M. GRAHAM - ALLOCUTION DEVANT LA CHAMBRE DE COMMERCE DU CANADA À L'OCCASION DU SOMMET DES AFFAIRES 2003 - TORONTO (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
DEVANT LA CHAMBRE DE COMMERCE DU CANADA
À L'OCCASION DU SOMMET DES AFFAIRES 2003
TORONTO (Ontario)
Le 30 octobre 2003
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui en tant qu'invité de la Chambre de commerce du Canada. L'ordre du
jour de votre conférence n'aurait pas pu être plus important. Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous parler de l'avenir
des relations entre le Canada et les États-Unis. Mes collègues et moi, au gouvernement, consacrons beaucoup de temps et
d'énergie à ces relations extrêmement importantes pour le Canada. Cela étant dit, nous devons quand même reconnaître
qu'une bonne part de l'orientation future dépasse le cadre du gouvernement et dépend de l'entreprise privée, de la société
civile et des citoyens de nos deux pays. Voilà pourquoi je crois qu'il est important pour nous de réfléchir aujourd'hui à la
façon dont nous pouvons travailler ensemble pour que notre expérience commune de ce continent soit profitable pour nous
tous. Car nos relations ont, je crois, un énorme potentiel non seulement pour ceux d'entre nous qui vivent en Amérique du
Nord, mais aussi pour d'autres, partout dans le monde.
La première caractéristique, et des plus évidentes aussi, à noter au sujet des relations Canada-États-Unis, c'est qu'elles vont
bien au-delà des intérêts économiques. Dans le cadre du NORAD [Commandement de la défense aérospatiale de
l'Amérique du Nord], nos deux pays sont partenaires dans la défense commune de l'Amérique du Nord. De plus, nos
autorités civiles collaborent étroitement dans le domaine de la sécurité. Nous sommes conjointement les défenseurs de notre
environnement et, comme nous avons pu nous en rendre compte à l'occasion de la panne générale de courant de cet été, nos
infrastructures énergétiques sont fortement interdépendantes. À part tout cela, il y a un fait qui est peut-être encore plus
important : Canadiens et Américains ont des liens familiaux, des rapports d'amitié et des affinités fondées sur les voyages,
l'éducation, la culture populaire et bien d'autres facteurs. Les habitants des deux pays vivent dans des sociétés d'une
extraordinaire diversité et partagent l'engagement à promouvoir des valeurs fondamentales telles que la démocratie, la saine
gestion publique, le respect des droits de la personne ainsi que la paix et la sécurité dans le monde.
La complexité de tous ces éléments économiques, politiques et sociaux signifie que les liens entre nos deux pays s'étendent
bien au-delà de la sphère régie par les deux gouvernements fédéraux. À Ottawa, nous entendons bien sûr tous les appels
lancés au gouvernement pour lui demander de faire une gestion plus étroite des dimensions politiques et économiques de
nos relations. Nous reconnaissons l'importance de la responsabilité que nous avons de faciliter le commerce transfrontalier
et, d'une façon plus générale, de garantir l'accès à notre plus grand marché d'exportation. J'examinerai avec vous, dans
quelques instants, la façon dont le gouvernement cherche à renforcer les relations avec les États-Unis, mais je voudrais
d'abord mettre cela en perspective en abordant quelques points très généraux.
À titre de ministre des Affaires étrangères, je dois réaliser un certain équilibre entre ces relations d'une importance vitale,
d'une part, et, de l'autre, les autres intérêts du Canada au chapitre de la politique étrangère et les relations bilatérales que
nous entretenons avec quelque 160 pays du monde. Dans tout cela, ma responsabilité consiste à poursuivre le vaste éventail
d'objectifs de la politique étrangère canadienne. La prospérité économique est évidemment importante, mais la paix et la
sécurité ainsi que la promotion des valeurs et de la culture de notre pays sont également essentielles. Pour atteindre ces
objectifs, nous avons besoin d'un service extérieur qui s'étend au monde entier, établit des liens politiques et économiques
avec les autres pays, travaille à l'échelle bilatérale et multilatérale à la promotion de la stabilité et de la prospérité
mondiales, et aide les pays en développement à renforcer leur sécurité, leur autonomie économique et leurs structures de
gouvernance.
Contrairement à beaucoup d'autres pays de sa taille, le Canada a des responsabilités et des engagements partout dans le
monde. Cette situation est due à de nombreux facteurs, dont le moindre n'est pas le fait que nos efforts sont essentiels pour
que les Canadiens puissent vivre en sécurité dans les différents pays du monde et y avoir des relations d'affaires
avantageuses. Nous avons beaucoup à gagner en travaillant à l'établissement de conditions propices à l'ouverture de
nouveaux marchés et à la découverte de nouveaux partenaires commerciaux. Et nous avons beaucoup plus à perdre en nous
désintéressant des dangers et de la misère qui existent à l'extérieur de notre continent. Comme les Torontois ne l'ont que
trop bien appris lors de la crise du SRAS [syndrome respiratoire aigu sévère], bien peu de dangers s'arrêtent aujourd'hui
aux frontières nationales, qu'il s'agisse de maladies infectieuses, de dégradation environnementale, de terrorisme ou
d'instabilité économique. Par conséquent, il est essentiel pour nous d'étendre notre politique étrangère à l'ensemble du
monde pour protéger nos intérêts nationaux. Voici ce qu'a dit à ce sujet Kofi Annan : « Dans un univers mondialisé, nous
pouvons aider les laissés-pour-compte aujourd'hui, par sens moral ou par intérêt personnel bien pensé, ou bien nous serons
obligés de le faire demain parce que leurs problèmes seront devenus les nôtres dans un monde sans frontières. » Je crois que
les États-Unis partagent nos préoccupations à cet égard et que nous pouvons nous aider mutuellement dans les efforts que
nous déployons dans ce domaine.
Il y a bien sûr d'autres raisons pour lesquelles le Canada a dans le monde des engagements allant bien au-delà de ses grands
intérêts aux États-Unis. On dit souvent que notre économie extrêmement ouverte nous amène partout dans le monde, mais
les Canadiens eux-mêmes en font autant. Comme ceux d'entre nous qui vivent à Toronto peuvent le constater quand ils
prennent le métro ou se promènent dans les rues, cette ville reflète le monde. À l'hôtel de ville, on peut se faire servir dans
101 langues. Il y a une bonne raison à cela : Toronto est l'une des villes les plus multiculturelles et les plus cosmopolites du
monde. Cela se répercute sur notre politique étrangère. Par exemple, pendant la visite que j'ai récemment faite au Sri
Lanka, des gens m'ont dit qu'il y a plus de Sri-Lankais d'origine tamoule à Toronto que dans n'importe quelle ville du Sri
Lanka. Cela a bien sûr des répercussions sur notre présence très active dans ce pays où nous essayons de favoriser le
processus de paix. D'autres concentrations semblables d'immigrants nous amènent également à nous intéresser d'une façon
très directe à la paix et à la prospérité dans leur pays d'origine.
Mais au-delà de la diversité de notre population, il y a aussi le facteur économique. Comme vous le savez mieux que moi,
la force du secteur financier est un facteur clé de la prospérité de Toronto. Nos banques et nos compagnies d'assurances ont
des activités partout dans le monde. Quand je voyage dans des pays tels que l'Inde, la Chine ou l'Indonésie, je parle souvent
à mes interlocuteurs de la possibilité d'élargir l'accès de ces marchés pour notre secteur financier.
Toronto est également le siège de l'une des plus grandes bourses mondiales de valeurs minières. La prospérité que nous
assure ce marché est, elle aussi, directement liée à des activités qui ont lieu dans des régions éloignées de l'Asie centrale, de
la Russie, de l'Afrique, de l'Amérique du Sud et d'autres régions à risque relativement élevé. La promotion d'une bonne
gouvernance et de la stabilité dans ces régions est donc directement liée à notre santé économique ici même, à Toronto.
Je veux également souligner, comme je l'ai déjà dit, que beaucoup de nos efforts mondiaux peuvent avoir des effets directs
sur nos relations avec les États-Unis. Nous partageons bien sûr beaucoup d'intérêts et de valeurs et nous sommes un
important allié des États-Unis sur la scène internationale. Nous pouvons parfois agir utilement en usant de moyens auxquels
une superpuissance pourrait trouver difficile de recourir. Les Américains reconnaissent le rôle que nous jouons en faveur
d'objectifs communs. Ils apprécient beaucoup nos contributions à la lutte contre le terrorisme et à la poursuite de la
stabilisation en Afghanistan, de même que les importants montants que nous nous sommes engagés à consacrer à la
reconstruction de l'Iraq, notre leadership dans l'Initiative de partenariat mondial qui vise à éviter que des armes de
destruction massive ne tombent dans de mauvaises mains, nos mesures d'allégement de la dette et de réduction des droits
de douane pour les pays en développement ainsi que notre travail en faveur de la démocratie dans les Amériques. Ces
efforts sont appréciés par les États-Unis, notamment parce qu'ils contribuent autant à leur sécurité qu'à la nôtre.
Cette dimension mondiale de nos relations nous ouvre de nombreuses perspectives de coopération. Il y a quelques
semaines, par exemple, j'ai rencontré d'autres ministres des Affaires étrangères au sommet de l'APEC [Coopération
économique Asie-Pacifique] à Bangkok pour discuter des moyens auxquels nous pouvons collectivement recourir afin
d'atténuer les sentiments de frustration et de désespoir qui engendrent la violence dans le monde musulman. Je leur ai parlé
de la façon dont le Canada s'efforce de trouver des façons d'améliorer son dialogue avec le monde musulman ainsi que des
travaux de notre comité parlementaire des affaires étrangères, qui mène une étude sur cette question d'une importance
critique. Le fait que la population musulmane du Canada augmente ne fait que renforcer notre engagement envers cet
objectif. Au cours d'un entretien que j'ai eu avec Colin Powell, il a mentionné que les États-Unis ont des perspectives et
des préoccupations semblables et que nos deux pays peuvent réaliser beaucoup en travaillant ensemble dans ce domaine. Je
crois fermement que le partage de tels objectifs nous permet aussi de régler ensemble des problèmes dans notre propre
continent.
Sans perdre de vue ce vaste contexte des relations Canada-États-Unis, je voudrais maintenant vous parler de la façon dont
nous agissons directement pour resserrer les liens économiques avec les États-Unis. Aujourd'hui, la diplomatie est très
différente de ce qu'elle était il y a quelques décennies, lorsque nos efforts étaient essentiellement centrés sur la Maison-Blanche et le département d'État. Comme nous le constatons de plus en plus, aussi bien avec les États-Unis qu'avec
d'autres pays, les rapports entre États ne sont plus une chasse gardée des diplomates. Conscients du pouvoir du Congrès,
nous avons établi dans les années 1980 notre Service des relations avec le Congrès à Washington. Depuis, nous avons aussi
recouru plus souvent à l'Association parlementaire Canada-États-Unis, qui est l'une des associations parlementaires les
plus efficaces du monde et dans le cadre de laquelle j'ai personnellement noué, au fil des ans, d'excellents rapports avec le
Congrès, qui demeurent aujourd'hui aussi utiles que satisfaisants sur le plan personnel.
Ces derniers temps, nous avons également commencé à étendre notre action à la politique locale et au niveau de la base,
bien loin de Washington même où il est devenu vraiment difficile de retenir l'attention des hautes personnalités,
constamment sollicitées par une dizaine de milliers de lobbyistes enregistrés. Aujourd'hui, nous nous efforçons de travailler
avec des partenaires particuliers canadiens et américains qui portent un intérêt actif à des questions ou à des secteurs précis.
Ainsi, au lieu de plaider en faveur de règles du jeu équitables, comme nous le faisions auparavant, nous utilisons une
stratégie beaucoup plus efficace, qui consiste à montrer aux Américains qu'en nous faisant du tort, ils portent atteinte à
leurs propres intérêts. Au sujet du bois d'œuvre résineux, par exemple, nous avons nous-mêmes établi des contacts avec le
secteur américain du bâtiment. Qu'il s'agisse de bois d'œuvre, de questions environnementales ou du nouveau système
envisagé de contrôle des entrées et des sorties, notre nouvelle approche de défense de nos intérêts aux États-Unis se révèle
avantageuse pour les entreprises canadiennes.
Nous nous attendons à des résultats encore plus remarquables grâce à l'Initiative de représentation accrue que le
gouvernement a annoncée le mois dernier. Dans le cadre de cette initiative, nous intensifierons sensiblement notre présence
aux États-Unis, en faisant passer le nombre de nos consulats et consulats généraux de 15 à 22. Les nouveaux bureaux seront
surtout ouverts dans le Sud et le Sud-Ouest du pays afin de tenir compte du déplacement progressif des centres du pouvoir
politique et économique vers ces régions. À mesure que nous renforcerons notre présence dans le pays, les nouveaux
bureaux se chargeront non seulement de promouvoir le commerce et l'investissement, mais aussi d'expliquer nos politiques
dans des domaines tels que la santé publique, l'environnement et la culture.
Ces mesures, qui sont bien sûr avantageuses pour nous, plaisent également aux Américains. Cet été, le gouverneur du
Colorado m'a dit qu'il considérait comme une initiative importante l'ouverture d'un consulat général à Denver, où le
Canada est un important investisseur et un grand partenaire commercial. Le maire de cette ville a repris le même message,
en ajoutant que dans la situation économique actuelle de Denver, la transformation du consulat canadien en consulat
général est un événement qui aura des effets positifs sensibles sur la ville.
Nous allons en outre toucher des régions du pays où nous n'avons pas encore de services consulaires complets. Dans les
prochains mois, 20 nouveaux consuls honoraires se chargeront de défendre les intérêts du Canada dans différentes villes des
États-Unis. Ces consuls seront choisis parmi d'éminentes personnalités locales, comme des gens d'affaires et d'anciens
politiciens ou diplomates tant canadiens qu'américains, qui connaissent le Canada et sont disposés à nous représenter. Cette
initiative nous permettra aussi, au besoin, de réagir rapidement n'importe où aux États-Unis en chargeant des personnalités
locales de travailler en notre nom. Grâce à toutes ces mesures, nous porterons nos messages, bien au-delà de Washington,
aux politiciens, aux électeurs et aux gens influents des États et des régions des États-Unis.
Je crois que nos projets ont de très bonnes chances de donner des résultats concrets parce qu'ils se basent sur nos relations
générales avec les États-Unis, qui sont au fond excellentes. N'oublions pas que les échanges commerciaux entre les deux
pays ont doublé depuis la signature de l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain] et que, dans leur grande
majorité, ils ne font l'objet d'aucun différend.
Pour les questions de sécurité continentale et mondiale, nous demeurons des alliés en qui les Américains ont confiance
malgré les frictions causées par notre décision de ne pas participer à la guerre en Iraq. Nous avons appris que lorsque nos
deux pays ont des points de vue divergents sur des sujets d'une grande importance, l'essentiel est de faire connaître
clairement et respectueusement les motifs de notre position. Au cours de l'année dernière, notre gouvernement a montré
qu'il était possible de maintenir des relations économiques étroites avec les États-Unis tout en appliquant une politique
étrangère indépendante, fondée sur les intérêts et les valeurs du Canada.
Bien franchement, du point de vue des entreprises américaines, les liens économiques entre nos deux pays sont trop
importants pour qu'une divergence politique passagère puisse les influencer sensiblement. Cela m'a été confirmé quand j'ai
eu l'occasion de visiter Cleveland le printemps dernier, à un moment où nous étions tous conscients des tensions causées
par notre position au sujet de l'Iraq. Au cours d'un entretien avec des gens d'affaires importants de la ville, ceux-ci m'ont
dit qu'à leur avis, les répercussions de ces tensions sur nos relations commerciales étaient minimes. Après tout, ont-ils
ajouté, vous êtes nos meilleurs clients et c'est chez vous que nous investissons. Il ne serait pas très utile pour nous de
réduire nos relations économiques à cause d'une divergence politique.
Cela met en évidence le fait que nous avons déjà des relations très saines et très stables avec les États-Unis. Même si nous
ne tenons jamais cela pour acquis, notre commerce transfrontalier est très prospère. Nous ne devons pas perdre de vue ce
facteur en décidant des mesures suivantes à prendre. Il y a sûrement de la place pour des idées neuves et des changements
au statu quo. Le commerce, les questions frontalières, l'énergie et l'environnement sont tous des domaines susceptibles de
nouveaux développements et nombre de mes collègues du Cabinet s'occupent très activement de ces domaines.
Comme l'a révélé le sondage dont le National Post rapportait les résultats hier, les Canadiens souhaitent nous voir
rechercher des moyens de resserrer nos liens avec les États-Unis et profiter du grand marché nord-américain dans lequel
nous vivons. Dire, comme l'aurait récemment fait un député, que « nos relations avec les États-Unis sont au point mort »
est peut-être un bon moyen pour un politicien de retenir l'attention, mais cela est très loin de la réalité.
Si c'était bien le cas, personne n'a pensé à le dire à Colin Powell qui a souvent déclaré que les relations profondes et
inextricables entre nos deux pays survivront au désaccord que nous avons eu sur le meilleur moyen de régler le problème
iraquien. Personne non plus n'a pensé à le dire à l'ambassadeur des États-Unis, Paul Celluci, avec qui j'ai déjeuné hier.
Après avoir passé en revue les questions commerciales et frontalières en discussion entre nos deux pays, il a conclu que,
pour lui, nos relations étaient dans l'ensemble très bonnes. Il en est de même du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld,
qui a récemment exprimé la gratitude des États-Unis pour nos efforts en Afghanistan, et du secrétaire à la Sécurité nationale
Tom Ridge qui s'est joint ce mois-ci à John Manley pour se féliciter de la coopération entre nos deux pays, qui a permis de
réaliser de si grands progrès dans la mise en œuvre du plan d'action sur une frontière intelligente. Enfin, dire que nos
relations sont au point mort serait probablement jugé faux par le président Bush, qui a passé trois heures assis à côté du
premier ministre au cours d'un dîner à Bangkok, il y a deux semaines, dans une atmosphère qui était franchement cordiale.
À mon avis, les exagérations de ce genre ne sont vraiment pas très utiles, pas plus que les déclarations de ceux qui
préconisent des relations plus étroites, mais disent des choses conçues pour empêcher un tel resserrement. Il y a
évidemment des divergences, mais elles découlent le plus souvent du fait que nos relations sont tellement étroites.
Il faut se demander si ces difficultés sont très différentes des problèmes du commerce interprovincial que nous avons
souvent à régler au Canada, comme la mobilité des travailleurs du bâtiment de l'Ontario et du Québec, par exemple. Le défi
est de s'occuper de ces difficultés en gardant constamment à l'esprit l'intérêt mutuel que nous avons à aboutir à de bonnes
solutions. Nous sommes tous très heureux du bon travail que fait la communauté des affaires et les organismes de recherche
tels que le Conseil canadien des chefs d'entreprises, l'Institut C.D. Howe et d'autres. Sur la base de leurs efforts, nous
pouvons envisager une série de solutions possibles.
Certains experts préconisent d'autres changements, comme une intégration radicale de nos politiques et de nos économies
ou une approche plus progressive. Lorsque nous examinons de telles idées, nous devons bien entendu comprendre l'état
d'esprit actuel de nos partenaires américains. Nous n'avons pas constaté, dans les milieux politiques des États-Unis, un
intérêt particulier pour une quelconque initiative de type « radical », surtout à l'approche des élections présidentielles. En
fait, nos amis mexicains ont constamment été confrontés à ce genre de réaction de la part de Washington chaque fois qu'ils
ont évoqué la possibilité de créer une structure supranationale nord-américaine semblable à l'Union européenne. Nos
rapports distincts avec le Mexique et nos relations communes au sein de l'ALENA rendraient une telle idée beaucoup plus
complexe encore, de même que toutes les autres alliances et ententes économiques que les trois pays ont avec d'autres
nations et régions du monde. La simple multiplicité des liens et des intervenants fait qu'il est difficile d'envisager un grand
accord économique devant être géré par des institutions supranationales.
Pour cette raison, il pourrait être plus utile pour nous de continuer à faire fond sur le succès de l'ALENA, en poursuivant la
réduction des obstacles à l'investissement et aux échanges de biens et de services, en examinant les domaines particuliers
dans lesquels il serait clairement dans notre intérêt de resserrer la coopération réglementaire avec les États-Unis, en
harmonisant nos normes et en recherchant des moyens plus efficaces d'affronter les recours commerciaux américains qui
perturbent nos marchés hautement intégrés de l'acier, de l'énergie et du bois d'œuvre. Ce mois-ci, par exemple, nous avons
établi, de concert avec nos partenaires de l'ALENA, une nouvelle commission chargée de favoriser l'ouverture et
l'intégration dans le marché nord-américain de l'acier, qui abordera toutes ces questions dans le cadre de ses fonctions.
Au chapitre des questions frontalières, nous pouvons constater que le plan d'action sur une frontière intelligente a été un
énorme succès puisqu'il a renforcé la sécurité à la frontière tout en accélérant le passage des personnes et des marchandises.
Ce que nous avons réalisé constitue un modèle pour d'autres pays qui se soucient de la sécurité et du commerce
transfrontalier, comme je l'ai appris à la récente réunion de l'APEC en Thaïlande, au cours de laquelle nous avons discuté
des moyens de contrer les terroristes qui menacent notre prospérité, en tirant parti de nos économies ouvertes. Nous savons
que les questions de sécurité revêtent toujours une importance primordiale pour les États-Unis en ce moment. Nous avons
donc besoin de continuer à brasser des idées pour essayer de réduire les risques, en établissant de nouvelles pratiques
favorisant une frontière sûre et ouverte et en coopérant à l'étranger pour écarter les menaces avant leur arrivée en Amérique
du Nord.
Deux autres secteurs peuvent donner lieu à de nouveaux moyens de coopération. Le premier est celui de l'énergie. Après la
panne d'électricité du mois d'août, nous avons formé un groupe de travail conjoint Canada-États-Unis chargé de prévenir
les crises de ce genre. Nous devrions chercher des façons de tirer parti de la création de ce groupe, peut-être en développant
notre coopération dans d'autres domaines de l'approvisionnement en énergie. Dans le secteur connexe de l'environnement,
nous devons également trouver des moyens d'étendre notre partenariat avec les États-Unis. Au cours du dialogue sur la
politique étrangère que j'ai engagé partout dans le pays l'hiver et le printemps derniers, j'ai souvent entendu dire que
l'environnement revêt un intérêt vital et une grande valeur pour les citoyens canadiens. Cet été, un progrès encourageant
s'est produit avec la signature d'un nouvel accord entre les deux pays sur la réduction de la pollution atmosphérique
transfrontalière. Nous devons aller au-delà en recherchant des moyens de coopérer avec les États-Unis dans le domaine du
changement climatique. Nous devons appuyer les États et les provinces qui prennent des initiatives régionales visant à
réduire les émissions de gaz à effet de serre et déterminer les pratiques exemplaires des deux côtés de la frontière. Les
États-Unis ont pris de nombreuses initiatives environnementales que nous aurions intérêt à étudier.
Dans tous ces domaines, l'intensification de la coopération entre le Canada et les États-Unis profitera aux gens d'affaires
des deux pays. Certains des avantages possibles, comme la simplification des mouvements transfrontaliers, sont évidents
pour tout le monde. D'autres, comme un environnement plus sain, pourraient nécessiter un travail de sensibilisation plus
important. Quels que soient les défis, je peux vous assurer que le gouvernement continuera à chercher des façons de vous
aider à faire affaire avec les États-Unis.
Si je peux vous demander quelque chose en retour, ce serait que vous tous, qui avez tant d'influence dans le pays, gardiez à
l'esprit les grands objectifs de vos efforts et les intérêts primordiaux de notre pays. Comme vous le savez, dans un univers
mondialisé, faire affaire avec les États-Unis implique souvent de traiter avec le reste du monde, à l'extérieur de notre
continent. J'ai déjà dit que la prospérité du monde a évidemment des répercussions sur nous. Nous ne pouvons pas faire
abstraction des exigences des pays en développement et des incidences du commerce nord-américain sur le reste de la
planète. La responsabilité de la stabilité et de la prospérité de l'économie mondiale incombe en grande partie aux
gouvernements du monde. J'espère que vous appuierez les efforts de notre gouvernement à cet égard.
Une dernière chose, enfin. Même si leur sécurité et leur prospérité sont étroitement liées, Canadiens et Américains ont des
caractéristiques nationales très différentes. Michael Adams l'explique bien dans son récent livre, Fire and Ice, qui analyse
les attitudes du public dans les deux pays et aboutit à quelques conclusions particulièrement intéressantes. Au niveau des
attitudes sociales, M. Adams estime que les Canadiens et les Américains ont des perspectives sensiblement différentes.
Dans notre pays, ces différences se manifestent dans les choix politiques que nous avons faits au sujet de l'assurance-maladie universelle, des prestations familiales, du financement des campagnes électorales et du contrôle des armes à feu,
par exemple. Au chapitre des affaires internationales, les différences sont illustrées par notre insistance sur des institutions
multilatérales telles que la Cour pénale internationale et par la priorité que le Canada accorde à l'objectif de la sécurité
humaine, que nous poursuivons actuellement grâce à des initiatives visant à mettre fin au trafic des armes légères et à
réaliser d'importantes réformes au sein des institutions multilatérales. En présence de ces différences, M. Adams estime
que, même si l'intégration économique s'est poursuivie à un rythme accéléré depuis la signature de l'Accord de libre-échange dans les années 1980, les Canadiens ont conservé une identité politique et des priorités distinctes.
Je me souviens de la campagne électorale de 1988, qui avait été dominée par le débat sur le libre-échange. À cette époque,
je m'inquiétais, comme beaucoup d'autres, du risque que le libre-échange nous fasse perdre notre souveraineté et nous
empêche de poursuivre des objectifs proprement canadiens chez nous. Ces craintes se sont révélées sans fondement. Les
Canadiens n'ont pas perdu leur individualité malgré la profonde intégration économique du continent. Bien au contraire,
nous avons pu réaliser cette intégration avec le Mexique en même temps qu'avec les États-Unis, dans le cadre d'un
arrangement vraiment inhabituel entre un pays sous-développé et deux des pays les plus développés du monde. Michael
Adams a raison de conclure que nous pouvons aller de l'avant et poursuivre l'objectif d'une intégration encore plus poussée
avec nos voisins américains sans pour autant perdre notre identité. En fait, je crois que l'augmentation correspondante de
notre prospérité nous permettra, à long terme, d'être mieux à même d'atteindre nos propres objectifs en Amérique du Nord,
dans l'hémisphère et dans le reste du monde.
En définitive, les événements récents ont clairement démontré que notre partenariat avec les États-Unis transcende les
désaccords que nous pouvons avoir sur des sujets particuliers. Et malgré les différences sensibles qui existent entre nos
attitudes et nos politiques sociales, nous travaillons très bien ensemble quand il s'agit de renforcer notre sécurité et notre
prospérité communes en Amérique du Nord ou d'agir conjointement en faveur d'un monde plus juste, plus sûr et plus
prospère. Nos relations ne sont pas de simples rapports entre États, ce sont des relations entre deux peuples. Notre
communauté des affaires joue un rôle essentiel dans ces relations, et j'espère bien pouvoir travailler avec vous pour qu'elles
atteignent leur plein potentiel.
Je vous remercie.