M. AXWORTHY - ALLOCUTION À LA 52E SESSION DEL'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES - NEW YORK (NEW YORK)
97/36 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À LA 52e SESSION DE
L'ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
NEW YORK (New York)
Le 25 septembre 1997
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Monsieur le Président,
C'est avec un sentiment d'urgence que je me présente cette année devant
l'Assemblée, fermement convaincu que nous émergeons non seulement de l'ombre de la
guerre froide, mais aussi des incertitudes qui l'ont suivie. Nous voyons, partout
dans le monde et ici à New York, d'innombrables illustrations des principes de
base et de la vision globale de la Charte des Nations unies. La population de la
planète jette les bases d'un nouveau système international pour le nouveau
millénaire.
Je m'empresse de reconnaître qu'aucune partie du monde n'échappe aux conflits, à
la douleur et à la souffrance humaine. Et rien n'indique non plus que le fardeau
croissant des iniquités économiques dans le monde soit en train de s'alléger.
Pourtant, je sens une volonté internationale renouvelée de s'attaquer aux
problèmes, de mobiliser la volonté politique requise et de lancer des réformes.
C'est ça qui a changé. Il règne maintenant un sentiment d'espoir, et non
d'impuissance. Les vieilles réalités du pouvoir n'ont pas disparu. Mais elles
doivent s'accommoder de nouvelles forces, de nouvelles coalitions et de nouvelles
façons de faire les choses, empreintes d'impatience. Comme nous l'avons vu ces
derniers jours, la vision et l'extraordinaire générosité d'une personne peuvent
faire une différence et servir d'inspiration pour nous tous.
La réforme des Nations unies
Ce nouvel esprit devrait d'abord être observé ici, à l'ONU, où le secrétaire
général a proposé un train de réformes sérieux et clairvoyant. Le Canada appuie
solidement ces propositions et les accepte intégralement, gages de plus
d'efficience, et d'efficacité aussi. Sur la base de nos expériences au Canada, je
peux dire avec une certaine assurance que la réduction des budgets n'est pas à
elle seule la solution. Il doit y avoir des changements structurels sérieux visant
à moderniser les institutions nationales et internationales nées après la guerre.
Tout effort de changement structurel doit d'abord prendre en compte l'évolution de
l'ONU depuis sa fondation. L'ONU s'est transformée en un organisme vraiment
mondial englobant 185 membres, dont la majorité sont maintenant des démocraties,
d'où la convergence croissante des valeurs et des intérêts. Les rivalités et les
schismes idéologiques qui nous séparaient sont en voie de disparaître et d'être
remplacés par des coalitions pragmatiques bâties autour de convictions et
d'intérêts communs.
Toute réforme dans ce nouveau contexte passe par des solutions basées sur
l'entente et sur la coopération. Les solutions ne peuvent pas être imposées par
une partie ou un pays donné, mais doivent être le fruit de partenariats animés
d'un esprit d'ouverture et d'innovation. En d'autres mots, nous devons renouveler
l'entente entre les membres de l'ONU afin d'assurer la stabilité financière de
l'ONU.
Comme le disait le nouveau président de l'Assemblée générale de l'ONU, le ministre
des Affaires étrangères de l'Ukraine, M. Hennadiy Udovenko, nous sommes rendus à
un carrefour -- à un moment décisif pour l'Organisation, qui peut nous donner un
nouvel élan ou retarder notre progression. Il nous appartient de décider ensemble
de l'orientation que nous voulons prendre; le résultat de notre décision est entre
nos mains. C'est une chance que nous ne devons pas rater.
La campagne contre les mines terrestres antipersonnel
Un autre moment décisif, je crois, est survenu il y a juste un peu plus d'une
semaine à Oslo lorsque 90 nations, stimulées par les efforts de la communauté des
ONG [organisations non gouvernementales], se sont entendues sur le texte d'un
traité interdisant les mines terrestres antipersonnel. Le traité pourra dès lors
être signé en décembre prochain, seulement 14 mois après sa genèse.
À Oslo, j'ai été stupéfait de constater à quel point ce que l'on appelle
maintenant le « processus d'Ottawa » illustre l'évolution des affaires mondiales.
Et surtout de constater que le démantèlement du vieux monde bipolaire ouvre à la
société civile de nouvelles possibilités d'influencer la diplomatie multilatérale.
Toute cette démarche a pour objet une arme qui tue d'innombrables civils, une arme
qui a largement perdu son utilité militaire, quoi que certains puissent en dire.
Elle traduit le sentiment croissant dans la société civile que les armes de guerre
conçues pour le XXe siècle n'ont plus leur place au XXIe siècle.
Ce n'est pas le seul exemple de ce nouvel activisme à la base, de cette richesse
commune qui se fait jour et constitue une force de mondialisation à la fois
puissante et positive. Des Canadiennes atterrées par le traitement réservé à leurs
soeurs de l'Afghanistan ont lancé une campagne épistolaire. Je remettrai au
secrétaire général quelque 5 000 lettres l'invitant à prendre l'initiative de
dénoncer les violations flagrantes des droits fondamentaux des femmes en
Afghanistan par les taliban, violations inacceptables aux yeux des citoyens du
monde.
L'efficacité de la nouvelle approche peut être clairement mesurée. Des nations de
toutes les régions du monde se sont déjà engagées à souscrire à une interdiction
complète du stockage, de la production, de l'exportation et de l'utilisation des
mines terrestres antipersonnel. Nous espérons que d'autres se joindront à nous
d'ici décembre, et par après. À ceux d'entre vous qui sont encore indécis, nous
demandons de réfléchir sérieusement et lucidement à la question. Votre engagement
est crucial. En ralliant la majorité des États membres de l'ONU, vous pourrez nous
aider à débarrasser le monde de cette arme des plus inhumaines.
Comme preuve de son propre engagement envers le processus, le Canada a récemment
déclaré son intention de détruire unilatéralement ses derniers stocks de mines
terrestres antipersonnel avant la signature du traité. Nous ratifierons aussi sous
peu le Protocole II modifié de la Convention sur certaines armes classiques.
Le traité constitue une promesse pour les générations futures. Mais il ne règle
pas les problèmes tout aussi sérieux engendrés par les mines déjà enfouies dans le
sol, pas plus qu'il n'allège le sort de ceux qui ont subi ou qui subiront
directement leur effet redoutable.
Après la signature du traité, la communauté internationale aura l'obligation
d'élaborer des politiques pour améliorer et coordonner le déminage humanitaire,
l'aide aux victimes et leur réadaptation. C'est une question qui touche également
le développement. Les zones fortement minées ne pourront poursuivre leur
développement économique tant qu'elles n'auront pas été déminées; or, le déminage
est une tâche sisyphienne et désespérée s'il n'y a pas de traité pour empêcher la
pose de nouvelles mines.
À Ottawa, en décembre, nous inviterons donc les nations à s'engager dans la
deuxième phase de la campagne, soit une vaste mobilisation des groupes et des pays
pour s'attaquer aux conséquences des mines terrestres. C'est une tâche
monumentale, qui ne peut être menée à bien que par l'action combinée de tous les
États. Nous vous invitons à vous joindre à nous. Les gouvernements du monde se
doivent d'égaler, et même surpasser, la générosité de citoyens comme Ted Turner et
l'engagement de personnes comme la princesse Diana.
La transformation des conflits
Qu'est-ce qui sous-tend cette volonté de régler les vieux problèmes d'une nouvelle
façon? Qu'est-ce qui nous a amenés à cette convergence de grands espoirs, de
nouvelles stratégies et de capacités réelles de provoquer le changement comme
l'illustre la campagne contre les mines terrestres? Ces développements et, par
dessus tout, la reconnaissance de la nécessité d'adopter de nouvelles approches à
l'égard des problèmes internationaux, sont en partie, à mon avis, une réponse au
caractère évolutif de la guerre.
Dans la deuxième moitié du XXe siècle, nous avons vu un type de conflit devenir de
plus en plus omniprésent. Il s'agit des guerres livrées à l'intérieur des États
plutôt qu'entre ceux-ci; de guerres souvent longues et amères; et, par dessus
tout, de guerres dont ce sont les civils qui souffrent le plus et qui souvent
ciblent délibérément les enfants et les femmes. Ce sont des guerres où, selon les
mots de Saint-Exupéry, la ligne de feu traverse le coeur des gens.
Comme ce type de guerre constitue la grande majorité des conflits, les
distinctions qui fondaient auparavant les efforts de la diplomatie internationale
-- distinctions entre les préoccupations de sécurité militaire et celles d'ordre
humanitaire ou civil -- sont en train de s'estomper. Ce flou, conjugué à une
présence médiatique accrue, a fortement ébranlé l'opinion publique internationale.
De moins en moins de gens acceptent de voir la guerre comme un instrument
acceptable de la politique de l'État.
Le concept de la sécurité humaine
À la lumière de ces changements, le concept de la sécurité humaine prend une
pertinence accrue, comme je l'ai souligné dans mon allocution de l'an dernier
devant cette Assemblée. Le concept est basé sur la prémisse selon laquelle il ne
suffit pas d'épargner aux personnes le « fléau de la guerre » à son sens étroit.
L'obtention d'une sécurité humaine véritable et durable suppose que l'on s'attaque
à d'autres atteintes sérieuses comme :
les besoins insatisfaits de plus de 1 milliard de personnes vivant dans la
pauvreté;
la violation des droits fondamentaux de personnes et de groupes de personnes;
les menaces transnationales posées par le crime et le terrorisme;
les atteintes portées à la santé et à la subsistance par l'épuisement ou la
pollution des ressources naturelles.
Les problèmes du monde ne nous attendront pas. Il est urgent de prendre des
mesures pour empêcher le conflit ou en réduire l'incidence, pour rétablir les
sociétés victimes d'un conflit, et pour renforcer la sécurité humaine.
Notre action peut, à mon avis, être regroupée sous les trois grandes priorités
suivantes :
attaquer les problèmes qui transcendent les frontières traditionnelles entre les
domaines de préoccupation, comme nous l'avons fait avec la campagne contre les
mines terrestres;
cerner et éliminer les grandes causes de conflit;
renforcer notre capacité de réagir aux crises lorsque nous ne pouvons les
empêcher.
Examiner les enjeux transversaux : les petites armes
Les mines terrestres ne sont pas le seul problème complexe et transversal que nous
devons chercher à résoudre si nous voulons réduire ou empêcher les conflits. Trop
souvent aujourd'hui, ce sont les petites armes, plutôt que les systèmes d'armes
ciblés par les efforts de désarmement, qui font le plus grand nombre de victimes.
Entre les mains de terroristes, de criminels, de milices irrégulières et de bandes
armées qui sont des acteurs typiques dans les conflits internes, les petites armes
sèment vraiment la terreur. Comme dans le cas des mines terrestres, leurs victimes
sont trop souvent des civils. De plus, la prolifération des petites armes sape les
efforts d'un grand nombre de pays en développement en matière de sécurité et de
développement.
Pour s'attaquer à ce problème, il faut d'abord faire échec au trafic illicite des
armes à feu et rendre plus transparente l'exportation légale des petites armes.
L'OEA [Organisation des États américains] négocie actuellement une convention
interaméricaine sur le trafic illicite des armes à feu. Le Canada espère que non
seulement ces négociations aboutiront à une convention efficace, mais qu'elles
amèneront d'autres organismes régionaux à agir.
Nous saluons le dépôt du récent rapport du Groupe d'experts gouvernementaux de
l'ONU sur les petites armes et les discussions sur le désarmement des combattants
à la Commission du désarmement, et y voyons là un pas vers une paix durable. Le
rapport et les discussions devraient servir de point de départ à l'élaboration de
mesures pratiques en consultation avec les organismes régionaux, divers paliers
gouvernementaux et la société civile. Nous devrons trouver des initiatives
franchement novatrices et coopératives pour réduire le nombre de victimes des
petites armes, mais nous ne pouvons nous laisser dissuader par la difficulté de la
tâche.
Le terrorisme, la criminalité transnationale et le trafic international de la
drogue sont d'autres défis qui font abstraction des frontières nationales. Ils ne
peuvent être réglés ni par l'action de pays individuels, ni en recourant à des
mesures traditionnelles. L'application des déclarations de l'ONU sur la lutte
contre le terrorisme international, une issue heureuse et rapide des négociations
sur la convention concernant les attentats terroristes à la bombe et une
productive session extraordinaire de l'ONU sur l'abus des drogues seront des
étapes importantes dans le relèvement collectif de ces défis.
S'attaquer aux causes des conflits : édifier la paix et la sécurité humaine
Le fait de débarrasser la planète des mines terrestres antipersonnel et
d'interdire ou de limiter l'emploi d'autres types d'armes réduit directement la
souffrance humaine amenée par les conflits. L'édification et l'amélioration de la
sécurité humaine est l'autre élément de l'équation. En consolidant la paix, en
réduisant des dépenses militaires insoutenables, en faisant la promotion d'un
développement équitable et durable et en encourageant des sociétés démocratiques
stables qui respectent les droits de la personne, non seulement nous limitons la
souffrance humaine mais nous nous attaquons aux causes fondamentales des conflits.
À cette fin, il faut des solutions élaborées de l'intérieur, non imposées de
l'extérieur. La paix durable ne peut s'obtenir que par la coopération et la
participation actives des gouvernements, des populations et des groupes aux prises
avec le conflit. Cela signifie de faire appel à l'expertise et à l'engagement aux
niveaux local, national, régional et international, selon ce qui est le plus
efficace. Cela signifie aussi de créer de nouveaux partenariats, particulièrement
entre le Nord et le Sud, et de mieux outiller les organisations régionales pour
gérer les conflits. Et cela signifie de renforcer la capacité de l'ONU d'aider les
pays tôt dans la gestion de conflits émergents et dans l'édification d'une paix
durable.
Il faut aussi, parallèlement, faire un effort pour réformer les programmes et les
fonds de développement de l'ONU. Le Canada appuie vigoureusement les propositions
de réforme du secrétaire général dans ce domaine. Nous estimons prioritaire
d'améliorer la coordination au sein du système onusien au niveau national, y
compris parmi les institutions spécialisées et les institutions de Bretton Woods,
pour maximiser l'impact sur le développement.
Par le biais de la diplomatie et de l'aide au développement, le Canada a appuyé
les activités de consolidation de la paix dans les régions touchées par les
conflits depuis plusieurs années. Pour donner une impulsion encore plus grande à
cette approche, j'ai annoncé en octobre dernier la mise en oeuvre de l'Initiative
canadienne de consolidation de la paix. Cette initiative a pour but de coordonner
les politiques et les programmes canadiens à l'appui de la prévention et du
règlement des conflits, de la consolidation de la paix et de la reconstruction
post-conflit. Un fonds de consolidation de la paix sous l'égide de l'Initiative
fournit un mécanisme de réaction rapide.
Au cours des six derniers mois, nous avons utilisé ce fonds pour :
offrir un financement initial grandement nécessaire à la Commission guatémaltèque
de clarification de l'histoire;
aider la Commission préparatoire pour la création d'une cour criminelle
internationale en subventionnant la participation de délégués des pays en
développement;
fournir une aide financière pour faciliter le travail du représentant spécial
conjoint de l'ONU et de l'OUA [Organisation de l'unité africaine] pour la région
des Grands Lacs, M. Mohamed Sahnoun.
De plus, le Canada est prêt à verser jusqu'à 500 000 $ à même ce Fonds pour
l'établissement, en Bosnie, d'une fondation ONG qui développe la société civile
sur la base de la coopération pluriethnique. J'exhorte les autres membres de
l'Organisation à ajouter leur appui à celui du Canada. Enfin, il me fait plaisir
d'annoncer que le Canada versera 500 000 $ du fonds de consolidation de la paix à
un nouveau fonds d'affectation spéciale pour l'action préventive des Nations
unies, créé par le secrétaire général suite à une proposition du gouvernement
norvégien.
Dans la poursuite de cette initiative, nous comptons travailler étroitement avec
l'ONU et d'autres organismes compétents, avec d'autres donateurs, avec la société
civile et, surtout, avec les pays qui recherchent la paix.
Réduire les dépenses militaires
Une deuxième avenue prometteuse dans la lutte contre les causes fondamentales des
conflits est l'exploration des liens entre la sécurité et le développement,
particulièrement la réduction du niveau des dépenses militaires relativement aux
dépenses économiques et sociales.
L'an dernier, le Canada a coparrainé avec l'OCDE [Organisation de coopération et
de développement économiques] un symposium sur les dépenses militaires dans les
pays en développement qui a réuni un vaste éventail d'experts et de parties
intéressées. Ils ont identifié des aspects du dossier qu'il faut travailler
davantage, dont la prolifération des petites armes, la coopération au plan de la
sécurité régionale, le bon gouvernement et la primauté du droit.
L'ONU a mis en place d'importants outils pour bâtir la confiance nécessaire pour
réduire les dépenses militaires - le Registre des armes classiques et les rapports
standardisés sur les dépenses militaires nationales. Il faut toutefois faire
davantage, particulièrement au niveau régional, pour identifier des façons d'aider
des pays à réduire leurs dépenses militaires et à réaffecter de maigres ressources
nationales au service du développement économique et social.
Promouvoir le développement durable respectueux de l'environnement
Un troisième aspect des travaux sur les conflits et les menaces à la sécurité
humaine est celui du respect de l'environnement dans le cadre du développement
durable. Les problèmes environnementaux peuvent mettre à risque les niveaux de vie
actuels, hypothéquer le bien-être des générations futures et engendrer des
conflits pour l'accès à des ressources rares et en diminution.
Une grande partie du cadre institutionnel et conceptuel nécessaire pour s'attaquer
aux menaces que les problèmes environnementaux représentent pour la sécurité
humaine est déjà en place. Le développement durable -- l'intégration des dimensions
sociales, économiques et environnementales du développement -- a été accepté comme
nouveau paradigme. Mais, comme nous l'avons tous reconnu à la session
extraordinaire de l'AGNU [Assemblée générale des Nations unies] convoquée pour
faire le point sur Action 21, notre action concrète sur le terrain n'a pas été à
la hauteur. La volonté politique n'était pas au rendez-vous.
La gestion judicieuse de l'environnement est un enjeu d'une importance directe et
très réelle pour les Canadiens. Le Canada compte 10 p. 100 des forêts mondiales et
il a déployé beaucoup d'efforts pour se donner des pratiques de gestion durable
des forêts. L'expérience ainsi acquise et nos nombreux partenariats internationaux
nous ont convaincus de la nécessité d'un accord international juridiquement
contraignant sur la gestion durable des forêts. Les polluants organiques
persistants nous préoccupent particulièrement. Utilisées dans des pays lointains,
ces substances menacent la santé des Canadiens et des autres habitants dans la
région fragile de l'Arctique.
Pour ces raisons, le Canada appuie vigoureusement de nouveaux accords sur les
produits chimiques dangereux, y compris les polluants organiques persistants, et
il entend travailler à assurer le succès du nouveau Forum intergouvernemental sur
les forêts. La lutte contre la désertification reste une priorité pour le Canada,
et nous avons offert d'accueillir le secrétariat de la Convention de la lutte
contre la désertification. Nous espérons aussi des résultats positifs de la
conférence sur le changement climatique à Kyoto en décembre.
Promouvoir le respect des droits de la personne
Le quatrième et dernier aspect prometteur de la lutte contre les causes profondes
des conflits est le volet des droits de la personne et du bon gouvernement. L'an
prochain, nous célébrerons le 50e anniversaire de la Déclaration universelle des
droits de l'homme. Ce sera une occasion pour nous tous de réaffirmer avec force
l'importance de ce document et notre adhésion aux normes communes de comportement
qu'il enchâsse.
Pour souligner l'importance de cet anniversaire, le Canada parrainera un vaste
programme d'activités :
une conférence sur les droits de la personne et Internet qui mettra en commun le
travail qui se fait sur le sujet dans de nombreuses enceintes internationales et
qui ciblera des stratégies permettant d'utiliser Internet pour améliorer le
respect des droits de la personne;
la mise au point et la publication d'un prototype de rapport annuel sur l'état
des droits de la personne dans le monde à la lumière des conclusions réunies par
des mécanismes indépendants de l'ONU qui oeuvrent dans le domaine;
une conférence d'examen de l'impact de la Déclaration de Vienne de 1993 devant se
dérouler sous l'égide d'organisations non gouvernementales canadiennes dans le
cadre des nombreuses activités qu'elles organisent pour souligner cet
anniversaire.
On invoque parfois la stabilité et la sécurité nationale pour excuser les
violations des droits de la personne, mais les faits démontrent la futilité de ces
raisons. Les pays dirigés par des gouvernements démocratiques et respectueux des
droits fondamentaux de leurs citoyens sont en effet moins susceptibles de
guerroyer les uns contre les autres. Il est probable en outre que, avec le temps,
ils atteindront un niveau de développement économique plus élevé. Si nous voulons
instaurer une véritable stabilité et garantir la sécurité humaine, alors le
respect des droits de la personne doit être l'une des pierres d'assise de notre
entreprise.
Convaincu de cela, le Canada a récemment lancé une série de nouvelles initiatives
bilatérales dans le domaine des droits de la personne. Notre objectif est de
travailler de concert avec des interlocuteurs étrangers en vue d'engager des
discussions de gouvernement à gouvernement, d'instituer des échanges entre les
organismes voués à la protection des droits de la personne ainsi que des
initiatives au niveau de la société civile, enfin de réaliser des projets pour
l'émergence d'une presse libre.
Pour tous ces motifs, et en raison de son indéfectible foi dans « la dignité et la
valeur de la personne humaine », le Canada demande instamment à toutes les nations
d'adhérer aux six traités fondamentaux des Nations unies relatifs aux droits de la
personne. Nous appuyons sans réserve les réformes proposées par le secrétaire
général pour améliorer la performance de l'ONU dans ce domaine et intégrer les
droits de la personne dans toutes ses autres activités. La création du Haut
Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme en 1994 a constitué un pas
important dans cette direction. Nous nous réjouissons de la nomination de
Mme Mary Robinson à ce poste, et nous lui garantissons tout notre soutien.
La communauté internationale célébrera bientôt le 50e anniversaire de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, et les défis qu'elle doit relever
ont, à tout le moins, augmenté. Les civils sont maintenant des cibles lors de
conflits armés, et cela a mené à de graves violations des droits fondamentaux des
femmes et des enfants. Nous avons, hélas, trop souvent vu des enfants revêtir la
livrée du soldat, et des femmes être victimes de violences sexuelles, les auteurs
de ces crimes cherchant délibérément à semer la terreur.
Pour mon pays, la protection des droits de l'enfant, aussi bien lors de conflits
qu'en période de paix, demeure une priorité absolue. Nous participons activement
aux groupes de travail de l'ONU sur les protocoles additionnels à la Convention
relative aux droits de l'enfant, et nous saluons la nomination de M. Olara Otunnu
à titre de représentant spécial chargé d'étudier l'incidence des conflits armés
sur les enfants.
Le Canada accueillera sous peu une rencontre préparatoire des principaux pays
donateurs invités à la Conférence d'Oslo sur le travail des enfants. Cela viendra
compléter nos efforts sur le plan interne, au nombre desquels il faut aussi
inclure la création du Fonds de lutte contre l'exploitation de la main-d'oeuvre
enfantine, qui a pour but de soutenir les actions prises par le secteur privé
canadien pour trouver une solution au problème de l'exploitation des enfants au
travail.
Nulle part ailleurs que dans les questions relatives aux droits de l'enfant
voit-on un lien aussi évident entre les droits de la personne et la sécurité
humaine. En protégeant les droits fondamentaux des enfants du monde, nous
façonnons une génération de citoyens qui auront à la fois les moyens et le désir
de vivre dans la paix.
Améliorer la réaction aux crises : l'intervention rapide
La réponse aux crises constitue la troisième des grandes priorités que j'ai
évoquées tout à l'heure. Malgré nos meilleurs efforts, il se produira des
situations où le déclenchement d'hostilités sera imminent, ou inévitable. Cela
exigera alors une action rapide, décisive, soit pour prévenir le conflit, soit
pour le circonscrire si nous n'avons pu l'empêcher. Cette action, elle prendra la
forme non seulement de mesures de maintien de la paix et autres mesures
militaires, mais aussi de l'aide humanitaire et judiciaire.
La façon dont l'ONU devrait réagir à un conflit a donné lieu à d'intenses
discussions. Nous avons alterné entre l'optimisme et le pessimisme quant à la
capacité de l'Organisation d'accroître la sécurité mondiale, particulièrement dans
le sillage des missions en Somalie, en Bosnie, au Rwanda et au Zaïre. Jusqu'ici,
il semble que la communauté internationale ait vu les leçons à tirer de ces
missions, mais qu'elle ne les ait pas encore assimilées.
Les divers représentants à la récente conférence d'Halifax sur les opérations de
soutien à la paix et l'action humanitaire ont tiré des leçons analogues :
nécessité d'une meilleure coordination et d'une meilleure consultation, de
manière que tous ceux appelés à jouer un rôle soient intégrés à la planification
et aux opérations sur le terrain;
nécessité de réagir sans tarder, notamment de déployer rapidement dans la région
en crise les éléments essentiels d'un état-major de mission de soutien à la paix;
plus grande insistance sur le contexte politique et social où s'enracinent les
causes profondes du conflit;
plus grande attention aux mécanismes de transition, par exemple les forces de
police civiles.
En situation de crise, la vitesse d'intervention est la clé d'une réponse
efficace. C'est pourquoi le Canada a fait tant d'efforts pour doter les Nations
unies d'une capacité de réponse et de déploiement rapides, et plus
particulièrement d'un état-major de mission à déploiement rapide. Cette structure
permettrait non seulement le détachement de forces militaires en temps opportun,
mais aussi l'intégration directe d'organisations civiles et humanitaires aux
phases de planification et d'envoi de la mission. Le Canada espère assister à des
progrès notables relativement à la création de cet état-major et à l'initiative
suédoise concernant une brigade d'intervention rapide des forces en attente. Ces
améliorations à la capacité d'intervention rapide de l'ONU sont complémentaires
les unes des autres, elles sont possibles et elles devraient être apportées dans
les meilleurs délais. Montrons que nous avons retenu la leçon du passé.
Reconnaître que l'intervention rapide ne résulte pas uniquement de l'aide
militaire est un aspect important de cette leçon. Le secrétaire général a
récemment souligné les liens qui existent entre la gestion des crises, les efforts
de consolidation de la paix et l'aide humanitaire.
Le Canada est un fervent partisan des réformes préconisées pour faire du système
humanitaire de l'ONU un système efficace et centré sur les victimes. Il faut créer
un bureau du coordonnateur des secours d'urgence qui soit modeste et efficace,
plutôt que réaménager les arrangements actuels, qui se sont révélés inefficaces.
Le succès des réformes proposées sera tributaire d'un engagement clair de la part
des organismes opérationnels et des programmes de l'ONU. Mais ceux-ci devront
aussi participer pleinement à la mise en oeuvre de ces réformes. Il est crucial
également de nommer immédiatement un coordonnateur des secours d'urgence capable
de leadership, ayant de solides compétences en gestion et en communications, et à
qui sera confiée la supervision du processus de réforme.
Bien sûr, il importe de doter les Nations unies d'une capacité de bons offices et
de réaction rapide. Mais la véritable clé du problème, c'est la volonté politique
d'agir, et d'agir immédiatement. L'absence de cette volonté politique et du sens
des responsabilités de la part des États membres est le plus grand défi des
Nations unies devant les crises.
La justice et la primauté du droit
L'exercice de la justice et la primauté du droit international sont aussi un
élément clé de la réponse de l'ONU à un conflit, outre l'intervention militaire et
humanitaire rapide. Le Canada est nettement en faveur de l'établissement, le plus
tôt possible, d'un tribunal pénal international efficace et indépendant. Pour être
efficace, ce tribunal devra avoir compétence en ce qui concerne les grands crimes
que sont le génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Pour
être indépendant, il devra pouvoir traiter de questions figurant à l'ordre du jour
du Conseil de sécurité.
Pour montrer sa détermination à poursuivre les criminels de guerre, la communauté
internationale a mis sur pied les Tribunaux internationaux pour le Rwanda et
l'ex-Yougoslavie. Pour être utiles, ces tribunaux doivent recevoir davantage qu'un
soutien moral ou de vagues assurances. Ils doivent pouvoir compter sur un réel
soutien politique et juridique des États. Nous avons créé ces tribunaux -- et nous
avons le devoir de les soutenir et de veiller à ce qu'ils soient efficaces.
C'est dans cet esprit que le Canada a récemment présenté au Tribunal pour
l'ex-Yougoslavie un document dans lequel il défend le pouvoir de ce dernier
d'émettre des ordonnances en vue de la production de preuves. Si nous ne disposons
pas de moyens impartiaux de découvrir la vérité et d'administrer la justice une
fois la guerre terminée, les nations se trouveront engluées dans un cycle de
violence alimenté par des problèmes non réglés et des haines tenaces.
Conclusion
L'Organisation des Nations unies a d'abord été créée comme un instrument au
service de la paix internationale. Depuis cette époque, la guerre a changé de
visage. De plus en plus, ce sont surtout les populations civiles qui sont dans la
ligne de mire. Pour être efficace -- et je crois que le besoin d'un
multilatéralisme efficace n'a jamais été aussi criant -- l'ONU doit s'adapter à ce
changement.
En même temps, l'ONU doit reconnaître qu'elle-même a aussi changé depuis sa
création. Sa composition et son mandat se sont élargis, et l'importance des
domaines du développement et de l'aide humanitaire s'accroît constamment. À
l'évidence, l'heure est venue d'une réflexion concertée sur la raison d'être et le
fonctionnement de cet organisme que nous avons construit ensemble, y compris en ce
qui concerne la difficile question du financement et celle, non moins ardue, de la
réforme du Conseil de sécurité.
La réforme et l'élargissement du Conseil de sécurité constituent une entreprise
majeure qui concerne directement tous les membres de l'Organisation. Nous devons
veiller à ce que les implications à long terme fassent l'objet de discussions
poussées et soient clairement analysées, et que le processus soit juste et ouvert.
Ce processus doit viser à dégager un vaste consensus; nous devons éviter toute
précipitation à seule fin de satisfaire à d'autres objectifs, par exemple le
règlement à brève échéance de la crise financière de l'ONU. Le Canada veut que le
Conseil de sécurité soit plus efficace, transparent et largement représentatif et
avant tout, moins élitiste et plus démocratique. Le critère premier pour en faire
partie devrait être la volonté de servir les idéaux de l'ONU et de respecter ses
engagements ainsi que de s'acquitter de façon continuelle des responsabilités qui
en découlent.
Une réforme à grande échelle de l'ONU est vouée à l'échec tant et aussi longtemps
que les États membres continueront d'exiger davantage que ce qu'ils contribuent.
La solidité du leadership et de l'autorité morale repose sur le respect des
engagements et des obligations acceptés librement par les États membres. Il
appartient à chaque membre de payer sa quote-part. Cette obligation doit être
assumée en entier, au moment où elle doit l'être, et sans conditions.
Il se pourrait que, dans l'avenir, nous voulions revoir certains aspects des
paramètres actuels du financement de l'Organisation. Nous pourrions même décider,
collectivement, que certains ajustements s'imposent au barème des cotisations pour
étendre les responsabilités de l'ONU et partager les pouvoirs d'une manière qui
reflète mieux les réalités internationales du moment. Il ne faut cependant ni
préjuger ni présumer de ces décisions; elles dépendront de la détermination de
ceux qui proposeront de tels changements aux grands objectifs de l'Organisation.
Le contexte international dans lequel fonctionne l'ONU a profondément changé.
Partout dans le monde, les gens refaçonnent leur mode de vie -- à la recherche
d'une meilleure alimentation, de la qualité de l'air ou d'une plus grande
démocratie. La quête de sécurité est un élément fondamental de cette
transformation massive, tant par la réduction des conflits que par la jouissance
d'une vie meilleure en temps de paix. L'ONU a longtemps symbolisé ce double
espoir, c'est-à-dire échapper au fléau de la guerre et mieux vivre dans un climat
de plus grande liberté.
Je termine mes observations aujourd'hui sur une note d'espoir en citant Vaclav
Havel, qui a dit ce qui suit : « L'espoir n'est certainement pas la même chose que
l'optimisme. Ce n'est pas la certitude que les choses iront bien, mais la
certitude qu'une chose est bonne, peu importe ce qu'il en adviendra.» Notre espoir
vient de la conviction que l'ONU, porte-étendard du multilatéralisme, répond à nos
besoins. Cette conviction doit nous inciter à relever les défis qui nous
attendent.
Merci.