M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA CONFÉRENCE MONDIALECONTRE L'EXPLOITATION SEXUELLECOMMERCIALE DES ENFANTS - STOCKHOLM, SUÈDE
96/35 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA CONFÉRENCE MONDIALE
CONTRE L'EXPLOITATION SEXUELLE
COMMERCIALE DES ENFANTS
STOCKHOLM, Suède
Le 27 août 1996
Toute forme d'exploitation est inacceptable, et encore plus si elle s'applique à un enfant. Lorsqu'elle se mue en exploitation sexuelle commerciale des jeunes, elle
devient un acte criminel odieux que nous devons combattre.
Il est difficile de croire qu'à l'aube de XXIe siècle nous avons encore à faire face à une forme d'esclavage, car l'exploitation sexuelle des enfants est véritablement
une sorte d'esclavage des temps modernes, ainsi qu'un grave fléau social s'accompagnant de problèmes de santé publique.
Ce sont ces raisons qui rendent la conférence d'aujourd'hui si précieuse et si urgente. Elle nous donne l'occasion d'échanger de l'information et des idées... de
convertir en actions la bonne volonté et la détermination de plus d'une centaine de pays, d'institutions et d'organisations non gouvernementales... de coordonner nos
stratégies et de lancer une offensive contre le trafic des enfants et leur utilisation comme produits sexuels.
Ce qui rend cette pratique si odieuse? C'est la victimisation calculée des plus vulnérables, l'attaque contre l'innocence et la dignité de ceux qui sont les moins
aptes à se protéger eux-mêmes. L'acte de contraindre un enfant à la prostitution n'est pas moins odieux que celui du tireur qui met en joue un enfant en train de jouer
dans la rue et qui appuie froidement sur la gâchette.
Ce qui la rend si coriace et si répandue? L'argent et le pouvoir qu'il peut acheter de même que les racines qui plongent si profondément dans la pauvreté, l'aliénation
et les attitudes culturelles.
Ce qui la rend si difficile à combattre? Le fait qu'elle se produit à l'abri des lois et au delà des frontières de la respectabilité... associé à une conspiration du
silence des intéressés et de ceux qui préfèrent prétendre qu'elle n'existe pas.
Dans son dernier Discours du Trône, le gouvernement du Canada a fait des droits de l'enfant une priorité du Canada. Nous sommes prêts à attaquer de front ces problèmes
avec d'autres pays, les ONG [organisations non gouvernementales] et d'autres parties intéressées.
Cependant, la crédibilité d'un pays dépend non seulement de la force et de la sincérité de ses paroles, mais aussi de ses actions chez lui, à l'intérieur de ses
propres frontières.
Au Canada, l'exploitation sexuelle commerciale des enfants comporte trois volets : la pornographie, la prostitution et le tourisme sexuel.
En 1988, le Canada a donné plus de mordant à ses sanctions pénales contre l'abus sexuel des enfants dont il a allégé le fardeau de la preuve. En 1993, afin de punir
ceux qui exploitent la pornographie enfantine et pour bien montrer le rejet absolu par notre société de leur façon de déshumaniser l'enfant et de profiter de lui, nous
avons modifié notre Code criminel pour prohiber la pornographie enfantine et renforcer les sanctions contre ceux qui y ont recours ou qui l'importent. Cependant,
malgré de nouvelles lois, associées à de grands efforts comme la mise en place de programmes sociaux et éducatifs, je regrette de constater que la prostitution et la
pornographie enfantines sévissent encore au Canada de nos jours.
Le tourisme sexuel, à en juger par les vagues évidences que nous avons jusqu'ici, n'est qu'une faible proportion du plus vaste fléau qu'est l'exploitation des enfants
comme objets sexuels... mais il est certainement lucratif et très visible. Pour combattre cette forme d'exploitation des enfants, le gouvernement du Canada a présenté
au Parlement canadien un projet de loi qui propose de rendre passible de poursuites au criminel le tourisme sexuel pratiqué par des Canadiens et par des résidents
permanents du Canada, peu importe le lieu où le crime est commis. Notre message est clair : nous ne tolérerons pas le tourisme sexuel.
Nous avons aussi pris des mesures hors de nos frontières, non pour imposer nos valeurs, mais à l'invitation de gouvernements nationaux. Nous avons soutenu leur lutte
contre l'exploitation sexuelle commerciale des enfants. L'Agence canadienne de développement international prend part à un large éventail de programmes dans des pays
en développement pour protéger les enfants et leur donner une éducation, pour renforcer leurs droits et pour aider les victimes du commerce sexuel.
Ces initiatives vont de la formation - en vue d'un emploi afin d'offrir aux enfants du Brésil et de la Thaïlande une solution de rechange à l'industrie du sexe - aux
conseils prodigués aux victimes d'abus du Paraguay, en passant par l'organisation d'ateliers de défense à l'intention des enfants de la rue et des pauvres des zones
rurales des Philippines et de la Thaïlande, et par la distribution de matériel d'enseignement aux écoles primaires du Népal, de la Thaïlande et du Pérou.
Récemment, j'ai visité le site d'un projet canadien à Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande. Par le simple fait de recevoir une aide leur permettant de cultiver
leurs propres aliments, des enfants de prostituées ou, dans certains cas, des enfants qui s'étaient eux-mêmes prostitués, ont eu la possibilité de recommencer une
nouvelle vie.
Des efforts de cette sorte - soit plus de 40 projets ces derniers temps - réalisés avec la coopération de pays en développement, aident les enfants à prendre
conscience de leurs droits et leur donnent la possibilité de s'exprimer. Et nul ne peut se faire entendre avec plus de force sur ce sujet particulier que les enfants
eux-mêmes.
Les ONG canadiennes s'emploient, elles aussi, à prévenir l'exploitation des enfants. Aide à l'enfance - Canada, par exemple, accorde son aide aux centres d'hébergement
des enfants, qui offrent à ces derniers une solution de remplacement à la vie et au travail de la rue. L'énergie inépuisable d'un jeune Canadien, Craig Kielburger, et
de Free the Children a mobilisé un grand intérêt chez les écoliers du pays. Cette conférence doit faire fond sur l'enthousiasme et la motivation des enfants qui
veulent travailler ensemble et s'entraider.
Mais, le problème est vaste et si complexe. La pauvreté, nous le savons, rend les enfants, les filles en particulier, plus vulnérables à l'exploitation sexuelle. Nous
savons aussi que les victimes de cette exploitation sont particulièrement exposées au sida.
Que devons-nous faire alors?
Il nous faut passer des discours aux actes. Entre 1904 et 1956, au moins cinq conventions internationales ont porté, d'une façon ou d'une autre, sur l'exploitation
sexuelle commerciale des enfants. Cependant, alors que le siècle se termine, aucun pays n'en est débarrassé, et le problème subsiste sous des formes aussi vieilles que
les bordels et aussi récentes qu'Internet.
Les solutions ne seront pas faciles. Les gouvernements ne pourront agir tout seuls. Pour éliminer cette pratique cruelle envers les enfants, notre seul espoir réaliste
réside dans les efforts combinés des pouvoirs publics, des organisations internationales, des mouvements bénévoles, des millions de citoyens concernés et actifs et,
par dessus tout, dans la mobilisation des enfants eux-mêmes.
Ensemble, avec les outils dont nous disposons et en faisant un usage maximal des voies et des ressources multilatérales, régionales, bilatérales, locales et
individuelles, nous avons la possibilité de changer les choses.
Nous devons nous servir de la technologie de l'information pour échanger des renseignements tout en veillant à ne pas apporter une nouvelle arme à l'arsenal de ceux
qui commettent le crime.
Nous devons rendre nos lois efficaces et veiller à leur application... ce qui signifie que nous devons assurer à notre police une meilleure formation et plus de
ressources.
Nous devons ériger le plus solide cadre mondial possible en matière d'obligations ayant force de loi - en commençant par la Convention relative aux droits de l'enfant
et en nous dirigeant résolument vers une conclusion heureuse des négociations du protocole facultatif de la Convention sur la vente des enfants, la prostitution
enfantine et la pornographie juvénile.
Il nous faut faire douloureusement sentir à ceux qui exploitent si bassement les enfants qu'il s'agit d'un moyen d'existence intolérable. Nous devons faire comprendre
à ceux qui laissent aller les choses - policiers et gardes-frontières corrompus, promoteurs cupides, fonctionnaires laxistes - qu'ils seront tenus responsables de leur
complicité. Nous ne pouvons autoriser ne serait-ce que des lambeaux de respectabilité à ceux qui rendent possibles ces pratiques sordides.
Pour certains pays, la lutte sera plus dure, précisément là où l'exploitation sexuelle commerciale des enfants est la plus répandue, où la pauvreté des victimes
contraste si vivement avec les recettes énormes qu'engendre leur commerce.
Nous pouvons nous inspirer du leadership et du courage de certains gouvernements et des nombreuses personnes qui, dans le monde en développement, agissent au mépris
des risques et des coûts. Nous leur devons notre soutien, mais nous sommes encore au stade des premiers pas et loin du but.
Toutefois, je suis ici, non seulement parce que le problème me concerne personnellement et que j'accompagne l'imposante délégation du Canada, mais aussi pour indiquer
clairement l'engagement de notre gouvernement et l'appui de notre population à l'égard de la lutte contre l'exploitation sexuelle commerciale des enfants, peu importe
où elle a lieu. Comme les gouvernements et les ONG, nous sommes ici à titre de représentants des enfants du monde.
Je tiens à remercier les organisateurs de cette précieuse conférence innovatrice. Le Canada consacre tous ses efforts à promouvoir et à réaliser les buts de la
Conférence et continue à honorer les engagements pris en vertu de la Convention relative aux droits de l'enfant. Nous sommes déterminés à collaborer avec d'autres
pays, avec les organisations internationales et en particulier avec le Comité des droits de l'enfant, avec les ONG et avec tous ceux qui dans le monde se soucient du
bien-être des enfants. Nous avons hâte de participer à cette grande initiative et sommes déterminés à ce que l'élan imprimé par cette conférence dure longtemps après
la dernière séance.
Grâce à ce genre de partenariat, nous avons, dans le passé, combattu l'esclavage pratiquement dans le monde entier... et, plus récemment, la ségrégation et
l'apartheid. C'est aujourd'hui largement le moment d'arriver à la même victoire contre cette forme contemporaine de l'esclavage.
Je veux réaffirmer ici, aujourd'hui, le ferme engagement du Canada à protéger et à promouvoir les droits humains, en particulier les droits des plus innocents et des
plus vulnérables, nos enfants.
Nous ne parviendrons peut-être jamais à radier l'exploitation sexuelle commerciale des enfants d'un pays, mais ensemble nous pouvons prévenir de grands dommages,
démolir les systèmes et les machinations des exploiteurs, et offrir à un nombre incalculable d'enfants un avenir meilleur, plus heureux.
Je terminerai sur ces mots des aînés d'une des premières nations du Canada, les Cri, de ma province natale, le Manitoba :
Il est une croyance répandue chez la nation Cri selon laquelle l'enfant est un cadeau ou un prêt du Grand Esprit, qui nous a confié la responsabilité de l'élever et de
le soigner. Puisqu'il est un cadeau du Grand Esprit, l'enfant est « sacré » et doit être traité avec respect et dignité.
Je vous remercie.