M. MARCHI DEVANT LE COMITÉ SÉNATORIAL DES TRANSPORTS ET DES COMMUNICATIONS AU SUJET DU PROJET DE LOI C-55 - OTTAWA (ONTARIO)
99/37 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE SERGIO MARCHI,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
DEVANT LE COMITÉ SÉNATORIAL DES TRANSPORTS
ET DES COMMUNICATIONS
AU SUJET DU PROJET DE LOI C-55
OTTAWA (Ontario)
Le 25 mai 1999
(15 h 30 HAE)
Je tiens d'abord à dire combien j'apprécie l'occasion qui m'est offerte de comparaître devant vous
aujourd'hui pour discuter de l'aspect du projet de loi C-55 qui porte sur le commerce international. J'ai
suivi avec intérêt vos délibérations sur le projet de loi C-55. J'ai aussi lu attentivement les observations
faites à ce comité par ma collègue, la ministre du Patrimoine canadien.
Je voudrais dire pour commencer que je partage son point de vue et que j'estime qu'il n'est pas
incompatible de mener une politique commerciale ouverte et énergique et de défendre aussi
vigoureusement sa propre culture.
Je veux donc qu'il n'y ait aucun doute à ce sujet : le gouvernement appuie le projet de loi C-55 et est
bien décidé à ce qu'il soit adopté.
Je voudrais passer en revue rapidement ce qui nous a amenés là où nous en sommes maintenant.
Les honorables sénateurs sauront qu'en 1997, l'Organisation mondiale du commerce [OMC] a trouvé
que certaines de nos politiques portant sur notre industrie de l'édition étaient incompatibles avec les
obligations que nous avions contractées aux termes des règles du commerce international. Nous avons
répondu à cette décision en retirant les quatre mesures particulières qui avaient été considérées comme
incompatibles. Les États-Unis ont reconnu que notre réponse observait la décision de l'OMC.
En octobre dernier, la ministre du Patrimoine canadien a proposé le projet de loi C-55 qui, comme vous
le savez, garantit que seuls les éditeurs de périodiques canadiens pourront vendre à des annonceurs
du Canada des services publicitaires destinés principalement à notre marché. Nous estimons que le
projet de loi C-55 respecte les conditions de l'OMC puisqu'il est une mesure qui vise à limiter l'accès à
certains services et non à des produits. En vertu du système de l'OMC, nous ne sommes pas tenus
d'accorder le traitement national pour des services publicitaires.
Les États-Unis ne sont cependant pas de notre avis et estiment que le nouveau projet de loi C-55
n'observe pas nos obligations internationales. Nous avons donc entamé une série de discussions en
vue de régler nos divergences de vue.
Depuis janvier, une série de réunions ont eu lieu entre les représentants canadiens et américains et je
me suis tenu constamment en rapport avec la représentante au Commerce des États-Unis,
Mme Barshefsky.
Alors que je ne peux pas entrer dans les détails de ces discussions cet après-midi, comme vous le
comprendrez aisément, je me contenterai de dire que nous avons réalisé de nets progrès et que je
m'attends à ce que nous arrivions à un accord très prochainement. Je devrais aussi ajouter, Madame la
Présidente, que les deux parties ont abordé la question de bonne foi, car aucune des deux parties ne
souhaite une guerre commerciale. Après tout, nous sommes l'un pour l'autre nos meilleurs clients. Plus
de 1,5 milliard de dollars traversent la frontière tous les jours dans le cadre de nos échanges
commerciaux. Il s'agit du plus grand et du meilleur partenariat commercial du monde. C'est pourquoi
nous avons recouru au dialogue pour essayer de régler ces questions, car c'est la manière de procéder
pour des voisins, des amis et des partenaires commerciaux.
Nous devrions aussi nous souvenir que dans le passé le Canada et les États-Unis ont réglé de
nombreux différends dans leurs relations commerciales grâce au dialogue; en fait, cela a été la règle et
non l'exception.
Tout récemment, par exemple, nous avons pu réglé nos divergences de vue au sujet de mesures prises
par certains États du Midwest dans le secteur de l'agriculture.
Nous avons donc considéré nos discussions actuelles avec les États-Unis comme une occasion de
faire progresser nos objectifs culturels, tout en évitant une confrontation.
Je pourrais ajouter, Madame la Présidente, que ce désir de recourir à la discussion pour régler les
différends n'est pas seulement une question de préférence, entre amis, mais aussi une approche
judicieuse, entre partenaires. En effet, une guerre commerciale aurait des conséquences immédiates et
désastreuses et il faudrait beaucoup de temps pour arriver à un règlement.
Si les États-Unis prenaient effectivement des mesures commerciales contre les industries qui seraient
visées (acier, habillement, plastique et bois d'oeuvre), ces mesures auraient un effet paralysant sur les
nouveaux contrats d'exportation et les investissements dans ces secteurs clés.
Alors que nous aurions le droit de contester les mesures américaines en vertu de la procédure de
règlement des différends de l'Accord de libre-échange nord-américain, pendant tout le temps que
prendrait un groupe spécial pour se prononcer, les exportations canadiennes seraient compromises,
tous les projets d'expansion seraient mis en attente et des emplois canadiens pourraient être menacés.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement du Canada a préféré une solution négociée, pas une solution
à tout prix ou qui avantage un secteur au détriment d'un autre, mais qui soit une entente équilibrée et
satisfaisante pour les deux parties.
Je reste persuadé que nous pourrons trouver un moyen d'y parvenir très prochainement.
Toutefois, si un accord ne peut pas être conclu, le Canada a toujours eu pour position que la question
soit portée devant l'OMC pour que cette organisation effectue un examen indépendant. Après tout, c'est
l'une des raisons pour lesquelles nous avons des institutions multilatérales comme l'OMC.
En tant qu'institution, ses règles doivent être respectées et son mécanisme de règlement des différends
doit être l'ultime organe d'appel pour deux parties ayant des positions divergentes.
En outre, d'une manière générale, ce différend a souligné la nécessité d'avoir des règles claires sur la
culture et le commerce, au niveau multilatéral. Je soutiens depuis un certain temps maintenant que
l'OMC a besoin de remédier à cette lacune, ce qui, à mon avis, prend de plus en plus d'importance pour
un nombre croissant d'États membres.
Alors que nous nous apprêtons à entamer une nouvelle série de négociations à l'OMC, nous devrions
étudier plus sérieusement comment nous pourrions établir un cadre plus certain et plus sûr pour
promouvoir et protéger les industries culturelles au sein du système commercial mondial.
Pour en revenir au différend actuel, je voudrais qu'il soit bien clair que nous ne conclurons pas une
entente avec les États-Unis à n'importe quel prix. Il y a des limites que le gouvernement ne veut pas
franchir, des concessions que nous ne sommes pas prêts à faire, des principes auxquels nous ne
sommes pas disposés à renoncer.
La culture est un élément trop important, trop fondamental de ce qui fait l'individualité de notre pays.
Madame la Présidente, il est évident qu'il n'est pas nécessaire de sacrifier la culture aux considérations
commerciales. Les deux peuvent coexister de façon constructive.
Je sais que certains soutiendraient que l'affirmation de l'intégrité culturelle est incompatible avec notre
ferme position en faveur de politiques de commerce ouvert, que soutenir le libre-échange c'est
permettre d'accéder librement à notre marché.
Même si je comprends ces points de vue, je ne les partage pas. Pendant le temps qui me reste avec vous
cet après-midi, je voudrais expliquer pourquoi, à mon avis, il n'est pas effectivement incompatible de
libéraliser le commerce et de défendre notre culture.
Tout d'abord, l'argument selon lequel le libre-échange signifie qu'il n'y a aucune limitation est
manifestement erroné. Tous les accords commerciaux contiennent des exceptions. Tous les pays ont
des intérêts particuliers qu'ils cherchent à défendre.
Aussi, même si la théorie économique suggère le principe du « tout ou rien », le monde dans lequel nous
vivons fonctionne quelque peu différemment.
Le principe du « tout ou rien » a pour corollaire que la mondialisation entraîne l'uniformisation, que nous
devons abandonner nos différences si nous voulons faire du commerce à l'échelle internationale, ou,
parce que nous faisons ce commerce, nous finissons par nous ressembler.
Or, Madame la Présidente, je ne conçois pas la mondialisation comme un processus où tout le monde
porterait des chaussures Nike, boirait du Pepsi et ferait ses courses chez Gap.
La libéralisation du commerce n'est pas synonyme d'uniformisation. Au contraire, cela signifie que les
pays peuvent promouvoir leur originalité. Cela signifie que nous mettons en évidence nos différences et
que nous laissons le marché décider en toute objectivité.
Cela signifie qu'un pays ne renonce pas à sa souveraineté dans le domaine qui est le plus fondamental
pour lui, sa culture, simplement parce qu'il a conclu un accord de libre-échange.
J'ai répété à maintes reprises, dans bien des régions du monde, qu'un pays ne devrait pas être obligé de
vendre son âme pour pouvoir vendre ses marchandises.
Ce sont donc les principes qui ont guidé notre conduite au sujet de la question des magazines à tirage
dédoublé et les Canadiens peuvent s'attendre à ce que nous honorions ces principes dans les ententes
qui seront finalement conclues, quelles qu'elles soient.
Pour conclure, Madame la Présidente, je voudrais dire qu'en tant que ministre du Commerce, je connais
parfaitement et j'appuie les avantages que le libre-échange apporte à notre pays. Les Canadiens
reconnaissent que le succès de notre économie en tant que nation est lié inextricablement à notre
capacité de nous aventurer au-delà de nos frontières, en quête de débouchés économiques.
Dans le contexte des discussions sur le projet de loi C-55, nous devrions aussi nous rappeler que c'est
un poète américain, Robert Frost, qui a écrit que « ce sont les bonnes clôtures qui font les bons voisins
». Il ne s'agit pas de murs pour empêcher nos voisins d'entrer, mais de barrières pour préserver ce qui
est à l'intérieur.
Merci.