M. PETTIGREW - ALLOCUTION À L'INSTITUT CANADIEN DES AFFAIRES INTERNATIONALES - TORONTO (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE PIERRE PETTIGREW,
MINISTRE DU COMMERCE INTERNATIONAL,
À L'INSTITUT CANADIEN DES
AFFAIRES INTERNATIONALES
« ET MAINTENANT? LE MULTILATÉRALISME
À LA CROISÉE DES CHEMINS »
TORONTO (Ontario)
Le 12 novembre 2003
La diffusion Web de ce discours sera disponible le 13 novembre 2003 à l'adresse suivante :
http://webapps.dfait-maeci.gc.ca/minpub/Minister_Webcast.asp?id=3&Language=F
Introduction
Je tiens tout d'abord à remercier l'Institut canadien des affaires internationales et Keith Martin de m'avoir invité
ici aujourd'hui.
Ici, au Canada, nous sommes à quelques jours à peine d'un changement historique dans notre direction
nationale, où Paul Martin assumera le rôle de chef du Parti libéral du Canada. Je connais Paul depuis plus de
20 ans, et je sais qu'il est la bonne personne pour nous faire avancer en cette période de grand changement
dans le monde.
Plus généralement, la question du leadership dans un monde complexe est aussi très présente dans nos
esprits. Nous vivons dans un monde réellement interdépendant et le Canada est peut-être l'un des pays les
mieux adaptés pour prospérer dans un tel monde, de par sa nature de projet politique unique et, grâce à cette
unicité, nous pouvons bénéficier de la grande ouverture de l'économie du pays.
Le Canada -- Un projet politique unique
Le Canada est vraiment original, car nous avons rejeté il y a longtemps le modèle traditionnel de l'État-nation,
selon lequel la citoyenneté est fondée sur une appartenance ethnique ou un langage commun. Nous sommes
un pays fondé sur l'immigration, et nos citoyens présentent l'avantage comparatif d'avoir une vision ouverte sur
le monde -- qu'ils soient nés au Canada ou qu'ils soient des néo-Canadiens.
Le Canada a choisi en connaissance de cause de suivre un cheminement différent de celui d'autres pays de
l'époque; il s'agit d'un choix particulièrement pertinent en cette ère de mondialisation et de mobilité accrue. À
sa création, le Canada ne devait être ni un État uniquement de langue française ni un État uniquement de
langue anglaise. Au lieu de créer l'État-nation classique -- une langue, une religion, un système juridique et
une culture -- nous avons édifié un pays doté de deux langues, de nombreuses cultures et religions et de deux
systèmes juridiques, le système de la common law et le code civil. Par conséquent, les vagues successives
d'immigrants ont découvert un pays très différent, diversifié et accueillant, où ils étaient incités à célébrer leur
propre origine. Ces immigrants ont contribué à la formation de la mosaïque originale que le Canada est devenu
au fil des ans.
Les fondateurs du pays ont décidé que la citoyenneté au Canada ne s'appuierait pas sur la langue ou d'autres
caractéristiques de l'État-nation. Ils ont plutôt créé une citoyenneté politique qui incite nos concitoyens à
accepter certaines valeurs fondamentales, dont le respect de l'individu, un sens commun de la justice et la
modération dans l'exercice du pouvoir. Je crois qu'il s'agit là de l'essence du libéralisme. Ils n'ont pas cherché à
constituer un creuset où les identités sont confondues, mais une mosaïque. Les groupes, les personnalités et
le lieu d'origine étaient et sont toujours considérés comme des atouts pour le pays. À mon sens, grâce à cette
grande mosaïque canadienne, un non-État-nation, le Canada reflète bon nombre de nos valeurs libérales.
En évitant d'appliquer le modèle classique de l'État-nation, nous avons construit un pays exactement à
l'opposé. Le Canada offre une identité fondée sur la citoyenneté politique plutôt que sur la citoyenneté
ethnique. En rejetant carrément les politiques de l'assimilation « forcée » des minorités et l'élimination des
différences, et en encourageant les gens à conserver les cultures et les traditions de leur pays d'origine, le
Canada est devenu un pays riche de sa diversité et de sa tolérance, un pays moderne qui, par conséquent, est
bien préparé pour l'ère post-moderne de la polarisation et de la mondialisation. Notre approche de la
citoyenneté était et est différente -- précisément en raison de notre histoire. Cette approche, associée à l'une
des économies les plus ouvertes du monde, représente un avantage comparatif pour notre pays (pour utiliser
un terme économique).
Le Canada -- Une des économies les plus ouvertes du monde
Le Canada est une nation commerçante -- en fait, une des principales de la planète. À l'heure actuelle, ses
exportations équivalent à 40 p. 100 de son PIB [produit intérieur brut]. Il y a 12 ans, nous parlions de 25 p. 100.
Peut-être pensez-vous qu'à cause de la mondialisation, tout le monde en a fait autant dans le même laps de
temps. Pas du tout. L'an dernier, la part des exportations dans le PIB des États-Unis dépassait tout juste les
9 p. 100, et à peine 12 p. 100 dans celui du Japon. Cela veut dire que, proportionnellement, le Canada exporte
près de quatre fois plus que les États-Unis ou le Japon. De plus, les Canadiens achètent deux fois plus
d'importations que les Américains. Autrement dit, parmi toutes les grandes économies développées de la
planète, le Canada est une des plus ouvertes, à l'exportation comme à l'importation. Depuis 10 ans,
l'investissement en provenance et à destination de l'étranger est lui aussi en augmentation constante, de
10 p. 100 et 15 p. 100 par an environ, respectivement.
Parallèlement, nous réduisons progressivement notre rapport dette-PIB, nous maintenons l'équilibre des
comptes de l'État et nous maîtrisons l'inflation. Nous investissons beaucoup dans la santé, l'éducation et
l'acquisition de compétences, et nous soutenons une croissance de l'emploi solide pour les Canadiens. Ainsi,
l'an dernier, 560 000 emplois ont été créés dans l'économie.
L'approche du Canada
Permettez-moi de vous faire brièvement part de quelques éléments clés de la stratégie du Canada. Étant
donné que le commerce est tellement important pour notre pays, nous cherchons à accroître la libéralisation
des marchés en concluant des accords commerciaux bilatéraux, régionaux et multilatéraux.
Tout d'abord, nous devons faire avancer nos objectifs nord-américains afin que cette région reste le moteur de
la croissance canadienne et mondiale. J'ai déjà parlé de mes six objectifs pour le Canada en Amérique du
Nord. Les voici :
• augmenter notre part de marché aux États-Unis;
• accroître le flux des investissements bilatéraux, tout spécialement après cette année morose;
• promouvoir un programme de réglementation judicieuse;
• adapter les pratiques en matière de recours commercial à l'intégration croissante de l'espace économique
nord-américain commun;
• renforcer la « frontière intelligente »;
• renforcer notre représentation aux États-Unis, ce qui avance déjà bien, comme le montre l'annonce récente
que j'ai faite de l'ouverture de nouveaux bureaux consulaires et de l'agrandissement d'autres.
Je tiens aussi à souligner ce que nous avons accompli à la réunion de la Commission de l'ALENA [Accord de
libre-échange nord-américain], le mois dernier à Montréal, réunion qui marquait le 10e anniversaire de cet
accord très fructueux. Il est évident que l'ALENA reste un cadre pertinent et efficace pour renforcer le
commerce et l'investissement en Amérique du Nord. Il ne fait nul doute qu'il peut évoluer avec nos besoins,
comme le prouve notre entente à Montréal sur plusieurs mesures pratiques à prendre pour accroître les
échanges commerciaux entre les parties, y compris une étude visant à trouver des solutions pour réduire les
frais de transaction frontaliers. Nous nous sommes également félicités de la création du Comité nord-américain
du commerce sidérurgique, car il permettra de promouvoir une plus grande ouverture et une plus grande
intégration dans ce secteur essentiel.
Ensuite, la stratégie du Canada passe aussi par l'adoption d'instruments régionaux novateurs en matière de
commerce et d'investissement, comme la Zone de libre-échange des Amériques [ZLEA], qui se classe en tête
de nos priorités régionales à l'heure actuelle. Les principaux objectifs de la ZLEA, qui sont la croissance et le
développement moyennant une intégration économique plus poussée, visent à renforcer les objectifs plus
généraux du processus du Sommet des Amériques.
Nous avons beaucoup progressé pour ce qui est de la ZLEA, mais nous sommes encore loin du but. La
semaine prochaine, les ministres de l'hémisphère se réuniront à Miami et le Canada insistera encore pour que
l'on parvienne à un accord détaillé et de grande qualité d'ici janvier 2005. En outre, le Canada restera le
principal promoteur de la transparence et de la responsabilité dans la ZLEA, et je demanderai une fois encore
à mes homologues de rendre publique la toute dernière version de notre texte de négociation.
En attendant, nous avançons aussi sur d'autres fronts, avec nos partenaires commerciaux de l'Amérique
centrale et d'ailleurs. J'aimerais mentionner, en particulier, le travail en cours avec l'Union européenne sur des
propositions en vue d'un accord sur le renforcement du commerce et de l'investissement. Ce projet de nouvel
accord, que nous pensons commencer à négocier en 2004, vise à aller au-delà des thèmes habituels de
l'accès aux marchés pour nous intéresser à des domaines qui pourraient être harmonisés avec le programme
commercial qui comprend l'investissement, les transactions intra-entreprises et l'acquisition mutuelle de
technologies.
Ces accords régionaux et bilatéraux contribuent à ouvrir des marchés particuliers, à bâtir des capacités de
négociation, à aiguiser le désir d'avoir une plus grande libéralisation et même à poser les jalons des règles de
l'OMC [Organisation mondiale du commerce]. Toutefois, seule une adhésion à l'OMC nous permet d'obtenir
une réforme du commerce agricole, de renforcer les mesures disciplinaires à l'encontre des mesures
antidumping, des subventions et des actions en recours de droits compensateurs et de faire en sorte qu'il n'y
ait aucun laissé-pour-compte. L'OMC, qui constitue la pierre angulaire de la politique commerciale du Canada,
régit également nos relations commerciales avec les États-Unis, l'Union européenne, le Japon et les marchés
en développement dans le monde entier.
Après la réunion de l'OMC à Cancun, certains diront sans doute que nous sommes arrivés à la croisée des
chemins en matière de gouvernance mondiale, ce qui est exagéré, dans une certaine mesure. Tout d'abord,
cela revient à prêter à ces cinq journées au Mexique plus de répercussions qu'elles n'en ont eu et, ensuite, ces
changements de cap et ces tensions que subit le système multilatéral sont évidents depuis quelque temps, et
ils se font ressentir de diverses façons, à l'ONU, à l'OMC et ailleurs.
Cependant, Cancun démontre clairement que nous ne pouvons prendre le succès pour acquis. Une croissance
et une gouvernance mondiales équitables, tels sont les principaux objectifs de la politique étrangère du
Canada. La route sera cependant inévitablement semée d'embûches et, si nous ne voulons pas aller droit dans
le mur, nous devons être sur nos gardes et prêts à nous adapter. Nous avons des choix à faire par rapport à
l'exercice du leadership et à la formation des partenariats qui nous aideront à ne pas dévier de notre objectif.
Le monde en 2003 n'est pas ce qu'il était avant les accords de Bretton Woods -- desquels sont nés le GATT
[Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce] et, en définitive, l'OMC. Les progrès et les incertitudes
d'aujourd'hui ne sont pas toujours dictés par les États. Le défi est que de nouveaux centres d'influence qui
n'existaient pas immédiatement après la Seconde Guerre mondiale ont vu le jour -- l'émergence de nouveaux
États-nations, d'organisations non gouvernementales, d'entreprises et de groupes de la société civile. Le
Canada -- un pays qui a réclamé la création d'une institution commerciale dans les années 1990 pendant le
Cycle d'Uruguay -- examine des moyens d'améliorer non seulement l'institution proprement dite, mais
également ses processus pour relever ces défis.
Dans le cas des nouveaux membres de l'OMC, nous devons nous efforcer d'être ouverts à tous et efficaces.
Nous sommes conscients de la nécessité de faire fonctionner l'OMC plus efficacement pour ses membres,
dont le nombre s'accroît. Nous ne croyons pas qu'une réforme globale soit nécessaire, mais plutôt que nous
devrions étudier des solutions et des mécanismes pratiques pour encourager la convergence. Le Canada
continuera aussi de se faire le champion de la transparence à l'OMC, afin que l'opinion de toutes les parties
intéressées puisse être entendue et que tous puissent mieux comprendre le travail accompli à Genève. Ces
améliorations visent à mieux intégrer les petits pays à la table, à faire participer la société civile et à favoriser la
transparence et la réforme des mécanismes de règlement des différends. Cette question est déterminante, car
les attentes des États-nations et des individus en matière de sécurité, de prospérité, d'égalité et de liberté
grandissent chaque jour, avec juste raison.
Nous accordons de l'importance à notre adhésion à l'OMC, qui tente de mettre sur pied un système de
commerce mondial qui soit ouvert, fondé sur des règles et transparent. Au sein de cette organisation dirigée
par ses membres, les décisions sont consensuelles, ce qui permet à tous les membres de se prononcer sur les
règles visant le système multilatéral de commerce. Comme ces membres poursuivent des objectifs et des
priorités différentes dans l'OMC, conclure un accord ne va pas toujours de soi. En outre, certains pays ne
disposent pas des capacités dont ils auraient besoin. Par exemple, des membres n'ayant pas les moyens
d'affecter des représentants à temps plein à Genève doivent confier à leur ambassade à Bruxelles le soin de
s'occuper de leurs intérêts. Grâce à une aide technique et au renforcement des capacités en matière
commerciale, le Canada et d'autres membres aident les pays en développement à gérer leur participation aux
négociations et leur transition vers une pleine participation à l'économie mondiale.
Les échanges Sud-Sud et le développement
Mes critiques disent souvent que je considère le commerce comme la réponse à chaque maladie sociale dans
ce monde interdépendant. Je ne suis pas le seul à soutenir que les perspectives sociales d'un pays reposent
grandement sur sa capacité d'exploiter les marchés étrangers. Par exemple, Ricardo Lagos, le président du
Chili, est un socialiste invétéré, qui a été ambassadeur de Salvador Allende à Moscou (simplement pour vous
donner une idée de ses références socialistes). Le président Lagos peut difficilement être décrit comme un
agent du capitalisme mondial, même s'il appuie avec ferveur le resserrement des liens commerciaux dans les
Amériques et ailleurs. Il considère le commerce et l'investissement comme le seul moyen de développer
réellement et considérablement son pays. Selon la Banque mondiale, le succès du Cycle de Doha pourrait faire
sortir de la pauvreté 144 millions de personnes d'ici 2015.
Il est facile de comprendre pourquoi. Les échanges Sud-Sud constituent actuellement 40 p. 100 des
exportations des pays en développement, mais ces pays figurent parmi ceux ayant les obstacles tarifaires les
plus importants entre eux! En fait, 65 p. 100 de tous les droits de douane payés par les pays en développement
vont à d'autres pays en développement. La libéralisation multilatérale est le meilleur moyen de réduire
l'ensemble des droits de douane.
Le système de l'OMC fonctionne bien lorsque les États membres viennent à la table pour conclure un accord,
et il n'y a pas de meilleure preuve que le cas de l'accès aux médicaments pour les pays n'ayant pas les
capacités de production locale. Les membres de l'OMC -- pays développés et en développement -- ont
reconnu le problème et se sont assis à la table pour parvenir à une entente équilibrée. Ce n'était pas du tout
facile, mais c'est la nature des négociations. La semaine dernière, mes collègues et moi avons déposé un
projet de loi qui permettrait la production canadienne de médicaments pour les pays les moins développés aux
prises avec des épidémies. Le Canada était le premier pays dans le monde à adopter l'idée.
Le Canada peut, comme il le fait depuis longtemps, tenir le rôle de bâtisseur de pont et de négociateur de
consensus et tendre la main aux principaux acteurs -- c'est-à-dire aux acteurs établis, comme les États-Unis,
le Japon et l'Union européenne, et aux nouveaux acteurs, comme le Brésil et la Chine et l'Inde -- afin de
renouer la confiance, de trouver un terrain d'entente et de remédier à la polarisation qui a joué à Cancun. Ce
faisant, nous pouvons aussi renforcer la primauté de l'OMC, alors que se négocient des accords commerciaux
bilatéraux et régionaux.
Nous pouvons nous efforcer de redonner confiance dans le multilatéralisme en définissant de nouvelles
approches du consensus politique qui permettront à des organisations comme l'OMC de faire leur travail.
D'autres idées se feront peut-être jour, et le fait est que nous sommes capables d'innover. Toutefois, nous,
dirigeants de la communauté internationale, devons démontrer que nous voulons faire bouger les choses et
que nous sommes prêts à en prendre la responsabilité.
Conclusion
L'OMC est la clé de voûte de notre politique commerciale, que nous complétons par nos initiatives régionales
et bilatérales. Je crois qu'il s'agit là de la meilleure façon d'assurer la prospérité du Canada dans un monde
vraiment interdépendant.
Je vous remercie.