MME STEWART - ALLOCUTION DEVANT LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DE L'ONU - GENÈVE, SUISSE
97/16 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE CHRISTINE STEWART,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (AMÉRIQUE LATINE ET AFRIQUE),
DEVANT
LA COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME DE L'ONU
GENÈVE, Suisse
Le 19 mars 1997
Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :
http://www.dfait-maeci.gc.ca
Monsieur le Président,
Ce fut pour moi un honneur que de m'adresser à la Commission en 1995 et, à la
suite de la visite du ministre des Affaires étrangères l'an dernier, il me fait
plaisir d'être de nouveau avec vous aujourd'hui. La présence des ministres
régulièrement à ces réunions atteste de l'importance des droits humains dans la
politique étrangère du Canada -- un préalable de nos relations avec d'autres
États. Elle traduit aussi le rôle déterminant de la Commission dans l'avancement
de la cause des droits de la personne dans le monde entier.
Les 50 dernières années, la Commission des droits de l'homme a présidé à la
transformation des valeurs courantes de l'humanité, en l'occurrence la liberté et
la démocratie, le partage et la communauté, en des normes internationalement
reconnues, des normes universelles sur les droits civils, politiques, économiques,
sociaux et culturels.
Aujourd'hui, notre attention, à la Commission et ailleurs, est de plus en plus
accaparée par la mise en oeuvre de ces normes. Et là, il n'est pas question de
choisir certains droits plutôt que d'autres. L'exercice des droits de la personne
commence avec le premier repas de la journée, mais en l'absence de liberté
d'expression, comment quelqu'un peut-il dire qu'il a faim?
La mise en oeuvre présente un défi de taille que chaque société doit relever à sa
manière, sans toutefois que la communauté internationale soit déchargée de ses
responsabilités : la Charte des Nations unies engage tous les gouvernements à
promouvoir « les droits de l'homme et les libertés fondamentales pour tous ».
Aussi, le Canada considère-t-il qu'il s'agit d'une obligation : nous devons
chercher à régler immédiatement et efficacement les problèmes des droits de la
personne. Et nous devons le faire toutes les fois que la situation s'y prête et
certainement devant la Commission dont c'est l'unique vocation.
L'approche privilégiée de cette responsabilité commune en est une de dialogue et
d'engagement.
C'est la raison pour laquelle le Canada et la Commission canadienne des droits de
la personne, un organisme indépendant, ont investi avec d'autres pays des efforts
particuliers pour contribuer au développement d'institutions nationales vouées à
la protection des droits de la personne. Des organismes nationaux indépendants
(comme les commissions électorales indépendantes) ou des structures apparentées
vouées aux droits humains sont parmi les instruments les plus efficaces pour
sauvegarder les droits constitutionnels et juridiques des citoyens.
La Commission, ainsi que les nombreux mécanismes créés par l'ONU pour promouvoir
les droits de la personne, offrent diverses possibilités d'engagement. Le Haut
Commissariat a considérablement aidé le Rwanda à entreprendre la reconstruction de
son infrastructure judiciaire et de son système de défense des droits humains,
tous deux ravagés. Au cours de la présente session, le Canada, de concert avec le
Rwanda et d'autres pays, s'emploiera à seconder cet effort. Nous souhaitons que la
Commission puisse aussi contribuer à une réaction internationale concertée aux
situations du Burundi et du Zaïre, où les vies de civils innocents ne doivent pas
être considérées simplement comme le coût nécessaire de poursuites militaires.
Concernant une autre partie du monde, le Canada félicite le Haut Commissariat et
le gouvernement de Colombie pour les progrès qu'ils ont réalisés vers
l'instauration à Bogota d'un bureau des Nations unies voué à la défense des droits
humains. Cependant, nous tenons à souligner qu'il faut de toute urgence appliquer
des mesures concrètes pour relever le défi que représente la défense des droits de
la personne dans un environnement très difficile.
Monsieur le Président, la recherche du dialogue et de l'engagement pour la défense
des droits humains doit être soutenue par la Commission dans toutes les
circonstances -- même face au refus de certains gouvernements de répondre
favorablement.
Une discussion franche et directe sur des situations et des problèmes particuliers
ne constitue pas une solution de rechange au dialogue. Au contraire, elle est un
élément fondamental du processus, en particulier dans les cas où les autorités
nient l'existence de problèmes ou contestent la compétence de la Commission pour
les examiner.
Par conséquent, Monsieur le Président, le Canada participera activement aux débats
de la Commission sur la situation des droits de la personne dans toutes les
parties du monde. Nous exprimerons de façon constructive et franche notre opinion
sur diverses situations dans des pays donnés. Par exemple sur la situation au
Nigéria, où le Canada a tenté, avec des résultats désappointants, d'engager le
gouvernement dans un dialogue sérieux sur les droits de la personne et la
démocratie par les voies bilatérales et multilatérales.
Ou encore sur des situations comme celle de la Chine avec laquelle nous avons
discuté de droits humains dans un dialogue bilatéral constructif, caractérisé par
le respect mutuel. Nous inciterons de plus tous les gouvernements à prendre part à
des dialogues constructifs du même genre avec la Commission.
Et je m'empresse d'ajouter, Monsieur le Président, que la délégation canadienne
sera, comme par le passé, plus que prête à entendre les préoccupations que
d'autres, pouvoirs publics et ONG réunis, voudraient souligner à propos du respect
des droits de la personne au Canada et à y répondre de manière constructive. Car
tous les pays représentés dans cette salle ont des problèmes liés aux droits
humains, et la Commission est la meilleure tribune pour en discuter.
Comme je l'ai dit, l'examen des situations particulières est une question
d'obligation, obligation imposée par notre Charte, mais avant tout, une obligation
envers les victimes de toutes les violations des droits de la personne qui peuvent
survenir. À cet égard, nous devrions nous souvenir des mots éloquents de
Mme Olusegun Obasanjo, lorsqu'elle a reçu le Prix international Indira Gandhi au
nom de son mari en novembre dernier, à savoir que face à l'injustice envers les
êtres humains n'importe où, nous ne devrions pas nous tranquilliser et faire
semblant d'adhérer à la réalpolitik.
Il s'agit d'une obligation envers un nombre incalculable de particuliers, dont bon
nombre de membres d'organisations non gouvernementales et autres qui,
quotidiennement, mettent leurs propres droits en péril pour défendre ces victimes.
Au nom du Canada, je voudrais aujourd'hui rendre hommage à ceux qui l'an dernier
ont fait le sacrifice ultime à cette cause, notamment les observateurs tués
récemment au Rwanda. Le Canada a perdu deux des siens au cours des 12 derniers
mois : Mme Nancy Malloy, une infirmière du Comité international de la Croix-Rouge
en Tchétchénie, et le Frère Pinard, un missionnaire d'Afrique au Rwanda. Nous ne
les oublierons pas.
Je veux également joindre ma voix à ceux qui réclament la rédaction dans les
meilleurs délais de la Déclaration sur les défenseurs des droits de la personne.
Au cours des 11 années qui se sont écoulées depuis que le Canada et la Norvège ont
présenté la première ébauche de cette déclaration, des particuliers et des membres
d'ONG ont tenu un rôle primordial grandissant, à titre de force essentielle de
première ligne, dans la promotion et la protection de ces droits dans le monde.
Nous avons été sérieusement déçus par les minces progrès réalisés à la dernière
session du groupe de travail et exhortons toutes les parties, surtout le petit
nombre qui a dressé des obstacles devant le processus, à montrer un regain
d'attention et d'engagement afin de compléter cette déclaration durant l'année à
venir.
Monsieur le Président, le Canada attache la même priorité à l'avancement des
travaux de la Commission sur une Déclaration complète sur les droits des peuples
autochtones. À la session de 1996 du groupe de travail, le Canada s'est employé
activement à ranimer les discussions en reconnaissant que les autochtones ont
droit à l'autodétermination qui préserve l'intégrité territoriale des États
démocratiques. Nous incitons toutes les parties à trouver des formes de
coopération qui permettront de progresser vers l'élaboration du texte d'une
déclaration à la prochaine réunion du groupe de travail.
Sur une échelle d'injustice humaine, la violence faite aux enfants constitue la
plus grande raison de s'alarmer. Le gouvernement du Canada a fait de la protection
des droits de l'enfant une priorité de sa politique nationale et étrangère. Nous
considérons sérieusement l'engagement pris à l'égard de la Convention de l'ONU
relative aux droits de l'enfant et nous soutenons fortement le travail de la
Commission sur les principes directeurs de deux protocoles facultatifs à la
Convention relative aux droits de l'enfant, à savoir l'un sur la vente des
enfants, la prostitution et la pornographie infantiles, et l'autre, sur la
situation des enfants lors de conflits armés.
Nous procédons également au suivi du Plan d'action issu du Congrès mondial contre
l'exploitation sexuelle des enfants à des fins commerciales, qui s'est tenu à
Stockholm. Comme le ministre des Affaires étrangères du Canada, M. Axworthy, l'a
dit à cette conférence, il est difficile d'admettre qu'à la veille du XXIe siècle,
nous soyons encore aux prises avec ce qui constitue essentiellement une forme
d'esclavage, à savoir le commerce sexuel des enfants. Dans notre lutte sur ce
front, nous avons présenté au Parlement un projet de loi qui rendra les Canadiens
s'adonnant au tourisme sexuel engageant des enfants à l'étranger passibles de
poursuites au Canada.
Le mois dernier, j'ai assisté à la Conférence d'Amsterdam sur le travail des
enfants où des représentants de gouvernements, d'organisations internationales
comme le BIT et l'UNICEF, ainsi que d'organisations non gouvernementales
intéressées, se sont donné pour cause commune de relever ce défi mondial. Le
Canada considère le travail des enfants comme une question de droit de la personne
et de développement, un défi commandant une réponse multidisciplinaire, émanant
d'une grande alliance entre les autorités nationales et internationales, la
société civile et les organisations non gouvernementales.
Monsieur le Président, comme je l'ai dit aux membres de la Commission il y a deux
ans, la promesse contenue dans la Charte de veiller au respect des droits de tous
les êtres humains ne sera pas réalisée tant que les droits et la pleine égalité de
la moitié de la population mondiale ne seront pas reconnus et respectés, dans les
lois et dans les usages, et dans tous les pays.
La Commission a joué un rôle important dans l'avancement de cette cause, notamment
par la création en 1994 du poste de rapporteur spécial sur la violence contre les
femmes. Le rapporteur spécial a maintenant terminé son premier mandat. Par son
travail, elle a apporté une contribution importante à la recherche de solutions
concrètes et applicables à tous les niveaux de la société. Pendant la présente
session, la délégation canadienne est honorée d'être un des principaux artisans du
renouvellement de cet important mandat pour trois ans.
Monsieur le Président, je n'ai fait mention que de quelques-unes des questions de
fond sur lesquelles le Canada espère travailler avec les autres délégations durant
la présente session de la Commission. Il reste que notre programme ne sera pas
complet, et que nos efforts en faveur des nombreuses causes vitales dont nous
sommes saisis ne donneront pas de résultats, si, au départ, il n'est pas accordé
suffisamment d'attention à la santé du système onusien des droits de la personne.
Nous sommes en ce moment au seuil d'une période riche en défis et en possibilités
de toutes sortes.
Le 10 mars, un nouveau secrétaire général a marqué le coup d'envoi de nos
délibérations et s'est engagé à défendre les droits de l'homme de sa propre
initiative. Le Canada a été très encouragé par les premières mesures qu'il a
prises pour réformer le Secrétariat, et notamment par la place centrale qu'il a
réservée aux droits de la personne à l'ONU. Les autres réformes qu'il met de
l'avant et les choix personnels cruciaux qu'il est maintenant tenu de faire à
l'endroit du Programme des droits de l'homme sont l'occasion de traduire cette
vision dans la réalité opérationnelle et de faire en sorte que les droits de la
personne, comme il l'a déclaré la semaine dernière, soient pleinement intégrés
dans tous les champs d'action de l'Organisation - la paix et la sécurité, le
développement et les affaires humanitaires.
Il aura pour cela l'appui intégral du Canada. Il pourra aussi compter sur nous
pour des tâches pratiques, par exemple la liste des experts en droits de la
personne que le Canada dresse en ce moment pour aider à mettre sur pied une
capacité d'intervention rapide à l'intention de l'ONU et d'autres organisations
internationales.
L'année prochaine marquera le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des
droits de l'homme et sera tout indiquée pour faire un bilan des retombées de la
Déclaration de Vienne et du Programme d'action, cinq ans après leur adoption. Ce
sera une autre occasion déterminante de s'adapter aux défis posés par un nouveau
millénaire au chapitre des droits de la personne. Un jalon clé, atteignable en
1998, serait l'instauration d'une cour internationale criminelle efficace et
indépendante. Le Canada ne ménagera aucun effort pour parvenir à ce but.
J'aimerais mentionner trois autres domaines dans lesquels le Canada entrevoit la
possibilité de progrès importants.
Les nouvelles technologies de l'information devraient constituer désormais un
élément important de notre stratégie de promotion des droits de la personne.
L'Internet donne aux défenseurs des droits humains un accès plus grand à
l'information et facilite pour eux la communication. Les technologies de
l'information peuvent aussi être des outils de sensibilisation aux droits de la
personne et à ce titre favoriser l'engagement de la prochaine génération dans ce
domaine. Le Canada a l'intention de jouer un rôle de chef de file à cet égard.
Deuxièmement, le Canada préconise depuis plusieurs années qu'on fasse mieux
connaître le travail de la Commission, de ses nombreux mécanismes et des
institutions de défense des droits de l'homme créées par traité, et qu'on les
rende plus accessibles aux médias et au grand public. Les multiples rapporteurs et
groupes de travail de la Commission et les différents comités accomplissent un
travail remarquable avec les ressources dont ils disposent - mais c'est hélas un
des secrets les mieux gardés à l'ONU.
Un des moyens de remédier à cette lacune consisterait à rédiger un rapport annuel
sur la situation des droits de la personne à travers le monde, à partir des
constatations faites par des mécanismes indépendants de l'ONU en matière de droits
de la personne. Dans le cadre du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, le Canada organisera l'élaboration et la publication d'un
prototype en prévision d'un tel rapport annuel sur les droits de la personne.
Finalement, toujours dans la même veine, le Canada estime que la Commission aurait
dû il y a longtemps mobiliser le vif intérêt manifesté à l'égard de ses travaux
par des figures politiques et d'autres personnalités de toutes les parties du
monde.
Un segment de haut niveau de la Commission, réunissant des dirigeants, des
ministres et des représentants haut placés de la société civile, contribuerait
grandement à porter le message de la Commission à l'extérieur du Palais, dans le
monde réel et particulièrement parmi les gens dont nous cherchons à améliorer le
sort. Le Canada préconise donc fortement la constitution d'un segment de haut
niveau à la 54e session de la Commission des droits de l'homme.
Pour conclure, Monsieur le Président, la quête de liberté et de justice humaines
est une noble cause -- et en soi une obligation de la Charte de l'ONU. Mais
davantage aussi. C'est aussi, aux yeux du Canada, un instrument indispensable pour
tenter d'atteindre tous les objectifs fondamentaux des Nations unies. Nous croyons
que les rouages onusiens des droits de la personne peuvent et doivent servir tous
ces objectifs : la paix, la justice et la prospérité pour tous. Et à cette fin,
Monsieur le président, nous nous engageons à collaborer pleinement avec vous et
avec tous les participants à la présente session de la Commission des droits de
l'homme.
Merci.