M. KILGOUR - ALLOCUTION À L'OCCASION DU TROISIÈME FORUM MONDIAL SUR LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ET LA SAUVEGARDE DE L'INTÉGRITÉ - SÉOUL, CORÉE DU SUD
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (ASIE-PACIFIQUE),
À L'OCCASION DU TROISIÈME FORUM MONDIAL SUR LA LUTTE
CONTRE LA CORRUPTION ET LA SAUVEGARDE DE L'INTÉGRITÉ
« LA LUTTE COLLECTIVE DES NATIONS CONTRE LA CORRUPTION »
SÉOUL, Corée du Sud
Le 30 mai 2003
Il y a six mois, dans cet édifice même, l'ancien président de la Corée Kim Dae-jung a déclaré aux
ministres assistant à la conférence de la Communauté de démocraties que, pour lui, le point saillant du
XXe siècle a été la propagation de la démocratie multipartite dans environ 144 pays. Mais comme l'a fait
observer l'intellectuel de la place publique et lauréat du prix Nobel Friedrich Hayek : « Le contrôle
démocratique peut empêcher le pouvoir de devenir arbitraire, mais il ne le fait pas du simple fait de son
existence. » Bien avant cela, James Madison avait signalé que la grande difficulté résidait tout d'abord
dans l'attribution au gouvernement du pouvoir de contrôler les gouvernés et dans l'obligation qui lui était
faite de se contrôler lui-même, ce qui nous ramène à Séoul aujourd'hui.
La corruption, sous toutes ses formes, détériore les valeurs fondamentales des sociétés ouvertes en
suscitant le cynisme parmi les citoyens et en effritant la primauté du droit. Aucun pays, le Canada y
compris, n'en est à l'abri. La corruption fait fuir l'investissement intérieur et étranger et crée une lassitude
parmi les donateurs. Dans certaines régions du globe, elle augmente le trafic de drogues, de personnes et
d'armes. Ses complices sont souvent la violence, la coercition et les troubles politiques et sociaux. Le
pire, sans doute, c'est que la corruption constitue le fondement des collectivités qui font passer le
privilège et le pouvoir avant les besoins alimentaires et d'instruction, par exemple, et qui minimisent
l'importance de l'intégrité publique, de la justice pour tous et de l'obligation de rendre compte.
L'élan de la mondialisation
Un des avantages de la mondialisation est qu'elle a donné un nouvel élan à la lutte contre la corruption.
Tous les enjeux dont nous devrions nous soucier le plus en tant que fiduciaires de cette planète qui ne
cesse de rétrécir -- le relèvement des niveaux de vie, les droits de la personne, la protection de
l'environnement et l'égalité de chances -- souffrent lorsque nous ne nous occupons pas efficacement du
problème de la corruption. Nous savons que la corruption nuit d'une façon disproportionnée aux pauvres
et aux classes défavorisées. L'iniquité suscite l'instabilité, les troubles sociaux et le terrorisme.
Certains gouvernements craignent que la lutte contre la corruption ne nuise à leur compétitivité
commerciale. Au contraire, comme l'ont mentionné hier plusieurs conférenciers, elle favorise une
amélioration de la performance économique au pays et à l'étranger. La mondialisation a déjà entraîné une
convergence de la politique économique et des institutions entre les pays. Pourquoi ne peut-on pas
maintenant chercher à instaurer, aussi vigoureusement qu'on l'a fait pour les normes comptables et le
droit des marchés, la transparence et l'obligation de rendre compte? Pourquoi ces éléments ne peuvent-ils
pas être considérés comme aussi essentiels à une économie qui fonctionne qu'une saine politique
financière? Pourquoi des économies fondées sur la confiance du public ne peuvent-elles pas jouir d'un
avantage comparatif semblable à celui des systèmes bancaires?
« Des mains propres »
La lutte contre la corruption doit inclure des efforts en vue de s'asseoir à la table « avec des mains
propres ». À l'instar de vos gouvernements nationaux, celui du Canada sait que, pour faire progresser la
campagne contre la corruption à l'étranger, il faut commencer chez soi. La responsabilité de s'en occuper
ne doit pas être cédée à un groupe restreint et peut-être inconnu de quelques spécialistes. Comme le
révèle la composition variée des nombreuses délégations qui assistent à ce forum, y compris celle du
Canada, ce doit être une lutte systémique faisant appel à une volonté politique de fer et englobant toutes
les branches du gouvernement, le milieu des affaires et -- facteur indispensable -- la société civile.
Le Canada, par exemple, a adopté un système novateur de marchés publics en ligne et inséré des clauses
contre la corruption à l'intention des entreprises qui demandent une aide financière pour le
développement des exportations. Nous faisons œuvre de pionnier pour garantir l'intégrité des
fonctionnaires fédéraux au moyen d'une politique s'appliquant à l'échelle du gouvernement sur la
communication d'une information au sujet des écarts de conduite en milieu de travail et de
l'établissement du Bureau de l'intégrité de la fonction publique [BIFP]. En tant que tiers indépendant, le
Bureau fait un examen et mène une enquête si les circonstances le justifient sur l'information
communiquée par des employés qui croient ne pas pouvoir soulever les questions d'écarts de conduite
dans leur propre ministère ou qui ont communiqué une information de bonne foi, en suivant la filière
ministérielle, mais pensent que l'on ne s'est pas occupé convenablement de la situation. Nous finançons
des organisations non gouvernementales comme Transparency International Canada, dont l'index de
perception de corruption nous permet de mesurer les progrès accomplis en vue d'avoir un gouvernement
ouvert et responsable. Depuis 1999, nous avons en place la Loi sur la corruption d'agents publics
étrangers, qui fait de l'offre d'un pot-de-vin à des agents publics étrangers un crime au Canada, plutôt
qu'une simple infraction d'ordre civil.
Conscients du fait que la lutte doit commencer aux niveaux les plus élevés, nous avons récemment
entamé une réforme du financement des activités politiques qui interdit les dons d'entreprises aux partis
politiques et limitent à 1 000 dollars les dons aux candidats individuels. Personne ne pourra faire une
contribution supérieure à 10 000 dollars par année, et tous les participants à la chose politique devront
divulguer les sources et montants de leurs contributions, de même que leurs dépenses. La création d'un
poste de conseiller en éthique pour chaque chambre du Parlement et d'autres démarches analogues
s'inscrivent dans le Plan d'action en huit points en matière d'éthique au sein du gouvernement annoncé
par notre premier ministre. Ce plan est destiné à changer fondamentalement le déroulement des élections
et à éliminer la perception selon laquelle l'argent est roi dans le système électoral canadien.
De nouvelles structures internationales
Des caractéristiques analogues pour la saine gestion des affaires publiques intérieures doivent constituer
le fondement de nouvelles structures internationales. En plaçant la lutte contre la corruption à
l'avant-plan du programme international, nous nous engageons à échanger nos pratiques exemplaires, à
cordonner nos approches, à changer d'attitudes, à relever les normes et à appuyer tous ceux qui, dans le
monde entier, luttent contre les défenseurs du statu quo. Le Canada a été témoin de plusieurs expériences
constructives.
La courtoisie qui existe entre les pays et leurs forces de l'ordre, de même que les traités d'entraide
juridique ont favorisé un accroissement de la coopération internationale dans l'application de la loi. Le
service de police national du Canada, la Gendarmerie royale du Canada [GRC], compte des agents de
liaison affectés à 21 endroits dans le monde pour appuyer les enquêtes intérieures et faciliter l'étude des
demandes reçues des autorités étrangères. Nous assurons au Canada la formation de policiers venant des
quatre coins du monde au moyen de détachements d'agents étrangers dans les unités opérationnelles de la
GRC et de l'affectation de chargés de cours de la GRC à divers pays qui en font la demande. Depuis
1989, nous fournissons des agents de police aux missions de l'ONU, dont les membres s'occupent de
former les policiers locaux et de créer des infrastructures d'application de la loi pour favoriser
l'émergence de services de police équitables et impartiaux « sans crainte ni faveur », pour reprendre un
slogan de la GRC.
Le Canada s'emploie à améliorer l'entraide juridique dans les affaires criminelles, surtout dans les
Amériques, où nous avons accueilli des réunions et lancé des groupes de travail entre les États membres
de l'OEA [Organisation des États américains]. Depuis 1999, le Canada a ratifié des traités d'entraide
juridique avec plus de 30 pays. Ces traités permettent aux organismes d'application de la loi et aux
procureurs d'obtenir une aide internationale que ne permettait pas auparavant la simple courtoisie. Le
plus souvent, cette aide prend la forme de recherches à l'étranger pour appuyer des enquêtes intérieures
ou la conduite au Canada de recherches au nom d'autorités étrangères. D'après notre expérience, les
traités d'entraide juridique procurent des avantages encore plus grands lorsqu'ils sont assortis d'accords
de répartition équitable, qui permettent aux gouvernements participants de répartir les biens saisis à
l'issue d'enquêtes conjointes.
Le vérificateur général du Canada, qui encourage un gouvernement responsable et une fonction publique
efficace au moyen de vérifications et d'études indépendantes et la présentation de rapports au Parlement,
a contribué à l'établissement de l' INTOSAI [Organisation internationale des institutions supérieures de
contrôle des finances publiques], qui assure aux vérificateurs de pays en développement une formation
en détection de la fraude et de la corruption.
Dans le domaine des douanes, de l'automatisation, de la simplification et de la normalisation, nous
réduisons les possibilités de traitement discrétionnaire. L'Agence canadienne de développement
international a adopté des clauses contre la corruption pour tous ses contrats d'aide et elle se livre
régulièrement à des activités de sensibilisation sur la transparence et l'obligation de rendre compte
auprès des PME canadiennes qui font des affaires à l'étranger avec elle.
Le Canada a participé à des démarches de lutte contre la corruption dans de nombreuses tribunes
internationales et ratifié nombre de conventions, y compris la Convention interaméricaine contre la
corruption, la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et la
Convention de l'OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques] sur la lutte
contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales.
Toutefois, le pouvoir de ces instruments dépend de leur mise en application. Sans la volonté politique
des parlementaires, ces instruments et presque toutes les autres mesures destinées à combattre la
corruption ne sont qu'artifices impuissants et silencieux, ne pouvant que renforcer la méfiance du public.
Je félicite le député John Williams, qui est aussi président du Comité permanent des comptes publics de
la Chambre des communes du Canada, d'avoir créé l'Organisation mondiale des parlementaires contre la
corruption [OMPCC]. Cette organisation regroupe des parlementaires à l'échelle régionale et aussi au
niveau mondial qui sont déterminés à lutter contre la corruption en améliorant leur capacité à obliger les
gouvernements à rendre des comptes. Comptant déjà un certain nombre de sections régionales -- celle
de l'Asie du Nord-Est ayant vu le jour à Séoul cette semaine -- elle s'attaquera à l'une des causes
fondamentales de la corruption, soit l'existence de gouvernements qui ne sont pas obligés de rendre
compte aux citoyens.
C'est ce niveau de coopération qui, espérons-nous, sera enchâssé dans la prochaine Convention des
Nations Unies contre la corruption. Les normes mondiales devraient être bien intégrées aux normes
régionales; des mécanismes pratiques et abordables de surveillance et de suivi adaptés aux besoins et
caractéristiques de chaque instrument sont aussi indispensables. Nous nous attendons également à une
convention qui englobe la coopération internationale, les enjeux liés à la criminalité et le plus important,
peut-être, des mesures préventives.
La corruption n'est bien sûr qu'un symptôme d'un mal plus profond. Comme l'auteur Eric Hoffer l'affirme
: « On a souvent dit que le pouvoir corrompt. Mais il est peut-être tout aussi important de comprendre
que la faiblesse aussi corrompt. Le pouvoir corrompt quelques individus, tandis que la faiblesse corrompt
le plus grand nombre. » Friedrich Hayek fait quant à lui observer : « La transformation graduelle d'un
système très hiérarchique en un système où les gens peuvent à tout le moins tenter de façonner leur vie
est étroitement liée à la croissance du commerce. » La primauté du droit, la transparence et une lutte
efficace contre la corruption sous toutes ses formes sont indispensables à la création d'un environnement
propice à la concurrence.
Le contraire de la faiblesse c'est la force, qui se manifeste par la primauté du droit, la saine gestion
publique, l'indépendance des médias, des systèmes judiciaires équitables et des citoyens en santé,
instruits et avertis. Lorsque nous nous employons à éradiquer la pauvreté, à promouvoir l'instruction pour
tous et à construire des infrastructures sociales fortes au pays et à l'étranger, nous combattons aussi la
corruption.
Comme collectivité, nous avons l'occasion de transmettre clairement le message suivant : la corruption
ne sera acceptée sous aucune forme et la tolérance ne vaut guère mieux que l'acte comme tel. Nous ne
devons rien de moins à ceux qui nous ont confié la charge d'être ici aujourd'hui.
Je vous remercie.