M. AXWORTHY - ALLOCUTION À UNE RÉUNION DU FORUM NATIONAL SUR LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE« LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADADANS UN MONDE EN PLEINE MUTATION » - WINNIPEG (MANITOBA)
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NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À UNE RÉUNION
DU FORUM NATIONAL SUR LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE
« LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA
DANS UN MONDE EN PLEINE MUTATION »
WINNIPEG (Manitoba)
Le 13 décembre 1996
Ce document est également disponible au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca
Un monde en pleine mutation
Vous avez peut-être vu récemment des reportages sur la Serbie montrant comment, lorsque le gouvernement a ordonné la fermeture de la dernière radio indépendante, les
Serbes se sont tournés vers l'Internet. En créant son propre site Web, la population serbe a pu échanger des informations sur la multitude de manifestants qui
protestaient contre le refus du gouvernement serbe de reconnaître les résultats légitimes des élections locales. Les Serbes ont pu constituer un réseau et s'organiser.
Le gouvernement a réussi à fermer une seule station de radiodiffusion, mais il n'a pu accéder aux milliers d'ordinateurs reliant les citoyens au reste du monde.
Ce qui arrive en Serbie et ailleurs en ex-Yougoslavie est le signe de transformations plus vastes. Ces dernières années, le monde a connu une profonde métamorphose
géopolitique. Les plaques tectoniques des relations internationales se sont réalignées et, comme c'est le cas lorsque deux plaques se rejoignent, il s'en est dégagé
des remous gigantesques. Un nouveau paysage se profile, mais les contrecoups de ces mouvements se font encore sentir, en en-Yougoslavie et ailleurs. De nouveaux pays
prennent forme et les peuples font entendre leur voix à travers le monde comme ils n'auraient jamais pu le faire auparavant.
Les tendances porteuses de changement
L'Internet et, de façon plus générale, la révolution informatique, servent d'éléments de nivellement. En apprenant à maîtriser cette nouvelle technologie, les
individus peuvent avoir autant d'emprise que leurs gouvernants sur le cours des événements. C'est ainsi que nous assistons à une démocratisation des relations
internationales et de la politique étrangère.
Les événements qui secouent la Serbie ont fait la une des journaux canadiens. Les reportages sur les manifestations ont rempli les écrans de nos téléviseurs et de nos
ordinateurs. La perméabilité des frontières et l'accroissement de l'interdépendance caractérisent cette ère nouvelle. Ceci nous force à repenser la place du Canada
dans le monde et la façon dont nous réagissons aux événements extérieurs.
Durant la guerre froide, lorsque le Canada s'employait à préserver la paix et la sécurité dans le monde, il l'a fait en fonction de limites et de contraintes bien
établies. Nous avons envoyé des gardiens de la paix; nous avons négocié des traités en vue du désarmement. Et, en général, nous nous sommes tenus à l'écart de ce que
nous considérions comme les affaires internes des autres pays. Désormais, la sécurité est devenue quelque chose de beaucoup plus vaste. Des élections annulées en
Serbie ou des frictions causées par la haine ethnique en Bosnie, au Rwanda ou au Zaïre peuvent déclencher des conflits qui déstabilisent des régions entières. Il
apparaît de plus en plus clair que la protection de la « sécurité humaine », une notion qui recouvre aussi bien les droits de la personne, les libertés fondamentales,
la règle de droit et la saine gestion des affaires publiques, que le développement durable et l'équité sociale, revêt autant d'importance que le contrôle des armements
et le désarmement pour instaurer la paix dans le monde. La notion de consolidation de la paix a précisément vu le jour en réaction au besoin de préserver la sécurité
des êtres humains.
J'ai choisi l'exemple de la Serbie car je crois qu'il illustre bien les tendances, derrière le glissement des plaques tectoniques dans les relations internationales,
que nous avons vues à l'oeuvre :
la démocratisation et la multiplication des acteurs internationaux;
le changement rapide et l'effacement des frontières et des lignes de démarcation qui découlent de la mondialisation et de la révolution informatique;
l'apparition de nouveaux types de conflit qui menacent la sécurité des êtres humains;
la nécessité de trouver de nouveaux outils et de nouvelles mesures pour affronter ces changements.
Le rôle du Canada
Pour le Canada, la question cruciale est de déterminer quelle est notre place dans ce monde en mutation, où nous pouvons être utiles et où nous devons agir pour nous-mêmes, dans le but de promouvoir les intérêts du Canada. Ce sont des questions de cet ordre que vous-mêmes et d'autres Canadiens ont abordées dans le cadre du Forum
national. Ce sont les questions auxquelles nous faisons tous face à la veille du nouveau millénaire.
Dans son livre Millenium, Philippe Fernandez Armesto fait des rapprochements intéressants entre les événements de cette fin de siècle et ceux de la fin du siècle
précédent, en l'an 1000 après J.-C. Dans ce contexte, il souligne la capacité de certains groupes d'exercer une influence décisive sur le reste de l'humanité en
formulant et en communiquant des idées, en créant ou en adaptant des technologies, et en poursuivant de nouveaux objectifs. À mon avis, le Canada a tout ce qu'il faut
pour être l'un de ces acteurs influents qui dirigeront le cours des événements au XXIe siècle et après.
Ce n'est pas un sentiment excessif de fierté nationale qui me fait dire cela; ce sont les qualités et les capacités du Canada qui nous permettront d'intégrer sans
heurt la nouvelle conjoncture internationale. Nous avons d'abondantes ressources humaines et une grande habileté politique. Nous avons appris l'art de nous accommoder
en construisant un fédéralisme qui se caractérise par sa flexibilité. Et nous continuons de jouir d'un solide appui du public en faveur du rôle du Canada comme
intervenant constructif et dynamique sur la scène internationale. La ville de Winnipeg est un cas d'espèce. Voilà une ville située au milieu du continent. Mais comme
elle est le centre du commerce des céréales et le siège de la Commission canadienne du blé, elle a toujours été tournée vers l'extérieur. Ses habitants ont toujours su
apprécier l'importance d'entretenir des liens avec le reste du monde.
Le choix des priorités
Nous devons, en même temps, nous faire à l'idée que nous ne pouvons tout faire et qu'il nous faut choisir plus que jamais où et comment intervenir dans le monde.
La consolidation de la paix tout comme les communications internationales, deux questions dont vous venez de discuter, se singularisent comme des créneaux
diplomatiques que le Canada est bien placé pour occuper. Nous avons une grande expertise dans ces domaines. Nous sommes aux premiers rangs de ceux qui, sur la scène
internationale, recherchent de nouveaux moyens de répondre aux affrontements et aux conflits, comme en témoigne notamment l'étude sur l'intervention rapide que nous
avons présentée à l'ONU. Et nous sommes surtout bien placés pour exercer le « soft power », cette puissance souple qui est nécessaire si nous voulons être efficaces
dans ces nouveaux domaines de la diplomatie. Par puissance souple, j'entends l'influence internationale que confèrent la connaissance, l'information et des valeurs
respectables. Dans un monde dominé par les communications, cette influence équivaut au pouvoir - le pouvoir d'atteindre nos objectifs en formant des coalitions comme
la force multinationale au Zaïre, plutôt qu'en recourant à la coercition.
Avec l'aide des Canadiens
Le Forum national, et d'autres filières de consultation du même genre, ont un double rôle, soit de maintenir le soutien des Canadiens pour notre vocation
internationaliste et de fixer des priorités, c'est-à-dire d'examiner quels créneaux le Canada peut et devrait occuper. Notre politique étrangère doit être ancrée dans
l'acceptation et le soutien du public. Elle doit s'orienter à partir de ce que les Canadiens croient possible et souhaitable. Le Forum permet de canaliser de manière
efficace et directe le point de vue des Canadiens, tout en les amenant à participer à l'élaboration des options de politique étrangère.
S'il est une conclusion qui se dégage de nos consultations jusqu'ici, y compris des réunions du Forum, c'est que les Canadiens restent attachés à une politique
étrangère active et internationaliste. Les enjeux et le contexte ont peut-être changé, mais les Canadiens soutiennent une approche active de puissance moyenne avec
autant de vigueur qu'il y a quarante ans lorsque nous avons mis en place la première force de maintien de la paix.
Les régions où l'action du Canada compte en 1996
Forts du soutien public, nous avons tenté d'atteindre les objectifs canadiens prioritaires au cours de l'année écoulée. Dans les domaines qui importent aux Canadiens,
nous avons agi en chefs de file et notre action a compté au plan international.
Le leadership exercé par le premier ministre a motivé la communauté internationale à constituer la force multinationale pour le Zaïre. Ceci a déclenché l'élan
politique nécessaire pour sortir de l'impasse qui menaçait la vie de centaines de milliers de réfugiés. De ce fait, l'aide humanitaire est devenue quelque peu moins
urgente. Mais nous poursuivons nos efforts pour nous occuper des besoins à plus long terme; pour briser le cycle de la violence qui a mis à sac la région des Grands
Lacs d'Afrique.
Le gouvernement assume également un rôle de chef de file lorsqu'il s'agit de protéger les intérêts du Canada au plan international. Face à la loi Helms-Burton, le
Canada s'est fait le champion des efforts internationaux visant à résister à cet exercice de juridiction extraterritoriale inacceptable. L'Union européenne, le Japon,
le Mexique, les pays des Antilles et de l'Amérique centrale et le groupe de Rio ont tous joint leurs voix à la nôtre pour contester cette loi. Chez nous, nous avons
proposé d'apporter à notre législation des changements propres à aider les sociétés canadiennes à se défendre contre les effets de la loi Helms-Burton et d'autres lois
inacceptables du même genre.
Comme suite à son engagement d'inscrire la question des droits de l'enfant en tête de liste de son programme de politique intérieure et étrangère, le gouvernement a
nommé le sénateur Landon Pearson comme conseiller spécial en 1996. Nous avons mené sous la direction du sénateur Pearson de vastes consultations sur les droits de
l'enfant. Nous avons commencé à oeuvrer sur la scène internationale en vue de la prise de mesures contre le travail forcé des enfants et leur exploitation commerciale
à des fins sexuelles. Et, ainsi que l'indique le projet de
loi C-27, nous avons proposé d'apporter au Code criminel des changements qui prévoient de poursuivre les citoyens canadiens qui font du « tourisme du sexe ».
Le Canada a été à l'avant-garde du mouvement visant à interdire les mines antipersonnel. Ces armes continuent à livrer des batailles qui ont pris fin il y a des mois,
des années et même des décennies. Elles tuent ou blessent près de 500 personnes par semaine, dont 90 % de civils, parmi lesquels de nombreux enfants. Lors d'une
conférence à Ottawa en octobre, j'ai invité les gouvernements présents à approuver la signature, à la fin de 1997, d'un traité interdisant toutes les mines
antipersonnel.
En Bosnie, le Canada a oeuvré en faveur de la libre expression des médias et de la tenue d'élections démocratiques afin de reconstruire la société civile et de
consolider la paix. En même temps, il poursuit sa contribution à la force internationale de maintien de la paix. Tant et si bien que le Régiment d'infanterie Princess
Patricia, de Winnipeg, partira bientôt pour la Bosnie pour prendre la relève comme contingent canadien dans le cadre de la force de stabilisation, mesure avalisée par
l'OTAN cette semaine.
Convaincu qu'il n'y aura pas de paix durable sans justice, le Canada a mené les efforts visant à poursuivre les criminels de guerre de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda.
C'est une Canadienne, Madame le juge Louise Arbour, qui a été nommée, plus tôt cette année, procureur en chef du tribunal pénal international de La Haye. Cette
semaine, lors la réunion des ministres de l'OTAN, j'ai pu obtenir qu'ils appuient la position du Canada, qui estime que l'OTAN doit prendre de nouvelles mesures à
l'égard des criminels de guerre en Bosnie.
Nous nous sommes également employés à étendre notre influence chez nos partenaires de notre propre hémisphère au cours de l'année qui prend fin. Ainsi, nous avons
commercé et signé des traités, prévenu des conflits et consolidé la paix, vendu notre technologie de l'information et fourni l'expertise canadienne dans les Amériques.
Lors de leur réunion de mai 1996 avec le premier ministre Chrétien et moi-même, les présidents des pays de l'Amérique centrale ont demandé que le Canada partage avec
eux son savoir-faire en matière de technologie de l'information dans des domaines tels que le téléenseignement.
En Haïti, le Canada a assumé le commandement de la mission des Nations unies en 1996. Cette mission représente bien plus qu'une mission de maintien de la paix au sens
traditionnel du terme. Nous utilisons des fonds d'aide au développement pour consolider la paix en régénérant la capacité des Haïtiens à se gouverner eux-mêmes. Nous
formons la police, la garde côtière, des juges et des travailleurs des organismes communautaires, soit des intervenants clés dans une société qui se veut pacifique et
saine.
Nous nous sommes efforcés de trouver des éléments de solution aux préoccupations que nous partageons avec d'autres au sujet de la situation à Cuba. Pour soutenir une
évolution pacifique vers une société cubaine caractérisée par le plein respect des droits de la personne, par des institutions véritablement représentatives et par une
économie ouverte, nous avons fait reculé les horizons de la coopération avec ce pays. Nous avons parrainé des colloques sur le droit comparé et nous avons eu des
entretiens avec les Cubains en vue de déterminer comment l'expertise canadienne pourrait être mise à contribution pour améliorer le système juridique ou la structure
des comités parlementaires. Nos divergences d'opinions avec Cuba au sujet des droits de la personne et de la gestion des affaires de l'État ne disparaîtront pas en un
jour, et nous exprimons régulièrement nos préoccupations à cet égard, notamment sur la tribune de l'ONU. Nous continuons cependant à travailler avec Cuba parce que
nous sommes convaincus que ce ne sont pas la confrontation et l'isolement, mais bien le dialogue et l'engagement, dans un esprit de respect mutuel, qui offrent la
promesse d'un changement pacifique.
Pour clore une année bien remplie, je serai présent, le 29 décembre prochain, à une réunion de dignitaires au Guatemala pour assister à la signature de l'Accord de
paix dans ce pays. Lors de ma récente rencontre avec le ministre guatémaltèque des affaires étrangères à Ottawa, nous avons discuté des façons dont le Canada pourrait
concourir à la mise en oeuvre de l'Accord. Notre objectif est d'aider le Guatemala à faire une transition pacifique vers une société ouverte, respecteuse des droits de
la personne et poursuivant un développement plus équitable.
Préparer l'avenir : se donner de nouveaux outils
Comme vous le voyez, nous avons accompli beaucoup au cours de l'année qui vient de s'écouler. Mais je reconnais qu'il est urgent de revoir et d'élargir la gamme de nos
outils en matière de politique étrangère à la lumière des défis que nous apporte le prochain millénaire. Dans des discours récents, j'ai annoncé le lancement
d'initiatives dans deux domaines qui sont cruciaux pour le renouveau de notre politique étrangère, soit la consolidation de la paix et une stratégie d'information
internationale sur le Canada.
En octobre, à l'Université York, j'ai annoncé une nouvelle initiative canadienne de consolidation de la paix, dotée d'un fonds spécial à cette fin, qui est financée
par l'ACDI. J'ai alors exprimé une conviction personnelle, à savoir que la consolidation de la paix est un outil crucial lorsqu'il s'agit de gérer les nouvelles formes
de conflit qui se dessinent sur la scène internationale en cette fin de siècle. Cette initiative répondra au besoin, défini dans vos discussions, de coordonner les
mesures de consolidation de la paix et de créer des réseaux, d'améliorer la capacité immédiate à intervenir et d'établir des priorités.
Plus récemment, je mentionnais que le Canada avait besoin d'une stratégie d'information internationale. Une stratégie qui fasse appel de façon innovatrice aux
connaissances, à l'information et à la technologie de l'information dans la politique étrangère du Canada. Elle en est encore à ses premières étapes de développement,
mais des projets spécifiques ont déjà été mis en oeuvre. Pour ne citer qu'un exemple, Winnipeg sera en 1997 le théâtre d'une conférence nationale des jeunes du Canada
et de pays d'Asie, « Asia Connects/Cherchons l'Asie ». La conférence de Winnipeg sera reliée électroniquement à une douzaine d'autres endroits, le tout constituant une
sorte de « communauté virtuelle » de jeunes à travers le pays. La stratégie d'information internationale fera précisément la promotion de ce genre de recours
innovateur à l'informatique pour relier le Canada au monde et pour poursuivre la réalisation de nos objectifs en matière de politique étrangère.
Dans les deux domaines que je viens d'évoquer, le besoin de nouvelles idées et d'un débat éclairé pour maintenir notre place dans le peloton de tête est évident. Le
Forum national a déjà lancé le débat et continuera, je l'espère, à l'alimenter. Le Forum est la tribune qui devrait amorcer la concrétisation de ces deux initiatives
en proposant des outils propres à leur mise en oeuvre. La démocratisation des relations internationales leur ouverture à des acteurs autres que les États-nations au
sens traditionnel finira, je n'en doute pas, par être considérée comme un des traits caractéristiques de l'ère dans laquelle nous nous apprêtons à entrer. Les
travaux du Forum national sur la politique étrangère, son existence même, sont le signe annonciateur de cette tendance. Je me réjouis à l'idée de travailler de concert
avec vous tous pour élaborer une politique étrangère qui permettra au Canada d'entrer de plein pied dans le XXIe siècle.
Merci.