M. GRAHAM - ALLOCUTION À L'OCCASION DU 16e CONGRÈS ANNUEL DE L'ACADEMIC COUNCIL ON THE UNITED NATIONS SYSTEM - NEW YORK (NEW YORK)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DU 16e CONGRÈS ANNUEL
DE
L'ACADEMIC COUNCIL ON THE UNITED NATIONS SYSTEM
NEW YORK (New York)
Le 13 juin 2003
Je suis heureux d'avoir l'occasion de prononcer cette allocution devant l'Academic Council on the
United Nations System [ACUNS] et de vous rencontrer pour la troisième fois. En décembre dernier, je
me trouvais à Waterloo, en Ontario, où j'ai annoncé que le siège de l'ACUNS serait bientôt transféré
dans cette ville. J'ai été impressionné d'apprendre l'intérêt pour la réforme de l'ONU que l'action de
votre organisation stimule, tant dans les milieux universitaires que dans le grand public. Par la suite, en
février, au milieu de la crise iraquienne, j'ai rencontré à Ottawa des membres de l'ACUNS à l'occasion
d'une conférence sur le Conseil de sécurité de l'ONU.
En cette occasion, je suis particulièrement heureux de parler du thème « Un monde libéré de la peur » ici
dans la ville hôte des Nations Unies. L'élimination de la peur, plus précisément de la peur des conflits,
de la violence et de la persécution, réunit deux grands thèmes de la politique étrangère canadienne :
l'attachement à la coopération multilatérale et la volonté de placer la sécurité des personnes en tête de
l'ordre du jour international.
L'édifice où je travaille, au ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, porte le nom
de Lester B. Pearson, ce qui me rappelle chaque jour l'adhésion de longue date du Canada à ces idéaux.
Le prix Nobel de Pearson, exposé dans le hall de cet édifice, évoque le souvenir de tout ce qu'il a fait
pour promouvoir les idéaux et l'institution dont il est question ici à votre conférence.
Il est important en ce moment de faire le point sur cette institution, car, comme vous le savez, le
terrorisme et la guerre en Iraq ont bouleversé aussi bien les conceptions de la sécurité que les
organisations multilatérales. Après les terribles attentats perpétrés le 11 septembre dans la ville même où
nous nous trouvons, nous avons assisté à une résurgence phénoménale du modèle classique de la
sécurité, qui date du traité de Westphalie et s'est maintenu jusqu'à la guerre froide, centré sur la
protection des États contre l'agression. Et cet impératif de sécurité a encouragé la tendance, sans doute
justifiée dans certains cas, à écarter les moyens d'action multilatéraux lorsqu'ils ne semblent pas pouvoir
produire des résultats rapidement.
Vus dans une optique plus large, ces événements surviennent à une époque où deux choses sont
manifestes. Tout d'abord, il faut voir dans la sécurité plus que le fait de protéger les États des agressions,
et ensuite, il est évident que la sécurité, qu'elle soit nationale ou mondiale, ne peut se réaliser que grâce à
des formes efficaces de coopération multilatérale.
Pour commencer par le premier point, toute réflexion tant soit peu nuancée sur les réalités actuelles
révèle que la sécurité de chaque État est étroitement solidaire de la sécurité des peuples du monde entier.
Les conditions d'oppression, d'aliénation des droits et de privation qui règnent dans les États entraînent
des conflits prolongés et des actes extrémistes et terroristes dont les effets se répercutent sur des États et
des populations situés aux antipodes. À l'ère de la mondialisation, la sécurité est vraiment indivisible :
elle ne peut pas s'obtenir aux dépens des autres, et même nous ignorons la sécurité des autres à nos
risques et périls. Les liens de plus en plus étroits entre les régions du monde révèlent à l'évidence
qu'outre le terrorisme, la pauvreté, les maladies infectieuses et la dégradation de l'environnement sont
tous des problèmes mondiaux, qui menacent la sécurité des États et des individus dans le monde entier.
On ne peut y remédier que par une coopération elle aussi d'envergure mondiale. Dans ma propre ville de
Toronto, nous sommes certainement témoins de cette réalité, notre système de santé étant aux prises avec
une maladie qui nous a été apportée par quelques passagers d'un avion en provenance de Chine.
Ces événements attestent qu'il n'est possible de bâtir un monde meilleur qu'en améliorant la sécurité des
individus et des collectivités tout en renforçant les pouvoirs protecteurs des États. À certains égards,
nous devons bâtir la sécurité de bas en haut aussi bien que de haut en bas. Ce sont des processus
complémentaires, la sécurité humaine et la sécurité des États se confortant mutuellement. Le Canada met
cette notion en pratique en appuyant constamment un programme de sécurité comportant des mesures
visant à prévenir et à résoudre les conflits violents à l'intérieur des États, à protéger les civils dans les
situations de conflit violent, et à augmenter la capacité des États à assurer la sécurité des populations.
Notre approche actuelle de la sécurité humaine privilégie cinq priorités centrales : la sécurité publique, la
protection des civils, la prévention des conflits, la saine gestion publique et l'obligation de rendre
compte, et les opérations de soutien de la paix.
Bien entendu, nous, Canadiens, savons aussi bien que vous tous ici présents qu'aucun pays ne peut en
agissant seul avoir un impact dans ces grandes sphères de la sécurité. Plus que jamais, la sécurité globale
des États et des personnes ne peut se réaliser que par des formes efficaces de coopération multilatérale. À
certains endroits, cette coopération produit des résultats encourageants. En Autriche, récemment, j'ai
assisté à la cinquième conférence ministérielle annuelle du Réseau de la sécurité humaine, un groupe de
13 pays de même mentalité d'Asie, d'Afrique, d'Europe et des Amériques qui sont déterminés à
s'attaquer aux problèmes mêmes dont vous discutez à cette conférence : la résolution des conflits, les
mines antipersonnel, les droits de la personne et les armes légères. Ce groupe, qui promet de devenir un
pont entre le Nord et le Sud, s'efforce de faire profiter un plus large public des fruits de la coopération
interrégionale en organisant des activités en marge de manifestations et de conférences internationales.
Les appuis se multiplient également en faveur d'une conception plus large de la sécurité dans d'autres
tribunes multilatérales. Au Sommet du millénaire, le secrétaire général de l'ONU a invité la communauté
mondiale à promouvoir les deux objectifs jumeaux que sont l'élimination de la peur et celle du besoin.
Le Conseil de sécurité de l'ONU traite aussi de plus en plus souvent dans ses résolutions de la protection
des civils dans les zones de guerre. Enfin, avec son Plan d'action pour l'Afrique, le G8 fait de solides
progrès dans la promotion d'aspects clés de la sécurité des civils.
Mais beaucoup reste à faire. Pour obtenir une coopération multilatérale plus efficace, il s'agit autant de
maintenir l'engagement des pays dans le processus que de résoudre les problèmes de procédure. Pour
plus d'un pays, dont le Canada, l'adhésion au multilatéralisme est presque devenue un article de foi,
indissociable des principes d'inclusion, d'équité et d'harmonie universelle. L'intensité de l'attachement
des Canadiens au système onusien m'est apparue avec encore plus de force récemment lorsque, durant
mon Dialogue sur la politique étrangère avec les citoyens, ce printemps, ce thème a été abordé dans
toutes les régions du pays. Cet engagement de principe, cependant, est mis à rude épreuve face aux
institutions multilatérales qui manifestement n'arrivent pas à bien fonctionner ni à produire des résultats
significatifs; en conséquence, des États se retirent de ces institutions par cynisme et par déception.
Pourtant, nous savons tous qu'à long terme, les États n'ont d'autre choix que de coopérer pour relever les
défis modernes qui sont trop énormes et trop complexes pour qu'il soit possible d'en venir à bout par une
action qui ne soit pas d'envergure mondiale. Il faut donc faire deux choses : d'une part, convaincre tous
les États qu'ils ont intérêt à long terme à coopérer avec les autres et, de l'autre, réformer les institutions
existantes pour qu'elles soient en mesure de produire des résultats dans notre intérêt individuel et
collectif à long terme.
C'est pourquoi le sujet de la réforme de l'ONU est, inéluctablement, au centre de toute discussion sur les
moyens de faire progresser la sécurité mondiale. L'objectif fondamental des Nations Unies -- épargner
aux générations à venir le fléau de la guerre -- est un appel à l'instauration d'un monde libéré de la peur,
d'un monde où les gens de tous les pays seront libérés des menaces faites à leurs droits, à leur sécurité et
à leur vie. C'est une ambition louable, née de la détermination d'une génération profondément marquée
par une guerre terrible. Avec le recul, il y a donc beaucoup de vrai dans ce que faisait remarquer
récemment le juriste Thomas Franck : « S'il fallait réinventer la charte des Nations Unies aujourd'hui,
nous produirions certainement quelque chose de pire. » Pourtant, malgré ses hautes ambitions, l'ONU ne
réussit pas à susciter des initiatives d'envergure mondiale pour réaliser ses objectifs.
Cet échec tient en partie aux rouages internes de l'Organisation, mais peut-être plus encore aux objectifs
des États membres. L'ONU est une tribune où les États du monde se rassemblent pour élaborer des
solutions à des problèmes communs, et c'est dans les délibérations et les actions des États que les
promesses de la coopération multilatérale ne sont pas suffisamment tenues. La réforme fondamentale de
l'ONU exige une mutation « culturelle » de la plupart de ses membres, qui doivent reconnaître que nous
sommes tous dans la même galère et que leurs intérêts nationaux sont bien servis par la réalisation des
engagements de la Charte et des autres instruments de l'ONU. Les États membres d'organes importants
de l'ONU, comme la Commission des droits de l'homme (pour ne nommer qu'un exemple parmi les plus
notoires) doivent montrer leur volonté d'appliquer dans la pratique les normes qu'ils préconisent. Et tous
doivent renouveler leur engagement à voir dans leur participation aux travaux de l'ONU, non pas un
moyen de se contraindre les uns les autres ou de régler leurs comptes, mais un moyen d'unir leurs efforts
pour réaliser ce qu'aucun État ni même aucun bloc régional d'États ne pourrait accomplir seul.
Pour favoriser ces changements, il va falloir combler les fossés régionaux qui divisent les États membres,
particulièrement ceux entre les pays développés et les pays en développement. Pour progresser davantage
dans les efforts communs des pays du Nord et du Sud, les uns et les autres devront se montrer déterminés
à comprendre leurs priorités réciproques et à transcender les griefs historiques. À ce sujet,
malheureusement, on pense à la réflexion de Mark Twain : « Rien n'a davantage besoin d'être réformé
que les habitudes d'autrui. » Mais peut-être les mesures graduelles, concrétisées par la coopération à des
tribunes comme le Réseau de la sécurité humaine, renferment-elles le plus grand espoir d'un
rapprochement Nord-Sud qui, pour peu qu'on l'y encourage, pourrait s'étendre à l'ensemble du système
onusien.
C'est sans aucun doute le Conseil de sécurité qui doit être au centre de nos efforts pour faire avancer les
dossiers de la sécurité mondiale. Face à un but commun, le Conseil de sécurité a montré sa valeur comme
instrument de sécurité mondiale, par exemple dans sa résolution sur le terrorisme, et dans ses résolutions
autorisant les opérations de paix du Timor-Oriental et de l'Afghanistan. Mais face à un besoin urgent, les
États membres n'arrivent pas toujours rapidement à des réponses efficaces, comme on l'a observé
récemment. Encore une fois, dans la recherche de façons d'éviter à l'avenir les situations semblables,
l'espoir réside peut-être dans l'utilisation créatrice de groupes d'États de même mentalité, comme ceux
qui ont favorisé récemment la conclusion d'accords sur des questions comme l'interdiction des mines
antipersonnel et la création de la Cour pénale internationale.
Il apparaît clairement, à la lecture du chapitre II de la Charte, que l'adhésion à l'ONU n'est pas un droit,
mais un engagement à défendre les principes et les buts de l'Organisation. Or, cette norme n'est pas
appliquée à l'ONU actuellement : la Libye préside la Commission des droits de l'homme, l'Iraq siège à la
Conférence sur le désarmement, et le Rwanda avait un siège au Conseil de sécurité au plus fort du
génocide. Le temps est venu de revoir les conditions d'admission des nouveaux membres et, comme il est
prévu à l'article 6, l'ONU doit envisager de suspendre ou d'expulser les États membres qui manquent à
leurs obligations envers l'Organisation et qui violent les principes fondamentaux de la Charte.
Entre autres suggestions de réformes prometteuses, on a proposé de mettre les grands dossiers de l'heure
au programme du débat général annuel et de réviser chaque année l'ordre du jour de l'Assemblée
générale pour qu'on puisse s'y concentrer sur les questions où les chances de progrès sont raisonnables.
Il faut également intensifier le dialogue avec les éléments constructifs de la société civile, dont la
participation améliorerait l'efficacité de l'ONU et sa capacité d'innover.
La question la plus épineuse de toutes est la composition et le fonctionnement du Conseil de sécurité.
C'est ce qu'on m'a souligné encore lundi dernier, alors que j'avais pour voisin, à une assemblée de
l'OEA [Organisation des États américains] à Santiago, au Chili, mon ami Celso Amorim, ministre des
Affaires étrangères du Brésil. Nous connaissons tous fort bien les frustrations que ressentent les
représentants d'États comme le Brésil et l'Inde, gouvernés par un système conçu pour satisfaire aux
impératifs des puissances d'une autre époque. La résistance au changement est opiniâtre au Conseil de
sécurité, mais, comme l'a suggéré Jorge Castaneda, ancien ministre des Affaires étrangères du Mexique,
on pourrait amorcer le changement en amenant les membres permanents à convenir d'une interprétation
plus constructive de la nature du droit de veto et de ses usages légitimes. La Commission internationale
de l'intervention et de la souveraineté des États a fait la même recommandation dans son rapport final,
La responsabilité de protéger.
Permettez-moi, en terminant, de passer de l'examen des questions structurelles à d'autres plus
fondamentales. Vous êtes bien placés pour savoir que l'ONU doit trouver des solutions à deux grands
problèmes qui sont au cœur des menaces actuelles à la sécurité des personnes, à savoir la nature de la
souveraineté des États et l'intervention d'acteurs non étatiques. La responsabilité de protéger défend la
thèse selon laquelle la responsabilité qui incombe aux gouvernements de protéger leurs citoyens revient à
la communauté internationale lorsque les gouvernements ne peuvent pas ou ne veulent pas s'en acquitter.
De nombreux États refusent de reconnaître que la souveraineté comporte cette responsabilité, ou que son
inexécution entraîne des conséquences. Si la responsabilité de protéger est instaurée en pratique un jour,
l'ONU devra persuader les pays qui craignent l'idée même d'une intervention justifiée par-delà les
frontières nationales.
La coopération multilatérale doit également faire face aux réalités des conflits violents actuels, qui
sévissent à l'intérieur des États, mettent en cause des acteurs non étatiques comme les milices, les partis
d'opposition et les entreprises privées, et trop souvent font fi du sort des innocents. Il faut trouver des
moyens -- la Cour pénale internationale en est un exemple -- de faire en sorte que ces groupes aient
intérêt à se conformer aux normes internationales concernant les droits de la personne, les mines
antipersonnel, les enfants-soldats, les personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays et la
protection des civils. Face aux conflits occasionnés par la concurrence pour le contrôle de produits
primaires d'exportation, il faut définir des normes de responsabilité sociale à l'intention des entreprises
privées qui font le commerce de ces produits. Pour pouvoir résoudre et prévenir les conflits, l'ONU doit
absolument dialoguer avec les acteurs non étatiques.
Permettez-moi de souligner que les Canadiens souhaitent ardemment ces réformes, et d'autres également.
Comme je le signalais tout à l'heure, j'ai eu des discussions avec des citoyens depuis janvier dans tout le
pays sur les priorités et les orientations de notre politique étrangère. Ce dialogue public indique
clairement que si les Canadiens s'inquiètent du terrorisme et des armes de destruction massive, ils sont
tout aussi préoccupés par les grandes causes de conflits et d'insécurité dans le monde. Ils croient dans
leur immense majorité que la coopération multilatérale est le meilleur moyen pour notre pays, et pour
tous les pays en fait, de résoudre les problèmes de sécurité qui nous préoccupent tous. Nous voulons ce
que veut le monde : des institutions multilatérales efficaces et capables de faire avancer la cause de la
paix et de la sécurité, de la justice sociale, d'un monde meilleur.
J'ai assisté, récemment, à de nombreuses rencontres avec des ministres des Affaires étrangères
européens, au G8, au sommet Canada-Union européenne, à l'OTAN et ailleurs, et tous m'ont exprimé
l'adhésion de leurs gouvernements et de leurs citoyens à la coopération multilatérale sur les grandes
questions mondiales, particulièrement dans le cadre de l'ONU. Beaucoup d'entre eux ont affirmé
également la nécessité de réformer l'ONU pour qu'elle soit plus efficace. Votre organisme peut
certainement être efficace pour faire avancer cette cause, qui tient à cœur aux Canadiens également.
L'ACUNS peut changer les choses.
C'est avec une grande fierté et le soutien ferme de ses citoyens que le Canada accueillera bientôt le siège
de l'ACUNS à l'Université Wilfrid Laurier de Waterloo. Je tiens d'ailleurs à profiter de l'occasion pour
signaler l'appui que l'Université des Nations Unies a apporté à l'ACUNS. Au nom de tous les
Canadiens, je vous félicite du travail que vous accomplissez au service de causes d'une importance
capitale et d'une portée mondiale. Nous comptons poursuivre notre collaboration avec l'ACUNS pour
favoriser une coopération multilatérale efficace en vue d'un monde libéré de la peur.
Je vous remercie.