M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LE WORLD AFFAIRS COUNCIL LE CANADA ET LES ÉTATS-UNISDANS UN MONDE EN ÉVOLUTION - LOS ANGELES, ÉTATS-UNIS
97/14 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LE WORLD AFFAIRS COUNCIL
LE CANADA ET LES ÉTATS-UNIS
DANS UN MONDE EN ÉVOLUTION
LOS ANGELES, États-Unis
Le 14 mars 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca
Introduction
Je suis heureux de me trouver à Los Angeles pour prendre parole devant un
auditoire aussi prestigieux. Je tiens à remercier le World Affairs Council de me
donner cette occasion d'exposer devant vous la perception que le Canada a de lui-même dans un contexte mondial en pleine évolution, particulièrement en ce qui
concerne ses relations avec les États-Unis.
Depuis environ une décennie, le monde a connu une profonde mutation géopolitique.
On peut même dire, pour utiliser une métaphore qui trouve un écho assez précis
ici, à Los Angeles, que les plaques tectoniques des relations internationales se
sont réalignées. Ce faisant, elles ont libéré des forces énormes. Un nouveau
paysage commence à prendre forme, mais les secousses subséquentes à ces
déplacements se poursuivent. De nouveaux pays apparaissent et, aujourd'hui, les
gens font entendre leur voix d'une façon qui ne leur était pas possible
auparavant.
Les pays se voient forcés de redéfinir leurs relations internationales à la
lumière des grandes tendances qui sont à la base de ces mouvements tectoniques,
soit :
l'accroissement de l'intégration économique et de l'interdépendance, lié au
processus de la mondialisation;
la prise de conscience du fait que la « sécurité humaine » - les droits de la
personne et les libertés fondamentales, la primauté du droit, la bonne gestion des
affaires publiques, le développement durable et l'équité sociale - revêt autant
d'importance pour la paix à l'échelle mondiale que le contrôle des armements et le
désarmement;
la transformation de la nature de la diplomatie elle-même, alors même que nous
redéfinissons les alliances, les partenariats et le rôle de la coopération
internationale.
Les relations canado-américaines à l'heure du changement
Il n'est aucun domaine où ce processus de redéfinition n'apparaît plus clairement
que dans nos relations bilatérales. Nos deux économies sont de plus en plus
intégrées, aussi bien à l'échelle régionale que nationale. En 1996, les échanges
bilatéraux du Canada avec la Californie ont totalisé environ 20 milliards de
dollars canadiens, ce qui correspond à peu près au volume de l'ensemble de notre
commerce avec le Japon. De notre côté, nous sommes votre deuxième partenaire
commercial et votre quatrième investisseur étranger. On compte pas moins de
238 000 emplois en Californie qui sont soutenus par les échanges avec le Canada et
les investissements canadiens.
Cette augmentation quantitative des flux de marchandises et de capitaux s'est
accompagnée d'une évolution qualitative, car les Canadiens et les Américains
unissent aussi leurs efforts dans des démarches créatrices. Los Angeles représente
depuis longtemps un pôle d'attraction pour les Canadiens œuvrant dans les secteurs
du spectacle et des communications, si bien que votre ville abrite aujourd'hui le
plus grand nombre de Canadiens à l'extérieur du Canada. Mais on constate également
que, de plus en plus, Hollywood se déplace vers le nord. L'an dernier, la société
Disney a établi des studios d'animation à Vancouver et à Toronto. La populaire
série « Aux frontières du réel » figure parmi les nombreuses émissions américaines
de télévision filmées à Vancouver. Au bout du compte, le Canada encaisse chaque
année des revenus qui se chiffrent à environ 500 millions de dollars canadiens
grâce aux services de production de films et d'émissions de télévision de cette
nature.
L'environnement : une gestion commune
Notre interdépendance croissante ne se limite pas au commerce et à
l'investissement. Il s'avère de plus en plus urgent que nous agissions de concert
pour gérer et protéger l'environnement que nous avons en commun. Ni les ressources
naturelles, ni la pollution de l'environnement ne respectent les frontières
nationales. Sur la côte ouest, les États-Unis et le Canada partagent de nombreuses
préoccupations écologiques, depuis le réchauffement planétaire et
l'appauvrissement des forêts jusqu'à la gestion des ressources aquatiques et des
stocks de poissons qui nous sont communs.
Les importations californiennes de gaz naturel canadien, qui s'élevaient à
1,1 milliard de dollars canadiens en 1995, offrent l'exemple de la collaboration
entre nos deux pays dans la lutte contre le réchauffement planétaire par
l'adoption de types d'énergie plus propres. Je vois un autre développement positif
dans les pourparlers qui viennent de s'amorcer entre les parties intéressées au
sujet du saumon de la Colombie-Britannique. Sans vouloir préjuger de
l'aboutissement d'un processus qui se poursuit à l'heure actuelle, il me semble
bien que la nature du processus lui-même est digne de mention. Il s'agit en effet
d'un processus qui repose sur la participation des personnes qui gagnent leur vie
grâce à la pêche du saumon, aussi bien Canadiens qu'Américains, ainsi que des
autorités de vos États voisins et de la Colombie-Britannique. Il s'agit, en somme,
d'un processus qui témoigne du fait qu'aujourd'hui, les gouvernements nationaux ne
peuvent plus régler toutes les questions internationales en agissant seuls.
Culture et communications
Le secteur de la culture et des communications est lui aussi marqué par le
renforcement de l'interdépendance et par la nécessité de trouver des réponses
imaginatives pour faire face aux grands courants mondiaux. J'ai fait allusion tout
à l'heure aux liens qui nous unissent en tant que producteurs culturels, que ce
soit dans le développement d'un « Hollywood du Nord » ou au sein de la communauté
des expatriés canadiens ici-même à Los Angeles. Nous entretenons des rapports
encore plus étroits en tant que consommateurs de produits et de services
culturels. Ainsi, 80 p. 100 des magazines de langue anglaise que les Canadiens
achètent dans les kiosques viennent des États-Unis. Au moins 70 p. 100 de la
musique que les Canadiens écoutent sur les ondes de stations de radio anglophones
dans notre pays sont d'origine étrangère, et surtout américaine. Les Américains,
quant à eux, ont consommé des biens et services culturels canadiens d'une valeur
de 977 millions de dollars canadiens en 1995.
Ces chiffres relatifs à la part de marché des biens et services américains
montrent bien à quel point le marché canadien est ouvert aux produits culturels
étrangers. J'ai eu récemment un intéressant entretien à ce sujet avec un membre de
votre Congrès. Je lui ai demandé quel chiffre représenterait à ses yeux un
pourcentage équitable de la pénétration américaine du marché canadien du cinéma et
de la télévision. Il m'a répondu qu'un maximum de 50 p. 100 lui semblait
acceptable. Dans ce cas, lui ai-je dit, les Canadiens auraient tout intérêt à
remanier leur système actuel car, en ce moment, 90 p. 100 des films et 80 p. 100
de toutes les émissions de télévision non consacrées aux affaires publiques que
nous regardons viennent des États-Unis. Il semblerait donc que nous ne sommes pas
à la hauteur de vos normes!
Dans ce contexte, il importe de reconnaître que l'interdépendance n'est pas
synonyme d'intégration. Les Canadiens ont besoin de conserver un certain
« espace » culturel qui leur appartient, dans lequel ils puissent entendre leurs
propres voix raconter leurs propres réalités. Nous devons le faire en raison du
rôle fondamental que la culture joue envers l'affirmation de l'identité nationale.
Le Canada, en effet, a besoin de susciter et renforcer un sentiment d'appartenance
nationale, car c'est là un élément critique de la construction du pays et, donc,
un objectif national d'importance vitale. Nous sommes plus convaincus que jamais
de la légitimité de cette option alors que s'approche le moment où on nous offrira
500 chaînes de télévision. Les voix individuelles auront bien de la difficulté à
se faire entendre à travers cette cacophonie.
En d'autres termes, si le Canada a mis en place des mécanismes de soutien des
activités culturelles et des instruments de politique publique dans des domaines
comme la propriété étrangère et la câblodistribution prioritaire, c'est pour
encourager et développer une capacité locale, et non pas pour faire obstacle au
contenu étranger. Bien au contraire, le choix de programmes et de matériels
auxquels les Canadiens ont accès est l'un des plus vastes et des plus diversifiés
au monde. Et ce choix ne peut que croître, compte tenu des bouleversements qui se
poursuivent dans la technologie des communications.
Face à des mutations d'une telle ampleur, nous devons faire preuve d'imagination
dans nos relations bilatérales. Nous avons établi toute une kyrielle d'accords
bilatéraux et de mécanismes de règlement des différends, non seulement dans le
secteur de la culture mais aussi dans des domaines comme la protection de
l'environnement et la gestion des ressources naturelles. En revanche, il n'existe
à peu près aucun mécanisme propre à faciliter des échanges prospectifs au sujet
des politiques qui devraient être mises en place dans l'avenir. Nous ne devrions
pas nous contenter d'attendre qu'un problème se pose, puis débattre de nos
désaccords dans un climat d'affrontement au sein d'un groupe spécial chargé de les
régler.
Si nous nous engageons dans cette voie, nous risquons de devenir semblables à ce
couple de l'émission « The Honeymooners », où chacun des deux époux tient l'autre
pour acquis, sauf lorsqu'ils se querellent. Nous devrions plutôt penser en
fonction de l'avenir et chercher des moyens de coopérer activement, et non
simplement d'éviter ou de régler des désaccords de toute sorte. En outre, nous
devrions encourager un large éventail de personnes intéressées à nous dire comment
nous pouvons nous préparer et nous adapter aux grands courants mondiaux, et
comment nous pouvons en tirer parti.
J'ai soulevé cette question auprès de la secrétaire d'État, Madame Albright, lors
de mon passage à Washington il y a quelques semaines. La rencontre entre notre
premier ministre et le président Clinton le mois prochain fournira une autre
occasion de débattre des moyens qu'on pourrait mettre en œuvre pour faire avancer
la coopération et mettre nos idées en commun. Si nous y parvenons, nos deux pays
en bénéficieront. Et en même temps, nous fournirons à d'autres le modèle d'un
système de relations bilatérales complexes, multidimensionnelles, qui fonctionne
bien et qui déborde la seule gestion des différends pour mettre en place de
nouveaux moyens de faire face aux défis qui nous attendent aux quatre coins de la
planète.
Le Canada et les États-Unis dans un monde en mutation
Il s'agit là d'une conception tout particulièrement importante, car les États-Unis
demeurent, comme l'a dit le président Clinton, le pays « indispensable » : la
seule superpuissance reconnue dans le monde, tant au plan économique qu'au plan
politique et militaire. Aussi les États-Unis ont-ils à la fois les moyens et le
devoir de défendre et protéger la primauté du droit à l'échelle internationale et
de garantir la viabilité du système des institutions internationales.
Cela étant, il importe de reconnaître que le Canada constitue lui aussi une
puissance sur la scène mondiale, qu'il étend son influence dans l'Asie-Pacifique,
en Europe et, tout particulièrement, dans les Amériques. J'aime à considérer le
Canada comme un pays qui offre une plus-value. Le Canada est en effet bien placé
pour agir en honnête intermédiaire à l'égard de toute une gamme de questions en
mettant à contribution les compétences et l'expérience qui lui sont propres.
Exerçant ce qu'on pourrait appeler le « pouvoir en douce », le Canada s'emploie
sur la scène internationale à créer des coalitions formées de parties qui
s'intéressent à des questions aussi diverses que le travail des enfants et les
mines terrestres. À l'expérience acquise dans le cadre des missions de maintien de
la paix nous joignons aujourd'hui de nouvelles réflexions au sujet de la
consolidation de la paix afin de faire face aux menaces à la sécurité des êtres
humains, menaces qui touchent chacun d'entre nous. Je fais allusion ici à des
problèmes comme les déplacements massifs de réfugiés, le trafic de la drogue et la
propagation de maladies.
Le « pays qui offre une plus-value » et le « pays indispensable » disposent d'un
champ d'action assez large pour collaborer à la poursuite de nombreux objectifs
communs. Je voudrais citer aujourd'hui quelques exemples de deux régions à l'égard
desquelles la Californie sert, en quelque sorte, de porte d'accès aux États-Unis,
soit l'Asie-Pacifique et le reste des Amériques.
Le Canada et les États-Unis en Asie-Pacifique
Les mouvements de produits, de capitaux d'investissement, de personnes et d'idées
qui franchissent l'océan Pacifique se sont accrus de façon spectaculaire depuis
deux décennies. Devant ce phénomène, les pays riverains s'emploient à ériger une
infrastructure institutionnelle et à créer une identité propres à donner à la
région de l'Asie-Pacifique un caractère distinct. Dans leur participation à ce
processus, le Canada et les États-Unis sont aux prises avec des difficultés de
même nature. Comment mettre en place des institutions adaptées à une région aussi
hétérogène? Comment faut-il aborder les désaccords au sujet de questions comme
celle des droits de la personne? Quelle forme devraient prendre nos relations avec
des puissances naissantes, notamment avec la Chine?
Pour le Canada, il ne s'agit pas là de sujets obscurs relevant d'un quelconque
débat sur la politique étrangère. Ce sont des questions qui ont un impact direct
sur notre existence. Après les États-Unis, cinq de nos dix autres principaux
partenaires commerciaux sont situés en Asie, soit le Japon, la République
populaire de Chine, la République de Corée, Hong Kong et Taïwan. Plus de
2 millions de Canadiens sont d'origine asiatique. Ces dernières années, un plus
grand nombre de citoyens de Hong Kong ont choisi d'immigrer au Canada que dans
tout autre pays. En 1994, pas moins de 43 000 résidants de Hong Kong sont venus
s'établir au Canada. Le chinois est devenu, en importance, la troisième langue au
Canada, après l'anglais et le français.
Pour ce qui est de la mise en place d'institutions régionales, le Canada est fier
d'accueillir cette année le Forum de la Coopération économique en Asie-Pacifique
(APEC). Au début, certains observateurs doutaient que l'APEC puisse devenir un
organisme efficace, mais à l'instar du Canada, sa diversité s'est révélée être un
de ses atouts. Animé par le principe de la confiance réciproque, l'APEC a évolué
plus profondément et plus rapidement, en quelques années à peine, que bon nombre
de personnes ne l'auraient prédit. Les progrès n'ont pas été enregistrés que dans
le domaine de la promotion et de la libéralisation des échanges commerciaux, car
l'APEC a également contribué à faire avancer la coopération économique et
technique. Bref, il s'agit de réaliser une croissance durable, c'est-à-dire une
croissance qui soit équitable et dont les bienfaits soient largement partagés.
En ce qui concerne la question des droits de la personne, nos deux pays sont aux
prises avec les mêmes problèmes et cherchent à atteindre des buts similaires. En
Birmanie, par exemple, comment pouvons-nous exercer des pressions sur un régime
dont le bilan dans ce domaine est l'un des pires au monde? Quelles mesures
pouvons-nous mettre en place pour en arriver à bloquer le transport des drogues
illégales qui commence en Birmanie et se termine avec la mort d'un enfant de plus
dans les rues de Vancouver ou de Los Angeles?
D'autres pays, telle l'Indonésie, ont aussi un dossier peu reluisant en ce qui
concerne les droits de la personne. Dans ces cas, le défi consiste à trouver les
moyens de soutenir le moindre changement positif qui se produit. La coopération
entre les commissions des droits de la personne du Canada et de l'Indonésie, par
exemple, a si bien contribué au renforcement de l'organisme indonésien que celui-ci a pu critiquer ouvertement les mesures adoptées par le gouvernement contre
l'opposition démocratique.
Mais l'un des domaines qui suscitent le plus de difficultés est celui de nos
relations avec la Chine et Hong Kong, problème dont je me suis d'ailleurs
entretenu assez longuement avec Madame Albright. Au cours des 27 dernières années,
le Canada a noué un éventail étonnant de liens avec la Chine. Notre politique
consiste à avancer sur plusieurs fronts à la fois : paix et stabilité régionales,
droits de la personne et primauté du droit, protection de l'environnement et
développement durable, expansion des rapports économiques (y compris l'adhésion de
la Chine à l'OMC). On ne peut pas, et on ne doit pas définir nos relations avec la
Chine comme un compromis entre les échanges commerciaux et les droits de la
personne.
Certes, notre approche n'est pas toujours de nature à faire la manchette, mais
elle est le moyen le plus efficace dont dispose le Canada pour élargir
progressivement l'espace politique réservé à la société civile et pour faire
respecter les droits de la personne.
Le Canada et les États-Unis dans les Amériques
La complémentarité de l'approche des États-Unis et de celle du Canada - du « pays
indispensable » et du « pays qui offre une plus-value » - s'impose à l'évidence en
ce qui concerne les affaires intra-hémisphériques. Il y a longtemps que les États-Unis ont les yeux tournés vers le sud, tandis qu'il s'agit là d'une orientation
relativement nouvelle pour le Canada, dont l'horizon méridional s'arrêtait,
jusqu'à récemment, quelque part au nord de l'Arizona, ou à Disneyland dans le cas
des touristes. Nous nous trouvions auparavant dans l'hémisphère occidental;
aujourd'hui, nous en faisons vraiment partie. Nous avons fait le constat ferme et
irréversible que l'avenir du Canada, en plus d'être imbriqué dans le vôtre, est
indissolublement lié à celui de l'ensemble de l'hémisphère occidental.
Le premier grand pas du Canada dans le sens de son intégration dans l'économie
inter-américaine a été l'élargissement au Mexique de l'Accord de libre-échange
canado-américain. Nous avons conclu l'an dernier un accord de libre-échange avec
le Chili, dont nous espérons qu'il facilitera, le moment venu, l'accession de ce
pays à l'ALENA.
Ces étapes nous incitent à rechercher la récompense suprême, c'est-à-dire la
signature d'un accord de libre-échange des Amériques - le régime encadrant le
commerce et l'investissement qui a été proposé au Sommet des Amériques tenu à
Miami en 1994. Nous avons entamé un dialogue avec les pays membres du MERCOSUR au
sujet des moyens à mettre en œuvre pour réaliser cet objectif. L'adoption par les
États-Unis d'une loi prévoyant une procédure accélérée viendra raffermir le
mouvement en faveur de la libéralisation des échanges à l'échelle du continent.
Le Canada dans les Amériques : la plus-value
Les échanges intra-hémisphériques sont l'un des domaines où le Canada offre une
plus-value du fait qu'il saisit les occasions de mettre en place un système de
normes, de règles et de pratiques dans le domaine économique. Nous sommes
profondément convaincus que, pour instaurer des instances internationales ou
multilatérales, il faut disposer d'un ensemble de règles fondamentales, acceptées
et respectées de tous.
Nous contribuons aussi une plus-value lorsque nous soutenons les processus de
démocratisation, de maturation politique et de consolidation de la paix qui sont
en cours un peu partout dans les Amériques. Nous avons axé nos efforts, et en
particulier nos ressources humaines, sur l'exercice d'un rôle de leader dans
certains domaines critiques. Les forces canadiennes de maintien et consolidation
de la paix, tant militaires que civiles, mènent une action d'une importance
décisive en Haïti et au Guatemala, par exemple.
En Haïti, nous ne nous bornons pas à maintenir la sécurité, mais nous investissons
aussi dans la consolidation de la paix. Des Canadiens participent à la formation
de la police haïtienne, à la consolidation du système judiciaire et à
l'amélioration de l'administration gouvernementale, en plus d'aider diverses
organisations civiles à commencer à édifier une société démocratique à partir de
zéro. Au Guatemala, l'application des accords de paix commence à porter fruit, et
nous sommes également à l'œuvre dans ce pays. Des observateurs canadiens
concourent à la consolidation de la paix en appuyant le processus de
démobilisation des forces de la guérilla.
Le Canada et Cuba
À Cuba, aussi, nous percevons des possibilités d'ajouter une plus-value dans le
contexte des changements qui s'y produisent, bien qu'à un rythme plutôt lent.
Depuis que s'est relâchée l'emprise soviétique, le gouvernement cubain s'est
efforcé, avec beaucoup de difficulté, de réformer son économie. Les représentants
d'organisations non gouvernementales que j'ai rencontrés à Cuba m'ont affirmé que,
si celles-ci restaient assujetties à de sévères restrictions, leur marge de
manœuvre s'était néanmoins quelque peu élargie. L'un de nos objectifs consiste à
aider Cuba à faire la transition sans sombrer dans une violence qui perturberait
tout l'hémisphère.
À de nombreux égards, notre approche est similaire à celle que nous avons adoptée
en Chine : travailler de l'intérieur afin de raffermir les facteurs de changement
et d'élargir l'espace politique dont dispose une société civile embryonnaire, née
dans le sillage des réformes économiques. Nous appuyons ceux et celles qui, dans
la société cubaine, s'emploient non seulement à transformer l'économie du pays
mais aussi à réformer la gestion des affaires publiques et la vie politique. Cette
stratégie repose sur divers projets menés de concert non seulement avec l'État
cubain mais aussi avec des organisations de la base.
Une première rencontre a eu lieu récemment entre des fonctionnaires canadiens et
cubains dans le cadre d'une série d'échanges détaillés consacrées aux droits de la
personne. Le président du Parlement canadien et celui de l'Assemblée nationale
cubaine ont signé la semaine dernière un accord d'échanges interparlementaires.
Aux termes de cet accord, des députés cubains viendront faire un séjour de deux
semaines au Canada, où ils participeront à deux colloques sur le fonctionnement du
gouvernement canadien en vue de renforcer l'exercice des procédures parlementaires
à Cuba. Ces colloques porteront notamment sur le rôle des parlementaires en tant
que serviteurs du peuple et sur le fonctionnement de la Cour suprême. Les projets
qui revêtent peut-être la plus grande importance sont ceux qui comprennent la
participation d'organisations de la base, car c'est en construisant du bas vers le
haut, et non pas du haut vers le bas, que la démocratie va naître.
Cela dit, je ne suis pas naïf au point de croire à l'apparition de la démocratie
du jour au lendemain. Toutefois, j'ai bel et bien la conviction que nous disposons
maintenant d'une certaine latitude qui nous permet d'œuvrer progressivement en
faveur de changements positifs à Cuba. Je crois aussi que le Canada est bien placé
pour mener cette tâche à bien. Le principe de base sur lequel repose toute notre
stratégie, c'est que l'isolationnisme ne donne rien. L'isolationnisme engendre des
malentendus et des erreurs, et il ne devrait être qu'une politique de dernier
recours. Le climat glacial qui caractérise les relations américano-cubaines
contredit le nouveau mode de collaboration qui émerge dans l'ensemble de
l'hémisphère.
La position du Canada à propos de la loi Helms-Burton
Dans ce contexte, il conviendrait sans doute que je dise un mot en ce qui concerne
la position du Canada au sujet de la loi Helms-Burton. Je m'empresse d'ajouter
que, pour nous, cette question n'a rien à voir avec Cuba mais relève plutôt du
droit international.
Bien sûr, l'une de nos objections à cette loi tient au fait que nous n'aimons pas
qu'un pays étranger nous dicte la façon de mener notre politique étrangère, pas
plus que vous n'apprécieriez un tel traitement. Le versement d'une indemnisation
pour la saisie de biens américains est une question qui doit faire l'objet de
négociations entre les États-Unis et Cuba. Rien ne justifie qu'on attaque ses amis
de biais dans une telle querelle.
Mais nous nous opposons à la loi Helms-Burton pour une raison encore plus
fondamentale - une raison qui devrait d'ailleurs vous préoccuper tout autant. De
par son extra-territorialité inacceptable, la loi Helms-Burton sape les fondements
mêmes du droit international, sur lesquels reposent tous nos accords et toutes nos
obligations sur la scène internationale.
Les États-Unis ont été le fer de lance de l'établissement des grandes institutions
économiques internationales de l'après-guerre. Le régime commercial international
qui existe actuellement est dû, dans une large mesure, à l'influence très
vigoureuse et très respectée exercée par les États-Unis. Lorsque le pays le plus
puissant du monde décide de modifier les règles du jeu de façon unilatérale et
arbitraire, il compromet la légitimité de tout le régime. Si les États-Unis
peuvent réclamer des exemptions relativement à des règles qui ne leur plaisent
pas, par exemple en invoquant la sécurité nationale devant le Groupe spécial de
l'OMC sur la loi Helms-Burton, qu'est-ce qui empêche les autres pays d'en faire
autant?
Le danger, c'est que subitement, chacun se mette à exiger d'être exempté de règles
qui ne lui conviennent pas; c'est aussi qu'une institution internationale
construite avec tant de soin et qui a tant favorisé l'expansion des échanges
commerciaux et des investissements, soit compromise. Vue sous cet angle, la loi
Helms-Burton constitue un dangereux virus au sein du système commercial
international.
Conclusion
On s'accorde souvent pour dire que le Canada et les États-Unis entretiennent les
rapports bilatéraux les plus solides et les plus intensifs au monde. Lorsque nous
examinons le monde qui nous entoure, nous le voyons sous un même angle et nous
avons les mêmes objectifs à l'esprit. Mais cela ne veut pas dire pour autant que
nous voyons ou faisons tout de la même façon. Chacun suit sa propre voie, ce qui
permet à chacun de tirer parti de ses propres atouts et de jouer le rôle qu'il est
seul à pouvoir jouer sur l'échiquier mondial.
Peut-être la rivalité Johnson-Bailey constitue-t-elle la métaphore la plus
représentative de nos relations. Les deux athlètes vont se mesurer l'un à l'autre
afin de déterminer lequel est l'homme le plus rapide au monde. Mais en réalité,
ils sont tous deux le plus rapide - chacun sur sa propre distance, dans sa propre
spécialité. Il en va de même du Canada et des États-Unis. Nous courons chacun sur
sa propre piste, dans le cadre d'une course similaire, mais non pas identique.
Mais lorsque nous unissons nos efforts, quelle équipe de relais nous formons!
Je vous remercie.