nous sépare des sceptiques et des détracteurs, à la présente étape, c'est que nous voyons dans les
gouvernements une partie de la solution des défis de la modernisation, notamment de la mondialisation.
Certains des protestataires ont une vision des choses pour le moins différente.
Je crois qu'une autre chose qui nous distingue de nos détracteurs est que notre réflexion a évolué, alors que ce
n'est pas le cas pour la plupart de nos critiques en matière de commerce. Dans les Amériques, les ministres du
Commerce ont beaucoup évolué et mènent maintenant leurs activités d'une manière nettement différente que
par le passé.
Les pays des Amériques reconnaissent maintenant, par exemple, qu'il y a place pour de nombreuses voix dans
le débat sur la ZLEA. Cela nous a conduits à ouvrir un dialogue avec des représentants des groupes d'intérêts
dans nos sociétés.
L'écoute du public ou des ONG n'a pas toujours été une pratique habituelle pour bon nombre des pays des
Amériques. Un point tournant clé s'est produit à notre réunion de novembre 1999, à Toronto, lorsque 22
ministres du Commerce ont souscrit à ma proposition de traverser la rue et de rencontrer face-à-face les ONG
de l'ensemble des Amériques. Il s'agissait d'une première pour bon nombre d'entre eux. À mon avis, nous
avons bénéficié de leur analyse de nombreuses questions différentes. Aujourd'hui, nous avons même constitué
un Comité de la société civile.
Toutefois, s'il doit y avoir de nombreuses voix dans le débat, cela doit comprendre non seulement les
manifestants dans les rues ou les représentants de la « société civile », mais, en réalité, les consommateurs
dans leur ensemble et le monde des affaires. L'élaboration des règles du commerce doit correspondre aux
défis actuels et futurs qui se posent aux entreprises. Je mettrais donc au défi le milieu des affaires des deux
côtés de l'Atlantique de participer plus pleinement au débat actuel sur une libéralisation plus poussée des
échanges et, en particulier, sur la substance d'un nouveau cycle. J'encouragerais le monde des affaires à
prendre la parole, que ce soit en public ou dans les nombreux véhicules du dialogue, notamment la Table
ronde Canada-Europe pour les entreprises.
Leçon 3 : il faut s'attaquer aux préoccupations des économies moins avancées
La troisième leçon -- et l'un des plus importants défis qui persistent, à mon avis -- consiste à nous assurer que
les préoccupations des économies de plus petite taille sont véritablement prises en compte. Sur ce plan, le
processus de la ZLEA donne un exemple susceptible d'aider l'OMC, parce que l'une des préoccupations
centrales dans les négociations de la ZLEA a été le défi d'intégrer les préoccupations des économies de plus
petite taille dans le processus de négociation.
Les questions auxquelles sont aux prises les économies de plus petite taille dans les Amériques comprennent
la nécessité du renforcement des capacités, l'assistance technique et la reconnaissance des défis qui se
posent expressément à elles en guise de participants au processus de la ZLEA. De toute évidence, ces
questions seront très importantes aussi dans tous les pourparlers futurs de l'OMC.
Ces pays plus petits ne disposent pas de tous les avantages que les populations des pays plus riches tiennent
pour acquis. Nous bénéficions d'économies diversifiées, de populations prospères, en bonne santé et bien
éduquées, de longues traditions de démocratie et de primauté du droit, d'un environnement sain et de solides
infrastructures.
Ils souhaitent bénéficier de ces éléments aussi, mais ils sont confrontés à de nombreux obstacles d'ordre
environnemental, historique ou structurel.
Les économies de plus grande taille sont davantage à même d'absorber les chocs qui accompagnent la
mondialisation. Lorsque la concurrence étrangère menace un secteur, nous pouvons compenser grâce à la
force d'autres secteurs. Nous pouvons nous permettre d'amortir le coup qui résulte parfois de la concurrence
internationale; nous pouvons aider nos citoyens à se redresser, à obtenir une formation et à trouver un nouvel
emploi, ce que la plupart des économies moins avancées n'ont pas la capacité de faire.
De nombreux pays moins avancés, on peut le comprendre, craignent donc de conclure un accord qui pourrait
écraser leur économie fragile. Nous ne devons pas laisser cela se produire. Toutes les économies,
particulièrement celles de plus petite taille, doivent bénéficier de la libéralisation du commerce. C'est là une
autre leçon de Seattle. À cette réunion, les pays moins développés se sont fait entendre, exigeant que les
futurs pourparlers commerciaux prennent leurs préoccupations en considération.
En qualité de président du Groupe de travail sur la mise en œuvre à Seattle, j'ai vu de première main des
éléments de ces défis. Les économies de plus petite taille ont transmis un message vigoureux et structuré
selon lequel les règles de la libéralisation du commerce doivent changer et que, de ce fait, les avantages à la
fois pour les grandes et petites économies doivent être évidents.
Comment les pays de la ZLEA ont-ils réagi à ce défi? À notre réunion de Buenos Aires, l'ambassadeur
américain au commerce, Robert Zoellick, le président de la Banque interaméricaine de développement [BID],
Enrique Iglesias, et moi-même avons tous pris la parole en faveur de la prestation aux économies de plus
petite taille de l'assistance dont elles ont besoin pour participer au processus de la ZLEA et profiter de l'accord
éventuel. Le Canada fournira des programmes d'assistance technique pour renforcer les capacités en matière
de commerce, d'investissement et de stabilité financière. Les États-Unis prodigueront une assistance technique
bilatérale par l'intermédiaire de l'USAID [Agence américaine pour le développement international] et la BID
aidera les pays de la ZLEA en ce qui concerne les coûts de l'ajustement et de la transition.
La réaction à notre engagement clair de prendre en considération les préoccupations des pays en
développement a été positive et immédiate. Les pays de la CARICOM et d'Amérique centrale ont accepté 2005
comme date limite des négociations de la ZLEA.
Sur la route vers Doha, il reste encore une certaine distance à parcourir, mais il est rassurant de constater que
les dirigeants s'emploient activement à aborder les problèmes précis des pays en développement. À cet égard,
je tiens à saluer mon ami et collègue, Pascal Lamy, Commissaire à l'UE, pour son initiative constructive « Tout
sauf les armes ».
Je souhaite également souligner le travail constructif réalisé à la 3e Conférence des Nations Unies sur les pays
les moins avancés, à Bruxelles.
Le Canada a fait sa part. À cette conférence, nous avons contribué au cadre intégré de l'assistance technique
liée au commerce et nous avons soutenu activement le programme d'action en faveur de la cohérence sur
lequel il se fonde. L'an dernier, le Canada a accordé l'accès en franchise aux exportations des pays les moins
avancés au titre de 570 numéros tarifaires supplémentaires, programme qui vise maintenant 90 p. 100 de nos
lignes tarifaires. Le Canada a également été à l'avant-garde des pays du G-7 en matière d'allégement de la
dette, tout particulièrement en janvier de cette année, arrêtant la perception du service de la dette des pays
pauvres lourdement endettés, qui peuvent utiliser les économies ailleurs, de manière productive.
Les réunions internationales doivent se tenir dans de bonnes conditions de sécurité et ne pas être
interrompues
Toutefois, nous devons tous reconnaître qu'un autre défi sur la route vers Doha consiste à aider nos
concitoyens à surmonter les soupçons qu'ils entretiennent au sujet des accords commerciaux. Pour nous, dans
les Amériques, les réunions tenues à Buenos Aires et à Québec nous ont mis sur la voie de la réalisation de
cet objectif. Nous avons démontré un souci authentique croissant des besoins des populations, ainsi qu'un
engagement envers la promotion de la prospérité et la prestation d'une aide aux économies de plus petite taille
pour qu'elles relèvent les défis auxquels elles sont confrontés.
Néanmoins, la nécessité de prendre en compte les préoccupations et actions du public demeure, pour nous
dans les Amériques, comme pour les membres de l'OMC. Nous, les ministres du Commerce et dirigeants,
avons montré que nous n'avons pas des esprits fermés -- je souhaite seulement que nos détracteurs soient
tout aussi disposés à réexaminer leurs approches. On pourrait trouver une consolation dans le fait que la
conduite d'une minorité de manifestants a eu pour effet de miner les messages légitimes que certains groupes
cherchent à transmettre, mais, en vérité, les gouvernements doivent communiquer beaucoup mieux les
avantages du commerce que nous ne l'avons fait par le passé.
À mon avis, bon nombre de ceux qui sont rassemblés dans les rues sont un peu trop zélés. À mes yeux, il est
antidémocratique d'avoir pour objectif de bloquer une réunion de dirigeants dûment élus. À n'en pas douter, il
est plus approprié de soumettre les désaccords directement aux représentants élus dans chaque État ou
nation. Et, comme c'est le cas dans toute démocratie, si une part suffisante de la population soutient l'opinion
des critiques du commerce, le gouvernement recevra le message d'une manière ou d'une autre. C'est pourquoi
je pense que les précautions que nous avons prises à Québec pour garantir que la réunion puisse se dérouler
n'étaient pas seulement appropriées, mais absolument essentielles pour préserver la démocratie et le
fonctionnement du système international. Les pays qui accueilleront des réunions multilatérales au cours des
prochains mois et des prochaines années auraient intérêt, je pense, à examiner les leçons de Buenos Aires et
de Québec.
Les perspectives pour Doha sont positives
En conclusion, je souhaite simplement dire que les perspectives d'accomplissement de progrès à Doha, en
novembre, me paraissent positives. Notre défi primordial consiste à faire en sorte que le nouveau cycle de
négociations commerciales internationales prenne un bon départ. Pour accroître la probabilité d'un succès,
nous devons nous employer à maintenir le soutien intérieur à la libéralisation du commerce, être ouverts,
transparents, et sensibles aux préoccupations des pays en développement.
Nous devons aussi faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préparer une réunion ministérielle qui soit
gérable. Cela signifie un texte plus court, comportant moins d'éléments de décision pour les ministres, que celui
de Seattle, et un engagement d'éviter de préjuger des résultats.
Je crois que les perspectives pour Doha sont positives parce que la réflexion des ministres du Commerce a
évolué considérablement et parce que les gouvernements et organismes internationaux ont appris certaines
leçons, se sont adaptés à de nouvelles réalités, ont fait des changements importants et ont jeté les bases des
succès à venir. J'ai bon espoir que nous pourrons reprendre l'initiative dans le processus de l'OMC, tout
comme nous l'avons fait dans celui de la ZLEA, où nous avons pu trouver une cause commune parmi les
économies et démocraties disparates des Amériques.
Je vous remercie.