M. PETTIGREW - ALLOCUTION DEVANT LA CONFÉRENCE ANNUELLE DU CONSEIL DES AMÉRIQUES : « VERS LA ZLEA : LES PERSPECTIVES DE PROGRÈS APRÈS QUÉBEC » - WASHINGTON, D.C.
Également disponible en espagnol à l'adresse suivante :
http://www.dfait-maeci.gc.ca/tna-nac/docs/alca.htm
2001/22 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
DEVANT LA CONFÉRENCE ANNUELLE
DU CONSEIL DES AMÉRIQUES
« VERS LA ZLEA :
LES PERSPECTIVES DE PROGRÈS APRÈS QUÉBEC »
WASHINGTON, D.C.
Le 8 mai 2001
(8 h 45 HAE)
C'est pour moi un grand plaisir de me joindre à vous aujourd'hui, à l'occasion de cette conférence prestigieuse.
C'est également un honneur d'être inclus dans ce groupe avec mes homologues Señor Luis Ernesto Derbez,
secrétaire de l'économie du Mexique, et Señor Adalberto Rodriguez Giavarini, ministre des Affaires étrangères
et du Commerce international de l'Argentine, deux hommes qui ont tant fait pour rapprocher les nations de
notre hémisphère.
Je dois vous avouer que c'est pour moi étrange de parler de « l'après Québec » dans le contexte de la ZLEA
[Zone de libre-échange des Amériques] et du programme de l'hémisphère. Pendant longtemps, pour tous ceux
d'entre nous au Canada qui ont un intérêt professionnel pour ces enjeux, la ville de Québec a évoqué l'avenir,
fait de possibilités et d'inconnus.
Durant les mois qui précédèrent cette réunion importante, nous nous sommes tous posé la même question : le
troisième Sommet des Amériques sera-t-il le point de départ d'une nouvelle entreprise, ou un nouveau faux
départ sur la route de la libéralisation des échanges et du renforcement de la coopération dans l'hémisphère?
Nous nous demandions si la discorde l'emporterait sur le discours, si la protestation aurait raison du processus
ou si, en fin de compte, le dialogue triompherait de la diatribe.
Il y a trois semaines, personne n'aurait pu imaginer à quel point le succès serait au rendez-vous.
Rétrospectivement, une situation très différente se dessine. L'incertitude a fait place à l'assurance. Les craintes
se sont effacées devant la confiance. Nous pouvons dire aujourd'hui que le Sommet de Québec fut un succès
retentissant.
Premier signe de réussite reçu à Buenos Aires
Le premier signe montrant que les choses allaient dans la bonne direction date d'un peu plus d'un mois, lors de
la sixième réunion des ministres du Commerce de l'hémisphère, à Buenos Aires. Je veux remercier et féliciter
encore une fois notre hôte et le président de cette importante réunion ministérielle, M. Rodriguez Giavarini, du
succès de cette rencontre. C'est là où mes homologues et moi-même avons créé la surprise en annonçant
notre intention de publier le projet d'accord sur la ZLEA.
Je me suis rendu à Buenos Aires fort de la conviction inébranlable que mes collègues ministres du Commerce
conviendraient avec moi de l'importance de publier les textes. Rares étaient mes conseillers à partager mon
optimisme. Je ne leur en veux pas : je sais bien que de nombreux experts indépendants manifestaient le même
scepticisme.
Mais, j'étais habité par la certitude que mes collègues ministres du Commerce comprendraient, tout comme
moi, que nous vivions dans un monde très différent de celui qui existait avant la réunion de l'OMC
[Organisation mondiale du commerce] à Seattle. Nous vivons dans le monde d'Internet, où il suffit d'un clic sur
la souris pour accéder à une multitude d'informations. Nous vivons dans un monde où le scepticisme est de
rigueur : si quelque chose ne peut pas être touché, non seulement il est dépourvu de valeur, mais il devient
même suspect.
En publiant les documents des négociations, nous les démystifions. En permettant aux gens de consulter ces
textes, nous coupons court à l'un des principaux arguments des opposants à la mondialisation : l'accusation
selon laquelle les accords sur le commerce sont ourdis dans le secret, conclus en catimini et qu'ils servent
exclusivement les intérêts des grandes multinationales.
À Buenos Aires, nous avons aussi pris la décision de renforcer notre comité de la société civile et
d'institutionnaliser notre dialogue avec les groupes d'intérêt spéciaux de tout l'hémisphère.
Québec -- un autre pas dans le processus d'engagement
À Québec, nous avons franchi un pas supplémentaire dans le processus d'engagement, lorsque plusieurs
ministres du Cabinet canadiens et moi-même avons proposé de rencontrer les opposants de la ZLEA et de
discuter de leurs griefs. Ils ont rejeté cette offre, décision qui, à mon sens, leur a fait perdre le soutien des
citoyens objectifs, sensibles à l'esprit dans lequel cette proposition était formulée.
Bien évidemment, le Sommet a reflété ce nouvel esprit d'ouverture et cette prise en compte accrue des besoins
sociaux de nos citoyens. Les 34 dirigeants démocratiquement élus des Amériques sont apparus unis dans leur
engagement en faveur de la démocratie, du libre-échange, de la prospérité partagée, de l'épanouissement du
potentiel humain et de l'intégration sociale.
Les dirigeants ont adopté un ambitieux plan d'action en 18 volets, couvrant les droits de la personne, la
primauté du droit, la société civile, la stabilité financière, le développement durable et l'égalité des sexes, pour
ne citer que cela. Ils ont également approuvé des crédits considérables affectés à ces objectifs. Ainsi, au cours
des trois prochaines années, plus de 56 milliards de dollars américains seront libérés par le biais de la Banque
interaméricaine de développement et la Banque mondiale, afin de renforcer les institutions démocratiques,
l'infrastructure économique, l'éducation, les soins de santé et la connectivité.
Je pense que cet effort mérite d'être salué. Les sommes sont suffisamment importantes pour donner des
résultats. C'est un exemple très concret qui illustre que le Sommet de Québec n'était pas seulement consacré
au commerce.
Par ailleurs, les nations des Amériques ont pris une mesure historique pour le renforcement de la démocratie
sur le continent en acceptant de se soumettre à une clause démocratique, qui fait de l'engagement en faveur
d'un gouvernement démocratique une condition préalable à la participation au processus du Sommet des
Amériques.
Plus largement, les dirigeants ont également réaffirmé leur attachement commun au renforcement de la
prospérité pour tous les peuples des Amériques, notamment en confirmant leur volonté de créer une ZLEA
avant 2005, et ont pris des engagements importants en faveur de l'épanouissement du potentiel humain et du
développement de la connectivité.
Il apparaît donc clairement que le spectre des progrès accomplis à Québec est large, en matière de
libéralisation du commerce, bien entendu, mais aussi dans plusieurs domaines qui sont complémentaires au
libre-échange. C'est pourquoi je pense qu'on peut objectivement dire que Québec marque le début d'une
nouvelle ère. Je pense aussi que le changement auquel nous avons assisté pourrait avoir des conséquences
qui iront bien au-delà de notre hémisphère.
Les perspectives de création d'une ZLEA sont favorables
Après la réunion ministérielle de Buenos Aires et le Sommet, les perspectives de création de la ZLEA sont
bonnes. Le facteur le plus décisif pour notre réussite finale, cependant, est la preuve tangible de l'engagement
de l'Administration américaine en faveur de l'intégration de l'hémisphère et de sa volonté d'obtenir l'autorité de
promotion du commerce le plus tôt possible.
Les conditions pour que la ZLEA voit le jour n'ont donc jamais été aussi favorables. Quelle en est la raison?
Selon moi, c'est parce que les partisans de la libéralisation du commerce ont regagné l'avantage perdu à
Seattle. Nous y sommes parvenus parce que nous avons tiré des enseignements importants de l'échec de la
réunion de l'OMC.
Les partisans de la libéralisation des échanges ont serré les rangs et ont démontré, sans se contenter de
simples affirmations, les avantages de cette libéralisation pour tous nos citoyens. Parallèlement, nous avons
appris à écouter les opposants et leurs préoccupations. Et nous avons compris que les défis qui ont
embarrassé nos négociateurs -- comment tirer profit de la libéralisation sans perdre le contrôle des politiques
socio-économiques fondamentales -- les préoccupent eux aussi.
Ce qui nous distingue de nos détracteurs, c'est que nous considérons les gouvernements comme partie
intégrante de la solution aux défis de la modernisation et du progrès technologique, y compris la
mondialisation; de nombreux opposants ont un point de vue différent. Une autre chose qui nous sépare de la
plupart des critiques en matière de commerce et des opposants est que notre façon de penser a évolué tandis
que la leur est stagnante. Les ministres du Commerce ont beaucoup appris et font maintenant des affaires de
manière très différente.
Une transparence accrue est un élément clé, mais ce n'est pas le seul. Le dialogue n'est plus le même, et le
degré de compréhension et de sensibilisation aux préoccupations du public concernant les enjeux, qui sont
souvent associés au commerce international, est très évident. Nous avons étendu le programme pour faire
place à plus d'enjeux. Nous avons aussi convenu qu'il y a de la place pour entendre plusieurs voix au débat sur
la ZLEA, ce qui nous a mené à entamer un dialogue avec les représentants des groupes d'intérêt de nos
sociétés. Selon moi, nous avons grandement profité de leur point de vue dans différents enjeux.
Nous avons donc fait preuve d'ouverture d'esprit -- j'espère seulement que nos détracteurs en feront autant
pour revoir leurs approches.
Cette ouverture au changement et d'autres facteurs nous ont aidé à réaliser d'énormes progrès depuis Seattle.
Nous nous sommes adaptés à la nouvelle réalité, et sommes à nouveau prêts à aller de l'avant.
Y a-t-il meilleur exemple du nouveau paradigme que les progrès réalisés sur le volet de la transparence?
Avant Seattle, seuls quelques membres de l'OMC prenaient cette question au sérieux; aujourd'hui, les 34 pays
de la ZLEA ont accepté de publier les textes des négociations.
Je pense que grâce à la contribution des groupes de citoyens intéressés, nous sommes en mesure d'élaborer
des accords commerciaux de meilleure qualité et d'une portée plus large. Cela ne signifie pas que la route
devant nous ne sera pas pavée d'embûches. Premièrement, l'Administration américaine doit obtenir
l'autorisation de promouvoir le commerce, à défaut de quoi la crédibilité du processus sera gravement remise
en cause.
Les préoccupations des petites économies doivent être entendues
Deuxièmement, nous devons veiller à ce que les préoccupations des petites économies soient prises en
compte de manière pertinente. L'une des pierres d'achoppement des discussions de la ZLEA fut la difficulté
d'intégrer ces préoccupations dans le processus de négociation.
Les difficultés dans lesquelles se débattent les petites économies incluent le besoin de renforcement de leurs
capacités, d'assistance technique et de reconnaissance de leurs problèmes spécifiques en tant que
participants au processus de la ZLEA.
Il nous incombe à tous de reconnaître que ces petites nations ne jouissent pas de tous les avantages que les
pays plus riches tiennent pour acquis. Nos atouts sont nombreux : économies diversifiées; populations
prospères, bien éduquées et en bonne santé; traditions ancrées de démocratie et de primauté du droit;
environnement préservé; infrastructures solides.
Elles aspirent à tous ces avantages, mais se heurtent à de nombreux obstacles environnementaux, historiques,
structurels ou sociaux.
Les économies plus grandes et plus diversifiées sont mieux à même de gérer les changements qui découlent
de la mondialisation. Lorsque la concurrence étrangère menace un secteur, la force d'autres secteurs a un
effet compensatoire. Nous pouvons nous permettre d'amortir les coups qui résultent parfois de la concurrence
internationale accrue. Nous pouvons aider nos citoyens à remonter la pente, à se recycler et à trouver de
nouveaux emplois.
Les petits pays n'ont pas la capacité de le faire. Ils hésitent donc, et on le comprend, à conclure un accord
susceptible d'ébranler leur économie fragile.
Ne laissons pas le changement les submerger. Veillons à ne pas les exclure. La libéralisation du commerce
doit bénéficier à tous les pays, notamment aux plus petits. C'est un autre enseignement de Seattle. Lors de
cette réunion, les petits pays ont fait entendre leur voix, en exigeant que les futures négociations commerciales
prennent en compte leurs préoccupations. Elles nous ont lancé un message clair : le processus des
négociations pour la libéralisation du commerce a changé. Dorénavant, les avantages tant pour les grandes
que les petites économies doivent être explicitement démontrés.
C'est pourquoi nous devons nous interroger sur les mesures que les pays membres de la ZLEA peuvent
prendre, individuellement ou collectivement, pour répondre aux attentes des petites économies.
À Buenos Aires, l'ambassadeur Robert Zoellick, le président de la Banque interaméricaine de développement,
M. Enrique Iglesias, et moi-même avons évoqué la nécessité de veiller à ce que les petites économies
reçoivent l'assistance qu'elles avaient demandée pour participer au processus de la ZLEA et tirer profit de
l'accord éventuel.
Lors de cette réunion, j'ai confirmé la volonté du Canada de poursuivre ses programmes d'assistance
technique pour aider les Caraïbes et l'Amérique centrale à renforcer leurs capacités commerciales, à améliorer
leur climat d'investissement et leur stabilité financière.
L'ambassadeur Zoellick a également annoncé que les États-Unis allaient fournir une assistance technique
bilatérale par le biais de l'USAID [Agence américaine pour le développement international]. Enfin, le président
Iglesias a fait savoir que la Banque aiderait les pays de la ZLEA à supporter les coûts d'ajustement et de
transition. Les pays de la CARICOM [Communauté des Caraïbes] et d'Amérique centrale ont répondu
favorablement à ces engagements et ont accepté de clarifier le calendrier des négociations de la ZLEA, avec
une conclusion d'ici janvier 2005 et une mise en œuvre pour décembre 2005.
Ce type d'assistance est certes indispensable, mais nous devons faire plus, beaucoup plus. Il est essentiel que
les petites économies aient la preuve qu'elles vont tirer profit de la libéralisation des échanges, non pas dans
un futur hypothétique, mais ici et maintenant.
Nous, les économies fortes, devons être prêtes à prendre des mesures concrètes.
Si nous soutenons tous la libéralisation des échanges et réalisons qu'elle est génératrice de bienfaits sociaux
et économiques -- et je pense que nous en convenons tous --, les économies plus riches ne devraient-elles
pas faire tout ce qui est en leur pouvoir pour aider les pays plus pauvres à être plus prospères, à améliorer leur
niveau de vie, à renforcer leur société et à préserver leur environnement?
La ZLEA réécrit les règles du jeu pour la conduite des négociations
L'orientation prise avec la ZLEA aura une incidence directe sur le prochain cycle de l'OMC à Doha, au Qatar.
Je pense qu'il est évident que la ZLEA réécrit les règles du jeu pour une conduite des
négociations transparente. J'espère transmettre ce message à Doha, aux côtés de mes collègues ministres du
Commerce des Amériques.
Nous pouvons vous dire, nous Canadiens, d'après notre expérience du libre-échange avec les États-Unis, que
rien ne prépare mieux vos économies à la poursuite de la libéralisation que la libéralisation passée; le cycle
d'Uruguay a eu beaucoup moins d'incidences sur le Canada que sur la plupart des autres participants, car
nous avions déjà l'ALENA et l'ancien accord entre le Canada et les États-Unis.
De plus, la ZLEA nous donne l'occasion d'élaborer des solutions pratiques aux problèmes auxquels se heurtent
les petites économies, des problèmes qui seront identiques au sein de l'OMC, qui demeure pour le Canada la
pierre angulaire de sa politique commerciale internationale, et dans la ZLEA.
La question qui se pose à nouveau est de savoir combien nous sommes prêts à donner en contrepartie. Je
pense que cette question mérite d'être posée, et qu'il serait bon d'engager un débat public sur ce thème.
J'ai récemment lu deux articles portant sur ce sujet. Le premier figurait dans le numéro de The Economist
publié juste après le Sommet de Québec. Une phrase a attiré mon attention; elle disait : « Le véritable obstacle
au libre-échange, c'est l'" opinion publique ", à la fois aux États-Unis et chez leurs partenaires commerciaux
dans les Amériques ».
Le deuxième article était publié dans le numéro de janvier/février de Foreign Affairs. Il était rédigé par David
Sanger, du New York Times. Il écrivait que l'un des défis que le président américain doit relever consiste à
convaincre le Congrès et l'opinion publique qu'« une OMC forte sera à terme plus profitable que nuisible aux
industries et aux travailleurs américains ».
C'est là le nœud du problème pour nous tous. Les 34 dirigeants des Amériques -- du plus grand, dont
l'économie est la plus développée, au plus petit, dont l'économie insulaire est la plus vulnérable, ainsi que de la
gauche et de la droite de l'éventail politique -- veulent être inclus. Au XIXe et au XXe siècles, le monde a été
témoin des affronts traditionnels entre les classes, les travailleurs contre les capitalistes. Aujourd'hui, toutefois,
le monde a changé -- les idéologies politiques ont évolué. Maintenant, même les dirigeants socialistes
reconnaissent les avantages potentiels du commerce et voient le commerce comme faisant partie de la
solution, et non du problème.
Nous savons tous que la ZLEA peut être génératrice d'une grande prospérité pour tous nos citoyens et toutes
nos industries. Elle peut contribuer à créer une nouvelle ère de prospérité pour les Amériques, finançant ainsi
nos programmes sociaux. Cela pourrait aussi améliorer la collaboration et la protection de l'environnement au
profit de l'hémisphère et, par conséquent, de tous les peuples. Mais nous devons d'abord aider nos citoyens à
vaincre les craintes qu'ils peuvent nourrir à l'encontre de l'accord commercial.
Je pense que Buenos Aires et Québec nous ont placé sur la bonne route pour y parvenir, par la prise en
compte sincère et attentive des besoins des peuples et par l'engagement en faveur de la prospérité. En aidant
les petites économies à relever les défis qu'elles rencontrent, j'ai la conviction que nous pourrons négocier un
accord commercial profitable à nous tous.
Je vous remercie.