M. AXWORTHY - ALLOCUTION À L'OCCASION DU COLLOQUE DE L'OCDE SUR LES DÉPENSES MILITAIRES DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT :SÉCURITÉ ET DÉVELOPPEMENT - OTTAWA (ONTARIO)
97/15 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DU COLLOQUE DE L'OCDE SUR
LES DÉPENSES MILITAIRES DES PAYS EN DÉVELOPPEMENT :
SÉCURITÉ ET DÉVELOPPEMENT
OTTAWA (Ontario)
Le 18 mars 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
C'est avec grand plaisir que je vous souhaite la bienvenue à Ottawa pour la tenue
du présent colloque, parrainé conjointement par le Comité d'aide au développement
[CAD] de l'OCDE [Organisation pour la coopération et le développement économiques]
et par le gouvernement du Canada. Cette réunion, je l'espère, prendra appui sur
les contributions découlant de quatre colloques précédents -- tenus à Tokyo, à
Paris, à Bonn et à La Haye -- pour mieux faire comprendre cette question
extrêmement importante.
Je me réjouis tout particulièrement de ce que nous réunissons aujourd'hui non
seulement des pays membres du CAD, mais également des représentants de pays en
développement et d'organisations non gouvernementales. Ce n'est qu'en faisant
participer ceux qui sont le plus directement touchés par le fardeau que
constituent des dépenses militaires superflues -- ceux qui en voient les effets
directs sur la vie des populations -- que nous serons en mesure de définir des
solutions vraiment efficaces pour régler ce problème.
À l'ère de l'après-guerre froide, la communauté mondiale a pris conscience du fait
qu'on ne peut plus définir la sécurité uniquement dans le sens militaire du terme.
La sécurité humaine est également tributaire du respect des droits de la personne,
du bon gouvernement, de la présence de ressources suffisantes à des fins
d'investissement social et économique, ainsi que d'un développement durable sur le
plan écologique. Afin d'instaurer les conditions propices à la stabilité et à la
paix, les gouvernements doivent promouvoir un développement économiquement
durable, qui repose sur un consensus national. Dans certains pays, cela suppose
nécessairement une réaffectation des ressources des forces armées en faveur
d'usages plus productifs liés au développement.
À l'échelle mondiale, les dépenses militaires ont diminué ces dernières années.
Néanmoins, nous avons de bonnes raisons de nous inquiéter. Il est extrêmement
difficile de recueillir des chiffres qui soient fiables et qui soutiennent la
comparaison, sans compter la difficulté de déterminer le volume des dépenses
requises pour faire face aux besoins légitimes en matière de sécurité et de
défense. Mais nous pouvons nous faire une idée de l'ampleur du problème à partir
des chiffres partiels que nous possédons. Au début des années 1990, selon la
banque mondiale, au moins 30 pays à faible revenu et à revenu moyen à faible
dépensaient plus que 5 p. 100 de leur PIB [produit intérieur brut] pour la
défense. Près d'un tiers de ces pays consacraient davantage de fonds aux dépenses
militaires qu'à la santé et à l'éducation réunis. Et ces pays n'étaient pas tous
de petits pays ou des pays en guerre. Certains des plus grands pays développés
consacrent un pourcentage important de leur PIB aux dépenses militaires.
Lorsque cela se produit, particulièrement dans les pays en développement plus
démunis, il s'ensuit une baisse des ressources publiques déjà limitées que l'on
peut consacrer à la satisfaction des besoins humains fondamentaux. Parallèlement,
ce phénomène peut entraîner une diminution de l'efficacité de l'aide au
développement, de sorte que les pauvres en souffrent doublement.
En 1995, à la partie « offre » de l'équation, les cinq plus grands exportateurs --
qui représentent 90 p. 100 de l'ensemble des exportations -- ont gagné quelque
28 milliards de dollars américains en ventes d'armes. Et bien entendu, un grand
nombre de ces ventes étaient destinées aux pays développés. Mais même si, en
termes absolus, les dépenses militaires des pays les plus pauvres sont limitées,
elles égalent ou dépassent dans bien des cas l'aide au développement qu'ils
reçoivent.
Le Canada se préoccupe depuis plusieurs années des rapports entre les dépenses
militaires et le développement. Nous avons tenu des discussions à la fois avec nos
partenaires en matière de développement et avec d'autres donateurs, bilatéraux et
multilatéraux, afin de chercher à mieux comprendre toutes les dimensions de cette
question complexe. À la suite de ces discussions, j'ai déposé l'an dernier au
Parlement un document exposant la position de notre pays.
Notre objectif consiste à adopter une approche intégrée, qui aborde les diverses
dimensions de cette question : développement, sécurité et exportation ou
fourniture de matériel militaire. Nous considérons qu'une baisse des dépenses
militaires excessives est plus probable dans un contexte national et régional qui
est stable et sûr. Cela suppose la présence d'institutions démocratiques bien
ancrées, d'un vigoureux débat public, ainsi que la transparence des comptes
publics.
Le Canada n'est pas le seul pays qui s'intéresse à la question des dépenses
militaires dans les pays en développement. Sous l'égide de l'OCDE, on continue de
préparer quatre études de cas régionales. Les conclusions préliminaires qui s'en
dégagent mettent en relief certains thèmes importants qui se rapportent à vos
discussions dans le cadre du présent colloque.
Le premier de ces thèmes a trait à l'importance du bon gouvernement et du
renforcement des institutions démocratiques, qui constituent des conditions
préalables à la diminution des dépenses militaires. De toute évidence, il est
d'une importance cruciale de mettre en place de solides institutions qui
garantiront le contrôle des forces armées par les civils. La formation de forces
armées professionnelles comprenant leur rôle dans une société démocratique
présente aussi une grande importance. Il en va de même pour le développement des
capacités et des compétences des civils en matière de politique de défense.
L'accroissement de la transparence des budgets et comptes publics favorise la
réalisation de tous ces objectifs en permettant l'accès à des données plus fiables
relativement aux dépenses militaires.
Le Canada participe déjà, en compagnie d'autres donateurs, à des projets qui vont
dans le sens de ces objectifs. En Haïti, par exemple, le Canada, les États-Unis et
la France oeuvrent auprès de la Police nationale. Nous visons à développer les
capacités des forces policières au point qu'elles puissent prendre en charge les
fonctions en matière de sécurité qui devraient relever de forces policières
civiles, mais qui, en Haïti, étaient accomplies par les forces armées.
Le deuxième grand thème concerne l'importance du relèvement des capacités des
organisations régionales et infra-régionales afin de promouvoir le dialogue sur la
sécurité et des mesures de renforcement de la confiance.
Le Canada estime que la consolidation de la sécurité à l'échelle régionale
constitue un volet fondamental de la problématique de la réduction des dépenses
militaires. Conformément à cette conviction, nous avons coparrainé avec
l'Argentine des séminaires sur le maintien de la paix à l'intention des membres du
Groupe de Rio, et avec la Malaisie et Brunei dans le cadre du Forum régional de
l'ASEAN [Association des nations de l'Asie du Sud-Est]. Ces réunions ont non
seulement fourni une occasion de discuter des nouveaux rôles des forces armées
dans le contexte d'opérations internationales de maintien de la paix, mais elles
ont également permis à des représentants des forces armées et à des civils
d'échanger à propos de leurs rôles respectifs.
Les initiatives régionales ont également prouvé leur efficacité dans le contexte
de l'action que nous menons afin de conclure une interdiction des mines
antipersonnel, et sur le plan du microdésarmement. Les travaux concrets effectués
par l'Organisation de l'unité africaine, la Communauté de développement de
l'Afrique australe, l'Organisation des États américains, ainsi que par les
communautés de l'Afrique centrale et des Antilles à propos de la création de
régions exemptes de mines nous rapprochent considérablement de la conclusion d'un
accord mondial d'interdiction des mines terrestres d'ici à la fin de l'année. Il
s'agit là d'un objectif que j'ai inscrit parmi les principales priorités de la
politique étrangère canadienne.
En ce qui concerne le micro-désarmement, le Groupe d'experts des Nations unies sur
les armes à feu légères a engagé des travaux importants, passant en revue la
recherche empirique et les expériences concrètes. Ces travaux ont clairement
démontré que pour s'attaquer aux énormes problèmes d'ordre sécuritaire et social
liés à la prolifération des armes à feu légères, il faudrait adopter des approches
régionales fortement intégrées.
Troisième grand thème connexe : celui de la transparence, aux échelles tant
nationale qu'internationale. Dans ce contexte, le Registre des armes classiques
des Nations unies et les rapports normalisés de l'ONU sur les dépenses militaires
nationales représentent d'importants instruments de promotion de la communication
de statistiques nationales transparentes et comparables. Ces instruments
encouragent également la transparence sur le plan national en ce qui concerne les
dépenses militaires. Ils contribuent donc au renforcement des capacités des
institutions démocratiques nationales.
La coopération sur ces trois thèmes revêt une importance décisive en vue de la
réduction de la demande de dépenses militaires. L'autre moitié de l'équation
concerne un comportement réfléchi sur le plan de l'offre. Les pays exportateurs
qui sont attachés à des principes doivent s'attaquer au défi stratégique
consistant à jauger leurs intérêts commerciaux légitimes au regard des avantages
que procurerait l'imposition de contrôles à l'exportation d'armes.
Les contrôles appliqués par le Canada figurent déjà parmi les plus sévères du
monde et nos exportations vers les pays en développement à plus faible revenu sont
très peu nombreuses. Nous effectuons des analyses minutieuses du contexte en
matière de sécurité, de la situation des droits de la personne ainsi que des lois
et pratiques des pays destinataires en ce qui a trait au contrôle des armes. L'an
dernier, j'ai indiqué mon désir que soient interprétés de manière encore plus
stricte les critères relatifs aux droits de la personne. Ce faisant, je vise à
limiter encore plus le risque que de l'équipement militaire canadien serve à
déstabiliser des pays, à attaquer des civils ou à faciliter un commerce illicite
d'armes ou des actes de violence sur place.
Le lien qui unit les dépenses militaires, la sécurité et le développement durable
est complexe. Je ne me fais pas d'illusions : il n'existe pas de solutions simples
aux questions que vous allez débattre au cours des deux prochains jours. Le
premier défi consiste à élargir le consensus international quant à l'importance de
cette question. En dernière analyse, le défi, c'est de promouvoir des moyens
efficaces et cohérents d'encourager la réduction des dépenses militaires des pays
en développement, là où cela est justifié, tout en tenant compte des
préoccupations légitimes en matière de sécurité.
L'élargissement du fossé qui sépare les pays nantis et les pays démunis nous
préoccupe tous. Les dépenses militaires excessives et improductives ne peuvent
qu'exacerber les tendances allant dans le sens de l'inégalité des revenus. Quel
que soit le degré de difficulté des questions en cause, il nous faut nous y
attaquer si nous voulons parvenir à un développement véritablement durable et
partagé à l'échelle planétaire. J'attends avec un vif intérêt de prendre
connaissance des propositions concrètes qui, j'en suis persuadé, se dégageront de
vos discussions des deux prochains jours.
Je vous remercie.