M. MANLEY - ALLOCUTION DEVANT LA 56E ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES - NATIONS UNIES, NEW YORK
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE JOHN MANLEY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LA 56e ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DES NATIONS UNIES
NATIONS UNIES, New York
Le 10 novembre 2001
C'est pour moi un honneur d'être ici, à New York, pour participer à l'Assemblée générale.
Le fait que nous soyons réunis ici maintenant, à peine deux mois après les terribles attaques
terroristes du 11 septembre, démontre à la fois la force de cette grande ville devant l'adversité,
ainsi que la détermination et l'attitude de défi d'une communauté mondiale unie.
Ayant passé le dimanche dernier -- comme mon ami le premier ministre de la Slovaquie
M. Dzurinda -- à courir dans les innombrables rues et quartiers des cinq arrondissements de
New York à l'occasion du marathon annuel, j'ai été renversé par les profondes réserves de
courage qui se manifestent partout dans la ville et chez toutes les personnes qui choisissent de
reprendre leur vie et de rejeter la menace de la terreur.
Notre travail consiste à galvaniser et à canaliser le courage des nations -- à transformer les
sentiments en promesses, et les promesses en action. Les expressions d'une indignation
commune sont gratifiantes, mais elles ne suffisent pas pour vaincre le terrorisme. Au bout du
compte, le succès de notre campagne -- une campagne qui sera longue et extrêmement
complexe -- repose sur notre aptitude collective à faire preuve de leadership, à mobiliser la
volonté politique et à honorer l'engagement que nous avons pris, les uns par rapport aux autres,
et à l'égard de nos citoyens, de ne pas permettre que des crimes si abjects, si énormes et si
dévastateurs restent sans réponse ou se répètent un jour.
Pour d'atteindre nos objectifs -- pour mériter la confiance et de répondre aux attentes placées
dans l'Organisation des Nations Unies et dans les États membres qui la composent --, nous ne
pouvons toutefois continuer comme avant. Il n'est plus question de reprendre nos activités en
faisant « comme si de rien n'était ». Il n'y a plus de temps, de patience ni de ressources pour
les attaques et contre-attaques diplomatiques et pour la perpétuation d'intérêts égocentriques
dangereux. Les gouvernements doivent assumer leur responsabilité et rendre compte de leurs
actes et de leurs décisions en ce qui concerne leur rôle dans la lutte contre le terrorisme, dans
la mise en place de réformes politiques et juridiques, dans le règlement des différends et dans
l'instauration des conditions nécessaires à l'épanouissement de la démocratie et à la poursuite
du développement.
Les Nations Unies font sans doute face aujourd'hui au plus grand défi que l'Organisation ait dû
affronter depuis sa création. L'ONU a jusqu'à présent agi de façon admirable. La communauté
de vues et l'efficacité de la prise de décisions qui ont permis l'adoption rapide de l'historique
résolution 1373 du Conseil de sécurité, de même que la tenue rapide d'un débat spécial sur le
terrorisme, démontrent clairement ce que nous pouvons accomplir ensemble et soulignent
encore davantage les raisons pour lesquelles l'Organisation, et son estimé secrétaire général,
M. Kofi Annan, ont été, à juste titre, honorés du prix Nobel de la paix cette année.
Nous ne pouvons toutefois nous permettre de nous laisser aller à la complaisance ou à
l'autosatisfaction, ni de nous laisser distraire. Notre travail vient à peine de commencer.
Aussi horrifiantes qu'aient été les atrocités commises le 11 septembre, il ne s'agissait pas du
premier acte de terrorisme posé dans l'histoire. Trop de personnes parmi nous dans cette salle
ne le savent que trop douloureusement. Non, le terrorisme n'a pas commencé ici mais, en tant
que communauté mondiale, nous avons la responsabilité -- et maintenant une nouvelle
possibilité -- d'y mettre fin. Ici même.
L'ONU a un rôle unique et indispensable à jouer à cet égard. Si la campagne contre le
terrorisme est menée au moyen de coalitions de différents acteurs étatiques, d'alliances et
d'organisations, c'est ici qu'elle doit en fin de compte s'unifier dans ses diverses dimensions
politiques, diplomatiques, juridiques, économiques, humanitaires et sécuritaires. Au Canada, à
titre de partisans de longue date du multilatéralisme et du système des Nations Unies, nous
nous sommes vivement félicités de l'étroite collaboration évidente entre l'administration des
États-Unis et l'ONU au cours des deux derniers mois.
Au Canada, la campagne contre le terrorisme, y compris les obligations que nous avons
souscrites ici même aux Nations Unies, est notre priorité absolue. Notre pays, qui partage avec
les États-Unis la plus longue frontière non militarisée au monde, et les rapports bilatéraux les
plus proches, les plus vastes et les plus prospères qu'on puisse trouver sur la planète, a été
profondément touché par la crise. Les Canadiens, comme les Américains et les citoyens de
nombreux autres pays, s'inquiètent de leur sécurité, mais aussi du pays et du monde dans
lesquels ils vivront dans l'après-11 septembre. Les objectifs interdépendants que sont la
protection de nos citoyens, la prestation d'une assurance à nos partenaires et alliés, et la
préservation du caractère libre, démocratique et diversifié de notre société ont sous-tendu les
actions et décisions du premier ministre Chrétien et du gouvernement du Canada tout au long
de la présente crise.
Nous avons affecté 2 000 membres des formes armées, ainsi que des navires, des avions et
des forces spéciales, à la coalition militaire internationale contre le terrorisme. Au pays même,
nous avons mis en place un vaste éventail de mesures et de lois et avons fait de nouveaux
investissements pour renforcer notre cadre de sécurité, y compris aux postes frontaliers et dans
les aéroports.
Le Canada accueille avec satisfaction les exigences relatives à la préparation de rapports et à
la surveillance prévues par la résolution 1373 du Conseil de sécurité. Nous avons déjà mis en
place bon nombre des dispositions de la résolution et nous progressons rapidement sur les
autres points. La préparation de notre rapport est bien avancée, et nous pourrons le présenter
au Comité chargé des activités antiterroristes bien avant l'échéance du délai de 90 jours. Nous
prions instamment les autres États membres de montrer leur détermination et leur solidarité
soutenues en faisant de même. Le Canada est également prêt à prodiguer son appui aux États
pour lesquels l'application de la résolution suscite de grandes difficultés.
Tout en prenant des mesures conformément à la résolution 1373, nous achevons le processus
de ratification de la Convention sur la répression des attentats terroristes à l'explosif et de la
Convention sur la suppression des actes de financement du terrorisme, à la suite de quoi le
Canada deviendra partie à part entière des 12 conventions de l'ONU contre le terrorisme. Des
négociations sont en cours sur une treizième convention, la Convention globale contre le
terrorisme international. Ce traité fera en sorte que tous les actes terroristes seront condamnés
en vertu du droit international. Ce qu'il nous faut maintenant, c'est la volonté politique de faire
aboutir ces négociations. Si l'Assemblée générale des Nations Unies ne donne pas l'impulsion
nécessaire, qui le fera? Et si ce n'est pas maintenant, quand? Aujourd'hui est le moment le plus
propice et où le besoin pour une telle mesure se fait le plus sentir.
Notre système juridique international a besoin aussi d'un vigoureux régime de contrôle des
armements, de non-prolifération et de désarmement. La mise en œuvre du Traité d'Ottawa
interdisant les mines antipersonnel avance rapidement. Et, pour empêcher que les armes de
destruction massive ne servent d'instruments aux éléments terroristes, nous nous efforçons
également de renforcer des instruments clés comme le Traité de non-prolifération des armes
nucléaires, les garanties de l'Agence internationale de l'énergie atomique, les conventions sur
les armes chimiques et biologiques -- dont la mise en œuvre nécessite une vigoureuse action
multilatérale.
Nous sommes également très près de faire de la Cour pénale internationale une réalité, car il
ne manque plus que 17 ratifications. La création de la Cour représentera un jalon extrêmement
important dans le combat mené actuellement pour éliminer l'impunité des pires crimes commis
contre l'humanité.
Ce ne sont là que les mesures les plus immédiates et qui s'imposaient le plus pour assurer
notre sécurité collective. Mais notre programme d'action doit être beaucoup plus large que cela.
Rien n'a plus violemment ébranlé notre sentiment de sécurité que les événements du
11 septembre. Mais notre conception de ce qu'est la « sécurité », et la nature des menaces
auxquelles elle est exposée, connaissaient déjà une évolution saisissante avant les attentats.
Le déni des droits de la personne, la propagation du VIH/sida, la pauvreté persistante des
populations, la dégradation incontrôlée de l'environnement et le fléau de la drogue et de la
criminalité sont autant d'éléments qui minent la stabilité, réduisent le potentiel humain et
entravent notre progrès social et économique. Ce sont là des menaces à la sécurité humaine,
tout comme la discrimination et le racisme, que la Conférence de Durban devait atténuer.
Malheureusement, la Conférence ne s'est pas montrée à la hauteur des espoirs placés en elle,
car elle a, au contraire, servi de tribune pour propager la haine et des préjugés de longue date,
et le monde s'en trouve appauvri.
La résolution et la prévention des conflits doivent rester en tête de liste des priorités des Nations
Unies, mais nous devons faire preuve d'engagement et de détermination si nous voulons
passer d'une « culture de réaction » à une « culture de prévention », comme le propose le
secrétaire général.
Il y a tout juste une semaine, j'ai terminé une tournée dans cinq pays du Moyen-Orient. J'ai été
rassuré par les engagements pris par mes hôtes à l'égard de la lutte contre le terrorisme.
Comme d'autres, j'ai demandé instamment à Israël et aux Palestiniens de mettre en place
immédiatement des mesures qui les ramèneront à la table de négociation. C'est la seule façon
d'aller de l'avant. La vérité est qu'il n'y a pas de solution de rechange à la coexistence pacifique.
Ce conflit ne peut durer éternellement, et les dirigeants doivent agir maintenant afin d'y mettre
fin. La communauté internationale doit aussi accroître ses efforts pour favoriser l'instauration
d'une paix équitable.
Enfin, rien n'affaiblit davantage l'humanité que les ravages de la pauvreté extrême, tout
particulièrement en Afrique, qui sera en 2002 l'un des thèmes dominants du G-8, dont le
Canada assumera alors la présidence. Prenant la parole à cette tribune en 1963, le premier
ministre Lester Pearson -- qui reçut lui aussi le prix Nobel de la paix -- avait prévenu la
communauté mondiale des dangers associés à l'écart grandissant entre les pays en ce qui
concerne le développement économique et social, et avait souligné avec insistance qu'il fallait
corriger la situation avant qu'elle ne crée un fossé impossible à combler entre les « nantis » et
les « démunis ». Cela se passait il y a 38 ans, et ce défi reste plus aigu que jamais.
Les promesses du Sommet du millénaire, tenu en septembre 2000, ne doivent pas être
reléguées au second plan en raison des urgences causées par les événements qui se sont
déroulés un an plus tard. Leur réalisation peut et doit même former partie intégrante de notre
approche de la création d'un environnement mondial vigoureux et équitable que les terroristes
ne pourront ni attaquer, ni exploiter.
Le terrorisme ne nous parle pas; et il ne parle pas au nom de quiconque, sauf des criminels et
des assassins. Il ne sert qu'à mettre en péril les causes que les terroristes prétendent
représenter. Il ne représente pas l'islam; il ne traduit pas la volonté des civils afghans.
Le sort du peuple afghan doit rester clairement au cœur de nos préoccupations. Ce pays a été
tellement négligé, tellement victime d'abus et tellement poussé à l'isolement par les dirigeants
qui se sont imposés, qu'il n'a même pas été possible de le classer sur le dernier Indice de
développement humain des Nations Unies. Les droits de la personne -- notamment ceux des
femmes et des fillettes -- y sont violés de façon flagrante et constante. Une grave crise
humanitaire est en train de se former, et nous devons faire davantage, en oeuvrant avec les
institutions de l'ONU et d'autres organismes d'aide, pour protéger les civils (y compris les
réfugiés et les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays) et leur donner accès à de
la nourriture et à de l'aide.
Pour cette raison, le Canada a répondu à l'appel humanitaire de l'ONU, ajoutant de nouvelles
ressources aux 160 millions de dollars d'aide que nous avons déjà consentis au cours des
10 dernières années. Nous avons également accueilli avec satisfaction la nomination rapide de
Lakhdar Brahimi -- qui a joué un rôle tellement central dans la réforme des activités de maintien
de la paix des Nations Unies -- au poste de représentant spécial du secrétaire général en
Afghanistan. Le Canada s'est engagé à œuvrer avec l'ambassadeur Brahimi et avec d'autres
États de la coalition afin de soutenir le peuple afghan dans la recherche d'un gouvernement
stable, équitable et efficace qui puisse amorcer la tâche immense de faire avancer l'Afghanistan
vers un avenir plus sûr et rempli d'espoir.
Les possibilités de progrès vers un monde plus libre, plus prospère et plus pacifique se sont
toujours présentées à nous. Aveuglés par notre intérêt personnel et des priorités rivales, nous
ne les avons pas toujours vues avec autant de clarté.
L'horreur phénoménale du 11 septembre nous a offert cette clarté, tout comme elle a concentré
les esprits et catalysé les rapports. Elle nous a donné une nouvelle base de coopération entre
les États, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur des Nations Unies, non seulement sous l'impulsion
des États-Unis et de ses alliés traditionnels (comme le Canada), mais aussi grâce au leadership
qu'ont pu manifester des pays comme la Russie et la Chine, l'Inde et le Pakistan, les pays du
Moyen-Orient, d'Afrique du Nord, d'Asie et d'autres régions du monde, qui travaillent tous de
concert au règlement de la crise.
Le terrorisme nous donne une perspective mondiale. Il mondialise la consternation et la
condamnation, tout comme la compassion et l'appel à la justice. Nous devons nous assurer que
le terrorisme mondialise aussi la volonté ferme d'y mettre fin.
Demain -- le 11 novembre --, le Canada et plusieurs autres pays membres de l'ONU
célébreront le Jour du souvenir. Chaque année, ce jour-là sert à nous rappeler et à honorer les
hommes et les femmes qui ont combattu et se sont sacrifiés pour notre liberté. Cette semaine, à
New York, j'espère que nous prendrons tous le temps de nous souvenir de ce pourquoi nous
travaillons -- et même combattons -- tous ensemble aujourd'hui : pour la liberté, la paix et la
justice ainsi que pour assurer la dignité de toutes les personnes, où qu'elles soient dans le
monde, et leur permettre de réaliser leur plein potentiel.
Tout en prononçant nos discours, en classant nos documents et en faisant avancer nos
résolutions dans cette grande salle, rappelons-nous aussi que l'expression « Nations Unies » --
créée par le président Franklin D. Roosevelt en 1942 -- n'est pas uniquement le titre d'une
organisation ou le nom d'un bâtiment, mais qu'il s'agit d'abord et avant tout d'une déclaration de
solidarité et d'une vision commune en vue de fonder un monde meilleur.
Merci.