MME STEWART - ALLOCUTION AU SYMPOSIUM SURLA LOI HELMS-BURTON ET LE COMMERCE INTERNATIONALPARRAINÉ PARLA FONDATION CANADIENNE POUR LES AMÉRIQUESET LE CENTRE POUR LA POLITIQUE INTERNATIONALE - OTTAWA (ONTARIO)
96/23 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE L'HONORABLE CHRISTINE STEWART,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (AMÉRIQUE LATINE ET AFRIQUE),
AU SYMPOSIUM SUR
LA LOI HELMS-BURTON ET LE COMMERCE INTERNATIONAL
PARRAINÉ PAR
LA FONDATION CANADIENNE POUR LES AMÉRIQUES
ET LE CENTRE POUR LA POLITIQUE INTERNATIONALE
OTTAWA (Ontario)
Le 16 mai 1996
C'est avec grand plaisir que je prends la parole au nom du ministre des Affaires étrangères et du ministre du Commerce international pour appuyer les arguments qu'ils
avancent depuis quelques mois au sujet de la loi Helms-Burton. Je me réjouis également que vous ayez pu vous libérer pour participer à ces assises, et que vous
représentiez des intérêts aussi divers, que ce soit dans le monde des affaires, le milieu universitaire ou le secteur non gouvernemental. Je félicite d'ailleurs notre
Fondation canadienne pour les Amériques et le Centre pour la politique internationale de Washington d'avoir organisé un symposium aussi opportun et aussi important.
Que le Canada s'oppose à la loi Helms-Burton, cela n'a rien d'étonnant. Tout d'abord, elle incarne une attitude envers Cuba qui diffère sensiblement de celle du
Canada. En second lieu, à notre avis, elle amplifie les problèmes des relations entre les États-Unis et Cuba, jetant en quelque sorte de l'huile sur le feu.
Troisièmement, nous croyons qu'il s'agit d'un instrument inapproprié, parce que cette loi ne vise pas seulement Cuba, mais menace des partenaires commerciaux et amis
et qu'elle a un effet perturbateur sur le commerce et l'investissement internationaux.
Le sujet de ce symposium concerne les détails de la loi Helms-Burton. Un grand nombre d'experts en débattront, ce soir et demain. Mais pour apprécier la position
canadienne face à cette législation, il faut d'abord comprendre notre politique à l'égard de Cuba, qui est une politique de dialogue, et en connaître l'historique.
Qu'il me soit permis de dire, d'entrée de jeu, que je suis fière de notre politique à l'égard de Cuba, qui recueille le ferme soutien de tous les partis politiques et
des Canadiens intéressés, et qui est très semblable à celle de la plupart des pays d'Amérique latine et d'Europe.
Globalement, je crois que nous partageons en grande partie les mêmes objectifs que les États-Unis. Nous visons une transition pacifique à Cuba, l'avènement d'un
gouvernement vraiment représentatif et respectueux des normes internationales en matière de droits de la personne, et nous espérons que Cuba se dotera d'une économie
libérale.
C'est sur les moyens d'atteindre ces objectifs que nous ne sommes pas d'accord. Nous avons choisi la voie de l'engagement et du dialogue, les États-Unis celle de
l'isolement.
Depuis des décennies, le Canada et Cuba discutent de buts et d'intérêts communs, apprenant à mieux se connaître. Nous coopérons à notre avantage mutuel en matière de
pêche internationale, de politique sociale, d'environnement, de science, de culture et de contrôle international des armements.
Mais nos relations avec Cuba sont plus que cela. Lorsque je me suis rendue à Cuba en juin 1994, le gouvernement canadien a lancé un important programme d'aide. Divers
groupes et organismes canadiens ont relevé le défi d'aider le peuple cubain à surmonter les difficultés économiques du pays.
Nous coopérons maintenant avec le gouvernement cubain pour déterminer quelles sont les institutions économiques que les Canadiens peuvent l'aider à moderniser, comme
le régime fiscal et la banque centrale. Comme vous le savez, nous nous y entendons pour percevoir les impôts! Et nous essayons de doter les Cubains des outils dont a
besoin une banque centrale moderne. Nous avons l'expertise, ils sont prêts à collaborer avec nous. Il en résultera des institutions qui aideront Cuba à se doter d'une
économie de marché.
Nous continuons d'autre part à appuyer fermement les entreprises canadiennes qui cherchent des débouchés sur le marché cubain. Nous avons augmenté le personnel
commercial de notre ambassade afin que les compagnies canadiennes obtiennent les meilleurs conseils possibles. Et nous participons activement aux expositions
commerciales cubaines, aidant à y promouvoir les produits et les services canadiens.
Parallèlement, nous discutons avec les autorités cubaines de questions sur lesquelles nous différons d'opinion. À propos de droits de la personne, nous les exhortons à
respecter les normes et obligations internationales, particulièrement en ce qui concerne les droits civils et politiques. Nous avons été parmi les premiers à exprimer
nos préoccupations au sujet de la sentence sévère prononcée au mois d'avril 1995 contre Francisco Chaviano, un militant des droits de l'homme. Nous avons réagi
vigoureusement au harcèlement dont a été victime en février et mars de cette année le Concilio Cubano, un nouveau groupement de militants en faveur des droits de la
personne. Et ces droits ont figuré en bonne place à l'ordre du jour de la visite qu'effectuait au Canada le ministre cubain des Affaires étrangères l'an dernier.
Le dialogue constant qu'entretient Cuba avec le Canada et d'autres pays contribue à susciter des réformes. Cuba poursuit la réorientation de sa politique économique.
Elle opère également des changements dans le domaine des droits de la personne. Par exemple, Cuba a ratifié la Convention des Nations unies contre la torture en mai et
reçu la visite du haut commissaire des Nations unies aux droits de l'homme ainsi que celle de plusieurs organismes internationaux de défense des droits de la personne.
Il y a progrès, certes, mais je ne prétends pas que nous ayons réglé tous nos désaccords. Le Canada a condamné sans équivoque l'attaque menée par l'armée de l'air
cubaine contre deux avions civils le 24 février, parce qu'il s'agissait d'un recours injustifié à la force létale contre un appareil civil.
Mais qu'il me soit permis de le répéter : la loi Helms-Burton n'est pas l'outil approprié pour remédier à ce problème. Elle équivaut à tourner le dos à la discussion
directe. Elle risque de cantonner Cuba dans un isolement encore plus grand, et éventuellement d'inciter les Cubains à des réactions qui ne profiteront à personne. Nous
observons déjà des signes d'un retour au nationalisme militant et au repli sur soi.
On rapporte par ailleurs que la loi Helms-Burton produit son effet, qu'elle refroidit de plus en plus le commerce avec Cuba. Les architectes de la loi s'en
féliciteront sans doute, mais est-ce vraiment une bonne chose? J'affirme que non.
Un autre motif sérieux de préoccupation au sujet de la loi
Helms-Burton, comme je le mentionnais tout à l'heure, c'est qu'elle frappe sans distinction. Plutôt que d'atteindre une seule cible, elle éclabousse de nombreux pays,
y compris le Canada. Elle a transformé un problème américano-cubain en une question de commerce et d'investissement beaucoup plus vaste, qui compromet ce que les
États-Unis et ses principaux partenaires commerciaux s'efforcent de réaliser depuis un certain nombre d'années : un environnement commercial plus libre. Permettez-moi
de citer mon collègue M. Art Eggleton, qui disait à Washington la semaine dernière :
Nous ne saurions non plus être rassurés par des initiatives telles que le projet de loi Helms-Burton, qui, selon nous et selon la plupart des pays, viole le droit
international et cherche à isoler plutôt qu'à intégrer des parties de notre hémisphère. Face à de tels développements, on est en droit de se demander si les États-Unis
pourront jouer le rôle de leader qui leur incombera dans l'avenir.
Essentiellement, le Congrès des États-Unis essaie d'imposer la politique étrangère américaine aux autres pays et à leurs entreprises. Il est inacceptable que le
Congrès tente de dicter de la sorte au Canada les pays avec lesquels il peut faire des affaires.
Ce n'est pas la première fois que le Canada fait face à ce genre de problème. Nous devons périodiquement prendre des mesures pour obvier aux tentatives inacceptables
des États-Unis d'imposer leurs lois à l'extérieur de leur territoire. En 1984, le Canada a adopté la Loi sur les mesures extraterritoriales étrangères, qui autorise la
prise de décrets bloquant l'effet des mesures extraterritoriales imposées au Canada par d'autres États.
Un arrêté a été adopté sous l'autorité de la Loi en 1992 dans le but de neutraliser l'effet de la U.S. Cuban Democracy Act, ou Torricelli Bill, en interdisant à toute
société canadienne de se conformer aux instructions l'empêchant de se livrer au commerce de marchandises avec Cuba. L'arrêté de 1992 a été modifié en janvier de cette
année pour s'appliquer également au commerce des services avec Cuba et pour englober d'autres mesures extraterritoriales américaines.
Nous déplorons en particulier, bien sûr, les dispositions sur le règlement des réclamations contenues dans la nouvelle loi et ses restrictions sur l'admission
temporaire. Comme vous le savez, les dispositions sur les réclamations appelées -- Titre III -- permettraient aux citoyens américains de traduire devant leurs
tribunaux des ressortissants étrangers à propos de biens expropriés par le gouvernement cubain. Ces mesures contreviendraient à l'usage international reconnu en droit
et introduiraient un élément d'incertitude au sujet de la sécurité des investissements aux États-Unis et dans des pays tiers. Les restrictions s'appliquant à
l'admission temporaire aux États-Unis -- appelées Titre IV -- viseraient les cadres de sociétés qui investissent ou font des affaires à Cuba. Elles toucheraient
également les familles de ces cadres. Comment peut-on croire sérieusement qu'un enfant de cinq ans constitue une menace à la sécurité?
La nouvelle loi fait fi de l'usage international établi en droit pour régler les différends entre États concernant les réclamations des investisseurs étrangers qui ont
vu leurs biens expropriés. Si l'investisseur ne reçoit pas de compensation adéquate de l'État expropriateur, son pays peut prendre en charge sa réclamation. Les États
disposent d'un certain nombre d'options pour régler le différend. Ils peuvent trouver un terrain d'entente par la négociation diplomatique ou encore négocier un traité
applicable à un grand nombre de réclamations. Le Canada et bien d'autres pays ont choisi cette voie pour régler les réclamations de leurs ressortissants contre Cuba. À
l'occasion, les États peuvent s'entendre pour faire appel à un tribunal international comme la Cour internationale de justice. Il arrive parfois que les États décident
de saisir un tribunal spécial de la réclamation. C'est précisément ce que les États-Unis ont fait pour régler des réclamations concernant l'Iran.
Cette façon de faire a bien servi le monde jusqu'à présent. Elle favorise un climat de sécurité et de discipline pour l'investissement international.
En bafouant l'usage international reconnu, la loi Helms-Burton établit un dangereux précédent. Si les États-Unis se comportent ainsi, d'autres pays pourraient ne pas
se sentir obligés de respecter les droits des sociétés ou investisseurs américains faisant des affaires à l'intérieur de leurs frontières. Il pourrait s'ensuivre une
pagaille générale qui jetterait le discrédit sur l'ensemble des principes et pratiques de droit
international. Or, ce n'est pas ce dont le monde a besoin en ce moment.
Permettez-moi de rappeler que les États-Unis sont à la fois une source et une destination de l'investissement international. Les investisseurs américains ont intérêt à
favoriser un système juridique international efficace afin de protéger dans toute la mesure du possible leurs propres investissements à l'étranger.
À titre de bon voisin et de principal partenaire commercial des États-Unis, nous nous demandons si le Congrès américain a envisagé ce qu'il adviendrait si d'autres
pays imitaient leur geste. Quelle serait la réaction du Congrès si des investisseurs américains étaient ainsi poursuivis en justice dans d'autres pays? Quelle serait
sa réaction si les investissements faits par des citoyens américains en Europe de l'Est, en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine faisaient l'objet d'un projet de loi
Helms-Burton? Les législateurs américains doivent se mettre à notre place pour comprendre notre indignation.
Non seulement la loi Helms-Burton fait-elle fi de l'usage international reconnu, mais elle se moque en plus d'un nouveau régime commercial vital -- l'Accord de libre-échange nord-américain [ALENA]. Le Canada, le Mexique et les États-Unis ont négocié l'ALENA dans le but de régir les échanges commerciaux à l'aide de règles
prévisibles. Nous avons fait de nouvelles percées en négociant les règles sur l'investissement et le mouvement des gens d'affaires. Nous craignons que la nouvelle loi
ne viole un certain nombre de ces dispositions.
C'est pour cette raison que nous nous sommes d'abord tournés vers le processus de l'ALENA et avons demandé des consultations avec les États-Unis pour discuter des
répercussions de la loi Helms-Burton sur l'ALENA. Les responsables canadiens du dossier ont rencontré leurs homologues américains le 26 avril et les rencontreront de
nouveau ce mois-ci. Nous voulons que les entretiens sur l'ALENA donnent des résultats. Le Mexique partage les craintes du Canada et a également participé aux
discussions.
Notre action ne s'arrête pas là. Le Canada a saisi toutes les chances qui s'offraient sur la scène internationale pour mobiliser l'opposition à la loi Helms-Burton, ce
qui ne fut pas difficile. Nous avons parlé de cette question en litige avec des partenaires commerciaux de même opinion et rallié de vastes appuis. Nous avons abordé
la question à l'Organisation mondiale du commerce [OMC] et à l'Organisation pour la coopération et le développement économiques [OCDE]. Nous préconisons, dans le cadre
des négociations menées actuellement à l'OCDE sur l'Accord multilatéral sur l'investissement [AMI], la mise en place d'instruments contraignants qui protégeraient les
investissements contre des mesures telles que la loi Helms-Burton. Nous nous battrons sans relâche.
Des principes importants sont en cause dans cette affaire. Mais il y a aussi des préoccupations bien concrètes; plusieurs d'entre vous en avez en tant que gens
d'affaires. Nous sommes bien conscients de votre inquiétude. Le gouvernement canadien a communiqué avec de nombreuses sociétés canadiennes pour les écouter et les
conseiller. Et nous resterons en communication tout au long de l'évolution du dossier.
Nous vous sommes par ailleurs reconnaissants pour les conseils, les renseignements et l'aide que vous nous apportez, que vous soyez chefs d'entreprises, universitaires
ou représentants d'organisations non gouvernementales. Nous devons continuer de faire campagne énergiquement pour émousser l'incidence de la loi Helms-Burton sur les
Canadiens.
La loi Helms-Burton est une épine dans les relations canado-américaines, mais dans l'ensemble, nos rapports sont corrects. Le climat de commerce libéralisé entre nos
deux pays a produit de nombreux avantages. Des personnes clairvoyantes de part et d'autre de la frontière ne voient pas l'utilité d'engendrer un désaccord qui
perdurera entre nous. Je suis convaincue que nous finirons par venir à bout de l'épisode Helms-Burton.
D'ici là, nous devons nous attaquer à cette loi néfaste, néfaste pour nous et néfaste pour les États-Unis et leur réputation de nation commerçante. Nous devons unir
nos efforts. C'est dans l'action commune que nous serons le plus efficaces.
Je vous remercie.