M. AXWORTHY - ALLOCUTION DANS LE CADRE DES CONSULTATIONS AVEC LES ORGANISATIONSNON GOUVERNEMENTALES POUR LA PRÉPARATION DE LA 52E SESSION DE LA COMMISSION DES NATIONS UNIESSUR LES DROITS DE L'HOMME - OTTAWA (ONTARIO)
96/3 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DANS LE CADRE DES CONSULTATIONS AVEC LES ORGANISATIONS
NON GOUVERNEMENTALES POUR LA PRÉPARATION DE LA
52e SESSION DE LA COMMISSION DES NATIONS UNIES
SUR LES DROITS DE L'HOMME
OTTAWA (Ontario)
Le 13 février 1996
Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour ouvrir cette ronde de consultations
avec les organisations non gouvernementales et les groupes autochtones afin de
préparer la 52e session de la Commission des droits de l'homme des Nations unies et
pour obtenir vos conseils sur la meilleure façon possible d'assurer le respect des
principes et des instruments internationaux de base en matière de droits de la
personne.
Les présentes consultations se déroulent à un moment critique de notre histoire.
D'un bout à l'autre du pays, les Canadiens discutent fébrilement de ce qui les
réunit. Au cours de ce débat, ils sont devenus profondément conscients du fait
qu'ils faisaient entendre dans le monde une voix unique. Une voix qui s'exprime
dans deux langues officielles mais qui voue un intérêt commun à la valeur de la
dignité humaine, à la démocratie, à la tolérance et à la primauté du droit. En
tant que pays, nous avons développé des institutions, des pratiques et des
processus afin de préserver et de promouvoir ces valeurs que nous partageons. Et
nous avons ainsi fourni un modèle de gouvernance que beaucoup dans le monde
considèrent comme une solution pour fondre la diversité et la différence dans une
résolution commune.
Bien des Canadiens cherchent des façons de faire entendre cette voix, d'exprimer
ce que nous sommes en tant que pays, ce que nous représentons à nos propres yeux
et aux yeux du monde. Il est impératif que cette voix, la nôtre, se fasse entendre
sur la scène internationale parce qu'elle fait rayonner l'image de marque de notre
pays et parce qu'elle contribue à faire connaître dans le monde la valeur de la
dignité humaine.
Le respect des droits de la personne constitue une composante essentielle de
l'identité canadienne et doit donc jouer un rôle important dans notre programme
d'action en matière de politique étrangère. Dans la promotion des valeurs qui nous
sont chères au sein de la communauté mondiale, nous devons trouver une voix qui
sonne juste, une voix qui soit la plus efficace possible. Ni le recours au
mégaphone ni le silence ne nous aideront à atteindre nos objectifs. Je suis ici
aujourd'hui pour vous demander de nous aider à donner à la voix canadienne le son
et le timbre qui conviennent pour gérer ces questions vitales.
À cet égard, les ONG jouent un rôle essentiel. De toutes les organisations, ce
sont le plus souvent précisément les ONG qui attachent la plus grande importance
aux préoccupations d'ordre social et humain des Canadiens en leur qualité de
membres de la communauté mondiale. Elles tendent depuis toujours à concevoir
l'économie sous l'angle du bien-être des personnes et, à ce titre, ont un effet
salutaire en rappelant à l'ensemble de la société canadienne les valeurs qui
transcendent le cadre et les objectifs propres à la logique du marché.
Issues de tous les milieux de notre société, les ONG canadiennes représentent une
force humaine diversifiée aux quatre coins du monde. Leur style, leurs clientèles
et les méthodes particulières qu'elles emploient peuvent varier, mais elles
convergent toutes en un point, à savoir qu'elles sont vouées au respect de la
dignité de la vie humaine et à l'édification de collectivités. À l'encontre des
courants homogénéisateurs de notre monde, et en dépit des forces de mondialisation
de la culture et de désindividualisation qui marquent cette ère technologique, les
ONG incarnent le fait que l'esprit humain peut encore exister et s'épanouir dans
les conditions les plus éprouvantes. Comme l'a dit David Matas :
[TRAD.] Les ONG constituent la force organisée des individus qui parlent au nom
des droits individuels contre les gouvernements. Elles mobilisent les individus
afin qu'ils fassent valoir leurs droits. Elles sont essentielles à la protection
de ces droits.
Je vous félicite tous, vous qui représentez cette force au sein de notre société,
pour le travail que vous accomplissez partout dans le monde, souvent avec un
minimum de ressources et au prix de grands sacrifices personnels. Ainsi, nous
devons travailler de concert et, en tant que partenaires, nous devons nous bien
comprendre mutuellement.
Je vais commencer en examinant la question du lien qui existe entre le commerce et
les droits de la personne. Par trop souvent, ces deux domaines de la politique
étrangère sont dépeints comme antithétiques ou à tout le moins incompatibles.
D'aucuns arguent que le Canada doit choisir entre l'un ou l'autre.
Je tiens à établir clairement une chose aujourd'hui : cette dichotomie ne tient
pas. En réalité, le commerce aussi bien que la promotion des droits de la personne
servent le même but à savoir l'amélioration du bien-être des individus. À cette
fin, je collaborerai étroitement avec mes collègues, le ministre du Commerce
international, le ministre de la Coopération internationale et les secrétaires
d'État pour l'Amérique latine et l'Afrique et pour l'Asie-Pacifique. Nous
demanderons aussi l'avis d'autres intervenants. À la fin de ce mois, nous serons
l'hôte, de concert avec le ministère du Travail, des consultations entre le
secteur privé, les syndicats et d'autres groupes pour examiner de première main la
question des normes de travail et du commerce. Je suis impatient de connaître les
recommandations qui seront formulées à l'issue de ces consultations.
Nation commerçante, le Canada doit promouvoir le commerce comme moteur de la
croissance et de la création d'emplois, au pays même aussi bien qu'à l'étranger.
Le fait de créer du travail constitue un aspect essentiel de l'ordre du jour en
matière de droits de la personne. Détenir un emploi rémunérateur représente la
façon la plus fondamentale permettant à quiconque de s'assurer de ses moyens de
subsistance. Il est également tout à fait clair qu'un accord commercial avec un
pays étranger doit s'inscrire dans un cadre juridique et réglementaire pour être
efficace. Les initiatives commerciales peuvent aussi nous aider dans la poursuite
du développement démocratique. Nos efforts visant à créer de solides liens
commerciaux à l'échelle internationale nous ouvrent les portes de nombreuses
parties du monde où nous pouvons poursuivre le plan d'action dans les domaines des
droits de la personne et du développement démocratique.
L'important est de trouver un juste équilibre entre le dossier des droits de la
personne et les intérêts commerciaux, puis de l'appuyer sur un solide consensus. À
mon avis, Lester B. Pearson représente la quintessence de l'internationalisme
canadien parce qu'il était animé d'un engagement passionné à l'égard des questions
et principes clés, tout en s'employant inlassablement à former des coalitions et à
dégager des consensus.
Nous examinerons avec clarté et franchise les questions clés... tout en
travaillant à la formation des coalitions et des liens qui serviront les intérêts
canadiens dans cette ère du commerce mondialisé où les transferts de devises sont
l'affaire de nanosecondes. En ma qualité de ministre des Affaires étrangères,
j'entends jouer la carte de la politique tout comme celle de l'entreprise, étant
convaincu que je réponds ainsi au consensus entourant nos valeurs de base.
Dans le dernier portefeuille dont j'ai assumé la charge, j'ai appris plusieurs
choses qui, je crois, s'appliquent tout à fait bien à ce que nous voulons
accomplir en politique étrangère. La première est que le développement économique
et le développement social doivent se faire de concert. Ignorer l'un ou l'autre
revient à mettre les deux en péril. Ma participation au Sommet mondial sur le
développement social à Copenhague l'an dernier m'a convaincu de la nécessité de
définir le concept de « sécurité » au-delà du domaine politique ou militaire. La
vraie sécurité implique des progrès sur tous les fronts environnemental, social
et économique. Si l'eau que vous buvez est contaminée ou que les soins de santé ou
l'éducation de base sont en dehors de votre portée, quel sentiment de sécurité
pouvez-vous éprouver en ce qui concerne le présent et l'avenir? La communauté
internationale commence à se débattre avec cette définition nouvelle de la
sécurité et du lien entre le développement social et le développement économique
depuis la tenue d'une série de conférences sur le sujet les deux ou trois
dernières années. Depuis le Sommet sur l'environnement de Rio, la Conférence sur
les droits de la personne de Vienne, la Conférence sur la population du Caire et
la Conférence sur les femmes de Beijing, le monde commence à prendre conscience de
l'existence de liens de cette nature. Le Canada doit prendre l'initiative
d'exprimer ce besoin de définir plus largement le concept de sécurité.
Lorsque j'étais ministre du Développement des ressources humaines, j'ai également
appris à apprécier la valeur des mesures préventives savoir traiter un problème
avant qu'il ne dégénère en une crise; être actif dès le départ. Sur la scène
internationale, cela signifie qu'intervenir en faveur des droits de la personne
revient autant à aider à changer les conditions qui créent au départ des
violations des droits humains qu'à prendre des mesures contre les pays s'y
adonnent. En particulier, je suis profondément conscient de la nécessité
d'investir dans les enfants et les jeunes; c'est un investissement dans l'avenir
de ces pays.
En Afrique, par exemple, nous nous rendons compte maintenant que l'éducation des
filles constitue l'investissement le plus important que nous puissions faire dans
le développement. L'éducation des filles a des liens vitaux avec la santé, la
croissance démographique, la mortalité infantile, la productivité agricole et la
condition féminine. Voilà pourquoi nous avons récemment annoncé la mise en oeuvre
d'un programme de 15 millions de dollars offert dans 15 pays pour soutenir
directement l'éducation de milliers de jeunes africaines.
Enfin, il faut mobiliser le public pour qu'il contribue à la formulation de nos
politiques. Cela signifie qu'il faut inviter les Canadiens à mettre la main à la
pâte. J'aimerais avoir votre avis aujourd'hui sur la façon d'amener la société
civile, en particulier les jeunes, à participer au processus permanent de
formulation de la politique étrangère.
Notre pays jouit déjà dans le monde entier d'une réputation enviable qu'il a
acquise grâce à la persévérance de nombreux Canadiens travaillant sur le terrain
avec des collectivités locales et des ONG pour apporter des changements véritables
à la vie des gens et pour atténuer les conditions qui donnent lieu à des
violations des droits de la personne. Par exemple :
Au Guatemala et au Salvador, une part importante de notre aide vise le
développement démocratique. Un projet mis en oeuvre avec Defensoria Maya permet de
renforcer les moyens juridiques du peuple maya de faire valoir et défendre ses
droits. En Haïti, un programme de cinq millions de dollars exécuté en
collaboration avec des ONG populaires fait la promotion des droits de la personne
par l'éducation du public.
En Indonésie, le Canada a affecté 300 000 dollars en faveur d'un fonds local de
soutien des droits de la personne, et verse une contribution annuelle de
500 000 dollars à des ONG du Timor oriental.
En Chine, le Canada a eu le mois dernier des discussions bilatérales avec le
gouvernement chinois. Marquées par la franchise et portant sur un vaste éventail
de sujets, ces discussions ont permis d'aborder des thèmes qui tiennent
particulièrement à coeur aux Canadiens. Avant le départ de la délégation pour la
Chine, les officiels concernés ont bénéficié d'une aide précieuse de la part des
ONG intéressées.
Au Mexique, le Canada a soutenu l'an dernier 12 projets ayant trait aux droits de
la personne, dont une série de neuf ateliers de sensibilisation aux droits de la
personne à l'intention des collectivités autochtones du Chiapas.
Enfin, le soutien du Canada aux élections dans les nouvelles démocraties offert
dans plus de 70 pays et comprenant 200 missions depuis les cinq dernières années
a été une composante essentielle de nos efforts plus vastes visant à apporter une
aide précise et concrète au développement démocratique dans le monde entier.
De toutes ces initiatives, nous pouvons tirer certains enseignements et commencer
à esquisser certains principes sous-jacents à une stratégie concernant les droits
de la personne :
A. Protéger et promouvoir l'avancement des droits de la personne au Canada. Nous
devons d'abord le faire chez nous si nous voulons avoir de la crédibilité à
l'étranger. Il nous faut donc continuer à faire progresser les dossiers internes,
notamment en ce qui a trait aux peuples autochtones du Canada.
B. Appuyer les normes universelles en matière de droits et améliorer les règles,
pactes et accords internationaux. En particulier :
1. Élaborer des règles multilatérales qui devraient régir les normes de travail et
les droits de la personne.
2. Appuyer des tribunes multilatérales pour mettre en oeuvre des mesures
collectives.
3. Appuyer fermement la ratification de la Convention interaméricaine sur les
droits de la personne.
4. Appuyer fermement la mise en oeuvre intégrale des dispositions du chapitre de
l'Accord de Dayton sur les droits de la personne et le travail du Tribunal pénal
international en ex-Yougoslavie.
Dans ce contexte, je m'inquiète au sujet du retrait du soutien international en
faveur des solutions multilatérales, notamment en ce qui concerne l'effondrement
du financement des Nations unies et ses conséquences possibles pour la Commission
des droits de l'homme de l'ONU.
C. Jouer un rôle de premier plan sur les tribunes multilatérales lorsque c'est
possible. Par exemple, le premier ministre a joué un rôle de premier plan au sein
du Commonwealth pour prendre des mesures contre l'actuel gouvernement du Nigéria.
Nous devons cependant explorer toutes les voies possibles pour faire avancer le
dossier des droits de la personne. À la Commission des droits de l'homme
question que vous débattrez aujourd'hui et demain , le Canada doit jouer un rôle
prédominant en ce qui a trait aux violations des droits de la personne partout
dans le monde. Je suis heureux d'annoncer que je me rendrai à Genève pour saisir
la Commission de ce dossier.
D. Fournir une aide à des associations et groupes locaux dans les pays concernés.
E. Fournir une expertise et un soutien technique à certains gouvernements.
1. Mettre notre expertise en matière de programmes sociaux à la disposition des
pays qui en établissent, notamment en ce qui concerne les nouveaux pays
industrialisés d'Amérique latine, d'Asie du Sud-Est et d'Europe de l'Est.
2. Fournir une expertise en matière d'élections dispenser un soutien technique
précis et concret lors d'élections.
F. Renforcer les mesures de contrôle sur les exportations des armes du Canada. En
ma qualité de ministre des Affaires étrangères, j'entends faire appliquer dans
toute leur rigueur les lignes directrices en vigueur pour contrôler l'exportation
des marchandises militaires vers des pays engagés dans un conflit ou connus pour
de graves violations des droits de la personne.
Dans ce cadre général de principes, j'aimerais formuler deux suggestions quant au
travail à accomplir dans des domaines qui tiennent particulièrement à coeur aux
Canadiens :
1. Point de mire : les enfants - En nous attaquant d'abord au travail des enfants,
mais en examinant également tous les aspects de la politique étrangère, nous
devrions placer les enfants au centre de notre démarche dans le dossier des droits
de la personne. Cette orientation mobilisera la public canadien. Je vous saurais
gré de me faire part de vos suggestions à cet égard.
En ce qui concerne plus particulièrement le travail des enfants, j'ai le plaisir
d'annoncer une contribution de 700 000 dollars à l'Organisation internationale du
travail pour faire avancer les travaux sur cette question.
2. Droits des autochtones - Comme Canadiens, nous sommes investis d'une mission
spéciale qui consiste à tendre la main à des groupes qui, aux quatre coins du
monde, ont des besoins et des problèmes particuliers. À ce chapitre, nous
reconnaissons l'apport important et dynamique des dirigeants autochtones cela
peut représenter un important avantage pour le Canada dans notre hémisphère comme
ailleurs. En particulier, nous désirons travailler avec les peuples autochtones du
Canada dans le dossier de la Déclaration des Nations unies sur les droits des
populations autochtones en vue d'une réunion ministérielle qui se tiendra avant la
prochaine session du groupe de travail onusien.
Le Canada parle d'une voix unique sur la scène mondiale. Notre attachement à la
démocratie et à la primauté du droit nous place dans une excellente position pour
articuler la nécessité de respecter les droits de la personne et soutenir ceux-ci
dans le monde entier; pour aider les pays à remplir dans la mesure du possible
leurs engagements internationaux; et pour faire entendre notre voix et aider à
mobiliser les intervenants en vue de prendre des mesures au niveau international.
En exprimant notre sentiment d'indignation face aux nombreuses violations des
droits de la personne qui se produisent dans le monde nous devons trouver le moyen
le plus efficace de réaliser nos objectifs.
Aussi, j'ai besoin de vos conseils quant à la façon dont nous devons nous y
prendre pour réaliser nos objectifs sur le plan du développement tant social
qu'économique. En tant que ministre des Affaires étrangères, je suis persuadé que
nous parviendrons à cet équilibre et que nous trouverons la ton juste,
représentant ainsi les convictions et les engagements les plus profonds du peuple
canadien.
Merci.