M. KILGOUR - ALLOCUTION À L'OCCASION DU COLLOQUE DE TRANSPARENCY INTERNATIONAL - OTTAWA (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (ASIE-PACIFIQUE),
À L'OCCASION DU COLLOQUE DE TRANSPARENCY
INTERNATIONAL, VERS UNE MISE EN ŒUVRE EFFICACE DE LA
CONVENTION SUR LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION DE L'OCDE,
SUR
« LA RESPONSABILITÉ DE LUTTER CONTRE LA CORRUPTION »
OTTAWA (Ontario)
Le 12 mai 2003
Il va sans dire -- surtout dans cette salle -- que Transparency International [TI], créée il y a à peine 10 ans, est déjà une des
ONG [organisation non gouvernementale] les plus respectées de la planète. Depuis des années, vous et moi citons ses
rapports et voyons l'estime qu'elle a gagnée à l'échelle internationale pour sa franchise, son savoir et son courage. La tenue
dans cet immeuble du symposium d'aujourd'hui est un honneur pour le ministère des Affaires étrangères et du Commerce
international [MAECI]. J'ose espérer que cet événement symbolise aussi la coopération accrue que nous nous employons
tous à réaliser entre TI Canada, TI International et toutes les branches du gouvernement canadien.
Permettez-moi tout d'abord de dire que je partage pleinement le point de vue du président de TI Canada, le professeur
Wesley Cragg, lorsqu'il affirme que la lutte contre la corruption à l'échelle internationale est dans notre intérêt national et
dans celui de nos exportations. Comme il l'a affirmé un peu plus tôt, toutes les études internationales montrent que le
Canada est un des pays les moins corrompus du monde. Nous devrions tirer parti de cet avantage concurrentiel. Les pays
souhaitent notre présence dans leur économie parce que nous relevons les normes d'affaires. Faisons donc preuve d'un
leadership soutenu à cet égard.
J'aimerais vous faire part de quelques réflexions sur d'éventuelles mesures visant à améliorer l'efficacité des dispositions
de la convention de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] sur la comptabilité, la
vérification et le contrôle interne. Aux États-Unis, la plupart des poursuites mettant en cause la corruption d'agents
étrangers au cours des 20 dernières années se fondent sur des infractions à des dispositions très pointues en matière de
comptabilité des lois américaines. Pourquoi? Parce que ces infractions sont plus faciles à prouver (au moyen des éléments
de preuve existants aux États-Unis) que le paiement comme tel d'un pot-de-vin.
Au Canada, nos lois exigent simplement qu'une société tienne des registres comptables convenables. Dans un récent
examen mené par l'OCDE de la mise en œuvre par le Canada de sa convention, les quatre principaux cabinets de
comptables (et l'Institut Canadien des Comptables Agréés) ont recommandé, et cette recommandation a été appuyée par TI,
que le gouvernement fédéral envisage de modifier la Loi canadienne sur les sociétés par actions pour inclure des exigences
plus pointues en matière de livres et de registres, comme l'interdiction de tenir une comptabilité exclue des livres officiels
et d'utiliser une fausse documentation, et qu'il se penche sur l'acceptabilité des sanctions.
Le rôle du Parlement
En ce qui concerne le rôle du Parlement, vous ne pourriez trouver collaborateur plus compétent que le député de St-Albert
et président du Comité des comptes publics de la Chambre des communes, John Williams. Je ne doute pas qu'il minimisera
le leadership remarquable dont il a fait preuve dans la lutte contre la corruption. Il est de plus en plus connu de par le
monde pour la réussite de l'Organisation mondiale des parlementaires contre la corruption [OMPCC], fruit de ses efforts.
C'était un honneur que de prendre part à la première réunion de l'OMPCC l'automne dernier, et une réelle source de fierté
de savoir qu'un parlementaire canadien était à l'origine de cette réunion.
Nous avons été invités aujourd'hui à aborder la question du rôle du Parlement dans la lutte contre la corruption. On peut
essentiellement dire que notre propre Parlement exerce trois fonctions : représenter (être le porte-parole des Canadiens),
légiférer (adopter des lois et façonner la politique publique) et surveiller (tenir le gouvernement responsable de ses actions).
J'aimerais traiter de certaines responsabilités para-parlementaires que nous avons, comme députés, de lutter contre la
corruption.
Combattre la perte de confiance
D'abord et avant tout, il appartient aux parlementaires de tous les partis politiques de lutter contre la perte de confiance
dans les élus et institutions publiques que l'on constate au Canada. Comme le président de TI, Peter Eigen, l'a fait observer
lorsqu'il a annoncé l'an dernier l'index de la perception de corruption : « Il y a une crise en ce qui concerne la corruption à
l'échelle mondiale. » Bon nombre d'entre vous souscrivez sans doute à cette constatation. La corruption est à l'origine de
beaucoup de maux sociaux qui existent dans nombre de pays. Elle suscite la méfiance du public. Elle mine la primauté du
droit. Elle éloigne l'investissement étranger direct et l'épargne intérieure, comme il en a été question récemment dans le
cadre du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique [NPDA]. À certains endroits de la planète, elle
encourage le trafic de drogues et la rébellion interne. Ses complices sont invariablement la violence, la coercition et les
troubles politiques et sociaux. Puis, sans doute, la corruption constitue parfois le fondement de sociétés qui font passer le
privilège et le pouvoir avant les besoins humains de base, qui privilégient l'argent, le pouvoir et les pots-de-vin au
détriment de l'intégrité publique, de la transparence et de la vérité.
Dans le même rapport de TI, le Canada obtient une cote de neuf sur dix, et les Canadiens peuvent s'enorgueillir du fait que
nous étions le seul pays du G8 à figurer parmi les dix premiers. Pourtant, d'après un sondage effectué au Canada à peu près
à la même époque, 69 p. 100 des Canadiens estimaient que les systèmes politiques fédéral et provinciaux étaient
corrompus. Il y a donc un problème. Les manchettes consacrées à la chute de géants du secteur privé comme Enron et
Arthur Anderson ont montré que la corruption ne se limitait pas aux gouvernements.
S'il est vrai que la corruption est l'ennemi mortel de la démocratie, alors la confiance est un de ses meilleurs boucliers. Si
les élus canadiens font face à un public de plus en plus sceptique et des investisseurs de plus en plus hésitants, nous
réduisons notre capacité à aider les Canadiens à réaliser leur plein potentiel. Il faut dès maintenant changer cette situation,
et c'est aux parlementaires qu'il appartient d'en assumer la responsabilité.
Pourquoi nous?
Pourquoi nous? Parce qu'on ne peut lutter efficacement contre la corruption sans la volonté politique de le faire. Comme
législateurs, nous devons avoir une conduite irréprochable. Nous ne pouvons pas imposer aux autres des normes que nous
ne sommes pas prêts à respecter nous-mêmes. Si nous n'avons pas « les mains propres », quel droit avons-nous de mettre en
question les actions des autres? Et de quelle crédibilité jouissons-nous pour nous occuper de dossiers qui préoccupent les
électeurs? Si nous voulons être efficaces à l'égard de certains de nos enjeux les plus pressants -- développement durable,
pauvreté, droits de la personne, paix -- nous devons tout d'abord être certains qu'il n'y a pas de rats qui s'infiltrent
tranquillement au sous-sol de nos assemblées législatives provinciales et de notre parlement national.
Le financement politique, par exemple, est l'une des questions les plus importantes, quoique souvent ignorée, partout dans
le monde. Lorsqu'elle n'est pas abordée de front, la crédibilité de tous les parlementaires en souffre. La notion de «
meilleure démocratie que peut procurer l'argent », et l'idée selon laquelle on peut, avec de l'argent, avoir accès au
gouvernement et l'influencer, sont beaucoup trop répandues -- et je n'insinuerais jamais que le Canada est à l'abri de telles
allégations.
Chacune de nos fonctions clés, de nos raisons d'être, est affaiblie lorsque le public n'a pas confiance dans la manière dont
nous avons été élus. Nous ne pouvons pas prétendre représenter les électeurs si nous agissons uniquement au nom de ceux
qui ont le plus d'argent. Peut-on prendre au sérieux une loi adoptée par des personnes qui en violent d'autres? Comment
pouvons-nous avec crédibilité surveiller le gouvernement si nous n'avons pas tout d'abord mis de l'ordre dans nos propres affaires?
Le financement des campagnes électorales
Voilà une des raisons pour lesquelles le gouvernement a présenté cette année un projet de loi sur la réforme du financement
des campagnes électorales. Malgré la controverse entourant certaines dispositions particulières, ce projet de loi se faisait
attendre. Durant les trois dernières élections, j'ai imposé une limite à mes propres campagnes (300 dollars par personne ou
entreprise durant les deux premières et, en 2000, 500 dollars) et interdit les collectes de fonds entre élections. Cette mesure
a contribué à maintenir la confiance des résidents d'Edmonton Sud-Est.
Comme députés, nous devons aussi respecter tous ceux qui s'emploient à accroître la transparence et la responsabilisation.
À cet égard, l'opposition joue un des rôles les plus importants, surtout au Comité des comptes publics. Il est possible
d'avoir des débats civils et dignes et d'être ouvert à la communication de l'information dans la plupart des situations. Les
ONG jouent aussi un rôle très précieux. On me dit qu'en 1999, TI a aidé le MAECI à mobiliser les intervenants clés
nécessaires pour faire adopter en six jours la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers. En reconnaissant
l'importance de cette question et en manifestant un respect authentique pour le travail que ces personnes accomplissent,
nous améliorons énormément le système.
Résister à la complaisance
Un second aspect important de la responsabilité des députés consiste à résister à ceux que j'appellerais les « gardiens du
statu quo ». L'efficacité des parlementaires est liée à celle des outils dont ils disposent pour faire leur travail. La période des
questions, les rapports présentés au Parlement par les organismes gouvernementaux, les comités des comptes publics
notamment, sont tous des outils de transparence et de responsabilisation. Mais il ne suffit pas d'avoir créé ces outils; il faut
les utiliser efficacement. Comme un observateur l'a judicieusement fait remarquer : « Le complice du crime de corruption
est souvent notre propre indifférence. »
Les rapports au Parlement, par exemple, ne sont pas des fins en eux-mêmes. L'autorité exécutive devrait les scruter de près
et y répondre s'il y a lieu. Certes, nous recevons tous d'innombrables courriels et documents, mais nous devons nous
interroger sur le message que nous faisons passer aux députés et fonctionnaires auteurs de ces rapports quant à l'importance
que nous attachons à leur travail si, année après année, nous ne faisons aucun commentaire.
Certains rapports, y compris ceux du vérificateur général, attirent beaucoup d'attention et suscitent des réponses
importantes, souvent à cause de la structure des comités. D'autres ne captent pas autant l'attention. Je crois comprendre
que, depuis trois ans, le MAECI présente des rapports au Parlement, en application de la Loi sur la corruption d'agents
publics étrangers, mais, à ma connaissance, le Parlement n'y a jamais formellement répondu. Quel message est-ce que cela
transmet?
En tant que parlementaires, nous pouvons organiser des audiences pour donner suite à des rapports et ainsi attirer l'attention
du public. Ces audiences donnent à des intervenants clés une occasion de s'engager ou de continuer à jouer un rôle. Elles
rendent possible la présentation de questions mettant l'accent sur des préoccupations ou des remarques faisant état de la
satisfaction générale. En prenant appui sur les rapports présentés au Parlement pour aller de l'avant, on peut non seulement
améliorer le travail déjà accompli, mais aussi encourager ceux qui rédigent ces rapports.
L'importance de la prévention
Une troisième responsabilité clé des parlementaires consiste à prévenir la corruption avant qu'elle ne se manifeste.
Comme l'auteur-philosophe Eric Hoffer l'écrit :
On a souvent dit que le pouvoir corrompt. Mais il est peut-être tout aussi important de comprendre que la faiblesse aussi
corrompt. Le pouvoir corrompt quelques individus, tandis que la faiblesse corrompt le plus grand nombre. La haine, la
malice, la grossièreté, l'intolérance et la suspicion sont les défauts de la faiblesse [...].
Le contraire de la faiblesse est la force, qui se manifeste par la primauté du droit, une saine gestion des affaires publiques,
des systèmes judiciaires équitables et des citoyens instruits et en santé. Lorsque nous nous employons à éradiquer la
pauvreté, à promouvoir l'instruction pour tous et à construire des infrastructures sociales fortes au pays et à l'étranger, nous
combattons aussi la corruption.
L'existence de médias libres, indépendants et responsables est une des meilleures mesures préventives qui soit. Nombre
d'entre nous utilisons le « critère de la manchette » pour prendre une décision, qui consiste à se demander : « Comment est-ce que je réagirais si je voyais demain matin mes actions faire les manchettes des journaux? » Il est certes utile d'avoir une
saine peur des journalistes déterminés à découvrir la vérité.
Enfin, bien qu'il soit important de se concentrer sur l'aspect criminel de la lutte contre la corruption, qui comprend
notamment la convention de l'OCDE, la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers, la Loi de l'impôt sur le revenu,
les conventions de l'ONU [Organisation des Nations Unies], il est souvent trop facile de s'attacher uniquement à ces
instruments pour mesurer le succès. Les parlementaires sont souvent particulièrement coupables de chercher des réponses
instantanées, de parler d'accusations et de condamnations au criminel pour montrer à leurs électeurs à quel point ils sont
efficaces. Aux États-Unis, il n'y a eu au cours des 30 dernières années, que 30 poursuites en vertu de la Foreign Corrupt
Practices Act. Depuis que le Canada a adopté la Loi sur la corruption d'agents publics étrangers, nous n'avons eu qu'un
cas dans lequel des accusations ont été portées. Est-ce que cela signifie que ces lois sont dénuées d'importance ou que nous
avons failli à la tâche? Absolument pas. Je me plais à penser qu'une bonne partie du travail de promotion de la
responsabilité sociale des entreprises accompli auprès des entreprises et des consommateurs, par exemple, contribue
largement au maintien de l'intégrité.
Communiquer, encore et toujours!
Il ne suffit pas de participer à la lutte contre la corruption. Il faut la faire connaître. Cela signifie communiquer d'une
manière franche et transparente.
Une bonne communication commence par l'adoption de lois, de lignes directrices et de mesures faciles à comprendre et
aussi accessibles que possible. Le regretté John Wayne a décrit une attitude très répandue lorsqu'il a dit : « [...] la
corruption se présente sous l'allure de l'ambiguïté. Je n'aime pas l'ambiguïté. Je n'ai pas confiance dans l'ambiguïté. » La
technologie nous donne également les outils nécessaires pour établir la communication.
En tant que parlementaires, nous pouvons adopter la technologie comme un outil de transparence, d'accessibilité et
d'intervention. Nous pouvons faire valoir le rôle de premier plan du Canada dans l'initiative du gouvernement en direct
pour afficher nos postes, nos activités et nos nouvelles en ligne et utiliser toute autre technologie de communication de
l'information pour démontrer notre transparence.
Qui dit communication dit réseautage. Nous disposons désormais d'une structure formelle pour assurer un soutien entre
pairs, pour faire part de pratiques exemplaires à la communauté internationale et au secteur privé, pour faire connaître le cas
de personnes qui sacrifient leur carrière et qui mettent parfois leur vie en danger pour lutter contre la corruption. L'OMPCC
est un bon exemple, comme le sont aussi le Troisième forum mondial sur la lutte contre la corruption et la sauvegarde de
l'intégrité et la 11e Conférence internationale sur la lutte contre la corruption, à laquelle bon nombre d'entre nous
assisterons dans deux semaines. En tant que représentants de la communauté des ONG, de la Gendarmerie royale du
Canada, du Bureau du vérificateur général, des bureaux de l'intégrité de la fonction publique, de l'Agence des douanes et
du revenu du Canada, de l'Agence canadienne de développement international et du MAECI, non seulement
communiquerons-nous avec d'autres nations, nous défendrons aussi l'approche holistique de la lutte contre la corruption.
Le colloque d'aujourd'hui symbolise bien sûr aussi la communication nécessaire pour faire en sorte que le Canada reste
l'un des pays les mieux considérés dans cette lutte mondiale. Vous jouez un rôle central dans l'un des dossiers de première
importance de notre époque. Je vous félicite pour votre travail, et ne laissez pas les « gardiens du statu quo » vous ralentir.
Je vous remercie.