2004/23 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DE
LA CONFÉRENCE CANADA-CHINE AU CENTRE MUNK
TORONTO (Ontario)
Le 23 avril 2004
La clairvoyance est une chose rare et merveilleuse dans bien des domaines de la vie et
encore plus dans les affaires mondiales. Dans les nouvelles quotidiennes, à Affaires
étrangères Canada et même dans ma vie de tous les jours, ce qui est immédiat et
urgent tend à l'emporter sur une perspective plus large et à plus long terme des
événements du monde et des intérêts du Canada par rapport à ces événements.
Autrement dit, quand nous nous concentrons sur des priorités très réelles, comme la
gestion courante de nos relations avec les États-Unis, nos liens transatlantiques et les
points chauds comme le Moyen-Orient, nous ne prêtons parfois pas assez attention au
sens de changements fondamentaux dans l'ordre mondial qui auront certainement une
incidence profonde dans les années et les décennies à venir.
C'est une des raisons pour lesquelles je suis très heureux de me trouver ici, à cette
conférence sur les relations entre le Canada et la Chine, qui figurent certainement
parmi nos plus grandes priorités internationales, même si elles ne sont pas toujours les
plus médiatisées. En ce moment même, le gouvernement procède à un examen de sa
politique étrangère. Les résultats n'en sont pas encore connus, mais je suis certain
d'une chose : à son issue, la place que nos relations avec la Chine et d'autres
puissances émergentes comme l'Inde et le Brésil occuperont dans les années à venir
sera bien plus explicitement reconnue, tout comme les conséquences que cela aura
pour nos priorités et nos ressources.
Il n'est pas vraiment nécessaire d'expliquer à cet auditoire pourquoi la Chine occupe
une place si importante dans les priorités du gouvernement. Ses taux de croissance
phénoménaux ont des répercussions de plus en plus importantes sur l'économie
mondiale. Par ailleurs, il est évident, comme en témoignent son entrée à l'OMC
[Organisation mondiale du commerce] et les mesures qu'elle a prises récemment pour
résoudre la crise nucléaire nord-coréenne, qu'elle s'engage de façon plus active sur le
plan international. Les dimensions sociales et environnementales de la croissance
chinoise retiennent forcément l'attention du monde, tout comme son point de vue sur
l'avenir de Hong Kong, de Taïwan et même de l'ensemble de l'Asie. La prospérité et la
sécurité de pays du monde entier sont de plus en plus liées à l'orientation que prendra
l'évolution de la Chine dans les années et les décennies à venir.
Pour toutes ces raisons, l'élargissement des relations du Canada avec la Chine revêtira
pour le Canada une importance fondamentale. Beaucoup d'autres pays dans le monde
disent évidemment la même chose. Toutefois, le Canada est loin de partir de zéro en la
matière. En fait, ces relations sont florissantes depuis plusieurs décennies maintenant,
pour le plus grand bien de nos deux pays.
Lorsque le regretté Mitchell Sharp a aidé à préparer la reconnaissance officielle de la
République populaire de Chine, en 1970, le Canada a été l'un des premiers pays à
considérer comme une priorité l'émergence de la Chine sur la scène internationale. Nos
contacts avec la Chine s'étant élargis depuis, nos relations se sont développées à tous
les niveaux. Aujourd'hui, nous entretenons des relations diplomatiques solides, les
réseaux de partenariats institutionnels prennent de l'ampleur et des liens personnels
innombrables vont de la politique au commerce, en passant par l'éducation et la
culture.
Ces liens reposent aussi, bien entendu, sur la diaspora sino-canadienne, dont la
présence remonte à l'arrivée des premiers immigrants chinois, il y a plus de 150 ans.
Comme nous le savons, la façon dont cette première vague d'immigration vers le
Canada a été accueillie n'a pas toujours été à l'honneur du Canada. Les premiers
immigrants chinois qui travaillaient pour les chemins de fer ont rendu un service
incroyable au Canada, qui les a pourtant mal accueillis à l'époque. Beaucoup ont été
renvoyés en Chine et, pendant longtemps, la tristement célèbre taxe d'entrée a entaché
la réputation de notre pays. L'opéra canadien Iron Road, qui raconte cette histoire de
manière émouvante, évoque la souffrance de beaucoup de ces premiers immigrants
chinois au Canada.
La communauté chinoise, dont les premiers arrivants ont été victimes d'injustices, est
aujourd'hui fort importante au Canada. De nos jours, environ 1 million de Canadiens --
soit 1 sur 30 -- sont d'origine chinoise, et le chinois est au troisième rang des langues
les plus parlées dans notre pays. La seule ville de Toronto compte quelque
400 000 habitants d'origine chinoise, et je peux dire que 5 000 environ habitent dans
ma propre circonscription. Si toute vie politique est locale, pour moi, comprendre la
Chine et les relations que nous entretenons avec elle fait partie de ma vie politique
locale.
Certes, les débuts ont été difficiles, mais la Chine, Hong Kong comprise, est
maintenant la principale source d'immigrants du Canada, et ces immigrants ont
grandement enrichi notre pays. Parmi eux, on remarque évidemment notre
gouverneure générale, qui est née à Hong Kong et qui est arrivée au Canada comme
réfugiée au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Elle a fait une contribution
remarquable à notre vie culturelle et nationale.
Cette diaspora est donc une source dynamique de relations avec la Chine et elle attire
un flot constant de visiteurs de ce pays qui viennent non seulement de Beijing et du
gouvernement central, mais aussi à présent de tous les coins de Chine, à mesure que
nous approfondissons nos relations grâce à des mécanismes comme le jumelage de
Toronto avec Chongqing et celui de Montréal avec Shanghai, pour ne citer que ces
deux-là.
Il arrive que les visites prêtent autant à des malentendus qu'à la compréhension
réciproque. Je m'en suis moi-même aperçu après les élections de 1988, quand je suis
allé à l'île de Grand Manan, au Nouveau-Brunswick, me remettre de ma défaite. Une
de mes amis qui est propriétaire d'un restaurant m'a demandé si je voulais bien l'aider
à nettoyer du poisson parce qu'une délégation chinoise importante était arrivée à
l'improviste. Je suis donc allé nettoyer le poisson et, pendant que je m'occupais à ce
travail, des Chinois, qui étaient venus dans l'île pour acheter une usine de
transformation du poisson, sont sortis du restaurant et m'ont vu. Or, ils se trouvaient à
Toronto deux jours plus tôt et un des membres du groupe, qui habitait dans ma
circonscription, m'a pointé du doigt et a dit aux autres : « Voilà notre candidat libéral qui
s'est présenté aux élections d'il y a deux jours. » Par l'entremise d'un interprète, j'ai
confirmé. Par la suite, rien n'a pu convaincre ce groupe de visiteurs chinois que la
démocratie canadienne ne fonctionnait pas de telle manière que, si vous vous
présentiez à des élections et que vous perdiez, vous étiez immédiatement banni en un
lieu lointain et deviez nettoyer du poisson pour gagner votre vie et qu'il était donc très
risqué de participer au processus démocratique de ce pays. Depuis ce temps, je pense
avoir eu l'occasion de changer cette impression, mais c'est certainement avec une
toute autre idée que ce groupe est reparti chez lui.
La présence régulière de semblables missions au Canada ne fait qu'ajouter à la longue
liste des raisons pour lesquelles nos relations avec la Chine revêtent une telle
importance. J'aimerais vous donner aujourd'hui un aperçu de l'image que nous avons
des relations actuelles du Canada avec la Chine, du tour que nous voulons les voir
prendre et de quelques-uns des défis que nous devrons relever chemin faisant.
Le tour d'horizon devrait, en fait, commencer sur le front économique, avec la
croissance stupéfiante qu'enregistre la Chine depuis 1979 et qui atteint une moyenne
annuelle de 9,4 p. 100. Grâce à ses réformes économiques, la Chine est devenue la
sixième puissance économique mondiale, une des principales nations commerçantes
du monde et un pôle de l'investissement étranger direct.
La Chine est la quatrième destination des exportations canadiennes et sa troisième
source d'importations. Les échanges bilatéraux se chiffrent à 20 milliards de dollars par
an. Le développement rapide de l'économie chinoise est de très bon augure pour le
Canada, car il offre aux exportateurs et aux investisseurs canadiens de vastes
possibilités, ce qui nous permet une diversification qui atténue la dépendance qui a
toujours été la nôtre à l'égard du marché nord-américain.
Il y a, bien entendu, de réels défis à relever chez nous, car à mesure que les échanges
commerciaux entre le Canada et la Chine augmentent, notre déficit commercial se
creuse. L'automne dernier, les dirigeants de notre pays ont décidé de faire en sorte de
doubler d'ici 2010 les exportations canadiennes à destination de la Chine. Pour
atteindre cet objectif, le Canada devra utiliser ses avantages actuels sur le plan de la
technologie et du savoir afin de créer des possibilités d'accroître les flux du commerce
et de l'investissement à partir de notre pays.
Des facettes importantes de nos relations économiques avec la Chine auront
certainement aussi pour cadre les relations multilatérales. Parce que la Chine occupe
une place tellement importante dans l'économie mondiale, nous gagnons tous à
entretenir un dialogue multilatéral avec elle sur les questions économiques. Pendant de
nombreuses années, nous avons travaillé en étroite collaboration avec les États-Unis et
d'autres grandes nations commerçantes pour intégrer la Chine dans le système
commercial international régi par des règles. À présent, la Chine, qui est tenue par les
règles de l'OMC sur l'accès aux marchés, la transparence et la révision judiciaire des
mesures administratives, joue un rôle important au sein de l'Organisation.
J'aime à croire que j'ai contribué modestement à cette évolution comme professeur de
droit à l'Université de Toronto en enseignant à des étudiants chinois qui étaient des
fonctionnaires de niveau intermédiaire qui séjournaient au Canada comme stagiaires
d'un programme mis sur pied par l'ACDI [Agence canadienne de développement
international]. Ultérieurement, je me suis joint à des collègues sur un campus en
périphérie de Beijing dirigé par le ministère des Affaires étrangères. J'ai expliqué
comment fonctionnaient les règles sur le commerce mondial et comment les normes
internationales en matière de droits de la personne étaient intégrées aux régimes
juridiques internes.
Sur d'autres fronts multilatéraux, nous dialoguons de plus en plus avec la Chine sur des
sujets qui vont bien au-delà des questions économiques, pas seulement par
l'intermédiaire d'institutions internationales comme l'ONU [Organisation des Nations
Unies], le FMI [Fonds monétaire international], la Banque mondiale et le G20, mais
aussi dans le cadre d'institutions régionales. Ainsi, en participant au Forum régional de
l'ANASE [Association des nations de l'Asie du Sud-Est], le Canada peut promouvoir
des valeurs canadiennes, encourager la transparence et parler de sujets de
préoccupation communs en ce qui concerne la sécurité mondiale. Quand j'ai rencontré
le ministre des Affaires étrangères Li après la réunion ministérielle de l'ANASE au
Cambodge, en juin dernier, nous avons entamé un dialogue productif sur ces sujets et
nos représentants étudient des solutions pour élargir notre coopération.
Ces développements montrent que la Chine joue un rôle plus actif et, de manière
générale, constructif à l'échelle internationale, car elle a compris qu'un climat mondial
stable est essentiel pour réussir à maintenir une croissance économique durable.
Parallèlement, elle modernise ses capacités militaires, y compris sa capacité de
l'utiliser en dehors de ses frontières.
Étant donné ses propres intérêts internationaux en matière de sécurité, le Canada
préférerait que la Chine fasse preuve de plus de transparence en ce qui concerne ses
programmes militaires et ses intentions stratégiques. Nous aimerions la voir assurer à
ses voisins et au reste de la communauté internationale qu'elle utilisera sa puissance
militaire de façon responsable, au service de la paix et de la sécurité internationales, et
non comme instrument de coercition dans des différends territoriaux et autres litiges
touchant à la souveraineté. Les tensions qui durent dans le détroit de Taïwan ainsi
qu'en mer de Chine méridionale ajoutent à notre inquiétude au sujet de la stabilité et de
la sécurité régionales.
La Chine, et c'est tout à son honneur, est au cœur des efforts déployés pour trouver
une solution au problème que posent au régime international de non-prolifération les
efforts que fait la Corée du Nord pour mettre au point des armes nucléaires. La
diplomatie active des Chinois, qui a accueilli les pourparlers à six à Beijing, offre la
meilleure chance de désamorcer cette crise.
L'activité diplomatique récente de la Chine sur la question nord-coréenne n'est qu'une
facette de son intégration croissante au système multilatéral. Elle règle de vieux
différends frontaliers avec ses voisins, améliore ses relations avec l'Inde et, comme je
l'ai signalé, elle a franchi un pas immense en accédant à l'OMC en 2001. L'adhésion
progressive de la Chine au multilatéralisme montre que le pays comprend de mieux en
mieux le rôle des institutions internationales et des approches concertées dans
l'instauration de la stabilité mondiale à laquelle elles aspirent. Cette évolution donne au
Canada la possibilité de travailler en collaboration avec la Chine afin de renforcer les
institutions internationales, piliers essentiels de l'ordre mondial et composantes
indispensables de la sécurité canadienne. La Chine, maintenant qu'elle est membre
permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, est un interlocuteur de premier ordre, au
moment d'entamer l'importante démarche de réforme que le secrétaire général a
enclenchée.
Permettez-moi de passer à présent à une autre grande dimension de nos relations
avec la Chine, soit les efforts que nous déployons pour faire connaître dans ce pays,
comme ailleurs dans le monde, les valeurs que sont les droits de la personne, la
démocratie et la saine gestion des affaires publiques. Malgré les progrès considérables
réalisés dans ces domaines depuis un demi-siècle, il faut bien dire qu'il reste beaucoup
à faire. Depuis 1996, le Canada maintient le dialogue avec la Chine sur la question des
droits de l'homme et de la gestion des affaires publiques, car il est convaincu que cette
méthode est plus efficace que l'isolement pour parvenir aux améliorations recherchées.
Nous nous attachons donc à évoquer régulièrement les droits de la personne à tous les
niveaux dans nos rapports bilatéraux. Nous obtenons d'ailleurs des résultats notables
sur le plan politique et à propos de cas individuels. Notre dialogue annuel avec la Chine
sur les droits de la personne et notre Symposium plurilatéral sur les droits de l'homme
donnent à toutes les parties l'occasion de confronter des points de vue, même
lorsqu'elles sont en désaccord.
Nous mobilisons également des ressources importantes pour encourager les réformes
chinoises. Par l'intermédiaire de l'ACDI, les programmes canadiens sur les droits de la
personne, le développement démocratique et la saine gestion des affaires publiques
aident les institutions juridiques, judiciaires et législatives chinoises à se développer de
manière à promouvoir la primauté du droit. Les projets financés par l'ACDI, qui
réunissent des partenaires canadiens et chinois, portent sur des domaines tels que la
Cour suprême populaire, le ministère de la Justice et les bureaux d'aide juridique, les
établissements d'enseignement et les organisations de la société civile.
Notre aide au développement est modeste, compte tenu de la taille de la Chine, mais
elle est ciblée de manière à répondre aux véritables besoins dans des secteurs
essentiels, comme les droits des femmes et la réforme judiciaire. Je puis en attester
personnellement, car je me trouvais il y a quelques années à Beijing, en visite au centre
de formation des juges, et j'ai eu l'occasion de parler avec quelques-uns d'entre eux de
ce qu'ils apprenaient au contact d'avocats canadiens, dans un cours financé par
l'ACDI, sur la façon dont le droit international doit être intégré au système juridique de
la Chine. Il s'agit d'une formation extrêmement importante, car la Chine est maintenant
signataire de la Convention des Nations Unies relative aux droits civils et politiques
ainsi que d'autres instruments juridiques internationaux, et elle a donc de plus en plus
besoin de compétences dans ce domaine. La mise en place d'un système juridique qui
permette d'intégrer les normes internationales relatives aux droits de la personne et ses
obligations internationales en matière de commerce est un élément crucial de
l'évolution de la Chine vers un État moderne et plus démocratique. C'est ce qui se
passe en ce moment, et les Canadiens qui enseignent et exercent le droit en Chine et
qui travaillent avec leurs homologues chinois pour renforcer ces normes, influent sur ce
processus.
Lorsque j'ai donné des cours en Chine, ces questions étaient suivies avec une grande
attention par les jeunes fonctionnaires de niveau intermédiaire qui, je le sais, ont
accédé par la suite à des postes bien plus importants dans leur société. Le temps qu'ils
ont passé avec des collègues canadiens et au Canada même a beaucoup influé sur
l'évolution de leur capacité d'opérer des changements en Chine. Quant à notre rôle
dans ce cas, comme dans d'autres cas similaires, il a beaucoup contribué à faire
entendre notre point de vue sur des questions qui nous intéressent.
Certains, au Canada, se demandent pourquoi nous continuons d'apporter une telle
aide, étant donné le dynamisme de la croissance économique et les réalisations
technologiques de la Chine, qui a même envoyé un homme dans l'espace. Je puis vous
assurer que les programmes de l'ACDI suivent l'évolution de la Chine. Ils n'ont pas
pour objectif de faire la charité, mais d'influer sur la transformation de la Chine de
manières compatibles avec les valeurs et les intérêts du Canada, et avec ce que nous
pensons être dans l'intérêt supérieur du peuple chinois. Les réformes politiques et
civiles que nous appuyons en Chine n'aboutiront peut-être pas toutes, ou du moins pas
à court terme, mais il ne fait aucun doute que, sans aide extérieure, elles ont moins de
chances de porter leurs fruits. Tant que la Chine sollicitera le soutien du Canada dans
certains domaines importants à nos yeux, comme la gestion des affaires publiques,
l'environnement et la lutte contre la pauvreté, il est évidemment dans notre intérêt de le
lui donner.
Il est tout aussi clair qu'il est dans notre intérêt de travailler en étroite coopération avec
la Chine sur les questions d'environnement et de santé publique, deux domaines où les
frontières nationales ont véritablement disparu et où des problèmes communs unissent
des pays situés aux antipodes l'un de l'autre. Le Canada et la Chine aspirent déjà tous
deux à un développement durable qui protège le patrimoine mondial. Nous savons
aussi tous deux que, sans grands investissements et sans changements
technologiques importants, l'objectif de la Chine, qui est de quadrupler son PIB [produit
intérieur brut] d'ici 2020, pourrait détruire son environnement et diminuer la qualité de
vie des Chinois et avoir des répercussions planétaires. Ainsi, ces célèbres images de
rues chinoises encombrées de vélos sont maintenant choses du passé. On estime à
4 millions le nombre de voitures neuves mises en circulation en Chine l'an dernier, ce
qui représente une augmentation de 20 p. 100 par rapport à l'année précédente. Si la
croissance continue à ce rythme, imaginez l'effet qu'auront tous ces millions de
nouveaux véhicules sur le réchauffement de la planète. En revanche, si la Chine réussit
à développer son économie de façon durable, elle servira d'exemple à d'autres pays en
développement qu'intéresse son modèle économique. Le Canada aide donc la Chine à
atteindre cet objectif par des ateliers organisés par Environnement Canada, par le biais
du Comité conjoint Canada-Chine sur l'environnement et dans le cadre d'un projet de
coopération entre les deux pays dans le domaine des changements climatiques.
Des raisons similaires d'intérêt personnel à long terme expliquent notre coopération
avec la Chine en matière de santé publique. Comme vous le savez, le SRAS
[syndrome respiratoire aigu sévère], la grippe aviaire et le VIH/sida menacent la santé
de nos populations et nuisent à nos économies. La flambée du SRAS, l'an dernier, a
fait ressortir l'importance de la transparence, de la surveillance, de la détection, de
l'échange d'information et de la coopération, seuls moyens de maîtriser et de prévenir
les poussées épidémiques dans notre monde de plus en plus interdépendant. La Chine
a mis à profit cet enseignement avec des résultats louables lorsque de nouveaux cas
de SRAS ont été signalés cette année. Parce qu'il est aussi clairement dans l'intérêt du
Canada que la Chine puisse faire face à ses problèmes de santé publique en temps
opportun et en toute transparence, l'ACDI a versé 5 millions de dollars à un projet
destiné à améliorer la capacité chinoise de lutter contre le SRAS. Lorsque la Chine a
signalé des foyers de grippe aviaire cette année, un représentant de Santé Canada a
été détaché auprès de l'OMS [Organisation mondiale de la santé] pour l'aider. Par
ailleurs, étant donné les ravages qu'une prolifération à grande échelle du VIH/sida
causerait en Chine et au-delà de ses frontières, l'ACDI contribue au programme de
l'ONU sur le sida en Chine.
Ce n'est cependant pas le seul type de contribution que nous faisons dans ce cas et
dans des cas similaires. Souvent, des initiatives sont prises au niveau personnel. Ainsi,
mon propre médecin, à Toronto, se rend tous les ans en Chine occidentale avec un
groupe de collègues. Il y travaille dans un hôpital local où, avec des collègues
médecins bénévoles de Toronto, il apprend aux travailleurs de la santé à affronter le
problème du VIH/sida dans les collectivités rurales. Lui-même vient d'un milieu
classique : parents missionnaires en Chine, fuite pendant la guerre et, maintenant,
retour dans ce pays pour y partager ses compétences afin d'aider les Chinois face à
ces problèmes extrêmement difficiles. Les Chinois devront faire l'essentiel du travail
eux-mêmes, évidemment, mais il est manifestement dans l'intérêt du Canada de faire
son possible pour l'épauler.
Force est de reconnaître que, à côté de toutes ces sphères de coopération que je viens
d'énumérer, nos relations avec la Chine ne sont pas exemptes de tensions et de
désaccords. Comme je l'ai dit plus tôt, le Canada est très préoccupé par les droits de la
personne et la gestion des affaires publiques en Chine. Nous ne sommes pas satisfaits
de ses positions en ce qui a trait à la liberté d'expression, de réunion et de religion, et
aux droits des minorités, notamment au Tibet et dans la province du Xinjiang. Nous
sommes également préoccupés par la répression des médias et le blocage de sites
Internet. Nous continuons de dialoguer avec la Chine à ces sujets, en ayant des
programmes de l'ACDI prêts à l'aider dans ses efforts de réforme. À mon sens, le fait
que nous admettions franchement nos différends et que nous cherchions à y remédier
par des programmes de développement et un dialogue soutenu montre toute la
maturité de nos relations et leur potentiel.
Dans cet esprit, je ferai remarquer que le développement de la démocratie à Hong
Kong suscite l'intérêt du Canada pour plusieurs raisons. Le statut de Hong Kong, zone
administrative spéciale, repose sur un traité international, et notre politique étrangère
encourage l'essor mondial de la démocratie et de la saine gestion des affaires
publiques. La Chine, puissance souveraine, joue un rôle unique dans le processus de
démocratisation de Hong Kong. Cependant, le Canada estime que Hong Kong
gagnera, dans son évolution politique, à l'émergence d'un consensus dans sa propre
population.
Taïwan reste une autre question délicate dans nos relations avec la Chine. Comme les
récents événements l'ont montré, la possibilité de malentendus sur plusieurs plans et
d'escalade de la tension demeure élevée. Nous demandons à Beijing et à Taipei de
reprendre le dialogue sans conditions préalables afin de trouver des solutions qui
répondent aux aspirations légitimes de la population de part et d'autre du détroit.
Conformément à la politique d'une « Chine unique » qui sous-tend l'approche
canadienne depuis plus de 30 ans, nous pensons que, en réglant pacifiquement la
question taïwanaise d'une manière acceptable pour les deux parties, la Chine sera
d'autant plus considérée comme un pilier important et responsable dans le système
international.
Comme vous le savez, la visite actuelle de Sa Sainteté le dalaï-lama au Canada est un
autre sujet de désaccord possible dans nos relations. Aux yeux des Canadiens, ce
lauréat du prix Nobel de la paix est une personnalité spirituelle d'une immense sagesse
et d'une grande influence morale, et c'est pourquoi le premier ministre l'a rencontré
aujourd'hui. La Chine n'est pas du même avis, mais nous sommes convaincus que nos
relations sont assez solides pour qu'il soit possible d'exprimer franchement nos
opinions et de maintenir un dialogue en ce qui les concerne.
Permettez-moi de terminer ce soir en soulignant une fois encore le rythme phénoménal
du changement en Chine et l'immense défi que cela représente pour le Canada dans la
planification de ses relations avec ce pays. Les jeunes Chinois ont de plus en plus
envie de connaître le monde extérieur. D'ailleurs, ils apprennent des langues
étrangères et voyagent à l'étranger en nombre auparavant inimaginable.
L'assouplissement de la censure chinoise des médias et la prolifération des supports
médiatiques et culturels créent une nouvelle ouverture qui offre au Canada la possibilité
de faire rayonner dans ce pays ses intérêts, ses valeurs et sa culture.
Toutefois, tandis que l'ouverture et les réformes créent un marché pour de nouvelles
idées en Chine, la course à la visibilité et à l'influence s'intensifie tout aussi rapidement.
C'est pourquoi le Canada a élaboré dernièrement un plan visant à établir des contacts
avec des personnes clés dans les entreprises, les universités et les médias et le
gouvernement dont les décisions ont une incidence sur les intérêts canadiens. Nous
nous efforçons aussi de promouvoir une image très visible et très favorable de la
population, de lieux et de produits canadiens auprès des millions de Chinois qui sont
maintenant ouverts sur le monde.
Il faut, bien sûr, mettre ces efforts en perspective pour ce qui est de notre ambition
d'exercer une influence. La taille a son importance et, avec des niveaux d'instruction et
de revenu en hausse, l'influence relative du Canada sur les 1,3 milliard de Chinois
diminuera forcément, mais, par un dialogue bilatéral et multilatéral actif, nous pouvons
continuer de favoriser une évolution constructive en Chine.
Nous disposons des immenses ressources d'une diaspora chinoise nombreuse au
Canada, avec ses connaissances linguistiques, son savoir et ses relations, pour nouer
des liens avec la Chine. Nous pouvons nous appuyer sur l'entente mutuelle qui résulte
de la présence d'au moins 30 000 étudiants chinois dans les universités canadiennes,
sur 30 ans d'échanges universitaires sino-canadiens et sur l'existence de
32 programmes d'études canadiennes offerts en Chine. En outre, grâce à des projets
de développement menés depuis plus de 20 ans en Chine, les Canadiens disposent
d'une immense base de connaissances et d'un réseau étendu dans des secteurs clés
de l'économie et de la société chinoises, et ces ressources peuvent maintenant être
mises à contribution pour lancer des initiatives qui correspondent à l'intérêt général
canadien.
Tout en réfléchissant à ces facettes et à d'autres de nos relations futures avec la Chine
dans l'examen actuel de notre politique étrangère, nous verrons aussi comment
mobiliser les Canadiens en conséquence. Nous devons persuader un plus grand
nombre de Canadiens de l'importance énorme que revêt pour notre pays le
resserrement des relations avec la Chine, tant pour servir nos propres intérêts directs
que pour l'édification d'un monde sûr et prospère.
Nous devons aussi faire comprendre à nos citoyens combien la Chine tient à ce
rapprochement avec le Canada. En décembre dernier, les dirigeants de nos deux pays
ont annoncé la formation commune d'un groupe de travail de haut niveau, chose que la
Chine ne fait qu'avec quelques pays dans le monde. Cette instance permet de se
concentrer, mission ambitieuse, sur des questions économiques et politiques jugées
prioritaires de part et d'autre, à commencer par des domaines comme les ressources
énergétiques et la coopération dans des contextes multilatéraux. C'est exactement le
genre de lien qui, avec les résultats de l'examen de notre politique étrangère, nous
permettra de définir les relations sino-canadiennes pour les 10 prochaines années et
au-delà.
Nous savons tous que l'émergence d'une Chine de plus en plus moderne, confiante et
puissante sera un des développements géopolitiques les plus importants du
XXIe siècle. À mesure qu'elle deviendra un pôle de puissance économique et politique
mondiale dominant, la Chine jouera un rôle de plus en plus essentiel dans la prospérité
et la sécurité des Canadiens. Son évolution revêt donc une importance capitale pour
notre pays.
Il est dans notre intérêt d'encourager la Chine à ouvrir sa société, à se comporter
comme un citoyen du monde responsable, à moderniser ses institutions et à se
développer de façon durable. Nous ne pouvons faire que ces changements se
produisent comme nous le souhaiterions ou aussi vite que nous le voudrions, mais le
Canada ferait bien de se rappeler un proverbe chinois en la matière : « Le pouvoir est
patience, car avec du temps et de la patience, la feuille du mûrier devient soie. »
Je vous assure que le gouvernement est tout à fait conscient de ces réalités et qu'il fait
son possible pour guider sagement les relations sino-canadiennes vers l'avenir. Les
connaissances que nous retirons de conférences telles que celle-ci nous aident
considérablement dans notre tâche, et j'ai hâte d'entendre votre point de vue.
Je vous remercie.