2004/16 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DE LA 60e SESSION
DE LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME
GENÈVE, Suisse
Le 16 mars 2004
C'est pour moi un honneur de prendre la parole devant votre assemblée aujourd'hui, et
je vous transmets les meilleurs vœux du Canada dans l'exercice de vos importantes
fonctions. Pour les Canadiens, la Commission des droits de l'homme demeure la
grande instance intergouvernementale chargée de promouvoir le respect des droits de
la personne pour tous. Et pourtant, tous les ans, lorsque les représentants des
gouvernements se réunissent dans cette enceinte, nous prenons conscience qu'il y a
encore beaucoup à faire avant que la Commission ne réalise son plein potentiel.
Insuffler une vigueur nouvelle à la Commission des droits de l'homme, voilà qui était au
centre des objectifs du regretté Sergio de Mello.
Il appartient à tous ceux qui sont membres de la Commission ou qui leur succéderont
de veiller à ce que son œuvre se poursuive. Le Canada a contribué comme il se devait
à trouver des moyens de renforcer la Commission, entre autres, en présidant deux
séances spéciales du Réseau de la sécurité humaine, où plusieurs idées ont été
discutées. Dans ce contexte, je me réjouis de constater qu'un plus grand nombre de
coparrains de résolutions se sont réunis avant la session cette année. D'autres idées,
comme des engagements volontaires en faveur des droits de la personne de la part de
membres et de candidats, méritent également d'être étudiées plus à fond.
Mais, d'abord et avant tout, l'objectif que le Canada recherche est d'améliorer
l'efficacité de la Commission de façon à ce qu'elle soit une institution multilatérale
pleinement en mesure de réaliser son mandat. Je crois qu'il serait juste d'affirmer que
la crédibilité de la Commission a été ébranlée par une division Nord-Sud croissante,
ainsi que par une plus grande politisation d'un certain nombre de sujets, dont la
situation au Moyen-Orient. En consacrant trop de temps à un seul pays, la Commission
ne peut traiter adéquatement de la situation d'autres pays en raison des divisions de
plus en plus prononcées entre les groupes régionaux.
Je tiens à remercier le haut-commissaire suppléant, Bertrand Ramcharan, de sa
contribution soutenue à la cause des droits de la personne pendant l'année écoulée.
Qu'il me soit également permis de dire toute la fierté que les Canadiens ressentent à
l'idée que le prochain Haut Commissaire aux droits de l'homme soit
Mme la juge Louise Arbour.
Je ne vous apprendrai rien en disant que nous vivons à une époque où les informations
sont dominées par les conflits et la violence et par les mesures prises dans le monde
pour y répondre. Bien des questions dont nous sommes saisis à la Commission sont
celles qui se rapportent aux droits fondamentaux des personnes touchées par la
violence et ses séquelles.
Pendant les conflits violents, c'est la protection des civils qui prime. C'est pourquoi les
efforts diplomatiques qui visent à négocier des solutions et à garantir le respect des
droits de la personne, du droit humanitaire et du droit des réfugiés doivent aller de pair
avec les activités humanitaires et la lutte pour les droits sur le terrain, et être respectés
par toutes les parties.
Toutefois, il nous faut aborder dans une perspective plus large l'impératif de la
protection. Dans son rapport marquant, La responsabilité de protéger, la Commission
internationale de l'intervention et de la souveraineté des États a déclaré que les États
détenaient la responsabilité première de protéger leurs citoyens. Lorsqu'un État ne veut
pas ou ne peut pas s'acquitter de cette responsabilité, cependant, ou lorsque l'État est
lui-même l'auteur d'abus à grande échelle, il revient à la communauté internationale,
collectivement, d'assurer cette protection.
Même si ce principe n'est guère contesté, le temps est venu pour que tous les États ici
représentés s'engagent dans un débat ouvert sur les propositions précises qui sont
énoncées dans ce rapport, afin qu'elles soient appliquées de façon à mettre fin à des
situations où de graves souffrances sont infligées à des populations civiles par des
gouvernements qui ont pourtant le devoir de les protéger.
Après les actes de violence, en outre, il incombe à tous les États de poursuivre les plus
grands responsables des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre
l'humanité. La création de la Cour pénale internationale est une étape majeure dans les
efforts internationaux en vue de faire justice aux victimes et de décourager les atrocités,
et le monde entier devrait appuyer les efforts de la Cour.
Au-delà des efforts internationaux, il faut également renforcer, à l'intérieur des États, la
capacité de combattre l'impunité. Voilà pourquoi je vous invite à soutenir la proposition
du Canada voulant que la Commission charge un expert indépendant de développer
plus à fond les principes internationaux dans ce domaine et d'aider les États à
redoubler d'efforts en vue de poursuivre les auteurs de crimes internationaux.
Aujourd'hui, nous nous joignons à nos collègues espagnols pour pleurer la mort et les
blessures d'innocentes victimes de la violence terroriste dans leur pays. D'autres ont
subi des tragédies semblables. Le Canada a adopté de vigoureuses mesures
législatives nationales et appuie des mesures internationales vigoureuses pour rendre
le monde plus sûr en identifiant les terroristes, en entravant leurs opérations et en
punissant leurs actes.
Cette session de la Commission sera appelée à se pencher sur ces efforts à la lumière
de la loi et des obligations relatives aux droits de la personne. Que ce soit en élaborant
notre législation nationale ou en formulant des réponses internationales face au
terrorisme, le Canada a toujours été conscient de la nécessité d'atteindre deux objectifs
fondamentaux de la sécurité humaine : la protection contre des attaques, et la
sauvegarde des principes de base de la liberté et des droits humains qui sont au cœur
de ce que nous chérissons en tant que société.
En fait, nous croyons que si nous passons outre aux droits de la personne, nous ne
ferons que créer de nouvelles sources d'injustice, semant ainsi les germes de nouvelles
violences. Nous sommes donc d'avis que pour réussir à faire de ce monde un endroit
plus sûr, nous devons travailler ensemble pour s'assurer que les mesures contre-terroristes respectent les droits de la personne et les libertés fondamentales, et qu'elles
soient assujetties au droit international, incluant le droit humanitaire et le droit relatif aux
réfugiés.
De plus, à une époque où les citoyens de nos pays respectifs se déplacent de plus en
plus de par le monde, nous ne pouvons laisser les États utiliser la sécurité comme
prétexte pour violer les droits de leurs propres citoyens ou ceux de ressortissants
étrangers qui se trouvent chez eux. Au cours de l'année écoulée, des citoyens
canadiens ont été détenus dans des prisons à l'étranger sans être inculpés, ils ont été
torturés et certains ont été tués pendant leur détention. Le Canada va continuer de
scruter le bilan en matière de droits de la personne des États qui manquent à leurs
engagements internationaux sur ce plan, et nous insistons pour que tous ces États
soient tenus de rendre compte de leurs violations des droits.
Il faut également, pour faire face au flot croissant de ceux qui fuient la violence, les
persécutions et la misère économique, être animés par la détermination de protéger les
droits fondamentaux. Il est temps que la communauté internationale s'interroge sur les
diverses raisons qui motivent les migrations dans le monde et que cette Commission se
penche de façon constructive et collective sur la dimension des droits de la personne
de ce nouveau phénomène global.
Nous savons tous que notre objectif ultime doit être de prévenir la violence et les
perturbations au lieu d'y réagir après coup. Nous savons aussi qu'il est essentiel, si
nous voulons atteindre cet objectif, de protéger les droits de la personne. Nous ne
bâtirons un monde plus sûr et plus prospère qu'en nous attaquant aux conditions qui
favorisent la violence et l'instabilité.
Dans de trop nombreuses régions du monde, la discrimination sévit encore. Dans mon
propre pays, la vaste majorité de nos citoyens sont fiers de l'étonnante diversité
culturelle de leur société, mais ils sont aussi conscients que le racisme est un problème
grave et que nous devons prendre les mesures nécessaires pour l'éliminer.
Le récent passage au Canada du rapporteur spécial sur la discrimination raciale, la
xénophobie et l'intolérance a mis en lumière des problèmes avec lesquels nous
sommes aux prises. La lutte contre le racisme est au premier rang des priorités
canadiennes, tant chez nous qu'à l'étranger. Nous croyons également que les États
devraient s'inspirer, d'abord et avant tout, des nombreuses stratégies et démarches
esquissées dans le programme d'action de la Conférence mondiale contre le racisme.
Les droits fondamentaux des peuples autochtones méritent également de retenir notre
attention. En 1995, les États se sont engagés à achever le texte d'une déclaration de
l'ONU [Organisation des Nations Unies] sur les droits des peuples autochtones avant la
fin de la décennie. Il serait honteux de manquer à cette promesse, alors que sa
réalisation serait un événement historique. Nous devons nous présenter à Genève l'an
prochain avec un texte qui fera l'objet d'un consensus.
Nous accordons aussi une grande priorité aux droits des femmes, qui doivent être à
l'abri de la violence; la question est d'une importance vital, tant pour les hommes que
pour les femmes. Depuis la Déclaration de l'ONU sur l'élimination de la violence contre
les femmes, il y a 10 ans, trop peu de choses ont changé. Le Canada soutient toujours
le rôle de la rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes. Par-dessus tout,
nous encourageons tous les États à réaffirmer l'universalité des droits fondamentaux
des femmes et nous refusons qu'elles servent de pions sur l'échiquier de la polarisation
politique et culturelle.
Sur un autre front, la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité
sexuelle est prise en considération de plus en plus dans le système international des
droits de la personne. Le Canada s'emploiera également à réclamer des progrès dans
cette lutte face à un obstacle qui s'oppose depuis fort longtemps à la jouissance
vraiment universelle des droits de la personne, et nous engageons la Commission à
s'attaquer à cette importante question.
Il va sans dire que, dans la lutte en faveur des droits de la personne pour tous, il ne
suffit pas de combattre la violence et la discrimination. Il faut encore réunir les
conditions voulues pour que tous puissent pleinement jouir de leurs droits civils,
culturels, économiques, politiques et sociaux. Dans la Déclaration du millénaire, les
dirigeants mondiaux ont reconnu que la jouissance de tous ces droits est indissociable
des Objectifs de développement du millénaire que nous poursuivons.
Le Canada estime qu'il incombe avant tout aux gouvernements nationaux de
concrétiser pour leurs citoyens le droit au développement. Et, par nos efforts en
développement international, nous aidons d'autres États à s'acquitter de cette
responsabilité. Nous appuyons fermement l'initiative visant à alléger la dette des pays
pauvres lourdement endettés. Nous soutenons aussi le Nouveau Partenariat pour le
développement de l'Afrique, et nous avons ouvert nos marchés en supprimant les
contingentements et les droits de douane visant la quasi-totalité des importations des
pays les moins développés.
Nous savons tous que la réalisation des Objectifs de développement du millénaire et la
concrétisation des droits de l'homme sont menacées par des épidémies comme celle
du VIH/sida, de la tuberculose et de la malaria. Il est essentiel de faciliter l'accès aux
médicaments pour combattre ces maladies si nous voulons promouvoir le
développement économique et social et même la sécurité humaine. En novembre
dernier, le Canada est devenu le premier pays à présenter un projet de loi pour mettre
en œuvre l'accord de l'OMC [Organisation mondiale du commerce] permettant la
fabrication de médicaments à prix abordable pour traiter les malades atteints par le
VIH/sida et lutter contre d'autres épidémies. Nous invitons les autres pays à emboîter le
pas dans cette importante initiative.
La délégation canadienne travaillera avec vous, avec le bureau et avec les
gouvernements et les ONG [organisations non gouvernementales] pour réaliser de
vrais progrès pendant cette session. Nous espérons être de nouveau membre à part
entière de la Commission l'an prochain afin de continuer à nous pencher sur les
questions urgentes qui se présentent, et nous transmettons nos meilleurs vœux aux
membres de la Commission, cette année, alors qu'ils poursuivent un mandat
d'importance pour améliorer les conditions de vie de millions de gens vulnérables
partout dans le monde.
Je vous remercie.