M. KILGOUR - ALLOCUTION À L'OCCASION DE LA CONFÉRENCE SUR LE CANADA ET L'ISLAM EN ASIE AU XXIe SIÈCLE - MONTRÉAL (QUÉBEC)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE DAVID KILGOUR,
SECRÉTAIRE D'ÉTAT (ASIE-PACIFIQUE),
À L'OCCASION DE LA
CONFÉRENCE SUR LE CANADA ET L'ISLAM EN ASIE AU XXIe SIÈCLE
« DE LA TOLÉRANCE À LA COMPRÉHENSION : LE RENFORCEMENT
DES RELATIONS DU CANADA AVEC LES COMMUNAUTÉS
MUSULMANES DE L'ASIE-PACIFIQUE »
MONTRÉAL (Québec)
Le 24 septembre 2003
Il y a 10 jours, quand je visitais Oulan-Bator, j'ai appris que, depuis le début des invasions mongoles
jusqu'en 1350, près de 3 millions de personnes avaient perdu la vie en Iran, en Iraq et en Afghanistan.
C'est ainsi que 30 p. 100 de la population de la Chine, où des millions et des millions de personnes sont
mortes dans le territoire sous contrôle de la dynastie Song, a été décimée, et que 10 p. 100 et 19 p. 100
respectivement des populations birmanes et coréennes ont également péri. Comme vous le savez, lors du
siège de Bagdad, en 1256, Hulegu Khan a tué quelque 800 000 personnes. Il a également complètement
réduit en cendres des trésors culturels témoins de cinq siècles d'histoire islamique.
Comme vous, peut-être, je conviens cependant que, malgré des périodes aussi meurtrières, c'est au
XXe siècle que les adeptes des religions ont le plus souffert, à cause des tueries systématiques perpétrées
par des gens comme Staline, Hitler et Mao Zedong.
Espérons que le XXIe siècle sera celui où tous les humains, quelle que soit leur religion, prendront
conscience de tout ce qui les unit. En conjuguant nos efforts, nous pouvons apporter une contribution
importante, voire décisive, à la paix, à la non-violence et à l'harmonie dans le monde. À cet égard, ne
faut-il pas se réjouir que, il y a à peine quelques semaines, un musulman d'origine sud-africaine se soit
marié avec une catholique de nationalité canadienne, au cours d'un mariage célébré sur un petit pont de
bois enjambant la rivière Gatineau près d'Ottawa? Cet après-midi-là, la métaphore utilisée pour décrire
ce pays, que l'on qualifie volontiers de bâtisseur de ponts, prenait toute sa force.
Il n'y a qu'à regarder tous ceux qui sont réunis ici ce soir pour comprendre que les liens entre le Canada
et les communautés musulmanes d'Asie sont solides et continuent de s'épanouir. M. J. Akbar, auteur
respecté, et présent avec nous aujourd'hui, a expliqué hier, devant les membres du Comité permanent des
affaires étrangères et du commerce international de la Chambre des communes, que, si la Mecque et
Médine, au Moyen-Orient, constituent le cœur religieux de l'islam, en revanche se sont le Sud et le Sud-Est de l'Asie qui en sont le centre démographique. C'est ainsi que le monde compte 1,5 milliard de
musulmans, mais que seulement un musulman sur cinq vit au Moyen-Orient.
Pourquoi le thème de cette conférence revêt-il autant d'intérêt pour les Canadiens?
Évidemment, l'Asie-Pacifique présente pour nous un intérêt économique. Le Sud-Est asiatique est en
effet la seule région où les exportations canadiennes ont augmenté en 2003. Peut-être serez-vous étonné
d'apprendre également que la valeur de nos investissements dans ces pays équivaut à la valeur combinée
de nos investissements en Chine, au Japon et en Inde. Et de nouveaux marchés voient le jour
constamment en Asie méridionale, notamment dans les pays où la population et la classe moyenne sont
en pleine croissance.
Sur le plan politique, de plus en plus de décisions au sujet de notre avenir commun se prendront dans les
capitales de l'Asie-Pacifique. L'Inde et le Pakistan, deux des pays qui comptent le plus grand nombre de
musulmans, jouent un rôle grandissant sur l'échiquier géopolitique de la région, sans compter leur statut
de puissance nucléaire. L'Indonésie, où vit le plus grand nombre de musulmans sur la planète, a été le
théâtre d'un attentat, à Bali, tragédie qui a amené de nombreux habitants d'Asie à prendre conscience de
la menace réelle que représente le terrorisme. En effet, jusque-là, ma fille, qui vit à Bangkok, m'envoyait
des courriels me disant que les événements du 11 septembre n'avaient eu, pour ainsi dire, aucun effet
important en Asie.
Mais, d'abord et avant tout, il ne faut pas oublier que le Canada compte 700 000 Canadiens de
confession musulmane, originaires du Sud et du Sud-Est asiatique, de l'Afrique, de l'Amérique latine, de
l'Europe et du Moyen-Orient -- incarnant ainsi la diversité au sein même de l'islam --, qui contribuent à
montrer au reste du monde que le Canada est l'antithèse vivante de la notion de « choc des civilisations
». Il y a déjà longtemps que nous avons renoncé au modèle de la nation-État classique, choisissant ainsi
de ne pas nous définir en fonction d'une ethnie, d'une religion ou d'une langue communes, mais plutôt
en fonction de la diversité même. C'est sur ces fondations que nous pouvons, comme nous le faisons,
jeter un si grand nombre de ponts entre nos sociétés.
Les musulmans au Canada
De plus en plus, se sont les Canadiens de confession musulmane qui définissent et renforcent ce
pluralisme. L'auteur Daood Hassan Hamdani explique que, historiquement, la présence des musulmans
au Canada remonte au milieu du XIXe siècle, lorsque, 13 ans avant l'avènement de la Confédération, le
premier musulman est né sur le territoire qui allait devenir ce pays.
De plus, peu de Canadiens savent que c'est à Edmonton, en 1938, qu'a été construite la première
mosquée en Amérique du Nord. Longtemps après, dans les années 1980, le premier ministre de l'Alberta,
Peter Lougheed, a nommé pour la première fois dans l'histoire d'une province un musulman au sein de
son cabinet des ministres (Larry Chabin).
Voici ce qu'écrit Daood Hassan Hamdani :
[traduction]
Les musulmans ont participé à presque toutes les grandes réalisations économiques du Canada. Ils ont
taillé la pierre, posé des rails et enfoncé des clous pour construire le chemin de fer du Canadien
Pacifique, à la fin du XIXe siècle, entreprise qualifiée de « grand rêve national » en raison de son
importance. Au début du XXe siècle, les agriculteurs musulmans ont été parmi les premiers à s'installer
en Alberta et en Saskatchewan et à y cultiver la terre. Dans les années 1960 et 1970, des immigrants
musulmans hautement qualifiés et compétents ont aidé à maintenir le rythme de la croissance
économique. Enfin, des professeurs de confession musulmane ont occupé des postes d'enseignants
lorsque la génération du baby-boom, issue de la Deuxième Guerre mondiale, a afflué dans les écoles,
puis dans les universités, ce qui a permis d'assurer un avenir économique prospère au pays.
Dans l'ensemble de la population canadienne âgée de 25 à 44 ans, force est de constater qu'un plus grand
pourcentage de musulmans sont titulaires d'au moins un diplôme universitaire. Toute proportion gardée,
Daood Hassan Hamdani soutient qu'ils représentent une charge moins lourde pour les régimes de
sécurité sociale et qu'ils y contribuent beaucoup plus que les Canadiens en général. En bref, les
Canadiens de confession musulmane apportent une contribution immense au Canada dans une multitude
de domaines.
La nécessité d'un dialogue
Pour cette raison, et pour bien d'autres, ce que je vais dire est sans doute très difficile à admettre : bien
que notre pays se fasse le défenseur du multiculturalisme et de l'harmonie religieuse, la réaction d'un
grand nombre de personnes, à la suite des événements du 11 septembre, et face à la montée de
l'extrémisme dans certaines régions du monde, témoigne d'une méconnaissance et d'une
incompréhension profondes de l'islam. Cela a parfois donné lieu à des comportements scandaleux.
Heureusement, les manifestations de haine ont été davantage une exception que la règle. Au bout du
compte, les actes terroristes perpétrés le 11 septembre, loin de semer la division, ont eu l'effet contraire.
Différents groupes religieux se sont sentis visés. Dans tout le pays, nous avons fait front commun contre
l'intolérance, posé des gestes de solidarité et d'entraide, aidé nos concitoyens à surmonter et à
comprendre une tragédie incompréhensible, nous répétant, tel un leitmotiv : « Une attaque contre l'un de
nous est une attaque contre nous tous ». Les Canadiens se sont soudainement beaucoup intéressés à
l'islam, qu'ils soient croyants ou non croyants. Les livres sur la question se sont épuisés; les cours
d'université affichaient complet et les médias, les politiciens et certains, au gouvernement, ont
commencé à se pencher sur une réalité négligée depuis trop longtemps déjà.
Beaucoup ont fait preuve d'ouverture d'esprit, et comprennent sans doute le message : il ne faut pas
juger l'islam à l'aune des violences perpétrées par de petits groupes, qui en déforment le message, pas
plus qu'il ne faut juger le christianisme en fonction des actes commis par certains contre, par exemple,
des médecins pratiquant l'avortement.
D'ailleurs, l'islam ne s'inspire-t-il pas des grands principes donnés par Dieu à toutes les religions issues
d'Abraham : les juifs, les musulmans et les chrétiens? N'est-il pas conforme aux principes fondamentaux
de toutes les religions et parfaitement compatible avec ce que nous défendons dans le monde sous le nom
de valeurs canadiennes?
L'islam et les valeurs canadiennes
La paix
L'islam est avant tout une religion de paix. Les premiers mots que nous nous sommes dits ce soir ne
sont-ils pas As-salamu alaikum? Que la paix soit avec vous. Le mot « islam », lui-même, qui signifie «
s'abandonner », est dérivé du mot arabe salam, c'est-à-dire « paix ». Le mot jihad ne signifie pas
seulement « guerre sainte », mais « faire l'effort ». Il renvoie à la difficulté de mettre la parole de Dieu en
pratique dans tous les aspects de l'existence -- personnels, sociaux et politiques.
L'éducation
L'islam attache autant d'importance, sinon plus, que la plupart des autres religions à l'éducation. Les
soufis insistent sur le devoir et la nécessité de parvenir à la connaissance. Dans l'un des hadiths, il est dit
clairement que tous les musulmans, les femmes comme les hommes, doivent parvenir à la connaissance.
Le Coran aussi parle de l'importance de tout faire pour y parvenir. (M. Ferry de Kerckhove, ambassadeur
du Canada et universitaire respecté, qui prendra la parole cette semaine, a parlé avec éloquence de cette
question en 2002, lorsqu'il était haut-commissaire du Canada au Pakistan.)
La justice sociale et l'équité
Tout le monde sait que de nombreux Canadiens nourrissent des appréhensions face à la mondialisation.
Or, ce souci des valeurs sociales, de la culture et de l'environnement, pour ne nommer que ceux-là, est
partagé par nos amis musulmans du monde entier. Les économistes musulmans, y compris de nombreux
économistes d'Asie-Pacifique, sont les chefs de file de l'étude du développement en fonction des taux de
croissance économique et des indicateurs sociaux. Uner Turgay, directeur de l'Institut des études
islamiques de l'Université McGill, explique que les plans de développement islamiques englobent le
progrès moral et matériel, économique et social, de même que spirituel et physique. N'est-ce pas là ce à
quoi doit aspirer tout peuple responsable?
L'absence d'une incompatibilité fondamentale
Nous devons partir du principe qu'il n'existe pas d'incompatibilité fondamentale entre l'islam et
l'Occident. Des pays asiatiques comme la Malaisie, l'Indonésie et le Bangladesh continuent d'en faire la
preuve.
Le Coran ne proscrit aucun système de gouvernement, y compris la démocratie, et les participants à
l'étude de M. Turgay soulignent volontiers l'existence de pratiques démocratiques dès les premiers
temps de l'islam, notamment en ce qui concerne la consultation (la choura) et le consensus (l'idjma).
Même s'ils ont été parfois abolis et détournés de leur but par des dirigeants intégristes, les principaux
éléments qui caractérisent les sociétés démocratiques s'inscrivent depuis longtemps dans les traditions
historiques de l'islam : la compassion, la liberté d'expression, la primauté du droit, un gouvernement
responsable, une politique participative et le respect de la dignité des personnes. C'est d'ailleurs une
forme de démocratie qui a conduit au choix du premier calife. Selon le Coran, c'est pour qu'elles
puissent se connaître les unes les autres que différentes nations et tribus ont été créées. Qui plus est,
lorsqu'un verset dit « nulle contrainte en religion », cela est en soi un appel au pluralisme.
Certains de ces principes sont nés du contact avec d'autres cultures et d'autres religions, notamment les
religions occidentales, et cela a contribué à enrichir l'ensemble de l'humanité. C'est ainsi que l'islam a
subi diverses influences, qu'il s'agisse du zoroastrisme ou du manichéisme, ou encore de l'hindouisme,
du bouddhisme, du judaïsme et du christianisme. L'islam incarne à la fois la capacité de résister et de
s'adapter.
La lutte contre l'extrémisme : pour un islam fort et vivant
Mais pourquoi y a-t-il une montée de l'intégrisme? En guise de réponse, on évoque souvent l'absence de
démocratie et le manque criant de possibilités dans certains pays gouvernés par des régimes
prétendument islamiques. S'il est probable que ces facteurs incitent fortement des personnes à s'engager
dans la voie de l'extrémisme, ce n'est pas tant l'islam ni ses adeptes qu'il faut blâmer, mais l'attitude
irresponsable des dirigeants.
Et peut-être existe-t-il des facteurs encore plus profondément enracinés. Karen Armstrong, dans un livre
captivant intitulé The Battle for God, soutient que l'intégrisme musulman trouve son origine dans la
crainte que l'islam ne soit anéanti : la peur, quasi viscérale, que les sociétés laïques et libérales modernes
veuillent le rayer de la surface de la terre.
Quelle est la solution, me demanderez-vous? Un islam fort et vivant! C'est-à-dire toutes les
interprétations et les variantes de l'islam adoptées par les peuples animés par la compassion.
Et si c'est vraiment là ce que nous voulons, une partie de ces efforts peuvent commencer au Canada.
Redéfinir le multiculturalisme : de la tolérance à la compréhension
Les Canadiens utilisent volontiers le mot « multiculturalisme », et souvent avec beaucoup de fierté,
lorsqu'il s'agit de décrire leur pays. Et avec raison. Son Altesse l'Aga Khan inaugurera bientôt un institut
d'études sur le pluralisme à Ottawa, pour que notre expérience puisse être mise à profit aussi bien au
Canada qu'à l'étranger. Nous avons réussi à créer une société multiculturelle : notre pays est un
regroupement de nations, une terre d'accueil pour presque tous les peuples de la terre. Notre société
répond bien à la définition du pluralisme, puisqu'elle englobe un grand nombre de groupes ethniques,
religieux et culturels différents. Dans l'ensemble, les Canadiens estiment que cela est souhaitable et
bénéfique. Mais cela ne suffit pas. Pour que le multiculturalisme réussisse, nous devons le redéfinir, afin
que sa principale caractéristique ne soit plus la tolérance, mais plutôt la compréhension et l'harmonie.
Permettez-moi ici de parler d'une affaire qui faisait la une du Globe and Mail aujourd'hui. Il s'agit du
cas d'Irene Waseem, étudiante montréalaise de 16 ans, à qui l'on a interdit de porter le hidjab, symbole
religieux, à l'école privée qu'elle fréquente. Comme deux de mes collègues montréalais, je crois
fortement qu'il s'agit-là d'une question de liberté religieuse. Je crois comprendre que la Commission des
droits de la personne du Québec est parvenue à la même conclusion en 1995, dans une affaire concernant
une école publique, en invoquant le droit à l'égalité consacré par la Charte des droits et libertés du
Québec. Comme vous, j'espère que la Commission prendra une décision semblable en ce qui concerne
les écoles privées.
Or, ce sont en partie les dialogues interconfessionnels qui favoriseront une meilleure compréhension.
Comme pendant cette conférence et, de plus en plus au Parlement, dans les assemblées législatives
provinciales et dans les conseils municipaux, et, surtout, dans les foyers et les centres communautaires de
tout le pays. L'objectif d'un dialogue véritable ne consiste pas nécessairement à s'entendre, mais surtout
à promouvoir le respect mutuel.
Bien entendu, la lecture du Coran et des paroles des prophètes n'est qu'un point de départ pour mieux
comprendre la réalité en pleine évolution de l'islam. Avant de pouvoir aspirer à combler les fossés qui
les séparent de leurs amis de l'Asie-Pacifique et du monde entier, les Canadiens doivent d'abord
s'attacher à mieux comprendre les nombreuses communautés musulmanes à l'intérieur de leurs propres
frontières. Il serait en effet absurde de lire la Bible et de prétendre par la suite comprendre la contribution
des chrétiens à ce pays, les rapports parfois antagonistes que nous entretenons entre nous, la diversité
habituelle des points de vue sur la politique étrangère et les affaires mondiales, et nos aspirations pour
nos enfants! Il ne suffit pas de connaître les enseignements d'une religion : il faut aussi voir comment ils
s'appliquent dans la vie quotidienne.
Nous n'avons rien à craindre : mieux comprendre la religion des autres ne signifie pas sacrifier la nôtre.
Plutôt, c'est là une occasion de réaffirmer notre foi. Dans cette optique, nous pouvons encourager les
écoles à enseigner le respect des différentes religions, et demander que les journalistes adoptent une
attitude responsable, en refusant d'utiliser à tort des expressions comme « terroriste islamique » et
« extrémiste musulman ».
Et, nous devons comprendre que, si notre pays se caractérise par une séparation implicite de l'Église et
de l'État, par contre la religion est un important moteur de changement dans le monde entier. En effet,
dans ce nouveau siècle, les nombreuses confessions religieuses remplacent les autres idéologies presque
partout sur la planète. Lorsque nous choisissons de ne pas tenir compte de ce phénomène, c'est à nos
risques et périls.
Pendant les séminaires qui ont suivi le petit déjeuner de prière national, le 9 mai 2002,
Janet Epp Buckingham a déclaré qu'une grande partie des Canadiens et, manifestement, les médias
canadiens tiennent déjà en piètre estime la religion, qui est, selon eux, à l'origine de la plupart des maux
de ce monde. Il est donc absolument crucial que les représentants des grandes religions du monde
entament un dialogue sérieux. En refusant le moindre échange avec les autres, nous risquons de perdre en
crédibilité et de compromettre la pertinence de toutes les religions, quelles qu'elles soient, dans le
contexte de la société canadienne.
Au printemps dernier, le ministre canadien des Affaires étrangères a lancé un dialogue à l'échelle
nationale sur la politique étrangère. Pour la première fois, le rôle de la religion dans la politique
étrangère a fait l'objet d'une attention spéciale. Il s'agit là d'un progrès! Le ministère des Affaires
étrangères et du Commerce international a organisé des tables rondes ayant pour thème « Le Canada et le
monde musulman ». De plus, beaucoup d'entre vous ont rencontré des diplomates canadiens dans le
cadre de leur travail dans ce domaine. Bien entendu, si nous sommes ici aujourd'hui, c'est en partie parce
que le Ministère a demandé à M. Turgay de réaliser une étude et que, dans la foulée, il finance cette
conférence.
Le soutien à l'islam dans le monde
Le renforcement de nos efforts au Canada n'est qu'une première étape. Pour que les musulmans d'ici et
d'ailleurs puissent contribuer à l'islam fort et vivant dont nous avons reconnu l'importance, ils doivent
bénéficier d'un soutien visible et substantiel.
L'étude de M. Turgay sur la perception qu'ont du Canada les communautés musulmanes d'Asie-Pacifique confirme ce que nombre de Canadiens savent déjà : le Canada occupe une place unique!
Le Canada est un pays occidental qui fait également partie de l'Asie-Pacifique. Le Canada est membre du
G8, mais participe aussi aux activités de l'APEC [Coopération économique Asie-Pacifique], de
l'ANASE [Association des Nations de l'Asie du Sud-Est] et de l'ONU [Organisation des Nations Unies].
Le Canada est un pays capitaliste, qui encourage l'esprit d'entreprise, mais reconnu pour son respect de
l'égalité et des droits de la personne.
Le Canada est le voisin, le principal partenaire commercial et l'allié le plus fidèle de la seule
superpuissance, mais il n'a pas envoyé de troupes en Iraq.
À l'heure où l'ordre mondial change, nous avons l'avantage d'avoir une perspective différente sur les
choses (« empreinte de bonne volonté », diraient certains), et il serait absurde, voire irresponsable, de ne
pas s'en prévaloir. Nous avons la possibilité de mettre en place un mécanisme de résolution des
problèmes qui ne suscitera pas l'hostilité. En créant un vocabulaire commun, fondé sur le respect et la
compréhension, nous renforcerons notre action, en paroles et en actes.
À l'évidence, nous nous devons de prendre position contre le terrorisme sous toutes ses formes et
d'appuyer les pays qui, comme nous, s'engagent à le combattre. Que ce soit au Canada ou à l'étranger,
nous devons être prêts à nous opposer à ceux, y compris les régimes autocritiques, qui déforment le
message de l'islam, l'une des grandes religions de ce monde.
Toutefois, il est important de joindre le geste à la parole. Cela signifie qu'il faut appuyer les programmes
d'études qui fournissent une solution de rechange aux systèmes à courte vue qui perpétuent l'intolérance
et l'intégrisme. Cela signifie aussi qu'il faut continuer à aider les femmes grâce à des programmes
d'études et d'apprentissage, ainsi que la création de coopératives et d'autres efforts, de façon à améliorer
leur situation économique ainsi qu'à leur faciliter l'accès à l'éducation et à la vie politique.
Pour cela, il faut donner à la société civile, où qu'elle soit, et tout particulièrement dans les points chauds
de la planète, les moyens et la volonté de se démocratiser, à partir de l'intérieur, dans le plein respect des
enseignements de l'islam. Cela signifie également que nous devons aider ceux qui rejettent la violence et
l'autoritarisme, ce qui, comme nombre d'entre vous le savent, n'est jamais tâche facile. Le dialogue entre
les dirigeants est également important, mais il ne suffit pas.
Conclusion
La question de l'heure est de savoir comment construire ces ponts, à savoir une dynamique d'entraide.
C'est aussi là le principal défi que vous aurez à relever au cours des deux prochains jours. M. Turgay a
proposé un certain nombre de solutions à cet égard. Nombre d'entre elles s'inscrivent dans le
prolongement de la conférence sur la diversité et l'islam, parrainée par l'organisme Women Engaging in
Bridge Building, qui a eu lieu en juin dernier à Ottawa et a remporté un franc succès. J'espère que la
présente conférence me donnera l'occasion de parfaire mes connaissances et de participer à la
formulation d'idées concrètes auxquelles nous donnerons suite. Parmi vous, quelqu'un a fait observer,
avec sagesse, que pendant la première journée de nombreuses conférences, les gens sont trop polis. La
plupart, a-t-il dit, en font un peu trop pour qu'on les réinvite!
C'est pourquoi, pour favoriser des discussions franches, je vous invite à poser toutes les questions et à
formuler tous les commentaires dont vous voudrez bien nous faire part.
Permettez-moi de terminer par ces mots du Prophète :
[traduction]
Celui qui apprend pour se donner de l'importance meurt dans l'ignorance. Celui qui apprend seulement
pour mieux discourir, plutôt que pour agir, est un hypocrite. Celui qui apprend dans le but de débattre
meurt impie. Celui qui n'apprend qu'à accumuler des richesses meurt athée. Et celui qui apprend pour
mieux agir meurt en mystique.
Je vous remercie.