M. GRAHAM - ALLOCUTION DEVANT LA CHAMBRE DE COMMERCE CANADA-FRANCE - PARIS, FRANCE
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT
LA CHAMBRE DE COMMERCE CANADA-FRANCE
PARIS, France
Le 3 octobre 2003
C'est un grand honneur de pouvoir célébrer avec vous l'amitié qui unit le Canada et la France.
L'amitié canado-française s'enracine dans une histoire et des projets qui nous ont permis de définir et de
développer de solides valeurs communes, auxquelles s'identifient nos concitoyens. Aujourd'hui,
j'aimerais profiter de ma présence parmi vous pour parler d'un de ces projets, la préservation de la
diversité culturelle qui est, comme vous le savez, l'objet d'une coopération particulièrement étroite entre
nos deux pays.
Depuis 1998 plus particulièrement, la France et le Canada se sont engagés en faveur du droit pour les
États d'élaborer leurs propres politiques culturelles.
Cet objectif est non seulement important pour protéger le droit des artistes et des créateurs de toutes
origines de produire et diffuser leurs œuvres, mais il s'inscrit aussi dans le contexte d'une mondialisation
que nous, Français et Canadiens, voulons mettre au service de la société globale.
La diversité culturelle constitue le fondement même du Canada. Les premiers explorateurs européens ont
dû établir des contacts et des échanges avec les Premières Nations. Dès le XVIIIe siècle, notre expérience
de l'accommodation entre le français et l'anglais a défini notre développement. Après la chute de la
Nouvelle-France, l'Acte de Québec a reconnu les droits religieux et linguistiques des francophones. De
cette reconnaissance est née une culture de tolérance et de respect qui a dicté dorénavant la politique de
notre pays. Baldwin, réformiste du Haut-Canada, et Lafontaine, nationaliste du Québec ont joint leurs
forces pour établir une démocratie face au pouvoir colonial. En 1867, le partenariat entre sir John A.
Macdonald et sir Georges Étienne Cartier a permis de faire éclore la Confédération canadienne.
Puis, tout au long de notre histoire, chaque vague d'immigration est venue enrichir le Canada de
nouvelles façons de vivre, de créer et de s'exprimer. Si bien que, de nos jours, la diversité culturelle est
devenue un élément vital et incontournable de notre identité nationale.
Pour nous, la diversité culturelle s'est traduite en des approches sociales et politiques qui, pour
l'essentiel, ont permis l'avènement et la consolidation d'institutions publiques porteuses de progrès
social, du respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine.
Elle a incité les Canadiens à élaborer des programmes de soins de santé
accessibles à tous, en plus d'un système de protection sociale qui soit le plus juste et le plus étendu
possible. Elle nous a emmenés à faire des choix qui reflètent notre souci de justice et de dignité
humaine : abolition de la peine de mort, contrôle des armes à feu et, maintenant, droit au mariage pour
les partenaires de même sexe. Et ce, tout en favorisant cette liberté d'expression et d'opinion qui fait de
la démocratie canadienne l'un des espaces publics les plus ouverts et les plus stimulants au monde. Cette
semaine, le magazine The Economist, référence particulièrement pertinente pour cet auditoire, nous a
qualifiés de cool, précisément en raison de nos politiques. En ce sens donc, ce que nous appelons la
culture détermine notre politique et nos réalisations en tant que nation.
À l'échelle internationale, on peut dire que le droit à la culture est l'un des droits humains les plus
fondamentaux. La diversité culturelle est l'expression de ce droit. Elle exprime le besoin d'élargir
l'éventail des choix et des sources auxquels peuvent puiser les individus et, ce faisant, elles donnent un
caractère tangible aux aspirations à l'universel qui émergent dans le monde d'aujourd'hui.
La culture est le terreau sur lequel un être humain et une société peuvent grandir, se développer et se
définir. Tout comme la biodiversité pour notre habitat écologique, la diversité culturelle est vitale pour le
genre humain.
Les terribles événements qui ont marqué le début de ce millénaire viennent démontrer, avec combien
d'éloquence, que le respect de la diversité culturelle est devenue une condition sine qua non de
l'émergence d'une société internationale qui puisse enfin atteindre les objectifs de tolérance, de paix et
de respect mutuel auxquels aspirent pourtant tous les peuples de la planète.
Appelant à la mise en œuvre de ces objectifs, le président Chirac définissait en février dernier la diversité
culturelle comme étant la « réalisation d'une démocratie planétaire, unie sur l'essentiel mais respectueuse
des différences, expression politique d'une mondialisation maîtrisée et conforme à nos valeurs ».
Je ne peux qu'épouser entièrement une telle approche. En effet, c'est précisément cette importante notion
d'une mondialisation maîtrisée qui a suscité, dans la foulée d'une initiative canadienne, la création du
Réseau international sur la politique culturelle, dont la vocation consiste à se pencher sur les moyens
dont peuvent disposer les États, non seulement pour participer à l'économie mondiale, mais aussi pour
promouvoir activement les diverses formes d'expression culturelle et artistique propres à chaque pays.
Vous n'êtes pas sans connaître, bien entendu, la nature de nos efforts en vue de l'adoption par
l'UNESCO [Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture] d'une Convention
sur la diversité culturelle d'ici l'automne 2005. C'est d'ailleurs avec grand plaisir que nous avons pris
connaissance de l'engagement de l'UNESCO à ce propos, comme en témoigne le projet de résolution en
faveur de l'élaboration d'un instrument normatif international sur la diversité culturelle, qui sera soumis
à la Conférence générale dans quelques jours.
La partie est donc très bien amorcée. Nous avons déjà réussi à sensibiliser la communauté internationale
à l'importance même de l'enjeu. Mais beaucoup reste à faire.
L'acceptation de la diversité culturelle est synonyme de reconnaissance pleine et entière de la modernité,
de la mondialisation, des nouvelles technologies et des liens qu'elles permettent de tisser. Cela implique
également la reconnaissance des multiples potentiels qu'offre le monde moderne, tout en étant une
stratégie permettant de mieux faire face aux nouveaux défis que pose la mondialisation.
La logique de la diversité culturelle n'est pas dirigée contre qui que ce soit. Il s'agit au contraire une
politique d'ouverture à tous, où toutes les formes d'expression culturelle peuvent se faire valoir. C'est
pourquoi il est essentiel de préserver le droit des gouvernements de favoriser le développement des
cultures diverses au sein de chaque pays.
Dès lors, une convention sur la diversité culturelle consoliderait le droit des États de prendre les mesures
requises pour préserver et promouvoir la diversité culturelle. Elle servirait aussi de base pour la
coopération internationale dans l'exercice de ces droits et, par la création d'obligations entre signataires,
elle améliorerait la transparence des politiques culturelles.
Je crois qu'il est important de rappeler ici la nature positive de cet enjeu, et j'aimerais rassurer les pays
qui ont émis des réserves, en particulier les États-Unis. Nous ne souhaitons pas que la Convention soit un
prétexte au protectionnisme et à la fermeture des marchés, mais au contraire, qu'elle encourage le
commerce des produits culturels tout en autorisant les États qui le souhaitent à développer leur culture et
leur identité.
Cette convention pourrait donc contribuer à une meilleure cohérence entre les objectifs de libéralisation
du commerce et ceux de la préservation et de la promotion de la diversité culturelle. Par conséquent, il
sera nécessaire d'assurer l'articulation entre cette convention et les autres accords internationaux, y
compris ceux de l'OMC.
Nous reconnaissons que la cohérence entre les diverses obligations internationales soulèvera un défi
juridique, mais nous sommes persuadés qu'avec la volonté nécessaire, l'objectif est réalisable.
Pour notre part, au gouvernement du Canada, nous travaillons à établir le dialogue entre les ministères
responsables et les différents ordres de gouvernement fédéral et provinciaux.
Nous avons compris que c'est en travaillant ensemble, et en harmonisant les perspectives du commerce,
de la culture et des affaires étrangères, que notre pays sera mieux en mesure de contribuer à l'adoption
d'une Convention internationale sur la diversité culturelle. Il va sans dire que nous encourageons les
autres pays à faire de même.
La diversité culturelle, vue dans un contexte plus large, contribue également à la prospérité sociale et
économique, au développement humain et à la sécurité.
Cela m'amène à revenir un moment sur ce qui, pour nous au Canada, marque l'importance de l'enjeu.
Le Canada est devenu, au fil de son histoire qui est à la fois complexe et passionnante, un pays
dynamique, bilingue, multiculturel et innovateur.
Nous sommes fiers de nos réalisations internationales, comme d'avoir convaincu une majorité de pays à
adhérer à la convention contre les mines antipersonnel.
Nous sommes fiers aussi d'avoir été reconnus pendant plusieurs années de suite par les Nations Unies
comme un des pays ayant la meilleure qualité de vie.
À mon avis, cette réputation est directement liée à notre politique d'immigration qui incarne maintenant
notre multiculturalisme.
L'auteur Michael Adams, dans son livre Fire and Ice, indique que 77 p. 100 des Canadiens estiment que
les immigrants exercent une influence positive sur leur pays. Par surcroît, Adams révèle que non
seulement cette majorité est déjà très importante en elle-même, mais également que le Canada est
actuellement la seule nation du monde où la majorité de la population est en faveur de l'immigration. The
Economist décrit ainsi les conséquences de cette situation : « Pendant que les autres pays riches sont aux
prises avec les conséquences négatives du racisme sur l'immigration, les Canadiens apprécient les
immigrants et sont fiers de la tolérance et de la diversité culturelle de leur pays, ce qui a transformé les
grandes villes canadiennes en de dynamiques endroits cosmopolites. »
Deux mots résument bien, à mon avis, l'idée canadienne : l'aventure et le défi. On ne peut comprendre ce
que nous sommes devenus sans inclure ces éléments de notre passé et de notre présent, composés à la
fois de réussites et d'échecs.
Dans l'esprit des pères de la Confédération, l'idée de la « nationalité politique », c'est-à-dire de l'union
politique fondée non pas sur des dimensions ethno-culturelles, mais plutôt sur des idéaux démocratiques,
sur l'État de droit, sur le gouvernement parlementaire, de même que sur la diversité et la tolérance, a été
dès le départ érigée en principe inaliénable.
À la citoyenneté uniformisée, le Canada oppose donc un modèle où la recherche de l'unité et la
promotion de la diversité sont poursuivies simultanément. Cette caractéristique a fait du Canada un pays
éminemment multiculturel. On y retrouve des gens de plus de 150 origines ethniques différentes.
Il s'agit d'ailleurs pour moi d'une réalité bien vivante : dans ma circonscription de Toronto Centre -
Rosedale, dont je suis le député au Parlement du Canada, le quartier de St. James Town compte plus de
57 communautés culturelles différentes, où les multiples voix et cultures se conjuguent pour donner à la
collectivité son esprit particulier. En fait, à l'hôtel de ville de Toronto, les citoyens peuvent obtenir de
l'information dans 101 langues différentes, une situation qui existe aussi dans plusieurs autres cités
canadiennes.
Vous avez sûrement entendu dire à plusieurs reprises que le Canada était une mosaïque. Pour qu'une
telle société puisse fonctionner, les citoyens, qu'ils soient arrivés de longue date ou tout récemment,
doivent accepter les valeurs canadiennes et les principes de gouvernance qui nous unissent.
Ce que je viens de dire du Canada, d'autres pourraient sans doute le dire de leur propre pays. La France
est un pays très différent du Canada : plutôt que le multilatéralisme à la Canadienne, vous avez mis au
point un modèle centralisé, faisant de la « laïcité républicaine » une valeur centrale. Mais derrière ces
modèles différents, nos deux pays ont un souci commun de respecter les différences. Et la France,
comme le Canada, croit profondément en la nécessité de promouvoir la diversité culturelle.
Il y a 400 ans, Samuel de Champlain fondait le premier établissement français en Amérique. Cet
établissement européen en milieu autochtone allait devenir la fondation du Canada moderne, une
fondation coulée dès l'origine dans la diversité des cultures. À l'occasion de la visite au Canada du
premier ministre français, Jean-Pierre Raffarin, le premier ministre du Canada, Jean Chrétien, annonçait
en mai dernier le lancement en France des activités entourant le 400e anniversaire du premier
établissement français en terre d'Amérique.
Au cours des prochains mois, ces activités nous donneront l'occasion de célébrer ensemble l'expression
concrète non seulement de nos cultures respectives, mais aussi des valeurs et des projets communs qui
unissent nos gouvernements et nos peuples.
En conclusion, mes chers amis, je vous dirais que dans les circonstances que nous connaissons
aujourd'hui, il est de plus en plus crucial de bien saisir l'importance de l'ouverture, du dialogue des
peuples, des cultures et des religions ainsi que du respect mutuel. Nous avons appris au cours des
dernières années qu'on ne peut pas se permettre de se fermer au monde, de l'ignorer et de laisser s'y
développer des zones d'exclusion.
Il est vrai que notre époque est difficile. On parle beaucoup de sécurité, de défense et de protection dans
le nouvel environnement international. Le Canada et la France sont d'ailleurs bien engagés, chacun à leur
façon, dans ce combat contre les nouveaux dangers de notre temps.
Mais il est essentiel, je dirais même vital, de bien saisir que la nature du combat est loin de n'être que
militaire. Dans cet esprit, je crois qu'il est plus nécessaire que jamais de bien comprendre la complexité
du monde d'aujourd'hui. Mais il faut travailler aussi à découvrir et à apprécier cette complexité, et non
pas à s'en protéger ou à la rejeter.
C'est ici que l'enjeu de la diversité culturelle, dont nos deux pays font la promotion, prend toute son
importance, sinon tout son sens, car sans elle, la recherche d'un monde de paix, d'ouverture et de
tolérance s'avérerait vaine.
Je vous remercie.