M. GRAHAM - ALLOCUTION À L'OCCASION DU FORUM SUR LE COMMERCE CANADA-EUROPE - TORONTO (ONTARIO)
SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS
NOTES POUR UNE ALLOCUTION
DE
L'HONORABLE BILL GRAHAM,
MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
À L'OCCASION DU FORUM SUR LE COMMERCE CANADA-EUROPE
TORONTO (Ontario)
Le 21 novembre 2003
En tant que résidant de Toronto, je vous souhaite la bienvenue, spécialement à ceux d'entre vous qui arrivent d'Europe.
Je sais qu'il règne une grande confiance dans cette ville, comme partout au Canada, depuis que nous avons pu relever les
indicateurs économiques de base au cours de la dernière décennie. Du côté des finances publiques et de la création
d'emplois, en particulier, nos résultats sont excellents. Je sais que beaucoup d'Européens nous envient à cet égard.
Nous avons été éprouvés par plusieurs chocs économiques brutaux cette année : le SRAS [syndrome respiratoire aigu
sévère] et la panne d'électricité ici à Toronto, l'ESB [encéphalopathie spongiforme bovine], les ouragans et les feux de
forêts dans d'autres régions du Canada. Malgré tout cela, nos comptes sont équilibrés et notre économie est prête à tirer
parti de la reprise de l'économie mondiale qui est attendue au cours des mois qui viennent.
Nous avons enregistré notre sixième excédent budgétaire consécutif, ce qui ne s'était pas vu depuis un demi-siècle. Nous
avons réduit notre endettement de 52,3 milliards de dollars, ce qui se traduit par une économie en intérêts de plus de 3
milliards de dollars par année, que nous consacrons à d'autres priorités économiques et sociales. Qui plus est, notre produit
intérieur brut par habitant, qui est le meilleur indicateur de notre niveau de vie, a augmenté de 20 p. 100 en six ans.
Une des plus grandes et des plus belles réussites observées au Canada au cours des dernières années a été la diffusion d'une
nouvelle culture de l'excellence à travers le pays, en partie sous l'effet de notre engagement à appuyer la recherche. Notre
gouvernement a investi 13 milliards de dollars dans la recherche et l'innovation, faisant des universités et des centres de
recherche canadiens des leaders mondiaux dans la poursuite du savoir et des innovations et dans la mise au point de
technologies de pointe. On trouve un reflet de cette nouvelle valorisation de l'excellence dans la mise sur pied de la
Fondation canadienne pour l'innovation, qui permet à nos universités, nos collèges et nos hôpitaux de recherche de
poursuivre des activités de recherche-développement de calibre mondial. Nous avons aussi créé 2 000 nouvelles chaires de
recherche pour procurer à nos universités les moyens d'attirer et de retenir les plus grandes compétences. Et par l'entremise
des Réseaux de centres d'excellence, le gouvernement coopère avec l'industrie et les universités afin que les capacités
canadiennes en recherche et en entrepreneuriat puissent produire des bienfaits économiques et sociaux pour la population
du pays.
Ces transformations se répercutent sur la performance des activités de recherche des universités et des entreprises à travers
le pays. On peut trouver aujourd'hui des grappes de chercheurs scientifiques un peu partout au pays : en biotechnologie à
Montréal, en génomique à Winnipeg, en photonique à Ottawa, en piles à combustible à Vancouver, en énergies de pointe à
Calgary. Tout cela signifie, comme le savent bien les entreprises européennes qui envisagent de poursuivre des activités à
base scientifique en Amérique du Nord, que le Canada est un bon choix, non seulement pour la science mais aussi pour les
affaires.
Cette constatation m'amène aux thèmes plus généraux dont je veux vous entretenir aujourd'hui, soit la diversité croissante
des liens entre le Canada et l'Europe, la place de ces liens dans une communauté transatlantique qui est à la fois ancrée
dans l'histoire et très moderne, et leur contribution aux efforts accomplis par tous nos pays pour résoudre les problèmes
d'un monde interdépendant. Ce sont là sans conteste des questions très vastes, mais qui se répercutent directement sur vos
affaires quotidiennes et, tout compte fait, sur mon propre travail également.
Permettez-moi de commencer au Canada même, c'est-à-dire par les points de vue de nos citoyens. L'hiver et le printemps
derniers, j'ai procédé à une consultation nationale au sujet de l'orientation de la politique étrangère canadienne. Lors
d'assemblées publiques qui ont eu lieu partout au pays, j'ai pris connaissance des réflexions de mes concitoyens sur notre
identité nationale et sur les valeurs que nous devons promouvoir dans le monde.
Les Canadiens savent que nous sommes avant tout Nord-Américains et que, pour de nombreuses raisons, les États-Unis
sont notre allié principal et le plus proche. La géographie nous impose cette proximité. Nous sommes partenaires au sein du
Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord. Nos autorités civiles, nos corps policiers et d'autres
acteurs coopèrent étroitement pour assurer notre sécurité, non seulement contre le terrorisme, mais aussi contre la
criminalité et les autres menaces qui pèsent sur nos populations. Nous assurons conjointement la gestion de notre air, de
notre eau et de notre faune, qui franchissent la frontière avec la même facilité que des millions de nos concitoyens.
Depuis les terribles événements du 11 septembre 2001, il va de soi que notre alliance avec les États-Unis s'est approfondie
à la faveur de notre réaction commune à la menace du terrorisme. Sur le front intérieur, nos relations en matière de sécurité
ont pris de nouvelles dimensions, par exemple avec la mise sur pied d'un groupe de planification binational chargé de
coordonner la réponse des deux pays aux attentats terroristes, aux catastrophes naturelles et aux autres menaces
transnationales. Dans le cadre du plan d'action pour une frontière intelligente, nous améliorons la circulation sûre et
efficace des personnes et des marchandises de part et d'autre de la frontière.
Quant à nos relations économiques, chacun de nos deux pays est le premier partenaire commercial de l'autre. En effet, pas
moins de 82 p. 100 des exportations canadiennes se dirigent vers les États-Unis, qui en retour vendent au Canada pour plus
de 280 milliards de dollars en biens et en services chaque année. Cela signifie que nous accueillons le quart des
exportations des États-Unis, plus que tout autre pays. En fait, les États-Unis vendent plus au Canada qu'à l'Union
européenne tout entière. L'investissement est un autre volet énorme de nos rapports économiques, tout comme l'est notre
interdépendance croissante en matière d'énergie.
Au-delà du commerce et de l'économie, nos populations entretiennent des liens très étroits. Nous nous marions les uns avec
les autres, nous fréquentons les universités de part et d'autre de la frontière, nous passons nos vacances les uns chez les
autres, nos sportifs jouent dans les mêmes équipes et nos acteurs, nos musiciens et nos écrivains rejoignent les publics des
deux pays. Nous partageons un même engagement profond envers de nombreuses valeurs. Les Canadiens et les Américains
apprécient et chérissent l'extraordinaire diversité des sociétés d'immigrés dans lesquelles ils vivent. Nos deux pays sont
acquis à la démocratie, à la saine gestion publique et au respect des droits humains. C'est donc dire que nous partageons les
mêmes aspirations pour nos propres sociétés, et une vision commune d'un monde où nous pouvons aider d'autres peuples à
profiter des bienfaits que procurent les sociétés ouvertes et démocratiques.
Mais, me demandera-t-on, pourquoi mettre en lumière les relations canado-américaines devant un groupe réuni pour parler
de l'Europe? À cet égard, j'aimerais faire deux observations. Je crois fermement -- et je suis convaincu que mes
concitoyens seront d'accord avec moi lorsqu'ils s'entretiendront avec nos collègues européens -- que la sécurité de notre
accès au marché américain repose, dans une large mesure, sur la profondeur de nos rapports avec les États-Unis, que ce soit
en matière énergétique, au niveau des relations entre les deux peuples ou à tout autre égard.
Par exemple, le Canada est à l'heure actuelle le seul pays exempté de l'obligation d'obtenir des permis d'entrée et de sortie
qui doit bientôt entrer en vigueur aux États-Unis. Pourquoi en est-il ainsi? Cette exemption découle de la nature de ces
relations profondes dont je viens de parler. Elle découle du fait que l'Association parlementaire Canada-États-Unis est l'une
des plus efficaces au monde. Nous rencontrons régulièrement nos collègues américains et pouvons faire valoir notre point
de vue directement auprès du Congrès et l'expliquer aux gens, qu'ils viennent du Michigan, du nord des États-Unis, de
l'Oregon ou de l'État de Washington. Ils savent quelles conséquences pourrait avoir sur leur économie tout geste qui aurait
pour effet de restreindre les mouvements de marchandises et de personnes de part et d'autre de la frontière.
J'ai entendu beaucoup d'Européens se demander : « Pourquoi aller au Canada? Pourquoi ne pas plutôt choisir les
États-Unis? » Mais si vous réfléchissez au sujet qui nous retient aujourd'hui, à la science et à la technologie, et aux
nombreux autres avantages que le Canada peut offrir, la frontière entre les deux pays est ouverte, et je suis convaincu
qu'elle le restera.
Bien sûr, les valeurs fondamentales que nous partageons avec les États-Unis sont bien ancrées en Europe également, et elles
continuent de s'y épanouir. J'ajouterai même que si, dans le cadre du dialogue sur la politique étrangère dont j'ai parlé plus
tôt, les Canadiens m'ont parlé de la nature des liens entre le Canada et les États-Unis, ils ont aussi affirmé qu'à de
nombreux égards, la société canadienne incarne des valeurs européennes. Si on songe en particulier à notre système de
soins de santé et à bien d'autres caractéristiques de la société canadienne, on peut constater qu'il y a de nombreux points de
ressemblance avec divers aspects de la culture et des préoccupations européennes.
Le Canada et les États-Unis forment le volet nord-américain d'une communauté transatlantique plusieurs fois centenaire,
une communauté qui partage valeurs, intérêts et objectifs envers la planète. Nos façons de poursuivre ces objectifs diffèrent
parfois, inspirées par des différences du point de vue des attitudes sociales et de la situation relative de nos pays respectifs
dans le monde. Les États-Unis portent la lourde responsabilité qui est rattachée à leur situation de superpuissance. Le
Canada et les pays d'Europe occidentale sont des puissances d'un ordre différent, ce qui fait de nous des alliés naturels dans
de nombreux domaines. Nos actions se complètent et, ensemble, le Canada et l'Europe peuvent jouer un rôle
complémentaire à celui des États-Unis dans les efforts transatlantiques pour bâtir un monde meilleur.
Nous savons que nous sommes plus que jamais solidaires, de part et d'autre de l'Atlantique et de par le monde, dans la lutte
contre des problèmes véritablement planétaires. Aujourd'hui, il y a très peu de dangers qui s'arrêtent aux frontières
nationales : ni les maladies infectieuses, ni la dégradation de l'environnement, ni le terrorisme, ni l'instabilité économique.
Voyez l'Afrique, où 30 millions de personnes sont victimes du VIH; à peine 25 000 d'entre elles ont accès actuellement
aux médicaments antirétroviraux. La grande majorité de ces gens vont mourir, faisant 40 millions d'orphelins, qui seront
privés non seulement de parents, mais aussi d'enseignants, d'infirmières et d'agents de police.
Ce sont là des conditions propices à l'avènement d'un continent composé d'États en chute libre, qui peuvent présenter
autant de danger pour la sécurité que les États hors-la-loi. Songez aux souffrances additionnelles qui ne manqueront pas de
se manifester si l'épidémie atteint des proportions semblables dans des pays comme la Chine, l'Inde et la Russie. Songez à
ce que cela pourrait signifier pour le système économique mondial et pour la sécurité de la planète.
Compte tenu de cette interdépendance, nous n'avons pas d'autre choix que de nous attaquer à ces problèmes mondiaux.
C'est là la réalité à laquelle faisait allusion Kofi Annan en énonçant cette alternative : si nous ne venons pas à l'aide des
marginaux dans notre monde interdépendant, par obligation morale et par intérêt bien compris, nous y serons forcés
demain, quand leurs problèmes seront devenus les nôtres, dans un monde sans frontières. Et, comme Bono le faisait
remarquer au congrès du Parti libéral, dans ce domaine, il en coûte beaucoup moins cher de prévenir que de guérir.
Du fait de leur interdépendance, les pays de la terre n'ont d'autre choix que de coopérer pour s'attaquer à des problèmes
qu'aucun d'entre eux ne peut régler seul. Comme vous le savez, la question de la coopération multilatérale préoccupe tout
le monde depuis un an. Les Nations Unies, l'organisation multilatérale la plus grande et la plus importante du point de vue
historique, a été mise à rude épreuve. L'ONU reste une tribune sans égale et indispensable pour une action mondiale, mais
elle a besoin d'une réforme en profondeur, et cela pose d'immenses difficultés. Pour les surmonter, nous devrons travailler
main dans la main avec de nombreux autres États avec lesquels nous devrons former des partenariats productifs.
Au premier rang de ces partenariats sont ceux que nous, les Canadiens, avons créés avec les Européens, du fait de notre
histoire, de notre rôle dans le monde et, bien sûr, de nos valeurs et intérêts communs. Ce sont ces éléments qui nous ont
amenés à unir nos efforts pour lutter contre le réchauffement planétaire par le truchement de l'accord de Kyoto, à chercher à
interdire les mines antipersonnel partout dans le monde, et à établir une Cour pénale internationale capable de punir et de
réprimer les pires crimes contre l'humanité. Nos valeurs et nos buts communs nous ont aussi guidés dans le cadre du G8, où
nous avons institué le NPDA, le Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique. En vertu de cet accord, le
Canada, les États-Unis et l'Europe coopèrent avec les pays africains pour atténuer la pauvreté et améliorer la gestion
publique sur leur continent.
Dans le cadre de la Francophonie, le Canada collabore avec les Européens et avec d'autres à la promotion de la démocratie,
des droits de la personne et de la saine gestion publique parmi les pays en développement membres de cette alliance. Et
dans le cadre du Commonwealth, le Canada et le Royaume-Uni se concertent avec d'autres pays pour trouver une solution
aux exactions du régime de Robert Mugabe au Zimbabwe.
Dans la recherche de nouvelles formes de multilatéralisme, nous voyons apparaître un pont prometteur entre le Nord et le
Sud sous la forme du Réseau de la sécurité humaine, un groupe de 13 pays qui partagent les mêmes vues, soit l'Autriche, le
Canada, la Grèce, l'Irlande, la Norvège, les Pays-Bas, la Suisse, ainsi que des pays des autres continents, qui tous ont à
cœur la sécurité des individus. L'innovation promet aussi d'émerger du G20, qui comprend les pays du G8 et des
puissances régionales d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine. Notre futur premier ministre, Paul Martin, a joué un rôle de
premier plan dans la création de ce groupe alors qu'il était ministre des Finances, il y a quelques années. Le G20, qui a pour
vocation de gérer les crises financières mondiales, aide aujourd'hui des économies émergentes à tenir le cap. Il y a tout lieu
de croire qu'en élargissant son action au-delà du seul domaine financier pour s'attaquer à d'autres problèmes, le G20 pourra
produire des résultats encore plus importants.
Donc, nous avons tous beaucoup de travail à faire, sur plusieurs plans, pour bâtir un monde plus sûr et plus prospère pour
nous tous. Ensemble, les Canadiens et les Européens vont voir leur ingéniosité et leur ténacité mises à l'épreuve au cours
des décennies à venir.
Par ailleurs, nos objectifs politiques communs, au niveau international, continueront de permettre à nos entreprises d'être
présentes sur nos marchés respectifs, car la politique et le commerce convergent lorsqu'il s'agit d'ouvrir les portes aux
échanges. De plus, lorsque je participe à une réunion Canada-Union européenne, je discute de tous ces enjeux dont il vient
d'être question -- qu'il s'agisse du multilatéralisme, de l'Afrique ou de toute autre question -- avec Javier Solana, Chris
Patten ou le ministre du pays qui assume alors la présidence européenne; le ministre du Commerce international Pierre
Pettigrew en fait autant avec Pascal Lamy et ses homologues; et le premier ministre, avec les autres dirigeants. En raison de
la collaboration étroite qui s'établit dans tous ces autres dossiers, lorsque nous abordons les dossiers commerciaux, il y a
déjà un état d'esprit qui nous permet d'engager un dialogue très fructueux en vue de chercher des solutions à ces problèmes.
C'est là qu'il y a convergence des préoccupations et objectifs politiques et commerciaux.
Tout en restant concentrés sur les immenses défis à surmonter, il ne faut pas oublier tout ce que nous avons déjà accompli
pour bâtir une communauté transatlantique stable et prospère. Une des grandes réalisations du siècle dernier aura sans
conteste été l'instauration d'une paix durable en Europe. C'est une réussite commune dont nous pouvons tous être fiers. Il y
a à Londres, en face du palais de Buckingham, un monument qui rend hommage aux soldats canadiens qui sont passés par
la Grande-Bretagne en route vers les champs de bataille du continent. Plus d'un million de nos militaires ont fait ce périple,
à une époque où notre population n'était qu'une fraction de ce qu'elle est aujourd'hui, et plus de 100 000 d'entre eux gisent
pour toujours en terre européenne.
Depuis, cependant, l'Europe connaît la stabilité grâce à l'avènement de l'Union européenne, un projet politique d'une
énorme complexité qui, par la fusion des souverainetés, unit maintenant 450 millions de personnes et inspire des centaines
de millions de voisins et d'aspirants à choisir la démocratie et la paix. Et malgré le tumulte des récentes décennies, on peut
désormais discerner un arc de stabilité qui s'étend vers l'est et le sud de l'Europe.
Je me rappelle qu'au début des années 1970, Jean Rey [président de la Commission européenne de 1967 à 1970] était venu
à Toronto et, devant un petit groupe d'universitaires, avait prédit, à notre grand étonnement, voire à notre scepticisme à
tous, que les deux grandes forces de changement en jeu à la fin du XXe siècle seraient la création du Marché commun
européen et la montée de l'intégrisme religieux.
Dans le cours de droit de la Communauté européenne que je donnais dans les années 1970 et 1980, je répétais souvent la
phrase de Jean Monet : « Nous ne coalisons pas les États, nous unissons les hommes ». À l'époque, cela semblait davantage
un rêve des juges de la Cour européenne qu'une aspiration de la population. Aujourd'hui, c'est devenu une réalité, malgré
toutes ses imperfections.
Cette réalité est issue d'un partenariat avec l'Amérique du Nord au cours du dernier demi-siècle. Notre communauté est
transatlantique : communauté de valeurs, d'intérêts, d'objectifs vis-à-vis les droits de la personne et l'essor de la démocratie
dans le monde, mais aussi -- et ce n'est pas là le moins important -- vis-à-vis l'investissement de talents et d'énergies dans
un espace économique commun.
Bien entendu, nous sommes de grands partenaires commerciaux transatlantiques. Dans les années 1990, cependant, des
gens d'affaires comme vous ont changé la manière dont les Nord-Américains et les Européens faisaient des affaires. Il ne
leur suffisait plus de commercer entre eux; ils se sont implantés dans leurs marchés réciproques, au point que
l'investissement étranger direct entre l'UE [Union européenne] et l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain] a
triplé au cours de la décennie et représente maintenant 80 p. 100 du chiffre mondial.
Le volet canado-européen de cette réussite est très important, en particulier pour le Canada. En 2002, nous avons exporté
vers l'UE près de 18 milliards de dollars de marchandises, mais les filiales d'entreprises canadiennes en Europe ont réalisé
des ventes de plus de 77 milliards de dollars, soit quatre fois plus. C'est là le fruit des investissements canadiens au sein de
l'UE, qui ont quintuplé de 1992 à 2002. C'est plus de deux fois le taux de croissance de l'investissement canadien dans le
reste des pays du monde, y compris les États-Unis. La valeur comptable des avoirs canadiens en Europe dépasse maintenant
les 20 milliards de dollars.
Il est vrai que du point de vue de nos exportations, le marché de l'UE ne représente pour nous que le vingtième du marché
américain; par contre, l'Europe occupe une place beaucoup plus importante du côté des investissements, équivalente à
environ 60 p. 100 du marché américain. Ce niveau d'investissement se reflète dans les rapports trimestriels, les bénéfices et
la cote en bourse des entreprises canadiennes, à commencer par Alcan, dont 50 p. 100 du chiffre d'affaires est européen,
sans parler d'autres grands acteurs canadiens comme Bombardier, Magna, Quebecor World et Nortel. Plus de 50 p. 100 du
trafic Internet européen est transmis par des équipements Nortel. En Irlande du Nord, les deux plus gros employeurs,
malgré les troubles, sont Bombardier et Nortel.
L'investissement afflue d'ailleurs en sens inverse également. Il y a au Canada plus de 1 800 entreprises de l'UE, dont la
valeur comptable totale dépasse les 100 milliards de dollars. Les Canadiens se plaignaient autrefois de ne pas recevoir leur
part des capitaux européens investis dans le marché de l'ALENA. Dans les années 1990, nous n'obtenions que 3 ou
4 p. 100 de ce que les États-Unis accueillaient. Or, depuis quelques années, notre part est d'environ 20 p. 100. Les
Européens voient enfin plus clairement la performance et les possibilités qu'offre le Canada d'aujourd'hui.
Vous connaissez tous d'autres exemples qui confirment mon propos, à savoir que dans le domaine des affaires, le
partenariat transatlantique est florissant. Vous savez aussi, sans doute, que le Canada prépare actuellement avec l'UE un
accord qui devrait stimuler le commerce et l'investissement par des moyens inédits : coopération pour une réglementation
intelligente, adoption de normes réciproques, harmonisation des titres professionnels. Ce faisant, les gouvernements
écoutent les bonnes idées des associations de gens d'affaires, telles que le Forum sur le commerce Canada-Europe. Cet
accord représente une priorité de longue date de notre gouvernement, et nous espérons le voir enfin adopté au prochain
sommet Canada-UE.
Nous avons aussi accompli des progrès en facilitant et en encourageant entre l'Europe et le Canada les échanges de jeunes
pour des stages d'étude ou de travail. De passage à Paris récemment, j'ai signé avec une grande fierté au Quai d'Orsay un
accord qui va permettre à quelque 15 000 jeunes Canadiens et Canadiennes et de jeunes Français et Françaises d'étudier et
de travailler en France et au Canada, respectivement. Je n'ai pu m'empêcher à cette occasion de me rappeler le temps où je
préparais mon doctorat à Paris il y a 35 ans et de songer à quel point les circonstances et les attitudes ont changé depuis.
Permettez-moi de souligner pour conclure à quel point la communauté transatlantique que nous continuons de mettre sur
pied ensemble est importante pour le Canada. Le commerce et l'investissement sont les piliers de cette communauté, dans
laquelle nos citoyens, qu'ils soient canadiens, américains ou européens, connaissent une destinée commune dans la paix et
dans la guerre depuis plusieurs générations. Nos valeurs fondamentales, nos intérêts et nos visions du monde sont très
proches, et nos fortunes ne pourront que continuer de coïncider à l'avenir, dans le domaine économique comme dans les
autres.
À cet égard, les rapports personnels sont tout aussi importants que le droit ou les institutions. Dans ma propre famille, ma
femme et mon fils ont la nationalité irlandaise en plus de la citoyenneté canadienne. Ma fille est à la fois française et
canadienne et son mari, qui est français, a aussi les nationalités américaine et canadienne; il travaille à Paris pour un
courtier en valeurs immobilières canadien prospère, dans une entreprise qui appartient à une banque suisse. Leurs trois
enfants vont à l'école à Paris, mais passent leurs vacances au Canada, et se sentent chez eux ici comme là-bas.
J'ai donc dans ma propre famille des exemples, et je suis sûr que vous en connaissez aussi dans vos familles, dans les
familles de vos amis et dans vos entreprises, des exemples qui montrent que l'Europe et le Canada investissent beaucoup
dans leur avenir réciproque. Au-delà des chiffres, tout impressionnants qu'ils soient, et de notre vaste coopération politique
et économique, ce sont par-dessus tout ces liens personnels et l'affection réciproque sincère que se vouent beaucoup de nos
concitoyens, qui nous inspirent confiance dans l'avenir de la communauté transatlantique. Je suis certain que nous allons
continuer de la bâtir ensemble, cette communauté, dans l'intérêt de la sécurité et de la prospérité de chacun de nos pays, de
l'Atlantique Nord et du monde.
Je vous remercie.