M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA 51E ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES - NEW YORK (NEW YORK)
96/37 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA 51e ASSEMBLÉE GÉNÉRALE
DES NATIONS UNIES
NEW YORK (New York)
Le 24 septembre 1996
Monsieur le Président, distingués délégués,
Il y a 40 ans, au plus fort de la guerre froide, l'Assemblée générale des Nations unies a autorisé la mise sur pied d'une force de maintien de la paix dans la région
de Suez. Ainsi naissait un outil clé pour la communauté internationale, qui, par la suite, devait servir sous diverses formes la cause de la paix dans le monde. Les
Canadiens tirent une fierté particulière de cette force, car le concept en a été défini en partie par leur ministre des Affaires étrangères de l'époque, M. Lester B.
Pearson, ce qui lui a d'ailleurs valu le Prix Nobel de la paix.
Dans notre réflexion sur ce 40e anniversaire du maintien de la paix, certaines conclusions s'imposent à nous :
l'ONU a joué un rôle déterminant dans le monde par ses opérations de maintien de la paix;
l'innovation est à la fois nécessaire et possible au sein de l'ONU; et
quelque différente que soit notre époque, l'esprit de l'internationalisme, de l'engagement et de la coopération nous sollicite une fois de plus.
Dans le contexte d'un ordre international nouveau et changeant, l'internationalisme revêt toujours plus d'importance pour tous les États, grands ou petits, faibles ou
puissants, tant comme principe organisateur des relations internationales que comme outil de gestion des crises. Les temps changeants nous imposent des défis nouveaux
et plus considérables, notamment celui d'assurer la sécurité des particuliers, en d'autres termes, la sécurité humaine durable. Malheureusement, les temps nouveaux
n'ont pas apporté l'engagement renouvelé envers l'ONU comme expression de l'internationalisme que nous avions espéré. On observe trop souvent une tendance à agir comme
dans les vieilles configurations du temps de la guerre froide plutôt que de chercher des approches collectives pour extirper les racines des conflits et tenter de
régler ces derniers par une action commune. En conséquence, l'ONU en souffre, et sa capacité de répondre aux grands besoins de sécurité des peuples du monde en est
diminuée.
La nécessité d'un engagement renouvelé envers l'ONU est claire, tout comme la nécessité d'un renouveau, d'une restructuration et d'une réorientation de l'ONU et de ses
divers organes. Dans la mise en oeuvre de ces réformes, nous rencontrerons sans nul doute des obstacles et connaîtrons des divergences d'opinion. Cependant, nous ne
devrons pas nous laisser décourager. Il nous faut du courage pour innover sur deux fronts : nous attaquer à un nouveau programme mondial complexe, et réorganiser
l'ONU pour la rendre apte à exécuter ce programme avec efficacité.
Monsieur le Président, à sa fondation, l'Organisation des Nations unies a reçu pour mandat de base la prévention des conflits internationaux. La nature changeante du
maintien de la paix correspond à l'évolution de la force de sécurité elle-même, qui, de simple tampon entre États, s'est enrichie de diverses formes de médiation,
d'observation, de protection et d'alerte rapide, voire du maintien de l'ordre et de la participation à la reconstruction. L'éventail des activités menées ces derniers
temps est impressionnant : d'Haïti au Cambodge, du plateau du Golan au Salvador, de la Bosnie aux accords de paix qui sont actuellement signés au Guatemala.
Cette diversité montre que la réponse internationale aux menaces à la sécurité est allée beaucoup plus loin que la définition initiale, qui était limitée à la prise en
charge de l'agression par-delà les frontières. Or, dans un continuum de menaces, les conflits qui retiennent notre attention prennent de plus en plus naissance à
l'intérieur des frontières d'un État, mais ont de graves répercussions dans toute une région ou même dans l'ensemble du système international. Ces types de conflits
représentent encore en grande partie l'inconnu, pour ce qui est du maintien de la paix, et les avis divergent sur les meilleurs moyens de les aborder.
Ce qui est clair, c'est que l'ONU a besoin d'une nouvelle trousse d'outils pour réagir à différentes situations. Dans ce contexte, je constate avec plaisir que nous
sommes en train de mettre en oeuvre la plupart des recommandations faites dans l'étude sur la réaction rapide déposée par le Canada l'an dernier. La principale de ces
recommandations concernait l'établissement d'un quartier général opérationnel par l'ONU comme moyen de mieux répondre aux crises. Le Canada continuera de soutenir les
efforts des Nations unies en vue de la création de ce quartier général, qui lui permettra d'intervenir plus rapidement et avec plus de souplesse à l'avenir. Cependant,
ce n'est là qu'un outil. Il en faut bien d'autres, en particulier dans le domaine de la prévention des litiges et pour la tâche ardue et complexe qu'est la
consolidation de la paix.
Nous n'avons pu empêcher le conflit au Rwanda, et cet échec, comme le montre le Rapport d'évaluation sur le Rwanda, a illustré très abondamment la nécessité d'élargir
le concept de consolidation de la paix et d'y introduire les notions de prévention, de rétablissement de la paix et de reconstruction après les conflits. La
prévention exigera des membres de l'ONU une détermination plus grande à intervenir rapidement. Pour qu'elles fassent une différence, la prévention et la reconstruction
exigeront un plus grand engagement de la communauté internationale envers des actions de consolidation de la paix.
Au Canada, nous polarisons actuellement notre approche de ces questions. Nous avons commencé à modifier notre propre trousse à outils pour améliorer notre capacité à
lancer et à soutenir des opérations de consolidation de la paix dans des domaines comme la médiation préventive et le dialogue, la surveillance et les enquêtes
relatives aux droits de la personne, la formation des médias et des forces de police, la réforme judiciaire et la démobilisation. Nous entendons coopérer avec les
autres nations qui explorent aussi des approches novatrices de la consolidation de la paix.
Monsieur le Président, la recherche de nouveaux outils et de moyens de les utiliser collectivement ne peut nullement se substituer au renforcement des mécanismes
actuels de consolidation de la paix. Nous sommes sur le point de franchir une étape historique dans notre programme sur le désarmement nucléaire. Aujourd'hui, le
Traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires [CTBT] a été ouvert à la signature. Il représente l'aboutissement des espoirs et des efforts qu'y ont mis au
fil des décennies des représentants de toutes les régions du monde. Ce matin, j'ai signé ce traité au nom du Canada; nous le ratifierons bientôt. Nous engageons tous
les États membres des Nations unies à en faire autant, pour que le Traité puisse entrer en vigueur bien avant le seuil du XXIe siècle.
La conclusion du CTBT constitue le grand tournant de la non-prolifération nucléaire et du désarmement. Les enfants de demain ne devraient jamais, nous l'espérons,
connaître ce qu'est un essai nucléaire. Si nous y parvenons et si nous pouvons nous attacher vigoureusement à la concrétisation des objectifs, qui sont de réduire
systématiquement et progressivement les armements nucléaires dans le dessein ultime de les éliminer complètement, nous pouvons arriver à ce que les enfants aient de
moins en moins connaissance de ce fléau terrible pour l'humanité.
Monsieur le Président, si la communauté internationale parvient à s'entendre pour mettre un terme aux essais des armes nucléaires les plus sophistiquées et les plus
coûteuses, il n'est certainement pas illusoire de nous fixer comme objectif la mise au ban des armes les plus simples, les moins coûteuses et, la preuve nous en est
donnée chaque jour, les plus destructrices en usage : les mines antipersonnel.
Nous avons tous été témoins des souffrances, des décès et des mutilations horrifiantes provoqués par les mines antipersonnel. Avec de nombreux pays et organisations,
le Canada participe à des opérations de déminage et à des programmes d'aide aux victimes. Mais le fait est que ces mines sont posées beaucoup plus rapidement que nous
ne pouvons les enlever. Il ne s'agit pas ici uniquement d'une question de désarmement : les mines antipersonnel sapent directement les efforts de développement, et les
milliers de victimes qu'elles font chaque année constituent un défi de taille pour les initiatives humanitaires et pacificatrices partout dans le monde.
Le Canada tiendra cet automne une session stratégique internationale qui réunira des gouvernements, des organismes internationaux et des organisations non
gouvernementales partageant les mêmes idées, une session dont le but sera de dynamiser et d'orienter les initiatives internationales visant une interdiction mondiale
des mines antipersonnel. J'espère qu'elle aidera à catalyser les efforts de recherche d'un consensus en vue de présenter une résolution ferme et avant-gardiste à la
51e Assemblée générale. De la sorte, elle donnera un nouvel élan vers des négociations multilatérales sur une telle interdiction.
La Convention sur les armes chimiques constitue le troisième repère dans ce domaine. Premier traité international à viser une interdiction mondiale complète de toute
une catégorie d'armes de destruction massive, il est de la plus haute importance qu'elle entre en vigueur dans les meilleurs délais. Le Canada exhorte tous les pays
qui ne l'ont pas encore signée, et tous ceux qui l'ont signée mais non ratifiée, à le faire sans tarder.
Monsieur le Président, dans le sillage de la guerre froide, nous avons réexaminé et redéfini les paramètres de la sécurité internationale pour y inclure le concept de
la sécurité humaine durable. Il a été reconnu que les droits de la personne et les libertés fondamentales, le droit de vivre dans la dignité avec une alimentation, un
logement, des services de santé et une éducation appropriés, dans un régime où règne la primauté du droit et la saine gestion des affaires publiques, revêtent autant
d'importance pour la sauvegarde de la paix mondiale que les mesures de désarmement. Nous nous rendons aussi compte qu'une véritable sécurité ne peut rester du seul
domaine de l'État, mais qu'elle doit aussi engager la société civile.
Ces constatations découlent en partie d'un sentiment grandissant d'insécurité face aux menaces nouvelles mais aussi redoutables, celles qu'un auteur a appelées le
« revers de la mondialisation ». Ce sont :
La dégradation de l'environnement. La perte et l'épuisement de ressources provoquent des conflits, alors que la dissémination de toxines affecte directement la vie
de l'être humain.
La criminalité internationale. Les trafiquants de drogues et leurs acolytes du blanchiment de l'argent répandent la misère et déstabilisent des sociétés entières.
Le terrorisme. La déclaration faite par l'ONU en 1994 sur les mesures propres à éliminer le terrorisme international a été le catalyseur d'un large éventail de
mesures concrètes et bien ciblées, conçues pour combattre ce fléau. Mais nous devons encore nous attaquer aux racines du mal qui sont la pauvreté et le désespoir.
Le manque d'équité. Les disparités grandissantes entre les richesses contrastent énormément avec les progrès accomplis vers l'élargissement du cadre mondial du
commerce et des investissements, malgré le potentiel d'enrichissement que véhicule ce cadre.
La récente série de conférences des Nations unies qui se sont tenues à New York, à Rio, à Vienne, au Caire, à Copenhague, à Beijing et à Istanbul, ont servi, d'une
part, à définir le concept de sécurité humaine durable, et d'autre part, à nous attaquer sur notre territoire aux défis grandissants de la sécurité individuelle. La
voie est maintenant claire, plus besoin d'études. Aujourd'hui, il nous faut avancer d'une façon globale et concertée.
Nous possédons déjà des exemples de réalisations notoires dans la défense de la sécurité humaine durable par le système des Nations unies. Elles couvrent les
programmes d'amélioration de la santé des enfants et l'instauration d'un cadre législatif international pour protéger leurs droits ou encore les stratégies de lutte
contre les menaces pour l'environnement comme la déplétion de la couche d'ozone, la désertification et le largage des déchets toxiques en mer, en passant par les
initiatives visant à combler les besoins en matière de développement, comme les programmes d'action arrêtés au Caire et à Beijing.
Bien que ces réalisations soient d'importance, il reste encore trop d'engagements purement théoriques au lieu de progrès véritables sur le terrain. Nous sommes
actuellement submergés par une pléthore de programmes, de schémas, de plans qui risquent de réduire la capacité des pays donateurs à y donner suite tout en apportant
peu aux plus nécessiteux. De trop nombreux organismes ont été créés pour exécuter ces plans, engendrant la confusion quant aux juridictions et des dédoublements
d'efforts dans la mise en oeuvre. Au chapitre de la sécurité humaine durable, nous devons admettre que les pouvoirs publics ne sont pas seuls. Les groupes et les
réseaux qui ont vu le jour dans le monde et qui représentent les femmes, les enfants, les peuples autochtones et les handicapés, ainsi que le monde des affaires et des
finances, sont maintenant des acteurs de premier plan. Il nous faut un système de gestion qui en tienne compte et qui les associe à nous.
À titre d'exemple de ce type de système nouveau, citons le Conseil de l'Arctique créé la semaine dernière à Ottawa. Cet organe multilatéral régional réunit les pays
arctiques et des groupes autochtones dans une coopération pour le développement durable et la protection de l'environnement d'une région précieuse et unique du globe.
Le Conseil représente un nouveau modèle d'organisation internationale où les populations et les États consacrent leur énergie et leurs ressources à une cause commune.
Le prochain Sommet de l'alimentation organisé par la FAO [Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture] nous apportera une autre occasion de
combiner les efforts gouvernementaux et non gouvernementaux. Manifestement, la sécurité alimentaire et la production durable d'aliments sont parmi les aspects
fondamentaux de la sécurité humaine. En tant que grand producteur agricole, le Canada compte coopérer avec d'autres pays ainsi que des groupes et représentants non
gouvernementaux à la recherche de solutions au problème de la sécurité alimentaire par des approches innovatrices du transfert de la technologie, des problèmes de
financement et de la réforme agraire.
La reconnaissance du rôle des acteurs non gouvernementaux n'est pas le seul grand changement à survenir dans le travail de développement économique et social de l'ONU.
Alors que le flux des échanges et des investissements privés surpassent de plus en plus l'aide publique au développement, des dossiers, comme les termes des échanges
et l'endettement, prennent une importance plus grande que jamais. Parallèlement, de nouveaux problèmes complexes voient le jour et les structures internationales
actuelles ne sont pas bien placées pour les régler. Dans sa recherche d'une plus grande efficacité, l'ONU doit renforcer la coordination avec d'autres grandes
institutions multilatérales. La réunion sans précédent qu'ont eue en juin dernier les dirigeants de la Banque mondiale, du FMI [Fonds monétaire international] et de
l'OMC [Organisation mondiale du commerce] avec le secrétaire général de l'ONU servira sans nul doute à imprimer un élan des plus souhaitables à ce processus.
Il est une question qui émerge actuellement, celle de la corrélation entre commerce et normes du travail. Nous sommes heureux de voir l'OIT [Organisation
internationale du travail] concentrer ses efforts sur les normes fondamentales du travail, notamment en vue d'une convention internationale sur l'élimination du
travail forcé des enfants. Il n'est pas d'exemple plus clair d'un problème à propos duquel la coopération et le dialogue avec les autres organisations internationales
et régionales, particulièrement entre l'OIT et l'OMC, et avec les groupements non gouvernementaux, sont nécessaires pour produire une synergie plutôt que des
recoupements, des solutions efficaces plutôt qu'une pléthore de projets antagonistes.
La sécurité humaine durable suppose la satisfaction des besoins fondamentaux, à la fois par des moyens économiques et politiques. Qui dit sécurité dit qualité de la
vie, équité et protection des droits fondamentaux de la personne. De récents conflits internationaux ont prouvé, par la négative, que le respect des droits de la
personne et des principes démocratiques sont des dimensions fondamentales de la prévention des conflits et de la reconstruction ultérieure. Nulle part ailleurs cette
leçon n'a été aussi clairement ou douloureusement apprise qu'au Rwanda et en Bosnie.
L'an dernier, le Canada a commandé une étude sur les droits humains dans le contexte des opérations hors Siège de l'ONU. J'ai le plaisir d'annoncer aujourd'hui que
nous allons commencer immédiatement à dresser une liste de Canadiens qualifiés, spécialistes des droits de la personne, qui pourront être déployés rapidement dans le
cadre de plus vastes opérations de consolidation de la paix ou qui pourront effectuer, en tant que particuliers, des travaux spécialisés dans le domaine des droits
humains. Nous espérons coordonner nos efforts avec ceux de la Norvège et d'autres pays pour garantir un soutien ciblé et cohérent des activités de l'ONU visant à faire
face à ces urgences complexes à l'avenir.
En 1998, nous célébrerons le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ce sera l'occasion non seulement de réaffirmer notre attachement aux
principes de cette déclaration, mais aussi de considérer plus à fond les mesures pratiques que doivent encore prendre les gouvernements pour les appliquer. Le Canada
est convaincu que la sécurité humaine durable n'est pas réalisable sans cet engagement et cet effort. Nous allons notamment, dans le cadre des préparatifs du
50e anniversaire que dirige le Haut Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, promouvoir un débat international sur les moyens de lutter contre la
propagande haineuse, qui est souvent à l'origine de tragédies humaines comme le génocide et la « purification ethnique ».
Monsieur le Président, la création à La Haye de tribunaux internationaux contre les crimes de guerre dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda constitue un élément critique
des progrès que nous devons absolument accomplir dans le domaine des droits humains. Dans le cadre d'une réévaluation internationale constante des droits et
responsabilités de la personne, ces tribunaux ont affirmé le principe selon lequel des individus responsables d'atrocités ne peuvent pas bénéficier de la protection de
l'État. Ils signalent notre détermination à exiger des comptes des individus coupables d'atrocités, qu'ils soient des représentants d'un État ou des acteurs extra- ou
para-nationaux. Par-dessus tout, ces tribunaux attestent notre détermination à briser le cycle de la haine. L'Amérique centrale, l'Amérique latine et l'Afrique du Sud
nous donnent des preuves tangibles de l'importance de la justice pour redresser les torts du passé dans le travail de réconciliation et de reconstruction. Pour ces
raisons, le Canada réclame instamment la prompte instauration d'un tribunal pénal international permanent, qui constituera un nouvel instrument pour la lutte contre
les violations massives des droits de la personne.
Il est un aspect des droits de la personne que mon gouvernement et moi personnellement avons décidé de placer en tête de liste de nos priorités : je veux parler des
droits de l'enfant. Permettez-moi de profiter de cette occasion pour remercier une nouvelle fois le gouvernement de la Suède et féliciter les organisateurs du Congrès
mondial contre l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, qui s'est déroulé le mois dernier à Stockholm. Le Canada nourrit le fervent espoir que ce
congrès conduira à la mise en oeuvre des mesures pratiques les plus efficaces ainsi qu'à l'adoption et à la ratification d'instruments internationaux juridiquement
contraignants pour combattre l'esclavage des enfants et leur exploitation sexuelle à des fins commerciales. Nous devrions résolument nous employer à conclure les
négociations sur le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant concernant la vente des enfants, la prostitution et la pornographie juvéniles.
Sur le plan bilatéral, le Canada, de concert avec un certain nombre de pays en développement, cherche à protéger les enfants, à renforcer leurs droits et à aider les
victimes du commerce sexuel. Dans cette optique, l'éducation, la réduction de la pauvreté et l'apport d'autres options économiques revêtent une importance
déterminante, et nous entendons y employer notre budget d'aide au développement. Rien ne m'a donné plus grande satisfaction, comme ministre des Affaires étrangères,
que ma visite du site d'un projet financé par le Canada à Chiang Mai, dans le nord de la Thaïlande, qui consiste à aider d'anciens jeunes prostitués et des enfants de
prostitués à produire eux-mêmes leurs aliments; cette entreprise toute simple apporte à ces enfants la possibilité d'entreprendre une nouvelle vie.
Monsieur le Président, le concept de sécurité humaine durable exige un attachement non seulement au respect des droits de la personne, mais aussi à la démocratie. Bien
que ce terme ne figure pas dans la Charte de l'ONU, il n'est pas étranger à son histoire, et le développement des institutions démocratiques répond tout à fait à ses
principes fondateurs. Depuis 10 ans, nous avons vu l'ONU promouvoir la démocratie dans diverses parties du monde, du Cambodge à Haïti, en passant par l'Afrique du Sud.
D'autres organisations multilatérales jouent aussi un rôle important, comme celui qu'a tenu l'OSCE [Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe]
récemment à l'occasion des élections en Bosnie. De récents conflits ont montré plus d'une fois l'importance de structures démocratiques stables pour la promotion de
la sécurité humaine durable. Ils ont aussi mis en relief la nécessité de distinguer entre les aspirations démocratiques légitimes et les dangereuses tendances à la
fragmentation. La communauté internationale se doit de résister aux tentatives visant à structurer la participation politique en fonction de mini-États culturellement
ou ethniquement « purs ».
Haïti a été un test crucial pour les Nations unies dans la promotion de la démocratisation comme facteur intégral du renforcement de la sécurité. Les événements ont
montré la nécessité d'un effort international concerté pour étayer la démocratie, non pas seulement au profit d'un leader ni même d'une élection, mais aussi dans le
processus constant par lequel s'établissent les assises institutionnelles et sociales de la démocratie. C'est là que l'ONU peut jouer un rôle spécial, comme bâtisseur
de la paix. Nous devons le reconnaître, et prendre les engagements nécessaires pour que l'ONU travaille efficacement à la paix et à la stabilité à long terme en Haïti.
Le Nigéria, le Burundi et la Birmanie, notamment, ont récemment mis à l'épreuve notre aptitude collective à soutenir les aspirations démocratiques des peuples. Le
Canada demeure fermement déterminé à restaurer la démocratie dans ces pays et à travailler dans ce sens avec ses partenaires, à l'échelle bilatérale et multilatérale
et au sein du Commonwealth et de la Francophonie. Tant au Nigéria qu'en Birmanie, la volonté populaire, exprimée démocratiquement, doit être respectée et défendue par
la communauté internationale, sans quoi la légitimité de notre attachement aux valeurs de l'ONU sera mise en doute.
Monsieur le Président, l'explosion des technologies de l'information apporte de grands dangers, mais fait aussi naître de grandes possibilités en ce qui concerne la
sécurité humaine durable. Les groupements extrémistes peuvent maintenant répandre plus facilement leur message de haine et d'intolérance. Il suffit de considérer la
Bosnie et le Rwanda pour voir les tragiques effets d'une action tendant à avilir une partie de la communauté. Mais, en même temps, ces technologies ont donné à des
millions de personnes et à de nombreux groupes un moyen puissant de renforcer la société civile. Les gouvernements doivent eux aussi commencer à se servir de ces
technologies pour semer le message de la démocratie et de la saine gestion des affaires publiques.
Le développement des technologies de l'information soulève de nombreuses autres questions, notamment en ce qui concerne l'accès, la lutte contre les abus tels que la
transmission de la pornographie enfantine, et les répercussions potentielles de ces technologies sur le développement, la diversité culturelle, et la stabilité et la
souveraineté économiques. L'ECOSOC [Conseil économique et social des Nations unies] a commandé une étude relative à ces questions. À cet égard, le Canada a une
certaine expertise sur le plan de la jurisprudence et des questions techniques, et il compte bien contribuer au débat sur les implications mondiales, bonnes et
mauvaises, de ces nouvelles technologies.
Monsieur le Président, j'ai évoqué certaines des grandes questions qui exigent un renouvellement de la pensée onusienne. Mais il ne suffit pas d'innover sur le plan
conceptuel, il faut aussi que l'ONU renouvelle ses structures et en édifie de nouvelles. N'hésitons pas à éliminer les programmes ou les organismes devenus inutiles; à
réorienter ceux dont la mission l'exige; à consolider là où il le faut, et à éliminer les chevauchements et les recoupements qui sont apparus entre les fonds, les
programmes et les institutions. N'hésitons pas non plus à créer de nouveaux instruments, avec les ressources disponibles, pour affronter les problèmes d'aujourd'hui.
La réforme va au-delà des simples compressions budgétaires, bien que cet aspect ne soit pas à négliger. C'est pourquoi le Canada contribue activement aux travaux du
groupe Carlsson, composé de 16 pays de toutes les parties du monde qui cherchent à faire mieux respecter les obligations inscrites dans la Charte de l'ONU et à
accélérer le rythme du renouvellement des institutions multilatérales.
La crise financière que traverse actuellement l'ONU doit être notre plus grande priorité. Nous observons des progrès encourageants : le nouveau comité d'efficacité a
produit ses premiers résultats et, pour la deuxième année de suite, le budget n'a pas augmenté. Mais, et cela est peut-être plus important encore, la nécessité d'une
restructuration financière et administrative est de plus en plus reconnue. Il reste cependant beaucoup à faire. Je ne peux simplement me contenter de demander encore
une fois à tous les membres de régler leur quote-part, sans condition, en entier et dans les délais. Je dois demander pourquoi plus de la moitié des membres sont
fautifs à cet égard, et pourquoi certains s'abstiennent totalement de payer. Les difficultés budgétaires des gouvernements ne sont pas une excuse. Le Canada s'est
livré ces dernières années à des compressions budgétaires qui comptent parmi les plus sévères de tous les pays développés. Pourtant, nous continuons d'acquitter notre
quote-part à l'ONU en entier et à temps, parce que nous croyons que l'Organisation répond aux grandes priorités internationales.
Peut-être certains membres pensent-ils, en retardant leur versement, soumettre l'ONU à une forme de chantage, dans l'espoir de la forcer à entreprendre des réformes.
Cette tactique est à la fois immorale et à courte vue. Une organisation en crise n'aura pas la force de procéder à un véritable renouvellement. Ce qui fait défaut ici,
c'est la volonté politique, à la fois pour ce qui est de régler les quotes-parts et de progresser dans la difficile tâche que constitue la révision des barèmes en
fonction de la capacité de payer de chacun. Le Canada espère que d'autres pays membres se joindront à lui pour manifester cette volonté pendant la session actuelle de
l'Assemblée générale.
L'efficacité du Conseil de sécurité est une autre priorité : il faut rendre le Conseil plus responsable, plus représentatif et plus transparent. Pour le Canada, il
importe en particulier de faire réellement participer aux décisions les membres dont les citoyens, qu'ils soient militaires ou civils, subissent les conflits sur
lesquels le Conseil se penche.
Le Conseil doit s'attaquer à deux problèmes : son rôle et sa composition. Pour ce qui est de son rôle, le Conseil, s'il veut gérer la nature plus complexe de la paix
et de la sécurité internationales, doit être disposé à intervenir davantage pour prévenir les conflits. Le Conseil de sécurité, les autres entités du système onusien
et les autres intervenants gouvernementaux et non gouvernementaux devront donc coopérer afin de reconnaître et de régler les crises émergentes.
En second lieu, le Conseil peut, en élargissant le nombre de ses membres, faire taire les critiques qui lui reprochent d'être un organisme fermé dont la composition ne
reflète pas les changements intervenus dans le monde depuis 1945. Dans la répartition des éventuels nouveaux sièges, il faudra d'abord tenir compte de la contribution
des membres à l'exécution de la Charte de l'ONU, et aussi de la nécessité d'une représentation géographique équitable. Les membres ont des privilèges, mais surtout,
ils ont la responsabilité et l'obligation de promouvoir les principes de la Charte de l'ONU et la sécurité humaine durable. Une expansion du Conseil qui ne tiendrait
pas compte de cette nécessité ne ferait qu'éroder encore sa légitimité et la crédibilité du système de l'ONU dans son ensemble.
La revitalisation de l'Assemblée générale revêt tout autant d'importance, car c'est le seul organisme qui réunisse sur un pied d'égalité tous les pays du monde, dans
toute leur diversité. L'Assemblée générale représente à l'échelle mondiale l'essence aussi bien que le défi de la démocratie. Aucun autre endroit ne convient mieux
pour réaliser le consensus et prendre des décisions sur le nouveau programme de la sécurité humaine, mais cela nécessitera un changement de perspective et de culture,
où l'on donnera la priorité au travail de mise en oeuvre plutôt qu'aux plans d'action généraux. L'Assemblée générale doit prendre l'initiative de promouvoir la
sécurité humaine durable, concept qui réunit la gestion des ressources naturelles, la croissance ainsi que la paix et la sécurité.
Monsieur le Président, j'ai décrit aujourd'hui dans les grandes lignes certaines des mesures que prend le Canada pour faire évoluer les mentalités, améliorer les
pratiques existantes et en instaurer de nouvelles. Je sais que d'autres États membres font eux aussi des efforts dans le même sens. Nous avons maintenant de nombreuses
options à examiner et à discuter.
Mais les plans, les propositions et les études ne suffisent pas. Le poète Yeats a dit que la responsabilité prenait racine dans les rêves. Il est facile de rêver; il
l'est moins d'agir. Nous avons une nouvelle vision du multilatéralisme, et un nouveau mandat non seulement pour la prévention des conflits, mais aussi pour la culture
de la paix. Nous avons commencé à travailler pour donner corps à cette vision dans la réalité. Nous mesurons tous l'énormité de cette tâche au moment de nous y
atteler, mais il faut persister, car si elle est difficile, notre mission n'est en pas moins vitale.
Nous devons nous montrer capables de restaurer l'esprit de 1956, grâce auquel, au plus fort de la guerre froide, l'ONU a donné naissance au maintien de la paix et
changé ainsi pour toujours les relations internationales. Nous devons trouver en nous-mêmes la capacité et la volonté de sortir des sentiers battus et la ténacité de
mettre à exécution nos idées nouvelles. Il y va de l'intérêt de tous et de chacun d'entre nous.
Merci.