2004/6 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DU KROEGER LEADERSHIP FORUM
OTTAWA (Ontario)
Le 10 février 2004
C'est pour moi un plaisir d'être aujourd'hui au Kroeger Leadership Forum, surtout
lorsque je pense au sujet important que vous traitez. Depuis la révolution américaine,
nos relations avec les États-Unis sont une question complexe et les difficultés de leur
gestion ne cessent de grandir. Certes, les points de vue des Canadiens sur la question
divergent. Beaucoup embrassent avec enthousiasme l'opinion du poète W.H. Auden
qui disait : « Que Dieu bénisse l'Amérique, si grande / si amicale et si riche. » D'autres
ont un point de vue plus mitigé, que reflète la remarque du chef du Crédit Social,
Robert Thompson : « Les Américains sont nos meilleurs amis, que nous le voulions ou
non. » Faire en sorte que ces relations si particulières aillent dans le sens des intérêts
du Canada et des objectifs que partagent nos deux pays est l'une des plus grandes
priorités du gouvernement. C'est pourquoi je suis heureux de pouvoir vous entretenir
aujourd'hui de la façon dont nous abordons cette tâche.
Au risque de surprendre, je dirai pour commencer que les relations actuelles entre le
Canada et les États-Unis sont très bonnes. Oui, il faut dissiper l'opinion largement
partagée pendant et après la guerre d'Iraq, selon laquelle les relations étaient
« glaciales ». Je n'étais pas d'accord à cette époque et même si, heureusement, on ne
pense plus comme cela depuis quelques mois, il y a lieu d'expliquer pourquoi cela
n'était pas vrai alors et pourquoi cela ne le sera pas non plus dans un avenir proche.
Cela s'explique essentiellement par la portée et la complexité des liens qui unissent nos
deux pays et qui touchent presque tous les aspects de la vie de nos citoyens. La
géographie et les valeurs que nous partageons imposent cette proximité. Par le
NORAD [Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord], nous
sommes des partenaires dans la défense de l'Amérique du Nord. Nos autorités civiles,
et nos forces, policières et autres, collaborent étroitement pour nous protéger, non
seulement du terrorisme, mais aussi des crimes et des autres menaces qui pèsent sur
nos populations. Ensemble, nous sommes les gardiens de notre espace aérien, de nos
bassins hydrographiques et de notre faune qui traversent tous, comme d'ailleurs des
millions de nos concitoyens, notre frontière commune. Nos deux pays sont de plus en
plus dépendants l'un de l'autre en matière d'énergie. Nos produits du gaz naturel et du
pétrole traversent nos frontières, tout comme l'électricité d'ailleurs. Au-delà du
commerce et de l'économie, nos peuples s'entremêlent profondément par les
mariages, la fréquentation universitaire et touristique, le sport ainsi que les acteurs,
musiciens et auteurs. Nous partageons les mêmes solides convictions. Contrairement à
beaucoup d'autres pays, le Canada et les États-Unis apprécient au plus haut point
l'extraordinaire diversité de nos sociétés. Nous tiennent également à coeur la
démocratie, la saine gestion des affaires publiques et le respect des droits de la
personne. C'est pourquoi nous souhaitons tout naturellement les mêmes choses pour
nos sociétés respectives et partageons la vision commune d'un monde dans lequel
nous pouvons contribuer à apporter à d'autres les bienfaits des sociétés ouvertes et
démocratiques.
La complexité de toutes ces facettes économiques, politiques et sociales fait que les
liens qui unissent nos pays s'étendent largement au-delà de la sphère de nos deux
gouvernements fédéraux. C'est pourquoi un désaccord politique occasionnel ne saurait,
nous le sentons bien, amener une rupture entre nos deux pays. C'est vrai, nos relations
se sont ressenties de nos divergences sur l'Iraq et certaines critiques exprimées au
Canada n'ont pas arrangé les choses. Mais la portée de nos divergences a été
largement exagérée, à mon avis pour des raisons politiques. On ne peut tout
simplement pas croire que les questions courantes d'accès au marché -- par exemple
pour le bois d'œuvre -- découlent de notre désaccord à propos de l'Iraq. Pendant toute
l'année passée, Colin Powell et moi-même -- de même d'ailleurs que John Manley et
son homologue Tom Ridge -- sommes restés en relation étroite et constante. Ces
divergences n'ont pas eu de conséquence grave sur le commerce transfrontalier. Et
comme l'a clairement exprimé le président Bush lui-même à Monterrey, il n'y a jamais
eu de relations glaciales entre nos deux pays.
Il est important de clarifier ces faits pour débattre de la gestion des relations canado-américaines. Ils soulignent la complexité réelle de nos relations et nous rappellent en
même temps que cela ne nous empêche absolument pas d'adopter, au besoin, des
stratégies qui nous sont propres sur les questions nationales et internationales.
Ces faits nous donnent également des pistes pour améliorer certains aspects de nos
relations. La profondeur et la portée de nos liens nous laissent beaucoup de place pour
renforcer notre dialogue et notre coopération. Parallèlement, l'engagement profond que
nous avons avec les États-Unis au sein même de notre pays nous ouvre de
nombreuses possibilités de coopérer et de coordonner notre approche. L'identification
et la réalisation des possibilités qui s'offrent à nous est l'une des plus hautes priorités
du nouveau gouvernement du premier ministre Martin. Permettez-moi donc de vous
donner un aperçu des nombreux domaines dans lesquels notre objectif se poursuit et
évoluera au cours des prochains mois.
Notons, pour commencer, cette nouvelle ambiance détendue qui entoure les relations
de nos dirigeants. Lors de leur première rencontre à Monterrey, le premier ministre et le
président Bush ont établi d'excellents rapports et ont clairement manifesté leur désir de
collaborer pour trouver des moyens complémentaires d'atteindre leurs objectifs de
politique étrangère. À cette rencontre, ils ont précisément chargé Colin Powell et moi-même de trouver de nouvelles initiatives globales que pourraient prendre conjointement
nos deux pays. Quelle énorme différence pour nous de savoir, alors que nous nous
attelons à cette tâche, que nos supérieurs sont tous deux déterminés à l'exécution
d'importants projets.
Il y a une autre évolution considérable : le gouvernement tient à ce que notre approche
à l'égard des États-Unis soit gérée à de nouveaux niveaux de coopération et de
coordination au Canada. L'un des hauts fonctionnaires du ministère des Affaires
étrangères et du Commerce international me disait qu'en attendant son avion en
partance pour Washington à l'aéroport d'Ottawa, il remarquait souvent que ses
collègues d'autres ministères, qui allaient sans doute traiter avec les divers secteurs du
gouvernement américain, n'avaient aucune idée de leurs programmes respectifs. C'est
en remédiant à cette lacune aux plus hauts niveaux du gouvernement que nous
pourrons faire avancer, de façon bien plus perfectionnée et plus efficace, nos intérêts
auprès de notre voisin du Sud.
À cette fin, le premier ministre Martin a créé un Comité du Cabinet qui veillera à ce que
cette gestion soit intégrée à tous les niveaux du gouvernement fédéral. De plus, un
nouveau Secrétariat sur les relations canado-américaines a été créé au Bureau du
Conseil privé. Et, bien sûr, il y a un nouveau poste de secrétaire parlementaire
(Canada-États-Unis), poste occupé par Scott Brison. Entre autres fonctions, celui-ci
consultera les provinces et autres instances concernées pour trouver, à propos des
questions bilatérales, des moyens de coopération plus étroite entre le gouvernement
fédéral, les gouvernements provinciaux et les administrations territoriales. Nous
reconnaissons enfin que les relations entre nos deux pays sont une priorité
extrêmement importante, non seulement au niveau du fédéral, mais aussi des
provinces, des territoires et des municipalités. Cette approche a déjà produit des
résultats, puisqu'il y a eu un accord sans précédent entre le premier ministre fédéral et
ceux des provinces à l'occasion de leur première rencontre. Celui-ci a ainsi accepté de
laisser les provinces jouer un rôle élargi dans les discussions internationales, surtout
lorsqu'elles concernent les relations canado-américaines.
Le gouvernement cherche en outre des moyens d'aider les parlementaires canadiens à
développer des liens plus étroits avec leurs homologues du Congrès afin de faire
connaître notre cause à la fois à Washington et dans les circonscriptions. L'Association
canado-américaine de parlementaires est l'une des plus florissantes au monde et les
liens plus profonds et de plus vaste portée qu'elle permet de créer entre les législateurs
de nos deux pays offriront certainement une foule d'initiatives et de rapports personnels
qui, sans elle, n'auraient pas vu le jour.
Nos capacités à ce chapitre atteindront de nouveaux sommets grâce à l'Initiative de
représentation accrue, qui élargira grandement notre présence politique et commerciale
chez notre voisin. Le nombre de consulats et de consulats généraux passera de 15 à
22 et les nouveaux seront implantés essentiellement dans les régions du Sud et du
Sud-Ouest, où se sont déplacés les pouvoirs politiques et économiques au cours des
dernières décennies. En plus des bureaux que nous avons déjà ouverts à Houston, à
San Diego, à Raleigh-Durham et à Denver, nous en installerons à Phoenix, à
Philadelphie et à Anchorage. Tous ces consulats auront la responsabilité non
seulement de promouvoir nos échanges et investissements, mais aussi d'expliquer nos
politiques dans les secteurs de la santé publique, de l'environnement et de la culture,
par exemple.
Mais laissons de côté pour le moment notre mode de fonctionnement pour nous
tourner vers des questions plus importantes sur lesquelles nous devons nous pencher
pour renforcer nos relations bilatérales, à savoir la sécurité, l'économie et la poursuite
d'objectifs plus vastes.
D'abord la sécurité, qui préoccupe au plus haut point les Américains depuis les
attaques du 11 septembre 2001. Nous, Canadiens, sommes les partenaires naturels
des États-Unis dans la lutte contre le terrorisme sur ce continent et dans le monde
entier. Sur le front nord-américain, nos deux pays étendent leurs relations à de
nouveaux domaines. Ainsi, le Groupe de planification binational cherche des moyens
de coordonner les mesures que nos pays prendront face aux attaques terroristes, de
même qu'aux désastres naturels et autres menaces. Là encore, la refonte de nos
systèmes fera de nous de meilleurs partenaires dans ce domaine. Voilà pourquoi nous
avons créé le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile ainsi que
l'Agence des services frontaliers du Canada.
Ainsi se poursuit la mise en œuvre du Plan d'action en 30 points, qui découle de la
déclaration sur la frontière intelligente. Certains de ses éléments, comme le
Programme d'expéditions rapides et sécuritaires [EXPRESS], concernent maintenant
12 postes frontaliers. On a inauguré, et ce ne sera pas la seule, la première voie
EXPRESS destinée au trafic terrestre. L'autoroute NEXUS, qui facilite la circulation des
voyageurs autorisés à l'emprunter et qui présentent un faible risque, fonctionne dans
13 sites. Des Équipes intégrées de la police des frontières opèrent dans 14 régions le
long de notre frontière commune. Tous ces gestes à la fois renforcent notre sécurité et
rendent notre frontière plus fonctionnelle pour nos commerçants, investisseurs et
voyageurs. Autant de mesures de coopération qui représentent un modèle et
qu'examinent d'autres pays pour assurer leur propre sécurité et leurs échanges.
Comme je l'ai dit, la défense commune de notre continent ne date pas d'hier et
remonte à la création du NORAD. Nous renforçons aujourd'hui ce partenariat par des
lettres échangées le mois dernier sur de prochaines discussions au sujet d'une
coopération de défense antimissile balistique. En balisant ainsi clairement les
négociations, nous aurons accès aux renseignements dont nous avons besoin pour
prendre la décision de participer à la défense antimissile de l'Amérique du Nord. Bien
sûr, cette décision ne sera prise qu'après des entretiens et consultation du Parlement.
Mais quelle qu'en soit l'issue, le seul fait de tenir ces négociations est important pour
garder notre souveraineté dans la défense de notre territoire.
Dans le cadre plus général de notre révision de la politique internationale, nous
élaborerons au cours des prochains mois une politique nationale en matière de
sécurité. En quelques mots, cette politique présentera une approche globale et
déployée à l'échelle du gouvernement, destinée à protéger le public et à prévoir les
ressources nécessaires à cette fin. Grâce à cette politique et aux autres initiatives dont
je viens de parler, nous montrerons aux États-Unis que nous ne prenons pas à la
légère les nouvelles menaces qui pèsent sur la sécurité et que nous serons de solides
partenaires dans la poursuite des objectifs cruciaux pour nos deux pays.
À l'étranger, nous nous joignons aux États-Unis pour faire avancer notre sécurité en
essayant de construire des sociétés stables où les terroristes ne trouveront pas refuge.
Immédiatement après le 11 septembre 2001, plus de 6 000 membres des Forces
canadiennes ont combattu auprès des Américains en Afghanistan. Aujourd'hui,
1 900 militaires canadiens y mènent la Force internationale d'assistance à la sécurité et
cherchent à éliminer les terroristes et à appuyer l'administration afghane. Complément
de ces efforts, notre programme d'aide vise à restaurer et à améliorer la société
afghane.
Notre coopération avec les États-Unis est tout aussi solide en Iraq, où nous
dépenserons près de 300 millions de dollars pour faire en sorte que ce pays devienne
une démocratie pacifique et stable. Nous avons envoyé en Jordanie des agents former
la police iraquienne et nous restons engagés à offrir une aide supplémentaire pour
promouvoir, lorsque les conditions s'y prêtent, la bonne gestion des affaires publiques
et le fédéralisme, ainsi que la réforme de la police et des services correctionnels.
La sphère économique est sûrement une autre facette importante de nos relations. Nos
deux pays sont l'un pour l'autre -- et de loin -- le plus important partenaire commercial.
Selon les statistiques, le Canada est, pour 39 États américains, le plus grand débouché
à l'exportation et ces États le savent pertinemment. Lorsque nous envisageons l'avenir
de nos relations économiques, nous pouvons être certains que l'intégration et la
dépendance mutuelle des deux économies continueront de croître grâce à l'action de
millions d'entreprises privées et de particuliers. Le gouvernement, tant canadien
qu'américain, n'a pas pour rôle de gérer directement cette expansion -- le secteur privé
le fait en général très bien --, mais plutôt de favoriser les conditions qui lui sont
favorables, tout en servant les intérêts du Canada.
Certains estiment -- au sujet des moyens à prendre pour y arriver -- que nous
devrions être très dynamiques, en envisageant des changements radicaux des
structures institutionnelles. On a parlé de chercher à conclure une « affaire d'or », dont
une union douanière et une monnaie commune. On cite aussi l'exemple -- que pourrait
suivre l'Amérique du Nord -- de l'Union européenne et de ses institutions dotées de
pouvoirs considérables.
Toutefois, pour diverses raisons politiques propres à nos deux pays, il est peu probable
que l'une de ces options ne se concrétise dans un avenir prévisible. Nous constatons
plutôt une évolution progressive, moins systématique et plus axée sur des domaines
particuliers, des institutions et des arrangements qui répond de façon pragmatique à
certains besoins. Des institutions bien précises, assorties de règles, procédures et
mécanismes de coopération, concernent toutes sortes de dossiers dans lesquels nos
deux pays estiment nécessaire une coordination des politiques : le processus de
Frontière intelligente, le groupe de travail sur la panne d'électricité, l'élaboration d'une
approche commune à l'EBS [encéphalopathie bovine spongiforme], la création du
Groupe de planification bilatéral pour faire face aux menaces qui pèsent sur la sécurité
ainsi qu'aux urgences, et les mécanismes de gestion conjointe des pêches et des eaux
limitrophes.
Nos relations avec les États-Unis s'enrichissent pourtant d'une autre contribution
importante : les efforts que le Canada déploie sur la scène mondiale où nos deux pays
partagent tant de valeurs et d'objectifs. Dans certains domaines, nos positions relatives
nous offrent des champs d'action différents. Les États-Unis assument les
responsabilités écrasantes de la seule superpuissance du monde. Par contraste, le
Canada est une moyenne puissance riche occupant un vaste territoire et ayant une
histoire unique caractérisée par l'existence de deux peuples fondateurs, qualités qui
nous offrent des moyens d'action constructive qu'une superpuissance n'a pas. Cet
avantage fait de nous un allié important des Américains sur la scène internationale. Les
États-Unis apprécient les efforts particuliers que nous déployons dans la poursuite de
nos objectifs communs : le leadership dont nous avons fait preuve en proposant
l'Initiative de partenariat mondial du G8 afin d'empêcher que des armes de destruction
massive ne tombent entre de mauvaises mains, l'allégement de la dette et les
réductions tarifaires en faveur des pays en développement, notre action destinée à
consolider la démocratie dans les Amériques. Plus récemment, des personnalités de
Washington ont remarqué le rôle de leader que le Canada pouvait jouer pour favoriser
le dialogue avec le monde musulman et apaiser ainsi les sentiments de frustration, de
méfiance et de désespoir que connaissent le Moyen-Orient et d'autres régions. Dans
bien d'autres domaines, le secrétaire Powell et moi-même pouvons relever le défi que
nos dirigeants nous ont lancé à Monterrey.
Cela étant dit, n'oublions pas que nos citoyens estiment nécessaire que nous ayons
une vision large et proprement canadienne des buts mondiaux que nous nous
efforçons d'atteindre ensemble. En tant que Canadiens, nous sommes extrêmement
conscients de notre dépendance envers le reste du monde et de la nécessité de
poursuivre nos intérêts de concert avec d'autres nations. Nous reconnaissons que la
lutte contre le terrorisme est d'une importance vitale pour notre sécurité. Mais nous
croyons aussi que nous ne pouvons nous permettre de laisser cette question dominer
notre vision à l'exclusion d'autres fléaux mondiaux, comme la pauvreté, les maladies,
les injustices de l'économie mondiale et les dommages environnementaux. Ces
questions nous concernent aussi, en particulier parce que la promotion de notre
sécurité exige que nous ayons, à l'étranger, des amis et alliés qui savent que nous
nous soucions de leurs besoins urgents. De leur côté, les États-Unis savent aussi bien
que nous que les priorités des pays en développement vont, à long terme, dans le sens
des besoins sécuritaires de l'Amérique du Nord. Rappelons seulement pour s'en
convaincre les paroles de Colin Powell : « Le terrorisme se nourrit en fait de la
pauvreté, du désespoir et de l'absence d'avenir. Nous devons montrer à ceux qui sont
tentés par cette voie qu'il y a de meilleurs moyens de s'en sortir. »
Comme l'a indiqué le premier ministre, la résolution de problèmes mondiaux aussi
importants exige de réformer les institutions multilatérales afin qu'elles puissent mieux
coordonner leurs efforts. Le Canada est particulièrement bien placé pour jouer un rôle
de leader au sein de ces tribunes multilatérales parce qu'il ne prend pas part aux
rivalités régionales et n'a pas à assumer le poids d'un passé colonial. Voilà pourquoi
nous sommes largement respectés en tant que pays qui s'efforce de faire avancer les
intérêts de tous, ce qui nous permet du même coup de pouvoir résoudre efficacement
les conflits grâce au dialogue et au consensus.
Au cours de la prochaine année, la poursuite de nos objectifs internationaux sera
énormément renforcée par la révision de la politique internationale que le premier
ministre m'a demandé de mener. Notre dernier examen de cette politique remonte à
10 ans et, dans ce laps de temps, bien des choses ont changé dans l'environnement
mondial et la complexité de nos interactions avec les États-Unis et les autres pays du
monde. L'interdépendance a amené une foule de problèmes qui transcendent les
frontières, depuis le terrorisme et le crime organisé jusqu'aux maladies et à la
dégradation de l'environnement. L'interdépendance fait aussi que presque tous les
secteurs de notre gouvernement, y compris l'agriculture, le patrimoine, l'environnement
et la santé, ont d'importantes composantes internationales. Pour toutes ces raisons, il
est temps que le gouvernement fédéral procède à un examen exhaustif et à une
modernisation de nos moyens d'agir à l'extérieur de nos frontières.
J'ai dirigé l'an dernier le Dialogue sur la politique étrangère. J'ai pu ainsi entendre les
témoignages de milliers d'organisations et de particuliers sur les priorités et le rôle de
notre pays dans le monde. Un témoignage m'a particulièrement touché; quelqu'un a
dit : « Après avoir répondu à toutes ces questions, j'ai réalisé à quel point il doit être
difficile de mettre en œuvre une politique étrangère. » Sur le fond, l'immense majorité
des messages invitait le Canada à changer le monde dans lequel l'ordre mondial se
transforme et où de nouvelles idées et formes de gouvernance s'imposent. Le
gouvernement répond maintenant à cette demande. Nous commençons par un examen
interne visant à améliorer nos modes de fonctionnement au niveau fédéral et, en
collaboration avec d'autres administrations, nous cherchons à définir et à réaliser nos
objectifs dans le monde. Une étape essentielle de ce processus consiste à mieux
coordonner notre action dans les domaines de la diplomatie, de la défense, du
développement et du commerce. De concert avec le ministère des Finances, nous
avons déjà amorcé d'intenses discussions entre ministres et représentants des
ministères concernés pour préparer le terrain à des choix réels et à l'engagement des
ressources correspondantes. Plus largement, cet examen vise à trouver des moyens
par lesquels notre pays pourra faire preuve du leadership et des initiatives qui feront de
lui un catalyseur des efforts déployés pour renforcer la gouvernance mondiale, la
croissance équitable et le développement social, ainsi que la sécurité internationale.
En complément de cet effort, le premier ministre a défini comme prioritaire pour le
renforcement des intérêts canadiens, un solide partenariat canado-américain en
Amérique du Nord et dans le monde. Nombre d'initiatives dont j'ai déjà parlé en font
partie. Par exemple, les plans que nous élaborons pour renforcer les institutions
multilatérales et en créer de nouvelles qui seront davantage en mesure de résoudre les
problèmes mondiaux actuels. Par exemple encore, notre volonté de refaire les règles
du jeu de l'économie mondiale afin qu'elles soient plus ouvertes et reflètent mieux les
réalités de l'interdépendance mondiale. Nous élaborerons des plans pour que le
Canada ait un mécanisme ciblé pour lutter contre le terrorisme et aider les États non
viables ou en grande difficulté. Tous ces outils rendront le Canada plus fort et plus axé
sur ses objectifs internationaux et feront de lui un allié et partenaire plus précieux pour
les États-Unis. Cela restera tout aussi vrai dans les domaines où nous adoptons des
approches différentes pour parvenir à nos buts communs.
Ce partenariat plus fort sur lequel nous mettons l'accent signifie-t-il pour autant que
nous sommes prêts à sacrifier nos valeurs et à abandonner le rôle indépendant que
nous jouons dans les affaires mondiales? Pas du tout. La semaine dernière, j'ai parlé à
un groupe d'ONG [organisations non gouvernementales] qui venait prendre part à nos
consultations annuelles sur les droits de la personne. Quelqu'un m'a demandé si ce
renforcement des relations avec les États-Unis que souhaitait le premier ministre ne
nous amènerait pas à modifier certaines de nos positions de façon à les aligner
davantage sur celles de notre voisin. On craignait en particulier que le Canada diminue
le soutien solide qu'il porte en faveur des droits sexuels et ceux liés à la procréation de
la femme et de la non-discrimination à l'égard des homosexuels. La réponse est
évidemment non. Les États-Unis ont leurs raisons justifiant la position qu'ils prennent
dans ces domaines et celles, différentes, qui sont les nôtres reflètent les valeurs
auxquelles nos citoyens sont attachés.
Le renforcement des relations entre nos deux pays ne signifie en rien que nous devions
changer de position ou renoncer à des engagements qui nous tiennent à cœur et
reflètent les valeurs canadiennes. Nous maintiendrons et renforcerons l'engagement
que nous avons pris en faveur du Protocole de Kyoto sur les changements climatiques.
Nous demanderons à la Cour suprême de donner son avis sur les questions
concernant l'égalité des droits en regard de la définition du mariage. Au niveau
international, nous continuerons d'appuyer les initiatives multilatérales comme la Cour
pénale internationale et l'interdiction des mines terrestres antipersonnel.
Les États-Unis reconnaissent que nous sommes un pays souverain avec son identité
propre qui nous amène quelquefois à prendre, dans les affaires mondiales, des voies
qui ne sont pas les leurs. Ils le respectent et reconnaissent en fait que cette réalité peut
compléter les efforts qu'ils déploient eux-mêmes pour atteindre des buts partagés. Nos
deux pays continueront d'honorer nos valeurs communes en renforçant la sécurité et la
prospérité par une coopération entre nous et avec le reste du monde. Nous pouvons
faire cela -- et nous le ferons -- tout en faisant avancer les objectifs sociaux, culturels
et économiques qui donnent à chacun de nos deux pays son identité unique.
Je feuilletais ce week-end les mémoires de Paul Martin père en pensant à ce que je
dirais aujourd'hui et je suis tombé sur une remarque qu'il faisait alors qu'il était ministre
des Affaires extérieures. En 1965, disait-il, ceux qui analysaient nos relations avec les
États-Unis notaient « notre tendance à chercher à avoir un traitement spécial de la part
de ce pays en proclamant du même souffle notre indépendance » et ces analystes de
faire une mise en garde : « à la longue, le Canada ne peut s'attendre à des
concessions d'ordre économique sans faire preuve d'un peu plus de compréhension à
l'égard des intérêts politiques de son voisin ». Refrain connu, n'est-ce pas, « Plus ça
change... » Mais si les problèmes de gestion de nos relations sont les mêmes qu'en
1965, la complexité et l'intensité de ces relations sont tout à fait nouvelles et nous
aurons besoin de toute l'ingéniosité dont nous sommes capables pour trouver les outils
qui conviennent dans ce nouvel environnement.
Voilà pourquoi je me réjouis de suivre vos travaux aujourd'hui et vous présente tous
mes vœux de succès dans vos réflexions, qui sont si importantes pour notre pays et
nos concitoyens.
Je vous remercie.