M. MANLEY - ALLOCUTION AU CONSEIL DES RELATIONS INTERNATIONALES DE MONTRÉAL - MONTRÉAL (QUÉBEC)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE JOHN MANLEY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
AU
CONSEIL DES RELATIONS INTERNATIONALES DE MONTRÉAL
MONTRÉAL (Québec)
Le 11 octobre 2001
Mesdames et messieurs, bonjour. C'est un honneur pour moi de me trouver ici, au Conseil des relations
internationales de Montréal [CORIM], parmi tant d'amis et d'invités de marque.
La liste de vos conférenciers de ces dernières semaines sort vraiment de l'ordinaire. À la fin de septembre,
vous avez accueilli Paul Cellucci, ambassadeur des États-Unis au Canada, et la semaine dernière, son
pendant canadien, Michael Kergin, ambassadeur du Canada à Washington, s'adressait au CORIM et au World
Trade Centre de Montréal. Aujourd'hui, j'ai le privilège de m'exprimer devant vous en ma qualité de ministre
des Affaires étrangères du Canada.
Je viens prendre la parole devant vous à un moment qui revêt une grande importance.
Si les circonstances étaient autres, je commencerais par vous rappeler qu'il y a un an cette semaine, le premier
ministre me demandait d'accepter le portefeuille des Affaires étrangères.
Nous aurions pu, alors, passer cet après-midi à voir comment nous avons protégé les intérêts du Canada par
rapport aux tâches prioritaires que j'ai établies lorsque j'ai accepté ce poste, et qui étaient de renforcer nos
relations avec les États-Unis, d'approfondir la coopération avec nos partenaires du G-8, de mettre en œuvre un
vaste programme pour favoriser la démocratie et la prospérité dans les Amériques, et d'élargir nos relations
avec de nouveaux partenaires importants, comme l'Inde et la Chine.
Au cours de l'année écoulée, nous avons encouragé la connectivité et la recherche de solutions pour combler
le fossé numérique et faire en sorte que la mondialisation soit bénéfique pour tous. Nous avons fait preuve de
leadership au Conseil de sécurité des Nations Unies en renforçant la transparence et l'efficacité de cet organe
mondial clé, et nous avons aussi préconisé des mesures destinées à mieux protéger les civils dans les
situations de conflit. Nous avons donné une importance prioritaire à l'application de la Convention d'Ottawa
interdisant les mines antipersonnel, à la création de la Cour pénale internationale et à la recherche d'un
règlement pacifique des conflits violents qui déchirent le Kosovo, le Moyen-Orient et l'Irlande du Nord. Nous
nous sommes également penchés sur l'Afrique, thème central du G-8 durant la présidence du Canada l'année
prochaine, ainsi que sur le VIH et le sida, et les liens entre la pauvreté et l'instabilité.
Nous avons parlé de ce que l'on peut faire pour bâtir un monde meilleur.
Mais cette date, le 11 du mois, a aujourd'hui un tout autre sens. Après les événements terribles et
épouvantables qui ont secoué les États-Unis il y a exactement un mois, on pourrait facilement se demander si
tout cela a encore de l'importance.
Or, si la crise qui s'est déclenchée à ce moment-là nous oblige certes à définir notre ligne de conduite de
manière plus précise, peut-être même à presser le pas dans certains dossiers, elle ne nous fait pas changer de
direction. Elle ne change pas notre identité et ne nous fait pas dévier de la trajectoire essentielle que nous
devons suivre dans ce monde.
Ce qui était important pour le Canada avant les événements du 11 septembre, c'est-à-dire notre sécurité et
notre prospérité, l'est encore plus à l'heure actuelle. Ce à quoi notre société tenait avant tout -- nos valeurs,
notre culture, nos convictions --, nous le chérissons encore plus et nous le réaffirmons avec plus de force que
jamais. Et notre rôle dans le monde, qui consiste à promouvoir la tolérance et l'inclusion, en même temps que
la justice et l'équité, sera plus crucial que jamais.
Bien des choses ont effectivement changé le 11 septembre, ne nous y trompons pas, mais au plus profond de
lui-même, le Canada n'a certainement pas changé.
Le premier ministre a déclaré clairement que, dans cette lutte contre le terrorisme, le Canada doit agir selon
ses propres termes et ses propres valeurs. Il a dit tout aussi clairement que cette lutte n'irait pas sans un
certain prix ni sans risques. Cependant, les risques pour notre société et le prix pour notre mode de vie seraient
bien plus lourds si nous n'affirmions pas ces valeurs maintenant, à un moment il faut se dresser et se faire
entendre.
J'aimerais prendre quelques instants cet après-midi pour vous dire exactement ce qui se fait, aussi bien au
Canada même qu'au sein de la vaste coalition multinationale qui s'est formée pour combattre le terrorisme et
cibler, en particulier, le réseau al-Qaida qui, nous le savons désormais, est responsable des attentats commis
aux États-Unis.
Pour ce qui est du rôle du Canada, j'hésite à parler de mesures ou de politiques « intérieures » par opposition à
des actions « internationales », car nous savons, et cette crise le montre encore plus, que nous vivons
aujourd'hui dans un monde intégré et interdépendant. Nous sommes tous concernés dans cette affaire.
Ce qui se passe à l'étranger a un impact direct et évident sur notre propre mode de vie au Canada. Et les
efforts que nous déployons ici même, en plus de renforcer la sécurité des Canadiens, répondent au désir de
nos alliés à travers le monde qui comptent sur nous pour aider à resserrer l'étau sur les réseaux terroristes.
La campagne internationale menée en réponse aux attentats terroristes est sans précédent. Il s'agit d'une
campagne d'un genre tout à fait nouveau. Elle est à la fois plus unie, si l'on considère le vaste soutien
international dont elle bénéficie, et plus diversifiée dans ses aspects militaires, diplomatiques, juridiques,
financiers et humanitaires, que tout ce que nous avons vu auparavant. De plus, s'appuyant sur la Charte des
Nations Unies et du Traité de l'OTAN, cette campagne prévoit désormais le recours à la force au nom de
l'autodéfense. À l'heure actuelle, nous en voyons l'aspect plus traditionnel, avec les frappes stratégiques
lancées le 7 octobre et par la suite. Mais parallèlement aux frappes militaires, la coalition militaire menée par
les États-Unis largue également des cargaisons de denrées alimentaires et de ravitaillement humanitaire
destinées à la population civile afghane, qui n'est nullement visée par la campagne antiterroriste, je tiens, tout
comme le premier ministre et nos partenaires de la coalition, à bien le préciser.
L'approche du Canada reflète elle aussi ce sentiment d'unité et de diversité.
Comme la plupart d'entre vous le savez peut-être, le premier ministre m'a demandé de présider un nouveau
comité spécial du Cabinet sur la sécurité publique et la lutte contre le terrorisme. Cela pourrait sembler
inquiétant, mais de quoi s'agit-il exactement?
En termes simples, la création du comité signifie que le gouvernement du Canada entend prendre toutes les
mesures légales nécessaires pour assurer la sécurité des Canadiens et respecter ses obligations
internationales dans la lutte contre le terrorisme.
Et en termes plus précis, cela signifie toute une série d'initiatives dans les domaines de la réglementation, de la
programmation et de la législation. Par exemple, le ministre des Finances et moi-même avons, la semaine
dernière, instauré des règlements en vue de geler les avoirs et transactions des terroristes et de les empêcher
de réunir des fonds, conformément à la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l'ONU. Ces initiatives
comprennent également des mesures visant l'immigration et les contrôles douaniers, ainsi que des mesures
économiques, notamment le dédommagement financier accordé dernièrement à l'industrie canadienne des
transports aériens. Hier, nous avons également approuvé l'affectation de 250 millions de dollars en nouveaux
fonds pour le resserrement de la sécurité au Canada ainsi que 30 millions de dollars pour la création de 300
emplois dans des organismes fédéraux clés en vue de mettre en oeuvre ces mesures. Quelques-uns de mes
collègues du Cabinet étaient à l'aéroport de Dorval ce matin pour faire le point sur cette annonce.
Le gouvernement a par ailleurs renforcé la surveillance et l'évaluation de secteurs clés de l'infrastructure
essentielle du Canada, tels les centres de communications et les centrales nucléaires.
La GRC [Gendarmerie royale du Canada] et d'autres organismes canadiens participent activement à l'enquête
internationale intense qui a débuté après les attentats du 11 septembre et qui a permis d'interpeller à travers le
monde un grand nombre de personnes soupçonnées d'être liées au réseau al-Qaida et à Oussama ben Laden.
Parallèlement à ces démarches, le premier ministre Chrétien a annoncé que le Canada verserait 6 millions de
dollars pour répondre aux nouveaux besoins des réfugiés afghans et des personnes déplacées à l'intérieur de
leur pays dans cette région.
Au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, nous redoublons d'efforts pour renforcer la
sécurité et l'intégrité de notre système de passeports, depuis la mise en place de contrôles plus stricts jusqu'au
développement plus poussé de la technologie des passeports.
Nous renforçons nos capacités de réaction, mais rien n'est plus important que la prévention. Nous améliorons
nos capacités à cet égard, sur tous les plans : amélioration de notre aptitude à recueillir et à analyser
l'information, contrôles plus poussés à l'importation et l'exportation pour ce qui concerne les matières
dangereuses, et remise au premier plan des nombreux accords internationaux sur la non-prolifération et le
désarmement qui permettront d'éviter que les armes de destruction massive et les produits utilisés dans leur
fabrication ne tombent entre les mains des terroristes.
Vous verrez des ministres du gouvernement déposer à la Chambre des projets de loi importants, y compris
ceux-ci :
• le projet de loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (projet de loi C-11), qui vise à mettre en place
des contrôles plus stricts destinés à empêcher que des terroristes entrent au Canada sous couvert de
revendication du statut de réfugié;
• des modifications à la Loi de l'impôt sur le revenu et au Code criminel qui visent à faire en sorte qu'il soit plus
difficile pour quiconque de participer à des activités terroristes depuis le Canada, y compris de financer des
organisations terroristes au moyen de prétendus dons de charité (projet de loi C-16), ou d'utiliser des revenus
tirés d'activités criminelles pour financer le terrorisme (projet de loi C-24);
Grâce à ces modifications apportées aux lois, le Canada pourra ratifier les deux derniers traités internationaux
pour la lutte contre le terrorisme que nous avons signés mais qui n'ont pas encore force de loi; les 10 autres
conventions sont déjà en vigueur au Canada.
Des projets de loi sur les douanes et la frontière sont également en suspens.
L'état de la frontière canado-américaine doit revêtir aux yeux des Canadiens une importance primordiale, tant
du point de vue de leur sécurité que du point de vue de leur prospérité. La frontière est, en effet, le système
nerveux de l'économie canadienne : 87 p. 100 de nos exportations sont destinées aux États-Unis, et nous
achetons 25 p. 100 des exportations américaines. Notre prospérité commune dépend du bon fonctionnement
de la frontière.
Les Canadiens et les Américains sont fiers de partager la frontière non militarisée la plus longue du monde,
mais ils sont de plus en plus nombreux à se demander avec inquiétude s'il est possible de maintenir une telle
ouverture en cette nouvelle ère d'insécurité. Je sais que les ambassadeurs Kergin et Cellucci ont abordé cette
question avec vous, et nous avons tous entendu d'autres dirigeants des milieux politiques et commerciaux
évoquer un éventuel « périmètre nord-américain ».
Les organismes qui s'occupent de divers aspects de la frontière -- douanes, immigration, transports et forces
du maintien de l'ordre -- poursuivent et intensifient leur collaboration afin d'accroître la sécurité frontalière tout
en facilitant les mouvements massifs de marchandises et de personnes de part et d'autre de la frontière.
Je ne crois pas que l'avenir nous réserve un scénario où nous aurions une muraille qui s'élèverait tout autour
de l'Amérique du Nord ou qui la couperait en deux.
Nous ne voulons ni les uns ni les autres d'une frontière plus restrictive, car nous sommes convaincus que les
personnes et les marchandises doivent pouvoir circuler librement, efficacement et en toute sécurité à travers
l'Amérique du Nord. Le premier ministre Chrétien et le président Bush l'ont dit très clairement.
Chaque pays a ses défis à relever. Le Canada et les États-Unis agiront tous deux de façon à servir au mieux
les intérêts de leurs citoyens et à conforter leur sécurité, mais il le feront en collaboration, comme ils l'ont
toujours fait.
Nous prenons des mesures concrètes, comme de maintenir un état d'alerte élevé à nos postes frontaliers et de
renforcer les contrôles de sécurité dans nos aéroports et à bord de nos avions.
Cependant, les terroristes ne nous forceront pas à fermer notre frontière. Ils ne nous pousseront pas dans une
nouvelle ère d'isolationnisme. Bien au contraire. Ils ont essayé, en vain, de diviser, voire de dominer, la
communauté internationale des nations.
Il ne fait absolument aucun doute que la coopération internationale sera notre atout le plus puissant dans la
campagne antiterroriste. Depuis un mois, nous avons vu se manifester un élan de solidarité sans pareil et se
dessiner un objectif commun qui unit l'Est et l'Ouest, le Nord et le Sud, et qui échappe à l'emprise de facteurs
tels que les idéologies, l'appartenance ethnique ou religieuse, ou même le niveau de développement.
La constitution d'une coalition durable est essentielle. Nous appuyons fermement les États-Unis et d'autres
pays dans les efforts qu'ils déploient pour y inclure le plus grand nombre de pays possible. J'ai moi-même,
depuis le 11 septembre, passé beaucoup de temps au téléphone à m'entretenir avec mes homologues du
monde entier.
Le Canada se félicite de l'importance qu'attache le gouvernement américain à ce que l'action multilatérale
contre le terrorisme passe par l'ONU, ainsi que du fait que Washington fasse appel à l'OTAN. Il ne fait pas de
doute pour nous que ces choix ont contribué à forger aussi rapidement cette solide coalition internationale
contre le terrorisme.
Une campagne longue et complexe vient tout juste de commencer. Pour le moment, quelque 2 000 femmes et
hommes des forces armées canadiennes ont été engagés dans le volet militaire de cette opération aux
multiples facettes. En ces premiers jours de la riposte, cela fait du Canada la troisième force de la coalition sur
le plan numérique. La décision d'envoyer des soldats sur un terrain dangereux a été prise dans un climat de
grande gravité, mais elle a aussi été prise sans hésitation, pour soutenir nos alliés dans une cause juste et
nécessaire. Le Canada est un pays épris de paix, mais il est aussi un pays qui se dressera et se battra, au
besoin, pour défendre ses valeurs. Notre histoire le prouve et nous en sommes fiers.
Lorsque j'ai pris mes fonctions de ministre des Affaires étrangères, il y a un an, une des choses qui m'ont le
plus frappé quand je suis entré pour la première fois dans l'édifice Lester B. Pearson, à Ottawa (qu'occupe le
ministère des Affaires étrangères et du Commerce international), c'est une gigantesque peinture murale qui
couvre presque entièrement l'un des murs du hall d'entrée. Il s'agit d'un hommage à Lester Pearson, d'un
immense montage de mots et d'écrits de ce grand homme, qui à mes yeux présente une vision du rôle que le
Canada joue dans le monde.
Une de ces citations, placée en plein milieu du panneau central, dit ceci :
L'histoire est certes remplie de turbulences et de terreur, mais à travers les âges, des hommes braves et sages
ont su trouver les ressources nécessaires pour éloigner la terreur, et le courage de ne pas désespérer et de
conserver leur intégrité.
Nous devons nous laisser guider par ces pensées dans les semaines et les mois à venir, voire les années, que
durera la campagne destinée à éradiquer le terrorisme.
J'ai demandé au début de mes observations, et au vu des événements du 11 septembre et du capital politique
et des ressources financières et humaines qui ont été ensuite investis dans cette campagne, si les objectifs
plus généraux que le Canada poursuit sur la scène internationale devraient aujourd'hui revêtir autant
d'importance qu'ils en avaient avant cette journée terrible.
La réponse est facile. Ils sont plus importants que jamais. Le Canada a toujours eu pour vocation fondamentale
de bâtir un monde meilleur, pour parler en termes simples. C'est là une des valeurs qui définissent notre
société et qui animent notre politique étrangère -- y compris les mesures que nous prenons actuellement dans
le cadre de la coalition internationale politique et militaire contre le terrorisme.
Le premier ministre Chrétien affirmait mardi dernier devant l'Assemblée parlementaire de l'OTAN réunie à
Ottawa : « Nous n'avons pas recherché ce combat, mais nous entendons le mener à terme, et le mener à bon
terme. »
Ce qui en fera un monde meilleur.
Je vous remercie.