M. MARCHI - ALLOCUTION DÉCLARATION DU CANADASUR« L'ACCORD MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT » (AMI)RÉUNION MINISTÉRIELLE DE L'OCDE - PARIS, FRANCE
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DÉCLARATION DU CANADA
SUR
« L'ACCORD MULTILATÉRAL SUR L'INVESTISSEMENT » (AMI)
PAR L'HONORABLE SERGIO MARCHI,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
RÉUNION MINISTÉRIELLE DE L'OCDE
PARIS, France
Le 27 avril 1998
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca
1. Le Canada : le commerce et l'investissement
Le Canada réaffirme son engagement en faveur du développement de règles
multilatérales ouvertes et équitables sur l'investissement pour servir de
complément aux règles avantageuses dont nous profitons déjà en matière de commerce
international des biens et services.
Aujourd'hui, le commerce et l'investissement sont les grands moteurs de la
croissance économique. La contribution de l'investissement à la prospérité
mondiale ces dernières années est impressionnante. Depuis une dizaine d'années,
l'investissement à l'échelle mondiale s'est accru de façon exponentielle; en 1996,
il a atteint 3,2 billions de dollars, soit plus de quatre fois son niveau de 1985.
En fait, ces dernières années, les flux d'investissement ont augmenté deux fois
plus vite que le commerce mondial des marchandises.
Si le lien entre le commerce, la croissance économique et l'emploi est bien
compris de tous, il n'en va pas de même de l'autre face du commerce --
l'investissement. L'investissement étranger a joué un rôle clé dans notre
évolution en tant que nation et il demeure essentiel au développement et à la
prospérité du Canada aujourd'hui. Il fait partie intégrante de notre expérience et
de nos aspirations nationales.
Depuis 1986, l'investissement direct étranger au Canada a presque doublé pour se
chiffrer à 188 milliards de dollars en 1997, contribuant ainsi de façon
significative à créer des emplois et à accroître la prospérité. Les entreprises
étrangères établies au Canada emploient 10 p. 100 de la main-d'oeuvre canadienne.
De plus, 10 p. 100 des nouveaux investissements faits chaque année au Canada sont
réalisés par des entreprises étrangères.
D'autre part, l'investissement canadien à l'étranger apporte une contribution de
plus en plus vitale à notre prospérité économique. Depuis 1996, la valeur de
l'investissement direct canadien à l'étranger est plus importante que la valeur de
l'investissement direct étranger au Canada. L'investissement direct canadien à
l'étranger a triplé depuis 1986 pour atteindre la somme de 194 milliards de
dollars en 1997. Cette croissance de l'investissement direct canadien à l'étranger
reflète aussi une nouvelle orientation vers les économies émergentes. Des
entreprises canadiennes relèvent le défi de l'économie mondiale et accroissent
leurs possibilités d'accès aux marchés en concluant des alliances stratégiques
avec des partenaires internationaux et en établissant une présence à l'étranger.
En investissant à l'étranger, les entreprises canadiennes deviennent plus
concurrentielles, ont accès à de nouvelles technologies, et créent ainsi plus
d'emplois et d'activités de recherche et de développement au Canada. Certaines de
nos compagnies (Bombardier, McCain, BCE) sont devenues des leaders mondiaux dans
leur secteur. D'autre part, nos petites et moyennes entreprises (Husky Injection
Molding Systems Ltd., Teknion Furniture Systems) mettent l'investissement à
l'étranger au service de leur stratégie commerciale. Le meilleur moyen d'aider ces
compagnies à prospérer est d'instaurer des conditions équitables et stables
d'investissement international.
Le Canada vit du commerce. Il sait fort bien la valeur de règles qui assurent aux
Canadiens de pouvoir faire concurrence sur un pied d'égalité dans un marché de
biens et d'idées aux dimensions de plus en plus planétaires. C'est pourquoi il a
toujours été parmi les grands promoteurs du développement d'un système commercial
mondial qui soit fondé sur des règles plutôt que sur la puissance.
2. Des fondations solides plutôt que des échéances arbitraires
Durant les négociations en cours en vue d'un possible AMI [Accord multilatéral
sur l'investissement], nous devrions nous pencher sur les questions en suspens et
ne pas imposer d'échéances arbitraires. Le Canada s'oppose fermement à
l'établissement de toute nouvelle échéance. Nous devons tous prendre le temps
nécessaire pour négocier des règles qui serviront nos valeurs et nos intérêts
nationaux. Manifestement, le Canada ne signera que le bon accord, c'est-à-dire
uniquement lorsque les intérêts canadiens seront servis.
Le Canada apporte à la table de négociation une précieuse expérience en ce qui
concerne les règles applicables à l'investissement. Avec nos partenaires, nous
avons négocié l'Accord de libre-échange nord-américain [ALENA], un accord dont on
reconnaît qu'il renferme les règles les plus complètes dans le domaine. Nous avons
aussi négocié avec environ 24 pays en développement des ententes bilatérales qui
ont enrichi nos partenariats avec eux sur les plans du commerce et de
l'investissement et qui ont fourni aux investisseurs canadiens à l'étranger des
assurances bienvenues d'un traitement équitable. Le Canada veut obtenir la même
qualité de droits et d'obligations dans un accord multilatéral.
Nous voulons tous nous assurer que l'AMI est bâti sur des fondations solides
faites de principes fondamentaux -- non-discrimination et protection -- qu'étayera
un mécanisme efficace de règlement des différends. De plus, le Canada croit qu'il
faut, dans le cadre des négociations de l'AMI, traiter de la question de
l'extraterritorialité qui a été soulevée par la loi Helms-Burton et les lois sur
les sanctions contre l'Iran et la Libye votées par les États-Unis.
Le seul accord satisfaisant pour le Canada est un accord qui servira ses intérêts
et qui appuiera les valeurs canadiennes. Tout au long des négociations, nous avons
clairement défini nos positions sur les enjeux clés. Le Canada n'acceptera un AMI
que s'il renferme les éléments suivants :
a) une interprétation étroite de la notion d'« expropriation » qui indique sans
ambiguïté aucune que les mesures législatives ou réglementaires que prend un
gouvernement dans l'intérêt public ne constituent pas une expropriation exigeant
une indemnisation, même si ces mesures ont des effets négatifs sur la rentabilité
des sociétés ou sur le rendement des investisseurs;
b) des réserves incontestables qui préservent intégralement la liberté d'agir du
Canada, aux paliers fédéral et provincial, dans des secteurs clés comme les soins
de santé, les programmes sociaux, l'éducation, les questions autochtones et les
programmes à l'intention des groupes minoritaires, sans exigences de statu quo ni
de démantèlement dans aucun de ces domaines. En d'autres mots, aucune restriction
à notre liberté d'adopter de nouvelles lois dans ces domaines et aucun engagement
d'aligner graduellement nos politiques sur les obligations de l'AMI;
c) le maintien de la capacité du gouvernement de préserver et de promouvoir la
culture canadienne et les industries culturelles canadiennes. En clair, la culture
du Canada n'est pas négociable;
d) le maintien de la capacité du Canada de préserver ses mesures actuelles
relatives à des secteurs tels que le transport et les services financiers, les
industries des services aux entreprises, les communications, l'automobile, la
propriété immobilière et foncière, l'énergie, les pêches, l'examen des
investissements, les pratiques de privatisation, les finances publiques,
l'agriculture et le régime de gestion des approvisionnements, et la gestion des
ressources naturelles.
Pour le Canada, les réserves propres à chaque pays sont un instrument essentiel
pour que nos intérêts nationaux respectifs se reflètent dans le texte de l'AMI
proposé. Les réserves auraient un statut juridique égal à celui du texte de
l'accord et, ensemble, les réserves et l'accord détermineraient ce que chacun de
nous obtiendrait de ses partenaires et ce qu'il fournirait en contrepartie.
Aucun pays n'est lié à aucun texte pour le moment, dans la mesure où il est
impossible de convenir de quoi que ce soit avant que les parties s'entendent sur
la totalité de l'accord. Le Canada, comme d'autres pays, reste tout à fait libre
d'ajouter ou de modifier des réserves au fur et à mesure du processus de
négociation.
3. Engager la société civile
Reconnaissant les préoccupations légitimes qui ont été soulevées à travers la
communauté de l'Organisation de coopération et de développement économiques [OCDE]
au sujet du rythme de la mondialisation, il vaudrait la peine de s'arrêter et de
réfléchir sur les enseignements à tirer des trois dernières années de négociations
de l'AMI. Les pays membres de l'OCDE doivent continuer d'établir des mécanismes de
communication et de consultation avec tous leurs citoyens et instaurer -
directement et par l'intermédiaire du Secrétariat de l'OCDE - un dialogue amélioré
continu pour répondre à ces préoccupations.
Le défi que pose la négociation d'accords commerciaux et d'investissement pour
l'économie mondiale a comme contrepartie la nécessité d'assurer la transparence et
l'engagement face à la société civile. Dans tous nos pays, il existe des craintes
quant au rythme du changement économique, à la prolifération des concurrents du
camp du « plus c'est gros, meilleur c'est » résultant des fusions et des
acquisitions internationales et aux diverses forces souvent déroutantes qui
affectent nos économies.
Face à ces préoccupations légitimes, nous, la communauté de l'OCDE, devons engager
un dialogue complet, soutenu et ouvert -- en ayant recours à toutes les ressources
du Secrétariat de l'OCDE. Ce n'est qu'en abordant carrément ces préoccupations et
en y mettant le temps nécessaire que nous serons en mesure d'obtenir les
meilleures règles possibles. L'établissement d'échéances arbitraires ne nous
mènera nulle part.
Encore une fois, la communauté des pays membres de l'OCDE doit mieux communiquer
l'importance de l'investissement pour nos économies. C'est pourquoi le rapport de
l'OCDE sur les avantages de la libéralisation des échanges et de l'investissement
est une initiative des plus positives, et doit faire l'objet d'une large diffusion
afin de favoriser le débat auprès du public. De plus, les consultations avec le
monde des affaires et les syndicats, et les différentes organisations non
gouvernementales doivent faire partie intégrante du processus. La transparence de
notre processus et l'engagement de nos citoyens sont essentiels si nous voulons
réussir à établir pour nos pays de bonnes règles d'investissement.
En ce qui concerne tant le but que le processus des négociations, nous ne pouvons
perdre de vue les préoccupations pratiques et quotidiennes du public. Nous ne
pouvons non plus perdre de vue les partenariats intrinsèques du marché. Les
Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales ont
aidé à définir les responsabilités des sociétés dans les pays où elles
investissent. Nous devons aller plus loin. Il faut prendre en compte adéquatement
les questions relatives au marché du travail et à l'environnement pour empêcher un
nivellement par le bas. Il faut protéger le droit souverain des gouvernements
d'adopter des règlements dans l'intérêt de leurs sociétés, que de tels règlements
se répercutent ou non sur la valeur des investissements.
Nos efforts pour assurer un plein engagement national dans l'élaboration de
nouvelles règles en matière de commerce et d'investissement et pour améliorer la
transparence du processus doivent viser aussi les économies émergentes et en
développement. Cela est particulièrement important pour le Canada, car ses
entreprises axées sur l'exportation devront de plus en plus pouvoir investir et
prendre de l'expansion avec confiance si elles veulent continuer de croître et de
créer des emplois au pays. Le Canada a toujours appuyé le dialogue établi avec des
pays non membres de l'OCDE dans le contexte des négociations sur l'AMI. Nous avons
vigoureusement préconisé d'accepter les pays en développement comme observateurs
et participants à part entière aux négociations. Pour le Canada, un AMI restreint
aux pays de l'OCDE a une valeur limitée. Nous voulons des règles d'investissement
véritablement multilatérales qui aideraient à étendre l'investissement étranger
responsable à tous les pays, y compris les pays en développement.
4. L'instance appropriée: l'Organisation mondiale du commerce [OMC]
Pour être efficace et avantageuse, toute règle éventuelle d'investissement doit
être véritablement multilatérale. Par conséquent, le processus de l'AMI engagé à
l'OCDE doit demeurer ouvert aux pays qui ne sont pas membres de l'OCDE, et plus
important encore, l'OMC devrait servir d'instance suprême pour tout AMI.
Cette année marque le 50e anniversaire de l'Accord général sur les tarifs douaniers
et le commerce [GATT]. Il y a 50 ans, nous entamions un ambitieux projet
d'édification d'un nouvel ordre international basé sur l'ouverture des marchés au
commerce. Depuis lors, nous avons vu les règles de commerce équitable et ouvert
s'étendre de façon ordonnée à d'autres pays, ce qui a amené une croissance
ininterrompue des exportations. Nous avons bénéficié de l'émergence d'un système
commercial international caractérisé par un accès nettement amélioré aux biens et
aux services dans un marché vraiment planétaire.
Il ne s'agit pas ici de l'élaboration de politiques dans l'abstrait; aujourd'hui,
les 132 membres de l'OMC évoluent dans un marché mondial de biens, de services et
de technologies qui soutient leur bien-être économique et leur donne les moyens de
réaliser leurs ambitions nationales. Quelque 5,2 billions de dollars de biens sont
échangés chaque année dans le monde. Le commerce des services représente une
composante de plus en plus dynamique de l'activité économique nationale et
mondiale. En 1994, à l'OMC, nous avons réussi à obtenir un ensemble global de
règles gouvernant le commerce des services.
Il n'y a pas qu'au Canada et dans les pays de l'OCDE que l'investissement joue un
rôle clé dans la vie et les aspirations économiques nationales. Même si les pays
de l'OCDE génèrent et reçoivent actuellement la plus grande partie de
l'investissement direct étranger, de plus en plus les pays en développement
prennent conscience des avantages de l'investissement étranger. Un cadre
multilatéral d'investissement fondé sur des règles doit refléter les valeurs, les
intérêts et les priorités du plus grand nombre possible de nations.
Nous convenons tous que les règles multilatérales sur l'investissement sont un
complément naturel et nécessaire des règles applicables au commerce des biens et
au commerce des services. Comme ce fut le cas pour ces règles sur le commerce,
l'obtention des bonnes règles sur l'investissement requerra temps et efforts.
À la dernière réunion au niveau ministériel de l'OMC à Singapour en 1996, le
Canada a vigoureusement milité en faveur de la création d'un groupe de travail de
l'OMC sur le commerce et l'investissement. Il apprécie les progrès obtenus à ce
jour au sein du groupe de travail, et demeure déterminé à obtenir un engagement de
l'OMC en ce qui a trait aux négociations multilatérales sur l'investissement.
Nos négociations à l'OCDE nous offrent la possibilité de favoriser la réalisation
de cet objectif et de jeter les bases de règles internationales. L'AMI serait une
première étape, mais le développement de règles internationales ouvertes et
équitables en matière d'investissement doit demeurer notre objectif commun. Le
Canada estime que l'OMC est le dépositaire logique de tout accord multilatéral sur
l'investissement et l'instance où il est susceptible d'être géré le plus
efficacement.
5. Conclusion
Le Canada réaffirme son engagement en faveur de la poursuite de négociations
multilatérales sur l'investissement, et à l'établissement d'un processus
transparent. Un accord sur l'investissement viendrait compléter les règles dont
nous disposons déjà en matière de commerce des biens et des services. Ces règles
commerciales ont créé un environnement international stable, où les échanges
commerciaux ont pu croître et contribuer à notre prospérité commune. En cherchant
à conclure des règles en matière d'investissement, nous devons nous occuper des
préoccupations exprimées par nos citoyens. C'est pourquoi le Canada croit que nous
devons tous prendre le temps de négocier des règles qui sauront répondre à nos
valeurs et à nos intérêts nationaux. Manifestement, le Canada ne signera que le
bon accord au bon moment. Et nous croyons qu'au bout du compte, un tel accord
devra trouver sa place au sein de l'Organisation mondiale du commerce, où
l'ensemble des nations pourront bénéficier des avantages d'un tel accord.