M. AXWORTHY - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA TABLE RONDE DU CONGRÈS JUIF CANADIEN SUR LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES - OTTAWA (ONTARIO)
99/22 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION
DE LA TABLE RONDE DU CONGRÈS JUIF CANADIEN
SUR LES PERSÉCUTIONS RELIGIEUSES
OTTAWA (Ontario)
Le 17 mars 1999
(12 h 45 HNE)
Comme beaucoup d'entre vous le savez déjà, le Canada s'emploie à réorienter sa politique étrangère de manière
à ce qu'elle reflète la dimension humaine grandissante de la paix et de la sécurité dans le monde. La communauté
mondiale est confrontée à bon nombre de défis, en particulier les conflits violents ou les nouvelles menaces
comme les drogues illicites, le terrorisme ou la dégradation de l'environnement. Ils ont tous maintenant une
incidence plus directe sur la vie quotidienne des gens ordinaires. La sécurité humaine est à la fois le centre
d'attention et le moteur de l'action mondiale. Il en a résulté que le Canada se donne désormais une approche des
relations mondiales plus soucieuse de l'aspect humain dans les initiatives qu'il entreprend, les thèmes qu'il poursuit
et les méthodes qu'il emploie.
Les droits de la personne sont la pierre angulaire de la sécurité humaine. Faire la promotion du respect intégral et
des droits de la personne et de la dignité humaine est fondamental dans une politique étrangère qui tend à
prendre en compte le bien-être des gens aussi bien que des États.
La liberté de religion est un droit humain fondamental. Elle occupe une place centrale dans la Déclaration
universelle des droits de l'homme. Elle est un sujet de préoccupation incessant des organisations
gouvernementales aussi bien que non gouvernementales vouées à la défense des droits de la personne dans le
monde. Elle figure en tête de liste dans les lois nationales visant les droits de la personne et dans les dispositions
connexes partout dans le monde. Quelle que soit la définition qu'on lui donne, elle est réputée être une valeur
humaine fondamentale qui mérite toute notre attention.
Il y a de bonnes raisons pour cela. La foi d'un individu se reflète jusqu'au plus profond de ses croyances et de son
identité. Le respect qu'une société voue à l'expression d'une foi est une mesure de son engagement à être
tolérante et de sa capacité à accommoder les différences. En revanche, l'intolérance religieuse est, et a toujours
été, une source de conflit, de violence et de souffrance humaine.
Ainsi, le fait de protéger et de faire progresser la liberté de religion est intrinsèque au programme de sécurité
humaine du Canada. Et dans notre contexte mondial en mutation, il est plus qu'urgent d'agir en ce sens.
L'effondrement des contraintes imposées par la guerre froide et l'émergence de la mondialisation ont eu des côtés
positifs. Mais la nouvelle réalité du monde comporte une zone grise créant de nouvelles tensions dans les
domaines politique, économique et social.
Certains individus et groupes ont réagi en se rabattant sur des valeurs traditionnelles, parfois extrémistes, afin
d'affirmer leur identité. Il est arrivé que des dirigeants se servent de tels sentiments de crainte en encourageant ou
en sanctionnant la haine pour faire aboutir leurs propres ambitions. Ou qu'un environnement mondial devenu plus
transparent serve à mettre en lumière ou à accentuer des préjudices et une oppression subis depuis longtemps.
Dans ces circonstances, la liberté de religion est particulièrement vulnérable. Les abus en matière de croyances
religieuses prennent des formes des plus variées, allant des actes de violence isolés à des préjudices devenus
monnaie courante, sanctionnés par l'État, en passant par une persécution quasi-officielle.
Il en résulte, de par le monde, une situation où les tensions, la persécution et l'oppression religieuses constituent un
sujet de préoccupation permanent; une situation qui pourrait même se détériorer, ainsi que nous l'avons vu sous
différentes formes y compris dans les cas de l'Afghanistan, du Bélarus, de la Chine, de Cuba, de l'Inde, de
l'Indonésie, du Pakistan, de la Russie et du Vietnam. Les cas spécifiques que nous examinerons aujourd'hui --
Soudan, Iran et Tibet -- n'en sont pas moins inquiétants, chacun pour des raisons qui lui sont propres.
Cependant, nous ne pouvons rester passifs face aux défis posés à la liberté de religion, où que ce soit dans le
monde. Il faut y répondre, et les Canadiens doivent faire leur part à cet égard tant pour projeter leurs valeurs que
pour faire progresser leurs intérêts.
Les efforts que nous déployons pour promouvoir la tolérance religieuse à l'étranger sont le reflet de notre
expérience nationale. La même capacité faisant appel à la tolérance, à l'accommodement, à la négociation et à la
bonne volonté qui nous a servis à bâtir un pays uni, multiculturel et interconfessionnel peut et doit être appliquée à
l'échelle internationale. Mais en cherchant à projeter ces valeurs ailleurs, nous devons demeurer vigilants quant à
l'impact de l'extrémisme religieux en notre propre sein et nous employer à oeuvrer pour une meilleure
compréhension interconfessionnelle dans notre pays.
Faire avancer la liberté de religion sert également nos intérêts nationaux. L'intolérance religieuse peut, comme on
l'a déjà vu, mener à l'incertitude et au conflit violent. Aussi, elle peut se répercuter sur notre prospérité, qui dépend
de la stabilité dans le monde et dans la région. Elle peut nous imposer des coûts directs qui se mesurent à l'ordre
de magnitude des fonds consentis par le Canada à titre d'aide humanitaire et autre aux victimes des conflits
menés sur fond de persécution religieuse, ou lorsque la persécution religieuse est utilisée comme instrument de
guerre, par exemple au Soudan, où le conflit coûte au Canada 1 million de dollars par mois. Elle peut accroître les
menaces à notre propre sécurité si elle s'accompagne de terrorisme ou si elle vient déferler sur les côtes
canadiennes.
Par conséquent, le Canada se doit d'être engagé et il l'est, tant sur des tribunes multilatérales que bilatérales.
Aux Nations Unies, nous appuyons fermement les activités du rapporteur spécial de l'ONU sur la question de
l'intolérance religieuse. Le Canada a été l'un des principaux partisans de la Déclaration de l'ONU sur l'élimination
de toutes les formes d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la croyance. Nous n'avons
ménagé aucun effort pour promouvoir la mise en oeuvre de ses objectifs. Le Canada a coparrainé activement des
projets de résolution s'opposant à l'intolérance religieuse, tant à l'Assemblée générale qu'à la Commission des
droits de l'homme de l'ONU.
Nous avons également oeuvré à l'échelle bilatérale, et de concert avec la société civile, pour utiliser le dialogue
interconfessionnel comme outil de réconciliation. Dans le cadre du suivi de la Déclaration interconfessionnelle
d'Oslo, le Canada et la Norvège examinent la possibilité d'entreprendre une initiative avec la collaboration du
Conseil canadien des Églises et de l'organisme analogue de Norvège. L'objectif visé consiste à mettre sur pied
une vaste coalition faisant appel à la société civile, afin de faire progresser la liberté de religion.
La liberté de religion fait également partie du programme de nos dialogues bilatéraux sur les droits de la personne
avec la Chine et Cuba. À ce chapitre, nous mettons tout en oeuvre afin de favoriser le dialogue entre les groupes
des sociétés civiles chinoise et canadienne. À Cuba, les progrès en ce sens réalisés récemment par l'Église
catholique sont en grande partie dus à l'intervention du Canada et d'autres pays. Par ailleurs, mus par le souci
d'élargir nos relations avec l'Iran, des parlementaires canadiens ont soulevé la question de la liberté de religion
lors d'une visite effectuée dans ce pays le mois dernier.
De nombreux aspects de notre approche doivent être parachevés. Alors que nous sommes résolument tournés
vers l'avenir, et que nous cherchons à donner de la substance à nos idées et à nos activités, nous concentrons nos
efforts dans les domaines suivants :
1. Renforcer les mécanismes existants. Jusqu'à un certain point, nous disposons déjà d'un bon nombre
d'instruments dont nous avons besoin pour aller de l'avant. Il nous faut maintenant les rendre plus efficaces.
À l'échelle multilatérale, le Canada poursuivra ses efforts aux Nations Unies tout en élargissant, s'il y a lieu, leur
portée au sein d'autres organisations dont nous sommes membres. L'OSCE [Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe] est une entité prometteuse à cet égard. Nous appuierons d'autres efforts de réflexion et
mènerons des actions concrètes afin d'amorcer un dialogue interconfessionnel dans la région de l'OSCE. À cet
égard, le Comité consultatif d'experts sur la liberté de religion de l'OSCE a un rôle important à jouer. Le 22 mars
prochain, à Vienne, le Canada participera à un séminaire de l'OSCE sur la question, où l'on examinera les
prochaines étapes à franchir.
Nous poursuivrons également nos efforts bilatéraux. Je remarque avec satisfaction que la Chine a manifesté
l'intérêt d'accueillir une délégation canadienne en vue d'amorcer un dialogue sur des questions de liberté de
religion. Les églises membres du Conseil canadien des Églises, conjointement avec leurs partenaires chinois,
sont en train de discuter de diverses options en vue de poursuivre un tel dialogue.
2. Utiliser les technologies de l'information. De la Bosnie à la Birmanie, l'autoroute de l'information rend
possible la progression des objectifs en matière de droits de la personne.
L'automne dernier, le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international [MAECI] a organisé un
forum des ONG [organisations non gouvernementales] portant sur Internet et les droits de la personne. Nous nous
penchons maintenant sur les façons de mieux développer et utiliser les technologies de l'information, le
réseautage, la diffusion d'informations ainsi que la collecte de données comme outils de promotion de la liberté de
religion. Je suis heureux de vous annoncer aujourd'hui que le MAECI est disposé à allouer des fonds à cet effet.
Vos idées sont les bienvenues sur les moyens de travailler ensemble à ce projet.
3. Faire participer et mobiliser les Canadiens. La participation des Canadiens de même que de la société
civile canadienne est primordiale afin de promouvoir la tolérance religieuse dans le monde.
Les conseils et les opinions de personnes et de groupes tels que vous joueront un rôle majeur pour ce qui est de
définir les priorités du gouvernement. Il y a deux semaines, bon nombre d'entre vous avez participé à une table
ronde organisée par le MAECI sur la liberté de religion et l'intolérance face à celle-ci. Aujourd'hui, vous vous
réunissez pour vous y pencher de nouveau, cette fois-ci sous les auspices du Centre canadien pour le
développement de la politique étrangère. Les recommandations formulées il y a deux semaines et les discussions
d'aujourd'hui nous aideront à aller de l'avant.
Enfin, les croyances religieuses sont une affaire hautement personnelle. Par conséquent, s'il est vrai que les
gouvernements ont un rôle important à jouer afin de promouvoir la liberté de religion à l'étranger, il reste que les
personnes, les ONG et les groupes religieux doivent également faire leur part. En mobilisant les intérêts au sein
même de nos paroisses, de nos temples et de nos mosquées, je suis convaincu que nous pouvons contribuer à
transporter la cause de la liberté de religion au-delà de nos frontières. J'aimerais entendre vos commentaires sur
la façon de collaborer ensemble à la poursuite de cet objectif.
La promotion de la liberté de religion fait partie intégrante du respect des droits de la personne dans leur totalité,
qui constituent en retour le fondement même de la sécurité humaine. Par conséquent, en poursuivant notre
programme en matière de sécurité humaine, nous devons nous engager à combattre l'intolérance religieuse. Je
viens d'énumérer quelques-uns des moyens que nous avons pris pour y parvenir, et des orientations que nous
avons l'intention d'adopter. Je suis impatient d'entendre les conclusions de vos discussions.
Merci.