M. EGGLETON - ALLOCUTION À LA 26E CONFÉRENCE DE WASHINGTON SUR LE COUNCIL OF THE AMERICAS - WASHINGTON , D.C.
96/18 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE ART EGGLETON,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
À LA 26e CONFÉRENCE DE WASHINGTON
SUR LE COUNCIL OF THE AMERICAS
WASHINGTON , D.C.
Le 6 mai 1996
Je suis très heureux de me trouver avec vous aujourd'hui à Washington. Le printemps semble s'être trompé de route et avoir bifurqué avant d'arriver à Ottawa, de sorte
que j'apprécie le climat plus doux de Washington.
Il m'est agréable aussi de me trouver dans la capitale du pays qui a tant fait pour établir le genre de système commercial libre et ouvert qui se répand de plus en
plus dans le monde d'aujourd'hui.
Je me réjouis par ailleurs de l'occasion qui m'est donnée de prendre la parole devant cet éminent auditoire, car vous avez joué un rôle de premier plan dans la
promotion du concept du libre-échange dans l'hémisphère occidental, concept auquel le Canada se rallie et dont il souhaite la réalisation.
Le Council of the Americas a joué un rôle vital en aidant les gens d'affaires à découvrir les débouchés qu'offrira la Zone de libre-échange des Amériques [ZLEA], en
aidant les gouvernements à adopter des perspectives plus larges et à se sensibiliser davantage aux multiples défis auxquels nous sommes confrontés.
La rencontre d'aujourd'hui aide à entretenir la dynamique qui nous conduira à la réalisation de notre but commun.
L'intérêt que le Canada porte à cette région n'est ni récent, ni fortuit. Notre position est déterminée par notre adhésion à l'Organisation des États américains [OEA]
et à l'Accord de libre-échange nord-américain [ALENA] et par nos relations étroites avec les Antilles du Commonwealth. C'est une position renforcée par notre adhésion
aux objectifs du Sommet de Miami et cimentée par les liens étroits que nous avons établis dans la région, aux niveaux les plus élevés, grâce à la visite du premier
ministre en Amérique latine et aux Antilles, l'an dernier.
L'investissement canadien dans les Amériques augmente de façon spectaculaire et nos exportations ont presque doublé en quatre ans seulement. Nos ventes à l'Amérique
latine sont maintenant supérieures à l'ensemble de nos exportations vers la France et l'Allemagne.
Nous savons cependant que nous ne faisons qu'effleurer la surface. Il existe un immense potentiel et nous avons la ferme intention de faire tout en notre pouvoir pour
l'exploiter car il crée des emplois et stimule la croissance.
Alors que nous nous efforçons de réaliser la ZLEA avec nos partenaires de cet hémisphère, un certain nombre de défis se présentent à nous. Je voudrais aujourd'hui en
évoquer quelques-uns.
Comme dans n'importe quelle entreprise, les premières étapes sont souvent les plus difficiles. L'expérience canadienne en ce qui concerne l'Accord de libre-échange
canado-américain [ALE] et ensuite l'ALENA en est la preuve. Avant de conclure un accord de libre-échange avec les États-Unis en 1988, nous avons mené un débat
approfondi. Après la signature de ces accords, de coûteuses adaptations ont dû se produire.
Mais depuis lors, les exportations canadiennes vers les États-Unis sont montées en flèche. Les entreprises du Canada sont devenues plus compétitives et des emplois ont
été créés des deux côtés de la frontière. Chacun de nous est le plus important partenaire commercial de l'autre. Nos échanges quotidiens s'élèvent à 1 milliard de
dollars.
Signalons aussi un autre résultat important : s'étant adapté à des relations commerciales plus ouvertes avec les États-Unis, le Canada est maintenant plus motivé, et
dispose de plus de liberté, pour négocier des accords de libre-échange avec d'autres partenaires.
Rien de plus logique, d'ailleurs. En passant à l'étape suivante et en ouvrant notre économie à d'autres partenaires commerciaux, nous n'aurons pas à faire face à des
coûts supplémentaires très élevés, mais nous serons mieux à même de maximiser les bienfaits engendrés par les ajustements déjà effectués.
Bref, les accords de libre-échange avec les États-Unis, et ensuite avec le Mexique, ne nous ont pas seulement permis d'intensifier nos échanges avec ces deux pays, il
nous ont également incités à pousser cette démarche de libéralisation au-delà du continent nord-américain pour nous ouvrir au commerce avec le monde entier.
Ces leçons valent la peine qu'on s'en souvienne aujourd'hui.
Il est toujours plus facile de choisir un but que de déterminer par quels moyens on y parviendra. Il est relativement facile de se fixer comme objectif la réalisation
du libre-échange à l'échelle des Amériques pour l'an 2005; il est bien plus ardu de décider à quelles obligations et à quels droits nous sommes prêts à nous engager
dans l'accord qui viendra clore les négociations.
Cela ne manque pas de soulever des questions plutôt difficiles. Les principaux pays concernés sont-ils toujours résolus à réaliser l'objectif du libre-échange d'ici
2005? Dans l'affirmative, quelle structure la ZLEA devrait-elle avoir? Que voulons-nous voir dans cet accord?
Je ne suis pas venu aujourd'hui apporter des réponses à toutes ces questions, mais je voudrais soulever certains problèmes auxquels nous devons nous attaquer, à mon
avis.
L'un d'eux est le rôle que les États-Unis doivent jouer dans l'orientation que prendront dans l'avenir, non seulement le processus de la ZLEA, mais aussi, de façon
plus générale, la libéralisation des échanges commerciaux.
Après avoir joué un rôle primordial dans le lancement de l'initiative de la ZLEA, il y a deux ans, les États-Unis risquent de perdre une grande partie de leur
influence parce qu'ils n'ont pas réussi à obtenir l'autorisation d'appliquer la procédure accélérée pour l'accession du Chili à l'ALENA.
À ce problème viennent s'ajouter les discours alarmants contre le libre-échange qu'on a pu entendre à divers moments de la campagne présidentielle aux États-Unis. Nous
ne saurions non plus être rassurés par des initiatives telles que le projet de loi Helms-Burton, qui, selon nous et selon la plupart des pays, viole le droit
international et cherche à isoler plutôt qu'à intégrer des parties de notre hémisphère. Face à de tels développements, on est en droit de se demander si les États-Unis
pourront jouer le rôle de leader qui leur incombera dans l'avenir.
C'est là un problème qui nous concerne tous. On ne saurait exagérer les dangers qu'entraînerait la dérive à cette étape critique du processus. En l'absence d'un
leadership résolu, nous risquerions de perdre une occasion unique d'établir un rapprochement avec les économies latino-américaines en voie de modernisation. Nous
risquerions que soit compromis, voire même renversé, le courant actuel en faveur de la libéralisation du commerce à l'échelle hémisphérique.
Pis encore, une telle évolution pourrait favoriser l'apparition de blocs commerciaux protectionnistes refermés sur eux-mêmes, ce qui non seulement affaiblirait la
cause du libre-échange dans les Amériques, mais pourrait aussi compromettre les relations entre les pays du Nord du continent et ceux du Sud.
À l'heure où nous nous lançons dans l'édification de la ZLEA, il importe que nous renouvelions notre engagement envers un système commercial fondé sur le respect des
règles établies.
Il convient que ce message soit transmis à la présente assemblée dans la ville où nous nous trouvons aujourd'hui, car les Américains ont toujours cru au principe du
commerce équitable. En effet, le commerce est depuis longtemps le pivot de la politique étrangère des États-Unis. L'élimination des obstacles économiques et
l'établissement de conditions commerciales égales entre les pays constituaient le troisième des « quatorze points » énoncés par le président Woodrow Wilson.
Cet engagement envers la libéralisation des échanges reposait sur la croyance indéfectible des Américains aux mérites d'un système de marché libre, suivant lequel le
gouvernement devait intervenir lorsqu'il le fallait et se tenir à l'écart lorsqu'il le devait.
Les Américains ont compris que la puissance n'était pas toujours synonyme du droit, qu'il était important d'établir des règles et que même là où règne l'anarchie la
plus effrénée il fallait un shérif.
Les États-Unis ont joué ce rôle de shérif pendant de nombreuses années. Ils ont été à la fois l'architecte et le protecteur du système commercial international,
système qui a bien servi les Américains aussi bien que d'autres nations.
Ce même engagement envers un système fondé sur le respect des règles a été repris dans leur politique à l'égard du commerce international. Aussi bien chez eux qu'à
l'étranger, les Américains étaient convaincus que les règles apportent la stabilité tout en réduisant l'incertitude, et que le chaos et le désordre ne servent à long
terme les intérêts de personne.
De manière plus fondamentale, les Américains savaient que les règles servent à empêcher que règne la loi de la jungle dans les échanges internationaux et qu'elles
atténuent le besoin de recourir à la force brute dans le règlement des différends.
Mais il est facile de croire au libre-échange lorsque l'on jouit d'un avantage comparatif.
Le défi qui se pose à nous aujourd'hui est d'honorer nos engagements alors que nous n'avons pas toutes les cartes en main ou que nous ne fixons pas toutes les règles.
Il serait ironique que les États-Unis, le Canada ou tout autre pays ayant contribué à établir un système commercial fondé sur le respect des règles et accepté de tous,
adopte aujourd'hui une ligne de conduite qui pourrait mener au démantèlement de la structure même que nous avons édifiée.
Nous ne devons pas devenir notre pire ennemi.
Si nous défendons sincèrement la primauté du droit, si nous estimons honnêtement que les bienfaits du libre-échange devraient être renforcés et élargis, si nous sommes
résolus à respecter un système encadré par des règles, non seulement quand cela nous convient mais surtout quand cela ne nous arrange pas, alors nous devons tracer la
voie et la tracer sans ambiguïté.
À l'heure où le monde s'oriente vers un système axé sur le respect des règles, ce n'est certainement pas le moment de reculer et de revenir aux vieilles habitudes. Ce
n'est pas le moment de relâcher notre vigilance ou de renoncer à notre engagement à respecter ces règles.
Accords de régulation des échanges, cibles ou numériques ou contingents, politiques commerciales axées sur les résultats -- ces termes et une myriade d'autres sont
devenus des euphémismes qui occultent le rejet de l'idéal du libre-échange.
Derrière ce langage codé se cache une volonté de pouvoir, un désir de confier à l'État, plutôt qu'aux forces du marché, le soin de déterminer l'orientation des
rapports commerciaux. Ce sont là un langage et des pratiques que nous devons éviter.
Dans son discours inaugural, le président Kennedy rappelait aux Américains que si les États-Unis ne pouvaient protéger la multitude des citoyens pauvres, ils ne
pouvaient sauver la minorité des riches. Aujourd'hui, dans le monde du commerce, si nous ne protégeons pas les nombreux pays faibles, nous ne pourrons sauver les
quelques pays qui sont puissants.
Il serait fallacieux de croire que les riches et les puissants le demeureront à tout jamais, ou que les pauvres et les faibles sont inéluctablement condamnés à leur
sort.
Qui, après la Deuxième Guerre mondiale, aurait pu prédire l'émergence de l'Union européenne, puissance économique autonome et sûre d'elle-même, qui affiche maintenant
un produit intérieur brut supérieur à celui des États-Unis? Qui eut cru que le Japon se relèverait de la défaite pour devenir la deuxième puissance économique au
monde?
Et maintenant, la Chine et l'Inde, deux géants qui sommeillaient depuis longtemps, commencent à s'éveiller.
La dure réalité est que le monde se transforme rapidement, fondamentalement et profondément. Aucune nation, quelle que soit sa force ou sa puissance actuelle, n'est
assurée de la préserver à tout jamais.
Il pourrait bien arriver que ceux-là mêmes qui contestent aujourd'hui les règles du commerce international se voient un jour forcés de les invoquer.
Il ne fait par ailleurs aucun doute que lorsque nos actions sont incompatibles avec une approche fondée sur le respect des règles commerciales, nous affaiblissons les
principes du libre-échange, y compris ceux auxquels nous avons souscrit dans le cadre de l'ALENA.
Le Canada doit aussi accepter sa part de responsabilité. L'accord intervenu avec les États-Unis au sujet du bois d'oeuvre était un moyen commode de régler le problème
à court terme, mais il ne faudrait pas que cette solution établisse un précédent.
Bref, lorsque nous consentons à conclure des accords de régulation des échanges, nous sapons les fondements mêmes du libre-échange, compromettant ainsi l'avenir d'une
structure que nous avons édifiée.
Soyons francs : le protectionnisme mène au protectionnisme, c'est-à-dire que si un grand marché se met à l'abri des assauts de la concurrence internationale, d'autres
ne manqueront pas de lui emboîter le pas.
Et il nous faut admettre tout aussi clairement que plus les gouvernements créent de sauvegardes, plus la crédibilité d'organismes comme l'Organisation mondiale du
commerce [OMC] est affaiblie.
Le postulat qui a présidé à la naissance des grandes institutions d'échanges justes et plus ouverts, tels le Fonds monétaire international et l'Accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce [GATT], voulait qu'un système libéralisé axé sur le respect des règles engendrerait la prospérité et la croissance tout en contribuant
à la paix et à la sécurité. Ce postulat est toujours aussi valide aujourd'hui qu'il y a 50 ans.
En terminant, permettez-moi de vous rappeler que le fonctionnement harmonieux d'arrangements comme la ZLEA, l'OMC ou l'ALENA est entièrement tributaire de la volonté
collective des adhérents. Ce ne sont pas tant des entités que des idéaux, qui ne peuvent donc survivre que dans la mesure où l'on continue à y croire, à les défendre
et à les nourrir.
Renoncer à ces idées maintenant serait une erreur. Ce serait une erreur pour des raisons pratiques, puisque ces idées nous ont bien servis et nous servent encore. Et
aussi pour des raisons stratégiques, car aucun pays n'est assez grand pour faire bande à part et même s'il l'était, il nuirait à ses propres intérêts en relâchant les
règles qui les protègent.
Le choix qui se présente à nous est donc clair : nous pouvons revenir aux approches ponctuelles axées sur des solutions hâtives, ou nous pouvons décider de poursuivre
nos efforts en vue d'atteindre le but commun.
Je pense que nous sommes assez forts et assez déterminés pour choisir la deuxième option.
Ce choix, néanmoins, va de pair avec un leadership fort.
En 1962, lorsqu'il a promulgué la loi sur l'expansion du commerce [Trade Expansion Act], le président Kennedy a rappelé aux Américains -- et au monde entier -- que
chaque peuple, à un moment donné de son existence, doit faire un choix décisif : ou bien se dérober au futur et rentrer dans sa coquille, ou bien affirmer sa volonté
et sa confiance en un lendemain incertain et emprunter la voie de l'avenir.
Aujourd'hui, nous sommes de nouveau confrontés à des lendemains incertains. Dans ces circonstances, il est compréhensible que nous cherchions parfois refuge dans le
havre le plus rapproché, que nous cherchions à conclure un marché et à signer une entente qui nous sauvera de la tempête dans l'avenir immédiat.
Mais ce n'est pas en nous cantonnant dans ce qui est sûr et familier que nous ferons des progrès. Aujourd'hui, plus que jamais, nous devons avoir le courage de nous
lancer vers des horizons incertains.
Je me refuse donc à croire que les États-Unis s'apprêtent maintenant à tourner le dos à une ligne de conduite qui leur a procuré tant d'avantages dans le passé et qui
renferme tant de promesses pour l'avenir.
J'aimerais, en terminant, énoncer clairement la position du Canada. Nous avons pris des engagements fermes envers le libre-échange : nous étions présents à la
naissance de l'OMC et nous sommes résolus à en faire un succès.
Le défi que nous devons maintenant relever est de créer la Zone de libre-échange des Amériques. Celle-ci constituera un événement historique pour notre hémisphère -- un
événement qui ira bien au-delà de la seule dimension économique.
Pour ma part, je souscris sans réserve à ce projet. Le Canada y souscrit sans réserve. Et je ne doute pas que les États-Unis reconnaîtront où se situent leurs intérêts
véritables et qu'ils affirmeront leur leadership comme ils l'ont si bien fait par le passé.
Empruntons donc la voie de l'avenir car, en unissant nos forces, il n'y a guère d'obstacle qui puisse nous résister. Si importants qu'aient été nos progrès passés,
nous savons que nos plus grandes réalisations sont encore du domaine du futur.
Merci.