M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA CONFÉRENCE DE STRATÉGIE INTERNATIONALEVERS L'INTERDICTION COMPLÈTE DES MINES ANTIPERSONNEL - OTTAWA (ONTARIO)
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NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA CONFÉRENCE DE STRATÉGIE INTERNATIONALE
VERS L'INTERDICTION COMPLÈTE DES MINES ANTIPERSONNEL
OTTAWA (Ontario)
Le 3 octobre 1996
Distingués invités et délégués,
Je suis heureux et honoré de vous souhaiter la bienvenue au Canada et à cette séance de stratégie qui vise à catalyser l'action entreprise par la communauté
internationale pour interdire les mines antipersonnel. Je suis particulièrement content de voir autant de participants venus des pays les plus touchés par les mines --
ils connaissent trop bien les horreurs qu'elles infligent.
Ici, au Canada, il n'est que trop facile de penser que les mines ne nous concernent pas vraiment, qu'elles constituent un problème lointain. Pourtant, il y a à peine
trois mois, j'ai parlé à la mère de Christopher Holopina, ce jeune sapeur des Forces armées canadiennes qui a été tué en Bosnie lorsqu'une mine a explosé au passage de
son véhicule. Nous ne pourrons pas ramener à la vie Christopher, ni les autres victimes, mais nous pouvons par contre bâtir un monument approprié à leur mémoire en
prenant des mesures pour interdire ces mines.
Il importe d'abord de signaler que le mouvement en faveur de l'interdiction des mines a été en grande partie amorcé par ceux et celles qui travaillent sur le terrain,
qu'il s'agisse des victimes, des ONG [organisations non gouvernementales] ou des organismes internationaux. En Amérique du Nord, il est attribuable à des personnes
comme Brian Isfeld (dont le fils Mark, membre du Génie militaire canadien, a été tué par une mine en Croatie) qui oeuvre maintenant au sein de Land-mine Survivors
Network afin de sensibiliser les Canadiens au danger des mines antipersonnel. Nous avons une immense dette de reconnaissance envers des millions de personnes à travers
le monde et, en particulier, la Campagne internationale contre les mines terrestres, le CICR [Comité international de la Croix-Rouge]et les institutions de l'ONU.
Elles se sont exprimées avec tant de clarté, de conviction et d'acharnement que plus de 70 pays veulent aujourd'hui interdire les mines.
Il m'apparaît évident que la volonté passionnée de ce groupe d'organisations et de personnes a été un facteur déterminant dans cette dynamique dont on connaît très peu
d'équivalents dans l'histoire de la sécurité internationale et du désarmement. Je crois que nous assistons à l'émergence d'un nouveau mode de coopération
internationale où les citoyens, les groupes non gouvernementaux, les organismes internationaux et les gouvernements nationaux unissent leurs efforts dans un véritable
partenariat pour concrétiser leurs objectifs. Encore il y a trois semaines, à Ottawa, j'ai assisté à l'ouverture du Conseil de l'Arctique, cet organisme international
unique et nouveau, au sein duquel des groupes autochtones travaillent vraiment en association avec les gouvernements à la protection et au développement durable d'une
région qu'ils connaissent mieux que quiconque puisqu'ils y habitent. J'espère qu'il en ira de même pour cette réunion et qu'il s'en dégagera la synergie propre à la
démocratisation de la coopération internationale.
Pourquoi les mines terrestres, pourquoi leur interdiction?
Nous sommes ici aujourd'hui pour franchir les premiers pas vers l'interdiction complète des mines antipersonnel. Vous en connaissez tous bien les raisons.
Dans 70 pays du monde, plus de 100 millions de mines terrestres perpétuent des combats terminés depuis des mois, des années et parfois des dizaines d'années. Certains
estiment que les mines antipersonnel tuent ou blessent 500 personnes par semaine, des civils dans 90 p. 100 des cas, et hélas trop souvent des enfants. Plus d'un quart
de million de personnes souffrent maintenant des cicatrices physiques et émotionnelles laissées par les mines terrestres.
Mais les mines font plus que tuer et blesser des milliers d'innocents chaque année. Elles terrorisent et appauvrissent des collectivités entières, elles alourdissent
le fardeau des pays en développement à cause de l'aide spéciale et coûteuse dont les victimes ont besoin, et elles ravivent la flamme d'un conflit chaque fois qu'une
collectivité revit les horreurs de la guerre par ses victimes.
Malheureusement, les sacrifices personnels et le courage incroyables de ceux et celles qui aident les victimes ou font du déminage sont souvent assombris par un fait
accablant : la communauté internationale est en train de perdre la bataille contre les mines antipersonnel.
Même si nous supprimons jusqu'à 100 000 mines par année, de 2 à 5 millions sont ajoutées pendant ce temps. Même si nous consacrons chaque année des millions aux
victimes des mines, on en compte chaque jour 70 de plus.
Faits nouveaux à l'ONU
Si sombres que soient ces statistiques, nous ne devons pas perdre espoir. La semaine dernière à New York, à l'ONU, j'ai présidé, ou pris part, à des réunions qui
comptent parmi les plus encourageantes auxquelles il m'a été donné de participer en tant que ministre des Affaires étrangères. Ce qui m'a le plus réjoui, ce fut de
voir tous ces nouveaux pays qui viennent se joindre à ceux qui travaillent déjà aux mesures à prendre pour interdire complètement les mines.
À l'Assemblée générale, les orateurs ont, les uns après les autres, pris des engagements dans le sens de l'interdiction complète des mines. Les États-Unis ouvriront la
marche dans nos efforts pour présenter à l'Assemblée générale de l'ONU une résolution ferme réclamant une telle interdiction. L'objectif premier de notre rencontre
d'aujourd'hui est de fournir tout l'appui possible à cet effort. Nous voulons assortir notre résolution d'une liste impressionnante de coparrains afin de bien montrer
que l'interdiction est réelle et qu'elle est imminente.
Je me suis également entretenu avec de nombreux collègues, en privé et en groupe, pour voir comment il était possible de concerter notre action pour promouvoir
l'interdiction, aider les victimes et faire du déminage. Avec mon collègue japonais, j'ai parlé de la coordination de nos efforts de déminage. Le ministre allemand
Klaus Kinkel m'a fait part d'idées intéressantes pour favoriser la coopération entre nos industries et améliorer les techniques de déminage. L'Afrique du Sud a
communiqué des idées utiles et concrètes pour débarrasser cette région de ses nombreuses mines terrestres. J'espère que nous entendrons d'autres suggestions du genre
au cours des prochains jours.
Dans toutes mes discussions, j'ai senti naître un enthousiasme et une détermination sans précédent. À mon avis, la communauté internationale a maintenant la volonté
politique qu'il lui faut pour prendre une action collective afin d'éliminer le fléau des mines antipersonnel. J'en veux pour preuve votre présence ici aujourd'hui.
Nos prochains défis
À mon avis, la communauté internationale doit relever deux types de défis :
Le premier revient à réduire l'utilisation de ces mines pendant que nous nous employons, rapidement, à conclure un accord sur leur interdiction complète.
Le second consiste à s'attaquer à l'héritage destructeur des mines terrestres : autrement dit, à déterminer les ressources disponibles pour les opérations de
déminage et pour prodiguer des soins aux victimes.
Ces deux types de défis doivent être pris en considération de toute urgence.
L'ONU, les ONG et les groupes d'experts en mines ont, ces dernières années, contribué de façon croissante aux efforts de déminage souvent en dépit d'énormes risques
personnels. Le Canada est fier du rôle que ses ONG et ses forces armées ont tenu dans les opérations de déminage conduites à travers le monde. Nous rendons hommage à
la bravoure des hommes et des femmes de toutes origines engagés dans cette dangereuse tâche.
Dans cet ordre d'idées, je suis très heureux d'annoncer aujourd'hui que le Canada versera une contribution supplémentaire de quelque 2 millions de dollars pour
intensifier les opérations de déminage dans diverses parties du monde. Cet après-midi, mon collègue du Cabinet, M. Pierre Pettigrew, vous indiquera à quoi cette somme
sera affectée.
Il me fait aussi plaisir d'annoncer que nous parrainerons un colloque canadien sur la technologie du déminage et l'aide aux victimes, qui se tiendra à Winnipeg, au
début de février. Ce colloque portera principalement sur l'amélioration de la capacité du Canada dans ces deux domaines et visera surtout les ONG et le secteur privé
canadiens. De plus, dès l'an prochain, le Centre international Pearson de formation en maintien de la paix intégrera un module de sensibilisation aux mines terrestres
à tous ses programmes.
Aujourd'hui, nous avons pour tâche de donner suite à la Conférence de Copenhague sur le déminage. J'attends le rapport de cette conférence qui sera présenté au cours
de notre réunion, et je sais que d'autres ici ont des propositions concrètes sur la prochaine étape. Dans le cadre de nos discussions, je propose que nous envisagions
la possibilité de créer un groupe de travail constitué de techniciens experts qui seront chargés de veiller à la mise au point de techniques de déminage moins
coûteuses et moins dangereuses.
Mes conversations avec des collègues de pays touchés par ce problème et de pays donateurs me portent à penser que nous pourrions instaurer dans certains domaines des
partenariats avec d'autres États, avec des ONG et avec le secteur privé, en particulier en ce qui a trait à l'aide aux victimes.
Je suis aussi convaincu que si nous parvenions à faire progresser véritablement le volet politique du dossier de l'accord sur l'interdiction des mines, il s'ensuivrait
des répercussions directes et positives sur les efforts concernant le côté humain, c'est-à-dire le déminage et l'aide aux victimes. C'est la raison qui explique que
notre réunion a pour but de galvaniser et de catalyser l'action internationale en vue de la négociation d'une interdiction complète des mines antipersonnel.
Je souhaite que la communauté internationale se dirige avec une vitesse calculée et un but précis vers ces négociations. Le Canada n'est pas prêt à accepter que des
obstacles procéduraux viennent entraver le lancement et la conclusion rapide des négociations sur une convention interdisant les mines terrestres.
Les signes sont encourageants : un grand groupe de pays partageant les mêmes opinions, d'ONG et d'organismes internationaux ont déjà pris la décision d'agir, que ce
soit par des restrictions nationales de l'usage ou par des campagnes visant à sensibiliser le public et à susciter une action internationale.
Lorsqu'au début de l'année le Canada a annoncé son moratoire sur l'usage, la production et l'exportation des mines, il faisait partie d'un groupe de moins de 10 pays
qui appliquaient de telles restrictions. Depuis, des douzaines de pays ont modifié leur politique nationale : certains producteurs clés, comme l'Italie et le Brésil,
ont cessé de produire des mines; de nombreux pays n'en exportent plus; les États touchés se sont engagés à souscrire à l'interdiction et de nombreux pays importants en
ont restreint l'usage. Hier, mon collègue, le ministre de la Défense, a annoncé que le Canada s'emploierait sans délai à réduire des deux tiers ses stocks de mines.
À mon sens, la tendance est assez claire. Pourrons-nous maintenir ce cap et aller plus loin? Je crois que oui. Je pense que nous sommes bien engagés sur la voie de
l'interdiction, à en croire l'énorme soutien de la communauté internationale et la convergence manifeste entre les buts et les efforts des États, des organisations
régionales, des Nations unies, des parlementaires et des ONG du monde entier.
Conclusion
La convergence des efforts de chaque particulier, de chaque groupe ici, aujourd'hui, fait partie de l'élan qui nous portera vers une interdiction complète des mines
terrestres. Cependant, si vous le permettez, je voudrais conclure en m'adressant à un groupe en particulier, celui des jeunes qui se trouvent parmi nous et hors de ces
murs.
L'interdiction des mines est le gage d'un avenir plus sûr et, à ce titre, elle intéresse directement tous les jeunes. De plus, en adoptant cette cause, les jeunes
consacreront leurs aptitudes particulières à faire avancer le dossier, à changer le programme international. Pour reprendre les termes du philosophe italien
Calvadossi : « rien n'est plus difficile à prendre en main, plus périlleux à exécuter ni plus aléatoire quant au succès que l'introduction d'un nouvel ordre des
choses ». Ce sont les jeunes qui ont la force, l'espoir et la vision de l'avenir, qui pourront introduire un nouvel ordre où les mines terrestres ne seront plus qu'un
triste et lointain souvenir.
Merci.