M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LE CONSEIL DE MISE EN OEUVRE DE LA PAIXEN BOSNIE-HERZÉGOVINE - LONDRES (ANGLETERRE)
96/52 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
DÉCLARATION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LE CONSEIL DE MISE EN OEUVRE DE LA PAIX
EN BOSNIE-HERZÉGOVINE
LONDRES (Angleterre)
Le 4 décembre 1996
Monsieur le Président, il y a trois semaines à Paris nous avons réitéré notre engagement envers le processus de paix en Bosnie et nous avons rappelé avec fermeté que
ce processus repose sur un contrat entre la communauté internationale et les autorités bosniaques. Notre but, ici à Londres, est de nous mettre d'accord sur les termes
de ce contrat pour la prochaine année.
Ce matin, je voudrais concentrer mes commentaires sur un certain nombre de questions au sujet desquelles Canada croit que le principe d'engagement et d'obligation
entre la communauté internationale et les autorités bosniaques doit être renforcé en 1997.
La communauté internationale examine la possibilité de maintenir en Bosnie une force internationale menée par l'OTAN au-delà du mandat de l'IFOR. Mais en retour pour
cette assistance au maintien de la paix, nous devons insister pour des progrès concrets dans les domaines de la liberté de mouvement des personnes, du retour des
réfugiés et du contrôle des armes.
Nous nous attendons à ce que les forces de police de Bosnie coopèrent pleinement avec la Force de police internationale (IPTF) dans la réforme et la construction de
leur organisation de manière à ce qu'elles puissent graduellement exercer un plus grand contrôle sur la sécurité intérieure. À cet égard, le Canada est prêt à apporter
sa contribution en 1997. Mais les autorités bosniaques doivent être prêtes à étendre et intensifier leur coopération avec l'IPTF.
En tant que membre de la communauté internationale présent à la réunion du PIC, le Canada est activement engagé dans la reconstruction de la Bosnie. Mais nous avons
besoin de travailler avec un gouvernement qui fonctionne. Le conseil des ministres et les agences clés comme la Banque centrale doivent être sur pied et fonctionner en
1997 si l'on veut acheminer l'aide efficacement.
Une reconstruction réussie dépend également d'une plus grande coopération économique entre les entités et au sein de l'État. Des lignes peuvent être tirées sur une
carte, mais l'infrastructure économique de l'ex-Yougoslavie traverse ces lignes. Ce fait demeure la clé de la prospérité pour tous les groupes dans la région; l'aide
canadienne à la reconstruction mettra l'accent sur des projets qui requièrent la participation des trois groupes ethniques. À cette fin, nous avons été heureux de
mener à terme, de concert avec le Royaume-Uni et le Japon, la mise au point d'un grand projet d'infrastructure dans le secteur de l'énergie. Pour ce projet, il faut la
coopération des trois communautés bosniaques, coopération dont nous nous sommes assurés. Dans le cadre du futur programme de reconstruction, le Canada est prêt à
collaborer de nouveau avec ses amis du Royaume-Uni et du Japon et, bien entendu, avec d'autres pays, à l'exécution de projets qui encourageront ce type de coopération
inter-ethnique si déterminante pour l'avenir de la Bosnie.
La poursuite des réformes démocratiques est également la clé de l'avenir de la Bosnie. Des élections municipales démocratiques, libres et équitables doivent être
tenues en 1997. Ces élections doivent être supervisées par l'OSCE. Elles doivent impliquer une coopération étroite avec le haut-représentant. Le Canada est prêt à
continuer à jouer un rôle actif comme nous l'avons fait plus tôt cette année lors des élections. Mais les autorités doivent coopérer afin d'assurer que le processus
électoral soit meilleur que celui de septembre dernier.
Le développement d'une presse libre est essentiel pour ces élections et pour abaisser les barrières de la haine et des préjugés créées par des années de guerre de
propagande entre toutes les parties. Le Canada va appuyer la mise sur pied d'un réseau de télédiffusion et fournira la formation. Cependant, notre assistance ne sera
efficace que si le gouvernement national et celui de chaque entité en Bosnie promulguent les lois nécessaires et rendent disponibles les ressources permettant le
développement d'une presse libre.
Lors d'occasions précédentes, j'ai parlé du déminage en Bosnie. Le redressement économique, la liberté de mouvement et le retour des réfugiés sont tous impossibles à
moins que l'on puisse à nouveau fouler le sol et travailler aux champs en toute sécurité. Là aussi, la coopération est essentielle. Tant la communauté internationale
que les Bosniaques eux-mêmes doivent faire davantage. En 1997, il faudra coordonner plus étroitement les efforts des pays donateurs à cet effet, particulièrement par
l'intermédiaire du Centre de déminage des Nations unies à Sarajevo. Le Canada est disposé à accroître l'aide qu'il fournit à ce centre et au déminage en général.
Cela dit, je suis préoccupé par l'inadéquation des réponses des gouvernements national et des entités aux efforts internationaux d'aide au déminage. Ceux-ci doivent
faire du déminage un facteur prioritaire de la reconstruction nationale. En outre, j'exhorte les gouvernements de la Bosnie, de la Croatie et de la République
fédérative de Yougoslavie à souscrire à l'initiative visant l'interdiction complète de la production, de l'exportation, du stockage et de l'utilisation des mines
antipersonnel, lancée par la conférence d'Ottawa.
Monsieur le président, il n'y aura pas de paix durable en Bosnie si les droits de la personne et la justice n'y sont pas respectés. Il n'y aura pas non plus de paix
durable si nous ne consentons pas un sérieux effort pour appréhender les présumés criminels de guerre. Les autorités bosniaques doivent collaborer sans réserve avec le
tribunal pénal international si elles veulent recevoir une assistance de la communauté internationale. C'est là, monsieur le Président, le facteur décisif.
La communauté internationale remplit ses obligations à cet égard. Nous avons établi le Tribunal pénal international pour crimes de guerre. Mais chaque jour de liberté
de plus pour les présumés criminels de guerre met à l'épreuve notre crédibilité, heurte notre sens de la justice et fléchit notre espoir en la sécurité et la paix dans
l'avenir. Il faut couper court à l'influence que les présumés criminels de guerre exercent sur la vie politique de la Bosnie.
À Paris, j'ai parlé de « resserrer le filet » autour des criminels de guerre inculpés, dans des régions particulières de Bosnie afin de limiter leur liberté de
mouvement et de parvenir, avec le temps, à les marginaliser. Les militaires doivent certainement jouer un rôle plus actif.
J'ai aussi recommandé que l'OTAN et le haut-représentant se joignent au tribunal pénal international afin d'examiner d'autres moyens de restreindre davantage la
liberté de circulation des inculpés. Par l'intensification des patrouilles, l'entraînement des militaires à l'identification et à la détention des présumés criminels
de guerre et par des campagnes de signalement des personnes recherchées, il sera possible de les isoler davantage, de réduire leur influence et d'augmenter les chances
de les arrêter. Nous pourrions envisager d'autres mesures : par exemple, le versement de récompenses à ceux qui donneront des indications conduisant à l'arrestation de
criminels de guerre.
Les autorités bosniaques doivent se montrer décidées à écarter toutes les personnes inculpées des postes de l'administration publique ou de postes en vue dans leurs
communautés. Lorsqu'il n'en sera pas ainsi, ni ces personnes ni les organisations auxquelles elles appartiennent ne devraient être autorisées à participer à des
activités engageant le haut-représentant ou toute autre organisation internationale. Nous devrions refuser toute assistance et tout financement aux « opstinas », aux
cantons et autres échelons ou organismes gouvernementaux qui comptent des inculpés parmi leurs membres. Je le répète : sans une action ferme contre les criminels de
guerre, la réconciliation est condamnée. Plus tôt cette semaine, au sommet de l'OSCE à Lisbonne, le président de Bosnie, M. Izetbegovic, a déclaré que les poursuites
contre les criminels de guerre, l'une des conditions de la réconciliation en Bosnie, progressent lentement et sont inefficaces. Je partage son avis : il nous faut des
actions et non des mots.
Monsieur le Président, tous les dossiers que j'ai cités aujourd'hui réclament une certaine forme d'assistance internationale. Fondamentalement, il s'agit de notre
partie du contrat. En échange, nous nous attendons à l'entière collaboration des autorités bosniaques.
Le Canada souscrit à l'idée d'un examen en milieu d'année du plan d'action de 1997 et lui accordera le plus grand intérêt. Nous en profiterons pour reconsidérer notre
aide aux autorités qui ne se plieraient pas aux termes du processus de paix. Par la même occasion, nous récompenserons la coopération.
Monsieur le Président, l'efficacité de l'exécution de ce contrat passe par la coordination. Le haut-représentant doit être en mesure de coordonner efficacement les
aspects civils de l'accord de paix et de continuer à nous guider en ce qui a trait à la conformité.
D'ici à la fin de 1997, le gouvernement national et les gouvernements des entités de Bosnie-Herzégovine seront à l'oeuvre et assumeront des responsabilités
grandissantes; les élections municipales devraient être terminées, la reprise économique bien établie, à l'échelon des villes et de la campagne; le peuple bosniaque,
les jeunes en particulier, doit connaître les enjeux de la paix. Les villes comme les zones rurales doivent devenir plus sûres parce que les mines auront été enlevées,
que la force de police internationale et les forces policières locales coopéreront, que les criminels de guerre auront été traduits en justice et que, progressivement,
les réfugiés et les personnes déplacées regagneront leurs foyers.
Je me rends parfaitement compte du travail que cela suppose et des tensions qui persistent en Bosnie. Cependant, nous avons entrepris la prochaine phase du processus
de paix en acceptant le plan d'action, en déterminant les tâches à accomplir et en nous engageant, tous, à surmonter les difficultés avec lesquelles nous sommes aux
prises. C'est notre tâche. Si nous nous y mettons tous sérieusement et ensemble, nous pouvons réussir.
Avant de conclure, je suis obligé de parler de la situation actuelle dans la République fédérative de Yougoslavie et des risques de violence face à des manifestations
pacifiques. Bien que l'objet de la réunion du Conseil soit de discuter du plan d'action de 1997 pour la Bosnie, il va de soi pour nous tous que la paix ne pourra être
maintenue en Bosnie sans une réforme chez ses voisins, la Serbie et la Croatie. Le Canada déplore que le gouvernement de Serbie ait choisi d'ignorer les normes
internationales agréées pour la conduite d'élections démocratiques et que les candidats de l'opposition aient été privés de leurs places légitimes dans les conseils
locaux. La fermeture par le gouvernement de postes de radio indépendants constitue aussi un affront aux principes démocratiques. Le président Milosevic et son
gouvernement doivent respecter les principes et les traditions démocratiques acceptés. À ce titre, le comportement de la Serbie aura des répercussions sur le rythme et
la portée de la normalisation de ses relations avec d'autres pays dont le Canada.
Je vous remercie.